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Date : 20120620

Dossier : T‑693‑11

Référence : 2012 CF 766

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 juin 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

LE CHEF DAVID (BRUCE) MORIN, en son propre nom et au nom de tous les membres de la PREMIÈRE NATION DE BIG RIVER

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

JANET DODWELL

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande, présentée en application de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, de contrôle judiciaire de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) de faire instruire la plainte que la défenderesse a portée contre le demandeur par le Tribunal canadien des droits de la personne (la décision).

CONTEXTE ET DÉCISION

[2]               La Première Nation de Big River (la Première Nation) est une bande, au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5, qui administre la Mistahi Sipiy Elementary School [l’école primaire Mistahi Sipiy] (l’école) située dans la réserve. La défenderesse est une enseignante qui détient un baccalauréat en éducation de l’Université de la Saskatchewan.

[3]               Le 28 mars 2009, Ruth Ahenakew (Mme Ahenakew), ancienne directrice de l’école et tante de la défenderesse, a demandé à cette dernière de venir y travailler à titre d’enseignante suppléante. La défenderesse a commencé à travailler comme suppléante le 30 mars 2009 et elle a occupé ce poste jusqu’au 24 avril 2009. Aux dires de la défenderesse, Mme Ahenakew lui aurait déclaré le 24 avril 2009 que Larry McIntosh (M. McIntosh), directeur de l’éducation de la Première Nation, lui avait demandé de mettre fin à son emploi.

[4]               Le 3 décembre 2009, la défenderesse a porté plainte devant la Commission (la plainte). Elle a soutenu qu’on avait mis fin à son emploi d’enseignante à l’école en raison d’une déficience (sa toxicomanie passée) et de sa situation de famille (son lien avec Mme Ahenakew).

[5]               Après le dépôt de la plainte de la défenderesse, la Commission a chargé une enquêtrice (l’enquêtrice), en vertu du paragraphe 43(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 (la LCDP), d’enquêter sur la plainte. L’enquêtrice a fait passer des entrevues en personne à la défenderesse, à M. McIntosh et à Grace Palendat, la directrice adjointe de l’école au moment où la défenderesse y travaillait. L’enquêtrice a également fait passer des entrevues téléphoniques à l’époux de Mme Ahenakew (Jeffrey) ainsi qu’à Robert Gerow (M. Gerow), le directeur de l’éducation du Conseil tribal Agency Chiefs (le Conseil), dont fait partie la Première Nation. L’enquêtrice n’a pu avoir un entretien avec Mme Ahenakew, celle‑ci étant décédée en décembre 2009. L’enquêtrice a également examiné la preuve documentaire et consigné ses conclusions dans un rapport d’enquête (le rapport).

            Le rapport de l’enquêtrice

[6]               L’enquêtrice a d’abord souligné que le rapport même ne constituait pas une décision, mais visait plutôt à aider la Commission à décider s’il fallait rejeter la plainte ou la faire instruire, ou encore charger un conciliateur de régler le différend. La Commission pouvait aussi prendre en compte, outre le rapport, toute mesure prise par les parties pour régler le problème, les positions de celles‑ci sur la question de la réparation et la mesure dans laquelle la plainte mettait en jeu l’intérêt public.

[7]               Selon l’enquêtrice, la plainte soulevait la question de savoir si le demandeur avait fait preuve de discrimination envers la défenderesse en la licenciant en raison de sa déficience ou de sa situation de famille. L’enquêtrice a mis au point un processus d’enquête en deux étapes. Premièrement, elle a examiné si le demandeur avait bien embauché puis licencié la défenderesse et si le licenciement, le cas échéant, était lié à un quelconque motif de distinction illicite. Deuxièmement, elle a examiné si le demandeur pouvait fournir une explication raisonnable pour ses actes, qui ne constitue pas un prétexte à la discrimination.

[8]               À la première étape de l’analyse, l’enquêtrice s’est penchée sur les faits en cause et elle a ainsi constaté que la défenderesse était une enseignante qualifiée et qu’elle avait déclaré n’avoir consommé aucune drogue depuis 2007. L’enquêtrice a aussi souligné que Mme Ahenakew était décédée en décembre 2009. L’enquêtrice a également rappelé la chronologie des événements qui ont conduit au dépôt de la plainte, puis sa méthodologie d’enquête. Elle a alors souligné qu’elle avait visité la réserve de la Première Nation et interrogé plusieurs témoins.

[9]               Les parties n’ont pas contesté que le demandeur avait embauché et licencié la défenderesse. Elles étaient toutefois en désaccord quant au caractère temporaire ou permanent de l’emploi de la défenderesse. Celle‑ci a déclaré avoir été une contractuelle embauchée à temps plein à compter du 22 avril 2009, tandis que le demandeur a dit que ce n’était pas le cas. Le demandeur a affirmé que la défenderesse n’était qu’une enseignante suppléante qui n’avait pas droit à un emploi permanent. La défenderesse a également allégué que le demandeur l’avait licenciée en raison de sa déficience et de sa situation de famille, mais le demandeur a aussi nié cette allégation.

