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Date : 20120801

Dossier : IMM-8823-11

Référence : 2012 CF 956

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er août 2012

En présence de M. le juge O'Reilly

 

 

ENTRE :

 

MIRIAM CHANTAL SALAZAR NINO

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Vue d'ensemble

 

[1]               En 2009, Mme Miriam Chantal Salazar Nino a demandé l'asile au Canada, alléguant qu'au Mexique elle craignait son ex‑petit ami, Garcia. Mme Salazar Nino avait accepté de livrer un colis pour Garcia, mais avait refusé d'en livrer d’autres. Elle a par la suite appris que Garcia était un narcotrafiquant qui avait des liens avec la police, et qu'il avait tué des gens, dont de jeunes femmes qui avaient refusé de l'aider à distribuer des stupéfiants. Craignant des représailles pour avoir défié Garcia, Mme Salazar Nino a cessé de se rendre au travail. Garcia l'a recherchée à son lieu de travail et chez elle et après l'avoir retrouvée, il l'a menacée et l'a violée. Après que la demanderesse se fut réfugiée chez ses grands-parents, Garcia s'est rendu chez les parents de la demanderesse et a menacé son père. Mme Salazar Nino a alors quitté le Mexique pour le Canada.

 

[2]               Un tribunal de la Commission de l'immigration et du Statut de réfugié a rejeté la demande d'asile de Mme Salazar Nino. La Commission a estimé que sa demande ne se rattachait à aucun des motifs reconnus par la Convention relative au statut des réfugiés. Il a également conclu que Mme Salazar Nino n'avait pas demandé la protection de l'État au Mexique et qu'elle pouvait vivre en toute sécurité à Mexico.

 

[3]               Mme Salazar soutient que les conclusions tirées par la Commission sont déraisonnables. Elle maintient en outre que la Commission l'a traitée de façon injuste à l'audience en la forçant en fait à se passer de l'aide d'un avocat. Son avocat a envoyé à la dernière minute une télécopie dans laquelle il expliquait qu'il ne pouvait être présent à l'audience. La Commission a expliqué à Mme Salazar Nino qu'elle avait le choix de se défendre elle-même ou de se désister de sa demande. Elle a choisi de poursuivre.

 

[4]               Je suis d'accord avec Mme Salazar Nino pour dire que la Commission l'a traitée injustement. La Commission a effectivement refusé de lui accorder un ajournement sans pondérer les facteurs pertinents.

 

[5]               Compte tenu de ma conclusion sur la question de l'équité, il n'est pas nécessaire que j'examine l'argument de Mme Salazar Nino selon lequel la décision de la Commission était déraisonnable.

 

[6]               La seule question est donc celle de savoir si la Commission a injustement refusé d'accorder un ajournement.

 

II.        Décision de la Commission de refuser un ajournement

 

[7]               À l'ouverture de l'audience, la Commission a informé Mme Salazar Nino que son avocat avait envoyé à la dernière minute une télécopie dans laquelle il expliquait qu'il devait participer à une conférence et qu’il ne pourrait être présent à l'audience. L'avocat n'a pas offert d'autres dates d'audience. La Commission a estimé que ce préavis était insuffisant. Elle a également fait observer que c'était la deuxième fois qu'un report était demandé dans cette affaire. Le commissaire a déclaré : [traduction] « J'ai essentiellement décidé de procéder à la tenue de l'audience ». La Commission a également demandé à Mme Salazar Nino si elle souhaitait poursuivre sans avocat, précisant que, dans la négative, la Commission déclarerait qu'elle s'était désistée de sa demande. Elle a répondu qu'elle voulait procéder sans avocat.

 

III.       La Commission a-t-elle traité Mme Salazar Nino injustement?

 

[8]               Le ministre admet que la Commission a refusé d'accorder un ajournement à Mme Salazar Nino, mais soutient que la Commission a assuré une audition équitable de sa demande d'asile même sans avocat. Le commissaire a parlé lentement et a informé la demanderesse des questions en litige, notamment son identité, les pays de référence, la crainte subjective, le retard, le lien, la protection de l'État, la possibilité d'un refuge intérieur, le risque généralisé et la crédibilité.

