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Date : 20120802

Dossier : T‑845‑11

Référence : 2012 CF 963

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 2 août 2012

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

Entre :

 

BAWO STELLA AKINWANDE

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

Le ministre de la sécurité publique

et de la protection civile

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

Motifs du jugement et jugement

 

I.          Aperçu

 

[1]               En 2009, lorsque Mme Bawo Stella Akinwande est arrivée à l’aéroport international Pearson, elle a déclaré qu’elle avait effectué des achats à l’étranger s’élevant à 260 $. Une inspection a révélé qu’elle était en possession d’articles très coûteux : trois ensembles de bijoux, des chaussures, de l’eau de toilette et un sac à main. Les bijoux ont été retenus pour être évalués, tandis que les autres articles lui ont été restitués moyennant paiement du tarif prescrit. Les bijoux ont par la suite été évalués à 121 700 $. Les droits de douane payables s’élevaient à 21 419,20 $.

 

[2]               Mme Akinwande a demandé une révision de la saisie de ses bijoux, alléguant qu’ils étaient exempts de droits de douane. Elle a ainsi soutenu que l’un des ensembles de bijoux lui avait été prêté et a fourni une copie du contrat de location. Elle a également déclaré que les autres bijoux avaient été achetés avant son immigration du Nigéria au Canada et a présenté des photographies d’elle portant les bijoux lors d’occasions antérieures au Canada. Elle a fourni un reçu montrant que ses perles avaient été achetées en 1997.

 

[3]               Un arbitre a conclu que les perles de Mme Akinwande n’étaient pas assujetties à des droits de douane et qu’elles devaient lui être restituées. Cependant, les bijoux loués demeuraient assujettis à des droits de douane, même s’ils étaient la propriété d’un bijoutier nigérian. L’arbitre a demandé à Mme Akinwande de fournir une preuve montrant que les autres bijoux se trouvaient parmi ses effets au moment où elle est initialement entrée au Canada, ce qu’elle n’a pu faire. L’arbitre a recommandé au ministre d’assujettir les bijoux aux droits de douane, à l’exception des perles. Par l’intermédiaire d’un représentant, le ministre a accepté la recommandation et a conclu que Mme Akinwande n’avait pas satisfait aux exigences de la Loi sur les douanes, LRC 1985, c 1 (2e suppl.) [la Loi] (les dispositions mentionnées sont jointes en annexe). Les bijoux pouvaient être dédouanés uniquement moyennant le paiement des autres droits de douane s’élevant à 15 875,20 $.

 

[4]               Le ministre a par la suite accepté que certains bijoux soient dédouanés sans paiement des droits.

 

[5]               Mme Akinwande soutient qu’elle a été traitée de façon inéquitable et que la décision du ministre était déraisonnable. Le ministre conteste les observations de Mme Akinwande et soulève une question préliminaire quant à savoir si Mme Akinwande peut contester de quelque manière le fond même de la décision du ministre. Le ministre soutient qu’une décision peut être contestée uniquement par voie d’action devant la Cour fédérale suivant l’article 135 de la Loi. Or la procédure en cause n’est pas une action, c’est une demande de contrôle judiciaire. Lors d’un contrôle judiciaire, Mme Akinwande peut contester uniquement les conditions de la restitution de ses biens saisis, non la saisie elle‑même (suivant le paragraphe 133(1) de la Loi).

 

[6]               Je suis d’accord pour dire que Mme Akinwande ne peut pas contester la décision concluant qu’elle a contrevenu à la Loi. En conséquence, je peux uniquement examiner l’allégation selon laquelle elle a été traitée de façon inéquitable et je ne peux traiter de l’argument portant que la décision du ministre était déraisonnable. Quoi qu’il en soit cependant, je ne peux pas conclure que Mme Akinwande a été traitée de façon inéquitable. Je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[7]               La présente affaire soulève deux questions :

 

1.         Mme Akinwande peut‑elle contester la décision du ministre dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire?

 

2.         Mme Akinwande a‑t‑elle été traitée de façon inéquitable?

 

II.        Première question – Mme Akinwande peut‑elle contester la décision du ministre dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire?