[10]           Le demandeur ayant nié les allégations de la défenderesse, l’enquêtrice est passée à la deuxième étape de son analyse. Elle a examiné s’il y avait une explication raisonnable pour les actes du demandeur, qui ne constitue pas un prétexte à la discrimination.

            Les témoignages de vive voix

                        Grace Palendat

 

[11]           L’enquêtrice est revenue sur son entretien avec Mme Palendat et a constaté que celle‑ci avait déclaré être la directrice adjointe de l’école au moment où la défenderesse y avait travaillé. Madame Palendat a affirmé que la défenderesse n’était qu’une enseignante suppléante et qu’un tel poste ne garantissait jamais l’obtention d’un emploi permanent. Madame Palendat a également dit que les suppléants ne signaient pas de contrat; ils remplissent plutôt un formulaire de candidature, lequel est ensuite transmis pour approbation au coordonnateur de l’éducation de la Première Nation et au bureau de la bande. Les enseignants suppléants de la Première Nation n’ont pas besoin d’un brevet d’enseignement, mais les enseignants permanents, eux, doivent en avoir un.

[12]           Madame Palendat a ajouté que la Première Nation tentait généralement de combler d’abord dans la réserve, plutôt qu’à l’extérieur, ses besoins en suppléants. Madame Ahenakew, toutefois, ne respectait guère la procédure établie, et il lui était arrivé d’embaucher des enseignants suppléants qui provenaient de la Première Nation Ahtahkakoop voisine.

[13]           Madame Palendat ne se souvenait pas avoir offert à la défenderesse un contrat d’enseignement à plein temps. Elle a dit à l’enquêtrice qu’elle tenait un journal pour y consigner les activités courantes à l’école, et dans ce journal, il n’y avait aucune mention du fait qu’elle aurait offert un tel contrat à la défenderesse, ou que Mme Ahenakew lui aurait demandé d’offrir à la défenderesse un tel contrat. La seule entrée s’en rapprochant dans le journal concernait le fait que Mme Palendat avait demandé à la défenderesse si un emploi à temps plein à l’école l’intéresserait advenant l’ouverture d’un poste. Madame Palendat a également affirmé qu’elle savait que la défenderesse était la nièce de Mme Ahenakew.

                        Larry McIntosh

[14]           L’enquêtrice a également eu un entretien avec M. McIntosh, qui a déclaré que Mme Ahenakew ne lui avait pas demandé son avis avant d’embaucher la défenderesse comme suppléante. Monsieur McIntosh n’a appris que la défenderesse travaillait à l’école qu’autour du moment où elle a été licenciée. Il a confirmé avoir dit à Mme Ahenakew de mettre fin à l’emploi de la défenderesse, mais a déclaré que le motif du licenciement n’était pas le passé de toxicomane de celle‑ci, bien qu’il ait été au fait du problème. Monsieur McIntosh a ajouté que la question du népotisme le préoccupait, mais que son principal souci au sujet de la défenderesse était que Mme Ahenakew  n’avait pas respecté la procédure établie en matière d’embauche. Il n’avait pas eu l’occasion de vérifier les références et les antécédents de la défenderesse. Or il s’agissait d’un point important, vu que la sécurité des enfants fréquentant l’école lui incombe.

[15]           Monsieur McIntosh a dit à l’enquêtrice que sa décision d’exiger le licenciement de la défenderesse aurait été la même à l’égard de tout autre enseignant. Les personnes embauchées pour travailler à l’école doivent passer une entrevue et tant le chef que le Conseil de la Première Nation doivent approuver l’embauche. Monsieur McIntosh ne pouvait se rappeler dans quels termes exacts il avait demandé à Mme Ahenakew de licencier la défenderesse. Monsieur McIntosh a finalement ajouté qu’il avait déjà embauché la fille de la défenderesse comme enseignante à l’école dans le passé.

                        La défenderesse

[16]           Lorsque l’enquêtrice lui a fait passer une entrevue, la défenderesse a contesté la déclaration de Mme Palendat selon laquelle elle ne se rappelait pas lui avoir offert un poste contractuel. Selon la défenderesse, le 9 avril 2009, Mme Palendat lui avait demandé si elle pouvait envisager enseigner en vertu d’un contrat jusqu’à la fin de l’année scolaire. Lorsque la défenderesse a recommencé à enseigner après le congé pascal, le 22 avril 2009, elle a tenu pour acquis qu’elle était une contractuelle, en partie parce que Mme Ahenakew avait fait en sorte qu’elle soit rémunérée pendant ce congé, ce à quoi les enseignants suppléants n’ont pas habituellement droit.

[17]           Madame Ahenakew a informé la défenderesse qu’elle avait demandé à M. McIntosh de lui permettre de conserver son poste à l’école, mais que celui‑ci avait refusé. Selon Mme Ahenakew, M. McIntosh souhaitait licencier la défenderesse parce qu’elle était sa nièce et parce qu’elle était toxicomane. Bien que Mme Ahenakew lui ait dit que la défenderesse avait suivi avec succès un programme de traitement, M. McIntosh aurait répondu que cela n’avait aucune importance.