 

[9]               Le ministre affirme en outre que, même si Mme Salazar Nino a été traitée injustement, la décision de la Commission ne pourrait être infirmée parce que l'issue de l'audience était « inévitable » (Yassine c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 27 Imm LR (2d) 135 (CA)).

 

[10]           Je ne suis pas de cet avis.

 

[11]           Suivant les Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228, la Commission doit, pour statuer sur la demande d'ajournement, prendre en considération tout élément pertinent et examiner notamment :

 

a)         dans le cas où elle a fixé la date et l'heure de la procédure après avoir consulté ou tenté de consulter la partie, toute circonstance exceptionnelle qui justifie le changement;

 

b)         le moment auquel la demande a été faite;

 

c)         le temps dont la partie a disposé pour se préparer;

 

d)         les efforts qu'elle a faits pour être prête à commencer ou à poursuivre la procédure;

e)         dans le cas où la partie a besoin d'un délai supplémentaire pour obtenir des renseignements appuyant ses arguments, la possibilité d'aller de l'avant en l'absence de ces renseignements sans causer une injustice;

 

f)          si la partie est représentée;

 

g)         dans le cas où la partie est représentée, les connaissances et l'expérience de son conseil;

 

h)         tout report antérieur et sa justification;

 

i)          si la date et l'heure qui avaient été fixées étaient péremptoires;

 

j)          si le fait d'accueillir la demande ralentirait l'affaire de manière déraisonnable ou causerait vraisemblablement une injustice;

 

k)         la nature et la complexité de l'affaire.

 

[12]           Ces facteurs sont obligatoires (Sandy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1468; Siloch c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] ACF no 10 (CAF)).

 

[13]           Dans le cas qui nous occupe, la Commission a examiné le moment auquel la demande était faite et elle a tenu compte du fait que l'audience avait déjà été reportée. Si elle avait tenu compte des autres facteurs pertinents, elle aurait constaté que l'on ne pouvait reprocher l'un ou l'autre ajournement à Mme Salazar Nino. Le premier ajournement était attribuable à la maladie de son avocat et le second au fait qu'il n'était pas disponible. Mme Salazar Nino était également présente et prête à procéder dans les deux cas. De plus, son dossier était relativement complexe et soulevait des questions juridiques difficiles portant notamment sur le lien, la protection de l'État et la possibilité de refuge intérieur. On ne pouvait s'attendre à ce qu'elle présente sans l’aide d’un avocat des arguments solides sur ces questions, notamment par le truchement d'un interprète. Le fait de procéder sans avocat créait un risque d'injustice.

 

[14]           Il était donc injuste de la part de la Commission d'aller de l'avant sans tenir compte des conséquences que cette décision pouvait avoir sur Mme Salazar Nino.

 

[15]           En règle générale, lorsqu'un demandeur a été traité injustement, il est nécessaire de tenir une nouvelle audience à moins que le dénouement de l'affaire ait été prévisible (Cardinal c Directeur de l'Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643, aux paragraphes 201-202; Mobil Oil Canada Ltd et autre c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202; Yassine, précité).

 

[16]           Dans le cas qui nous occupe, je ne suis pas persuadé que l'issue de la nouvelle audience était inévitable. Les questions soumises à la Commission étaient complexes. Les arguments juridiques sur ces questions auraient pu infléchir sensiblement le dénouement de l'affaire. Il est donc nécessaire de procéder à une nouvelle audience.

 

IV.       Conclusion et dispositif

 

[17]           La Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte des facteurs pertinents lorsqu'elle a refusé d'ajourner l'audience de Mme Salazar Nino. Ce faisant, elle a traité cette dernière de façon injuste. Par conséquent, je dois faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner le renvoi de l’affaire à la Commission pour qu’une nouvelle audience ait lieu devant un tribunal différent de la Commission. Ni l'une ni l'autre des parties n'a proposé de question grave de portée générale à certifier et aucune n'est énoncée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR :

1.         ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire et RENVOIE l'affaire à la Commission pour qu'un tribunal différent tienne une nouvelle audience;

2.         Aucune question grave de portée générale n'est énoncée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8823-11

 

INTITULÉ :                                      MIRIAM CHANTAL SALAZAR NINO

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :             Le 11 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 1er août 2012

 

 

 

ONT COMPARU :

 

Me Else Korman

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Prathima Prashad

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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