 

[8]               Le seul recours possible à l’encontre d’une conclusion du ministre selon laquelle une personne a contrevenu à la Loi est un appel par voie d’action devant la Cour fédérale (article 135). Le seul recours possible à l’encontre des conditions du dédouanement de biens saisis, y compris le paiement de droits de douane, est une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale (Jacques Germain – Arts Ethnographiques Inc c Canada (Procureur général), 2011 CF 539 aux paragraphes 9 à 12; United Parcel Service Canada Ltd c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 204 aux paragraphes 34 à 39).

 

[9]               Mme Akinwande a été informée des recours à sa disposition. Voici ce que déclarait la lettre du ministre qui lui a été envoyée :

 

[traduction] Pour interjeter appel de la décision rendue en vertu de l’article 131, vous pouvez introduire une action devant la Cour fédérale, conformément à l’article 135 de la Loi sur les douanes. Vous devez introduire votre action dans les 90 jours suivant la date de la mise à la poste de cette décision.

 

Pour interjeter appel de la décision rendue en vertu de l’article 133, vous pouvez interjeter appel de cette décision par voie de demande de contrôle judiciaire suivant le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Une demande à la Cour doit habituellement être déposée dans les 30 jours suivant la date de la mise à la poste de cette décision.

 

[10]           En fait, Mme Akinwande a tenté d’interjeter appel de la décision du ministre. Elle a déposé une déclaration, mais celle‑ci a été radiée par ordonnance du protonotaire Aalto sur requête du ministre (Bawo Stella Akinwande c Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, T‑1178‑11, datée du 22 août 2011). Le problème que posait la déclaration tenait au fait qu’elle prétendait contester la décision du ministre rendue en vertu de l’article 133 de la Loi. Tel que cela a été mentionné ci‑dessus, les décisions rendues en vertu de l’article 133 peuvent uniquement être contestées par voie de demande de contrôle judiciaire, non par voie d’action. De plus, la déclaration ne pouvait pas être modifiée parce qu’elle était prescrite, étant en dehors du délai imparti de 90 jours.

 

[11]           Mme Akinwande a maintenant présenté sa demande de contrôle judiciaire et l’a formulée, de façon appropriée, comme une contestation de la décision du ministre rendue en vertu de l’article 133, soit la fixation des conditions de dédouanement. Mme Akinwande n’a à aucun moment adéquatement contesté la décision du ministre rendue suivant l’article 131, soit la conclusion selon laquelle elle avait contrevenu à la Loi, ce qui a donné lieu à la saisie de ses bijoux.

 

[12]           En conséquence, je ne peux entendre l’argument de Mme Akinwande selon lequel la décision du ministre était déraisonnable. J’examinerai toutefois sa prétention de traitement inéquitable (bien que ma compétence à cet égard soit un peu douteuse : United Parcel Service, précité, aux paragraphes 41 et 42).

 

[13]           Le cadre législatif en cause en l’espèce a été décrit comme étant « maladroit et peu commode » (Nguyen c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CF 724, au paragraphe 21). Il est sans conteste source de confusion et de frustration pour ceux qui se retrouvent dans la situation de Mme Akinwande. Mais je ne puis rien y changer.

 

III.       Deuxième question – Mme Akinwande a‑t‑elle été traitée de façon inéquitable?

 

[14]           Mme Akinwande soutient que l’arbitre l’a traitée de façon inéquitable en omettant de lui communiquer ses préoccupations concernant l’authenticité de certains reçus qu’elle avait fournis et de lui donner la possibilité de répondre à ces préoccupations. Elle fait valoir que l’arbitre aurait dû tenir une audience, comme elle l’avait demandée.

 

[15]           Mme Akinwande fait valoir également que l’arbitre a limité l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en décrivant les photographies comme n’étant pas [traduction] « de la nature d’une preuve ».

 

[16]           Enfin, Mme Akinwande soutient que le ministre a manqué à son obligation d’équité en omettant de motiver adéquatement sa décision. Bien qu’elle reconnaisse l’existence d’un document intitulé [traduction] « Résumé de l’affaire et motifs de la décision » dans le dossier, celui‑ci ne lui a pas été fourni au moment de la décision. Elle a uniquement reçu la lettre du ministre, qui n’expliquait pas suffisamment le fondement de la décision. En effet, le dossier contient deux ou trois versions de la décision du ministre, ce qui rend le fondement de la décision difficile à comprendre.