[18]           L’enquêtrice a fait remarquer que selon la demanderesse, M. Morin – le chef de la Première Nation – M. McIntosh et M. Gerow étaient très proches les uns des autres. Monsieur Gerow connaissait la défenderesse et il avait évalué son travail lorsqu’elle avait été enseignante au sein de la Première Nation Ahtahkakoop. La défenderesse a également déclaré que M. Gerow lui avait fait passer une entrevue pour un poste d’enseignante à pourvoir auprès de la Première Nation de Chitek Lake, laquelle fait également partie du Conseil tribal Agency Chiefs. Lorsqu’après l’entrevue M. Gerow a appris que la défenderesse avait suivi un traitement de réadaptation pour toxicomanes, il lui a dit qu’elle aurait dû divulguer sa toxicomanie et que la Première Nation de Chitek Lake ne voulait pas l’embaucher. Selon ce que la défenderesse a dit à l’enquêtrice, par ailleurs, M. Gerow aurait eu un rôle à jouer dans son licenciement.

Robert Gerow

[19]           L’enquêtrice a aussi fait passer une entrevue à M. Gerow, qui lui a dit ne pas avoir été au courant du fait que la défenderesse avait été toxicomane et ensuite réadaptée. Bien qu’il ait reconnu avoir des liens avec M. McIntosh, M. Gerow a déclaré qu’ils n’avaient pas parlé entre eux de la défenderesse ni de sa toxicomanie. Monsieur Gerow a également affirmé ne pas savoir que la défenderesse travaillait à l’école. Monsieur Gerow a mentionné l’avoir appris lorsque la défenderesse lui avait téléphoné après le décès de Mme Ahenakew, pour lui dire que cette dernière l’avait assurée qu’elle occuperait son emploi jusqu’à la fin de l’année scolaire 2009.

                        Les renseignements additionnels

[20]           La défenderesse a dit qu’elle n’avait pas demandé à Mme Ahenakew la confirmation par écrit de sa situation d’emploi. Elle a déclaré qu’elle avait toutefois parlé à l’époux de Mme Ahenakew (Jeffrey) après le décès de celle‑ci. Lors de son entrevue, Jeffrey a dit à l’enquêtrice que son épouse lui avait déclaré que MM. Gerow et McIntosh ne voulaient pas voir la défenderesse enseigner à l’école. Selon Jeffrey, en outre, M. Gerow savait que la défenderesse avait déjà consommé de la drogue et il ne souhaitait pas qu’elle travaille à l’école.

[21]           La défenderesse a aussi dit avoir parlé à son amie Faith Burke (Mme Burke) et que celle‑ci savait pourquoi M. McIntosh avait demandé à Mme Ahenakew de mettre fin à son emploi. L’enquêtrice n’a pu entrer en contact avec Mme Burke pour vérifier ce qu’elle savait.

                        La preuve documentaire

[22]           Une note datée du 20 avril 2009 a informé le personnel des finances de la Première Nation que la défenderesse avait travaillé pendant dix jours comme suppléante pour une classe de première année à l’école. Il fallait par conséquent rémunérer la défenderesse, de manière rétroactive à compter de son premier jour de travail, en fonction de la grille salariale pour une employée temporaire. Selon un autre document émanant de la Première Nation, sept jours de salaire ont été versés à la défenderesse le 10 avril 2009, dix jours le 24 avril 2009 et trois jours le 8 mai 2009.

                        Conclusion

[23]           L’enquêtrice a conclu que Mme Ahenakew avait bien embauché la défenderesse comme enseignante suppléante. Elle ne pouvait toutefois pas établir, en raison du décès de Mme Ahenakew, si celle‑ci comptait embaucher la défenderesse à titre de contractuelle pour le reste de l’année scolaire 2009. Une bonne partie de la preuve concernant les motifs de licenciement de la défenderesse consistant en du ouï‑dire, la crédibilité des témoins était d’importance fondamentale pour décider de la validité de la plainte. Comme l’enquêtrice ne pouvait évaluer la crédibilité des témoins, elle a conclu que le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) devait instruire la plainte. En outre, c’est le Tribunal qui aurait à décider si le demandeur était en mesure de fournir une explication raisonnable pour ses actes, qui ne constitue pas un prétexte à la discrimination.

            Les observations des parties présentées à la Commission

[24]           La Commission a remis le rapport au demandeur et à la défenderesse pour examen et commentaires.

                        Le demandeur

[25]           Le demandeur a répondu au rapport au moyen d’une lettre datée du 22 décembre 2010. Il y laissait entendre que la Commission n’avait pas tenu compte de l’article 41 de la LCDP, lequel empêchait la défenderesse d’obtenir réparation sous le régime de cette Loi parce qu’un autre recours était disponible en vertu du Code canadien du travail, LRC 1985, c L‑2 (le CCT). Le demandeur laissait aussi entendre que c’était à la défenderesse qu’il incombait de prouver l’existence de la discrimination alléguée, et que la Commission n’avait pas non plus tenu compte de ce fardeau de preuve.

[26]           Le demandeur a de nouveau écrit à la Commission le 12 janvier 2011, pour réitérer que la voie de recours la plus indiquée dans les circonstances était le dépôt d’une plainte par la défenderesse au titre de la partie III du CCT. Il faisait en outre remarquer que la défenderesse était une employée temporaire de la Première Nation et que rien n’étayait son allégation selon laquelle M. McIntosh voulait la licencier en raison de sa toxicomanie passée ou de ses liens avec Mme Ahenakew. Le demandeur s’opposait également à ce que la Commission s’appuie sur le témoignage de Mme Burke comme il s’agissait là de ouï‑dire. Si par ailleurs la défenderesse croyait qu’elle était une employée à plein temps, aucun fait ne l’étayait. Le demandeur s’opposait pour ces motifs à la recommandation d’instruire la plainte exposée dans le rapport.

                        La défenderesse

[27]           La défenderesse a présenté ses observations le 7 février 2011. Elle a soutenu que, même si elle disposait d’un recours sous le régime du CCT, rien n’excluait pas la possibilité d’en exercer un sous celui de la LCDP. En outre, la preuve allait démontrer à l’issue de l’instruction par le Tribunal qu’on avait agi de façon discriminatoire à son endroit pour des motifs de distinction illicite. La défenderesse demandait aussi à la Commission de lui remettre copie de la politique de la Première Nation, mentionnée dans le rapport, sur l’embauche d’enseignants suppléants.

            Décision

[28]           Après avoir reçu les observations des parties et le rapport de l’enquêtrice, la Commission a décidé de faire instruire la plainte par le Tribunal. C’est cette décision qui est à l’examen en l’espèce.

[29]           La Commission a informé le demandeur de sa décision par lettre datée du 22 mars 2001 (la lettre relative à l’instruction). On faisait aussi savoir au demandeur dans cette lettre que la Commission avait examiné le rapport et conclu que l’examen de la plainte par le Tribunal était justifié. La crédibilité des témoins était un élément fondamental dans l’examen de la plainte et l’ensemble des circonstances donnait à penser qu’une audience était requise.

QUESTIONS EN LITIGE

[30]           Dans le cadre de la présente demande, le demandeur soulève expressément les questions de savoir

a.                   si l’enquête menée par la Commission respectait la norme prescrite, et

b.                  si la Commission a commis une erreur de compétence en faisant instruire la plainte par le Tribunal sans prendre en compte tous les facteurs énoncés à l’alinéa 44(3)a) de la LCDP.

 

[31]           Le demandeur soulève également dans son argumentation la question de savoir

a.                   si la Commission a enfreint son droit à l’équité procédurale en faisant abstraction de ses observations.

NORME DE CONTRÔLE

[32]           La Cour suprême du Canada a affirmé dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, qu’il n’était pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière soumise au tribunal est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche s’avère infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs servant à décider de la norme de contrôle applicable.

[33]           Dans Busch c Canada (Procureur général), 2008 CF 1211, la juge Judith Snider a statué (au paragraphe 12) que la norme de contrôle applicable au caractère rigoureux de l’enquête de la Commission était celle de la décision correcte. Dans Herbert c Canada (Procureur général), 2008 CF 969, le juge Russel Zinn a affirmé ce qui suit : « L’enquêteur a le devoir de se montrer neutre et rigoureux dans son enquête. S’il ne satisfait pas à cette obligation, il peut y avoir violation de l’équité procédurale. » La norme de contrôle applicable à la première question est celle de la décision correcte.

[34]           Il est de droit constant que les parties à une plainte déposée auprès de la Commission ont le droit de présenter des observations. Voir Forster c Canada (Procureur général), 2006 CF 787, aux paragraphes 45 à 50). Dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, la Cour suprême du Canada a statué au paragraphe 22 que le droit de présenter des arguments et de les voir pris en compte était une question d’équité procédurale.

[35]           La Cour suprême du Canada a statué comme suit dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, au paragraphe 100 : « Il appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale. » La Cour d’appel fédérale a en outre déclaré ce qui suit dans Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53 : « La question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation. » La norme de contrôle applicable à la troisième question est celle de la décision correcte.

[36]           Quant à la deuxième question, le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur de compétence en ne tenant pas compte des facteurs voulus lorsqu’elle a décidé de faire instruire la plainte de la défenderesse par le Tribunal. Dans l’arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 RCS 227, à la page 233, la Cour suprême du Canada a déclaré que les tribunaux « ... devraient éviter de qualifier trop rapidement un point de question de compétence, et ainsi de l’assujettir à un examen judiciaire plus étendu, lorsqu’il existe un doute à cet égard ». Telle est la situation en l’espèce. Sous cette rubrique, c’est la décision de faire instruire la plainte par le Tribunal que le demandeur conteste véritablement.