 

[17]           Je ne peux pas conclure que Mme Akinwande a été traitée de façon inéquitable.

 

[18]           Après avoir présenté ses reçus, elle a été informée que ces éléments de preuve n’étaient pas satisfaisants :

 

[traduction] [E]n l’absence de preuve que les bijoux avaient déjà été importés, il incombe à l’importateur d’établir que les dispositions de la Loi sur les douanes ont été respectées [...].

 

[V]u les documents au dossier, il semble que les bijoux en cause aient été acquis à l’extérieur du Canada et n’aient pas été déclarés de façon appropriée aux douanes. En conséquence, il semble qu’une contravention à la Loi sur les douanes ait eu lieu et que la mesure d’exécution était justifiée.

 

[19]           À mon avis, cet avis était suffisant pour indiquer que l’arbitre était préoccupé par l’authenticité de certains documents que Mme Akinwande avait fournis. Mme Akinwande avait l’occasion de répondre à ces préoccupations par écrit avant que la décision définitive ne soit rendue. Une audience n’était pas nécessaire.

 

[20]           Je conviens avec Mme Akinwande que la déclaration de l’arbitre selon laquelle les photographies n’étaient pas [traduction] « de la nature d’une preuve » prêtait à confusion. Cependant, dans les circonstances, ce que voulait dire l’arbitre est raisonnablement clair. Puisqu’aucune preuve n’indiquait le moment ou l’endroit où les photographies avaient été prises, elles n’avaient évidemment que peu de valeur probante. Des photographies supplémentaires jointes à un affidavit de Mme Tokunbo Caxton‑Idowu, une amie de Mme Akinwande, n’identifiaient pas les bijoux. La déclaration de l’arbitre équivalait à une conclusion selon laquelle les photographies ne constituaient pas une preuve suffisante de la provenance des bijoux. Les observations de Mme Akinwande portent en réalité sur le poids que l’arbitre a accordé aux photographies, qui n’est pas une question ne pouvant être soulevée dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, même un contrôle judiciaire contestant le fond d’une décision, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

 

[21]           En ce qui a trait aux motifs du ministre, il ressort clairement du dossier que le Résumé de l’affaire a été rédigé par l’arbitre à l’intention du ministre. Par l’intermédiaire d’un représentant, le ministre a alors rendu sa décision. Les motifs du ministre sont raisonnablement clairs, soulignant le fondement de la conclusion portant que Mme Akinwande avait contrevenu à la Loi et la raison pour laquelle la preuve présentée n’était pas satisfaisante (c’est‑à‑dire que les reçus étaient vagues et n’identifiaient pas les articles saisis).

 

[22]           Dans l’ensemble, je suis convaincu que Mme Akinwande a été traitée de façon équitable : elle a été informée de l’avancement de son dossier et a eu plusieurs occasions d’établir que ses bijoux n’étaient pas assujettis à des droits de douane. La décision rendue indiquait suffisamment les raisons pour lesquelles elle n’avait pas réussi à établir que les bijoux étaient exempts de droits. Mme Akinwande a également obtenu le numéro de téléphone de l’arbitre pour le cas où elle aurait eu des questions supplémentaires. Aucun élément de preuve n’indique qu’elle a téléphoné pour obtenir des éclaircissements sur les motifs.

 

IV.       Conclusion est décision

 

[23]           La demande de contrôle judiciaire de Mme Akinwande ne vise que les conditions de dédouanement de ses bijoux. Cependant, ses arguments concernent principalement le fond de la décision du ministre, qui ne peut être contestée que par voie d’action. Je ne pouvais donc considérer que la question de savoir si elle avait été traitée de façon inéquitable. À mon avis, Mme Akinwande a eu la possibilité raisonnable d’établir que ses bijoux n’étaient pas assujettis à des droits de douane et elle a obtenu une explication satisfaisante de la raison pour laquelle elle n’a pas réussi à le faire. Je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Je ne rends aucune ordonnance quant aux dépens.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L., réviseure


Annexe

 

 

Customs Act, RSC 1985, c 1 (2nd Supp)

 

 

Decision of the Minister

  131. (1) After the expiration of the thirty days referred to in subsection 130(2), the Minister shall, as soon as is reasonably possible having regard to the circumstances, consider and weigh the circumstances of the case and decide

 

(a) in the case of goods or a conveyance seized or with respect to which a notice was served under section 124 on the ground that this Act or the regulations were contravened in respect of the goods or the conveyance, whether the Act or the regulations were so contravened;

 

(b) in the case of a conveyance seized or in respect of which a notice was served under section 124 on the ground that it was made use of in respect of goods in respect of which this Act or the regulations were contravened, whether the conveyance was made use of in that way and whether the Act or the regulations were so contravened; or

 

(c) in the case of a penalty assessed under section 109.3 against a person for failure to comply with subsection 109.1(1) or (2) or a provision that is designated under subsection 109.1(3), whether the person so failed to comply.