[37]           Lorsqu’elle doit décider s’il convient de faire instruire une plainte par le Tribunal, le rôle de la Commission est d’établir si « l’enquête est justifiée et la preuve est suffisante pour procéder à l’étape du tribunal ». Voir Utility Transport International Inc c Kingsley, 2009 CF 270, au paragraphe 46. C’est là une question mixte de fait et de droit, qui appelle la norme de la raisonnabilité. Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 51, et Smith c Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7, au paragraphe 26). La norme de contrôle applicable à la deuxième question est celle de la raisonnabilité.

[38]           Dans le cadre du contrôle d’une décision selon la norme du caractère raisonnable, l’analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et à Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne doit intervenir que si la décision était déraisonnable en ce sens qu’elle ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[39]           Les dispositions suivantes de la LCDP s’appliquent en l’espèce :

3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle,  l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

 

 

[...]

 

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

 

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

 

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

 

 

 

[...]

 

43. (1) La Commission peut charger une personne, appelée, dans la présente loi, « l’enquêteur », d’enquêter sur une plainte.

 

[...]

 

44. (1) L’enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête.

 

 

 

(2) La Commission renvoie le plaignant à l’autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le

cas :

 

a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

 

b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.

 

 

 

(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission:

 

a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l’article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue:

 

(i) d’une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci est justifié,

 

 

(ii) d’autre part, qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);

 

 

b) rejette la plainte, si elle est convaincue:

 

 

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci n’est pas justifié,

 

 

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

 

 

3. (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for an offence for which a pardon has been granted or in respect of which a record suspension has been ordered.

 

[...]

 

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

 

 

 

 

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

 

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

 

[...]

 

43. (1) The Commission may designate a person, in this Part referred to as an “investigator”, to investigate a complaint

 

[...]

 

44. (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

 

(2) If, on receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission is satisfied

 

 

 

 

(a) that the complainant ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available, or

 

 

(b) that the complaint could more appropriately be dealt with, initially or completely,

by means of a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act, it shall refer the complainant to the appropriate authority.

 

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

 

 

(a) may request the Chairperson of the Tribunal

to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates

if the Commission is satisfied

 

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into

the complaint is warranted, and

 

(ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground

mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or

 

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

 

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into

the complaint is not warranted, or

 

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

[40]           Les dispositions suivantes du CCT sont également pertinentes :

167. (1) La présente partie s’applique :

 

a) à l’emploi dans le cadre d’une entreprise fédérale, à l’exception d’une entreprise de nature locale ou privée au Yukon, dans les Territoires du Nord‑Ouest ou au Nunavut;

 

 

 

 

b) aux employés qui travaillent dans une telle entreprise;

 

 

 

 

 

c) aux employeurs qui engagent ces employés;

 

 

[...]

 

240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d’un inspecteur si :

 

a) d’une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

 

b) d’autre part, elle ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective.

 

 

 

 

 

[...]

 

242 (3.1) L’arbitre ne peut procéder à l’instruction de la plainte dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

 

[...]

 

b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

167. (1) This Part applies

 

 

(a) to employment in or in connection with the operation of any federal work, undertaking or business other than a work, undertaking

or business of a local or private nature in Yukon, the Northwest Territories or

Nunavut;

 

(b) to and in respect of employees who are employed in or in connection with any federal work, undertaking or business described in paragraph (a);

 

(c) to and in respect of any employers of the employees described in paragraph (b);

 

[...]

 

240. (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person

 

 

 

 

(a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and

 

(b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement, may make a complaint in writing to an inspector if the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust.

 

[...]

 

242 (3.1) No complaint shall be considered by an adjudicator under subsection (3) in respect of a person where

 

[...]

 

(b) a procedure for redress has been provided elsewhere in or under this or any other

Act of Parliament.

 

 

ARGUMENTS

Le demandeur

            Le rapport comportait des lacunes

 

[41]           Le rôle fondamental de la Commission est de vérifier au moyen d’une enquête si  suffisamment d’éléments de preuve permettent de conclure à l’existence d’une justification raisonnable permettant de faire instruire la plainte par le Tribunal. Voir Cooper c Canada, [1996] 3 RCS 854, au paragraphe 55). Lorsqu’elle a apprécié le caractère suffisant de la preuve étayant la plainte de la défenderesse, la Commission devait examiner deux questions. Premièrement, elle devait examiner s’il y avait dans la preuve une justification raisonnable qui permette d’établir un lien entre le congédiement de la défenderesse et un motif de distinction illicite. Deuxièmement, elle devait examiner si les éléments de preuve permettaient raisonnablement de conclure que le comportement du demandeur ne constituait pas un prétexte à la discrimination. La Commission devait évaluer la preuve avec soin et vérifier si une quantité importante d’éléments pertinents et recevables étayaient la plainte de la défenderesse. Il ne lui était toutefois pas loisible de tirer des conclusions relativement à la preuve non plus que d’évaluer la crédibilité.

[42]           Dans Varma c Société canadienne des postes, [1995] ACF n° 1065, la juge Barbara Reed a statué comme suit (paragraphes 13 et 14) :

[...] il importe de distinguer entre la sorte de preuve sur laquelle on peut se fonder pour établir une prétention et celle sur laquelle on ne peut se fonder. Il est important de distinguer entre la preuve d’un fait primaire et la preuve qui ressortit à des opinions ou à des convictions personnelles. En l’espèce, le requérant est personnellement convaincu que plusieurs des événements qui se sont produits sont le fruit des préjugés raciaux qu’avaient les personnes avec lesquelles il a traité. La CCDP, ou une cour, ne peut donner suite à ce genre d’affirmation ou conviction que si une preuve d’un fait primaire l’étaye. Il faut une preuve directe qui se rapporte à l’événement en question et qui lie celui‑ci à une discrimination raciale. C’est là l’élément nécessaire pour établir que les actions ont été motivées par le racisme et non simplement par d’autres facteurs, comme un mauvais tempérament, une frustration ou un conflit de personnalités.

 

M. Varma soutient que tant de « coïncidences » ne peuvent être que le fruit de préjugés raciaux. Ce n’est pas là une logique qu’un tribunal ou une cour peut accepter. Il faut, pour appuyer une telle allégation, une preuve directe qui lie les décisions défavorables en question au préjugé racial. Ce n’est pas facile, mais il faut le faire pour éviter les fausses allégations susceptibles d’être diffamatoires.

 

[43]           La preuve par ouï‑dire ne satisfait pas à la norme requise pour faire instruire la plainte par le Tribunal. En se fondant sur une preuve par ouï‑dire en l’espèce, la Commission a privé le demandeur de son droit – un droit procédural fondamental – de contester la preuve primaire. Le demandeur affirme qu’Utility Transport, précitée, permet d’affirmer que le ouï‑dire non corroboré ne suffit pas pour faire instruire une plainte par le Tribunal. Il a en outre été établi dans Re B and Catholic Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1987] OJ n° 2614, que le fait de se fonder uniquement sur le ouï‑dire pour étayer une plainte constituait un manquement à l’équité procédurale.

[44]           La Commission n’a pas montré en l’espèce qu’elle comprenait combien il importait, dans son analyse des deux questions en litige, d’apprécier la preuve dont elle disposait. La décision est erronée parce que la Commission s’est fondée sur du ouï‑dire non corroboré et contredit par une preuve directe. La Commission n’a pas non plus apprécié la preuve relativement à la première question, alors que la défenderesse devait à cet égard produire une preuve liant sa plainte à un motif de distinction illicite. La Commission a simplement fait écho à la défenderesse, qui disait croire qu’elle avait fait l’objet de discrimination, puis elle a requis que le demandeur réfute cette allégation. La Commission était tenue de relever et d’apprécier la preuve étayant l’allégation de la défenderesse, mais elle ne l’a pas fait. C’est là une erreur susceptible de contrôle.

[45]           À la deuxième étape de son analyse, la Commission devait examiner si le demandeur avait fourni une explication pour ses actes, qui ne constitue pas un prétexte à la discrimination. La Commission s’est fondée à tort sur une preuve par ouï‑dire à cette étape pour réfuter une preuve documentaire montrant qu’un motif non discriminatoire sous‑tendait les actions du demandeur. La défenderesse a étayé sa plainte par des propos de Jeffrey sur ce que Mme Ahenakew lui aurait dit quant aux motifs de son licenciement. Il ressort des propos de Jeffrey non pas que le demandeur a fait preuve de discrimination envers la défenderesse, mais uniquement que Mme Ahenakew a dit à Jeffrey que M. McIntosh ne voulait pas que la défenderesse travaille à l’école.

[46]           Même en supposant que M. McIntosh ait véritablement dit ne pas vouloir de la défenderesse à l’école, cela ne suffit pas pour démontrer que le demandeur a fait preuve de discrimination, pour un motif illicite, envers la défenderesse. En outre, la déclaration de Jeffrey selon laquelle M. Gerow savait que la défenderesse avait consommé de la drogue ne peut établir l’existence d’un lien entre le licenciement et un motif illicite. Monsieur Gerow ne joue aucun rôle dans la gestion de l’école, et ainsi ce qu’il savait au sujet de la défenderesse n’avait aucune incidence sur son emploi. Étant donné que MM. McIntosh et Gerow ont tous deux nié avoir parlé de la défenderesse avant qu’elle ne soit licenciée, leur relation ne permet donc pas d’établir un lien avec le licenciement.

[47]           La seule preuve de la défenderesse au soutien de sa plainte était sa déclaration au sujet de ce que Mme Ahenakew lui avait dit. Il s’agit de ouï‑dire, et une telle preuve ne suffit pas pour faire instruire une plainte par le Tribunal. La Commission n’a pas bien relevé l’erreur que comportait la plainte de la défenderesse et ce défaut a porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale. Le demandeur ne peut vérifier la source directe de la preuve présentée contre lui.