 

 

Where there is contravention

  133. (1) Where the Minister decides, under paragraph 131(1)(a) or (b), that there has been a contravention of this Act or the regulations in respect of the goods or conveyance referred to in that paragraph, and, in the case of a conveyance referred to in paragraph 131(1)(b), that it was used in the manner described in that paragraph, the Minister may, subject to such terms and conditions as the Minister may determine,

 

(a) return the goods or conveyance on receipt of an amount of money of a value equal to an amount determined under subsection (2) or (3), as the case may be;

 

(b) remit any portion of any money or security taken; and

 

(c) where the Minister considers that insufficient money or security was taken or where no money or security was received, demand such amount of money as he considers sufficient, not exceeding an amount determined under subsection (4) or (5), as the case may be.

 

 

Federal Court

  135. (1) A person who requests a decision of the Minister under section 131 may, within ninety days after being notified of the decision, appeal the decision by way of an action in the Federal Court in which that person is the plaintiff and the Minister is the defendant.

 

 

 

Loi sur les douanes, LRC (1985), c 1 (2e suppl.)

 

Décision du ministre

  131. (1) Après l’expiration des trente jours visés au paragraphe 130(2), le ministre étudie, dans les meilleurs délais possible en l’espèce, les circonstances de l’affaire et décide si c’est valablement qu’a été retenu, selon le cas :

 

a) le motif d’infraction à la présente loi ou à ses règlements pour justifier soit la saisie des marchandises ou des moyens de transport en cause, soit la signification à leur sujet de l’avis prévu à l’article 124;

 

 

 

b) le motif d’utilisation des moyens de transport en cause dans le transport de marchandises ayant donné lieu à une infraction aux mêmes loi ou règlements, ou le motif de cette infraction, pour justifier soit la saisie de ces moyens de transport, soit la signification à leur sujet de l’avis prévu à l’article 124;

 

 

c) le motif de non‑conformité aux paragraphes 109.1(1) ou (2) ou à une disposition désignée en vertu du paragraphe 109.1(3) pour justifier l’établissement d’une pénalité en vertu de l’article 109.3, peu importe s’il y a réellement eu non‑conformité.

 

Cas d’infraction

  133. (1) Le ministre, s’il décide, en vertu des alinéas 131(1)a) ou b), que les motifs d’infraction et, dans le cas des moyens de transport visés à l’alinéa 131(1)b), que les motifs d’utilisation ont été valablement retenus, peut, aux conditions qu’il fixe :

 

 

 

 

 

a) restituer les marchandises ou les moyens de transport sur réception du montant déterminé conformément au paragraphe (2) ou (3), selon le cas;

 

b) restituer toute fraction des montants ou garanties reçus;

 

c) réclamer, si nul montant n’a été versé ou nulle garantie donnée, ou s’il estime ces montant ou garantie insuffisants, le montant qu’il juge suffisant, à concurrence de celui déterminé conformément au paragraphe (4) ou (5), selon le cas.

 

 

 

Cour fédérale

  135. (1) Toute personne qui a demandé que soit rendue une décision en vertu de l’article 131 peut, dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant la communication de cette décision, en appeler par voie d’action devant la Cour fédérale, à titre de demandeur, le ministre étant le défendeur.

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑845‑11

 

Intitulé :                                                  BAWO STELLA AKINWANDE

                                                                        c

                                                                        MSPPC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

Date de l’audience :                         Le 24 avril 2012

 

Motifs du jugement

et jugement :                                        le juge O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 2 août 2012

 

 

Comparutions :

 

Kingsley Jesuorobo

Pour la demanderesse

 

Christopher Parke

 

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kingsley I. Jesuorobo

Avocat

North York (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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