[48]           La Commission n’a pas évalué la fiabilité de la preuve de la défenderesse, dont quatre facteurs qui compromettaient cette preuve. Premièrement, la Commission n’a pas examiné les incohérences pouvant exister entre les déclarations de Jeffrey et celles de la défenderesse. Jeffrey a ainsi dit que M. Gerow s’inquiétait du fait que la défenderesse avait consommé de la drogue tandis que, selon celle‑ci, c’est M. McIntosh qui voulait qu’il soit mis fin à son emploi en raison de sa toxicomanie passée. La Commission n’a pas tenu compte de cette incohérence et a préféré, plutôt, accorder une valeur prépondérante aux déclarations de la défenderesse.

[49]           Deuxièmement, la Commission n’a pas pris en considération le fait que le journal de Mme Palendat contredisait la version des faits de la défenderesse. Madame Palendat a affirmé que rien n’avait été consigné dans son journal quant au fait que Mme Ahenakew lui aurait dit d’offrir un contrat à temps plein à la défenderesse. La note envoyée par Mme Ahenakew au personnel des finances confirme également que la défenderesse était une simple enseignante suppléante. On n’y faisait pas état d’un contrat à temps plein pour la défenderesse. Le témoignage direct livré par Mme Ahenakew contredisait la version des faits de la défenderesse, mais la Commission n’a néanmoins pas tenu compte de cette contradiction. En outre, bien que la défenderesse ait fait état de la rémunération obtenue pendant le congé de Pâques comme preuve de sa situation de contractuelle à temps plein, cet élément n’est pas pertinent et il ne peut remédier à l’incohérence entre le témoignage direct livré par Mme Ahenakew et les déclarations de la défenderesse.

[50]           Troisièmement, la Commission a fait abstraction de la déclaration de M. McIntosh selon laquelle il avait déjà embauché dans le passé un ancien toxicomane. La mise en garde que M. McIntosh a faite à ce dernier ‑ [traduction] « Une seule fois et tu es congédié » ‑ était toutefois simplement pour l’avertir qu’une rechute aurait des conséquences sur son emploi. Elle ne démontre pas que M. McIntosh a des préjugés contre les anciens toxicomanes, et fait plutôt voir que la défenderesse croit à tort que celui‑ci a fait preuve de discrimination envers elle pour ce motif.

[51]           Quatrièmement, bien que la défenderesse ait fait valoir ses rapports antérieurs avec M. Gerow pour étayer ses prétentions, celui‑ci ne participe pas à la gestion de l’école et n’a rien eu à voir avec la décision de M. McIntosh de la licencier. On a relevé dans le rapport que M. McIntosh savait que la défenderesse s’était rétablie de sa dépendance et était la nièce de Mme Ahenakew, mais la Commission n’a aucunement pris en compte la connaissance par M. McIntosh de ces faits.

[52]           Monsieur McIntosh a également affirmé qu’il avait licencié la défenderesse parce que Mme Ahenakew n’avait pas respecté la procédure établie pour l’embauche des enseignants suppléants. Cette déclaration de M. McIntosh était corroborée par celle de Mme Palendat selon laquelle une procédure était en place, prévoyant que les éventuels enseignants devaient présenter un formulaire de demande et être approuvés par M. McIntosh. Madame Palendat a également dit qu’il fallait embaucher en priorité les enseignants de la réserve de la Première Nation et que, bien souvent, Mme Ahenakew ne suivait pas cette règle. La Commission a fait abstraction de cette preuve directe qui étayait la teneur de la réponse du demandeur à la plainte de la défenderesse. La Commission n’a pas montré non plus qu’elle avait bien saisi les différences pouvant exister quant à la valeur et à la fiabilité des éléments de preuve, et son erreur a privé le demandeur de son droit à une enquête impartiale, rigoureuse et objective.

[53]           Bien que le demandeur l’ait informée de problèmes concernant la preuve dans ses observations du 22 décembre 2010, la Commission ne les a pas abordés. Elle a porté de la sorte atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale. Le juge Zinn a déclaré ce qui suit à cet égard dans Herbert, précitée, au paragraphe 26 :

Cependant, lorsque ces observations [des parties] font état d’omissions importantes ou substantielles dans l’enquête et étayent ces affirmations, la Commission doit mentionner ces divergences et préciser pourquoi, à son avis, elles ne sont pas importantes ou ne suffisent pas à mettre en doute la recommandation de l’enquêteur; sinon, on ne peut que conclure que la Commission n’a pas du tout pris en considération ces observations. Telle était la situation dans Egan c. Canada (Procureur général), [2008] A.C.F. no 816; 2008 CF 649.

 

[54]           La Commission ne peut faire tout simplement abstraction d’observations qui lui sont présentées. En l’espèce, toutefois, la Commission a agi comme si le demandeur n’en avait présenté aucune. Elle ne s’est donc pas acquittée de l’obligation lui incombant d’apprécier la preuve et de se pencher sur les problèmes soulevés par le demandeur. La décision doit par conséquent être réexaminée.

L’erreur de compétence

[55]           La Commission a commis une erreur de compétence en n’examinant pas si la plainte pouvait avantageusement être instruite sous le régime du CCT. L’alinéa 44(3)a) de la LCDP prévoit que la Commission n’a pas compétence pour faire instruire une plainte par le Tribunal à moins qu’elle soit convaincue que son examen est justifié. La Commission doit aussi estimer que la plainte ne devrait pas être rejetée aux motifs qu’elle échappe à sa compétence, qu’elle est frivole ou vexatoire ou qu’elle est fondée sur des faits survenus plus d’un an avant son dépôt. La Commission doit également examiner la possibilité pour la plainte d’être avantageusement instruite sous le régime d’une autre loi fédérale. Or, la section XIV du CCT prévoit d’autres recours dont la défenderesse aurait pu se prévaloir pour présenter sa plainte.

[56]           Le demandeur a soulevé la question des autres voies de recours dans ses observations présentées à la Commission. Celle‑ci n’a toutefois pas examiné cette question. La Commission a par contre mentionné la crédibilité des témoins comme facteur ayant fondé sa décision, mais ce facteur, lui, n’est pas énoncé dans la Loi. La crédibilité peut être une composante pertinente de la décision, mais on ne peut la prendre en compte au détriment des facteurs obligatoires mentionnés à l’alinéa 44(3)a) de la LCDP. Une erreur de compétence est commise si ces facteurs obligatoires ne sont pas pris en compte.

La défenderesse

[57]           Malgré l’affirmation du demandeur selon laquelle la question à trancher dans le cadre de la présente demande était de savoir si l’enquête menée par la Commission avait été rigoureuse, la défenderesse prétend que la question est plutôt de savoir si la décision était raisonnable. Le demandeur a en outre mis en cause l’impartialité de la Commission, mais il n’a rien fait valoir qui laisserait croire à un parti pris de sa part.

L’absence d’erreur de compétence

[58]           Le demandeur prétend que la Commission aurait dû se demander s’il y avait lieu de régler la plainte sous le régime du CCT. Cette prétention du demandeur est toutefois incompatible avec son argument selon lequel la défenderesse n’était qu’une suppléante temporaire qui ne pouvait s’attendre à occuper un emploi continu. Bien que des procédures prévues dans le CCT s’appliquent peut‑être à la plainte de la défenderesse, le demandeur a admis qu’on ne pouvait compter sur le CCT pour régler la plainte en entier, ni accorder à la défenderesse pleine réparation.

[59]           Le demandeur n’a pas non plus indiqué à quelles autres procédures prévues au CCT la défenderesse aurait pu recourir. Seuls les employés ayant travaillé sans interruption depuis au moins 12 mois peuvent se prévaloir des mesures prévues à la section XIV du CCT en cas de congédiement injuste. La défenderesse n’ayant travaillé qu’un mois, elle ne peut manifestement pas se prévaloir des dispositions de la section XIV.

[60]           En outre, l’alinéa 242(3.1)b) du CCT a pour effet d’exclure les plaintes pouvant être présentées sous le régime de la LCDP. Il ne fait pas de doute que la défenderesse a porté une plainte de discrimination visée par l’article 7 de la LCDP et que, par conséquent, elle ne peut la fonder sur le CCT. Il ressort implicitement de la décision que la Commission n’était pas convaincue de l’existence d’une autre voie de recours pour la défenderesse, et le défaut d’aborder expressément cette question ne rend pas la décision invalide. Même si la Commission s’était penchée sur l’existence d’une autre procédure pour régler la plainte de la défenderesse, elle aurait uniquement pu conclure qu’il n’y en avait aucune.

Le caractère rigoureux de l’enquête

[61]           Le demandeur n’a fait valoir aucun élément pouvant démontrer que l’enquête de la Commission n’avait pas été rigoureuse. Il croit simplement que la Commission aurait dû rejeter la plainte parce que les employés de la Première Nation ont contredit la défenderesse. Or la Cour a établi dans Herbert, précitée, que la Commission disposait d’un vaste pouvoir discrétionnaire lui permettant de décider s’il y avait lieu de faire instruire une plainte par le Tribunal.

[62]           Dans Hughes c Canada (Procureur général), 2010 CF 837, la juge Anne Mactavish a statué que le contrôle judiciaire ne s’imposait que lorsqu’il y avait eu des omissions déraisonnables de la part de la Commission ou que celle‑ci n’avait pas examiné une preuve manifestement importante. Dans l’arrêt Cooper, précité, la Cour suprême du Canada a affirmé au paragraphe 53 que le rôle de la Commission consistait à décider « si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête ». En l’espèce, l’enquête menée a suffi pour faire connaître à la Commission tous les renseignements pertinents lui permettant d’exercer comme il se doit son pouvoir discrétionnaire.

[63]           Si la plainte est instruite par le Tribunal, le demandeur pourra toujours lui soumettre des observations sur la nature et la qualité de la preuve. Si toutefois la décision est annulée, la défenderesse ne disposera plus d’aucun recours. La Cour ne devrait intervenir que si la Commission a commis des erreurs à ce point fondamentales que les observations complémentaires des parties ne sauraient y remédier (Hughes, précitée, au paragraphe 34).

Examen des observations du demandeur effectué par la Commission

[64]           Le demandeur s’est plaint du fait que la Commission n’avait pas pris en compte ses observations; la Commission n’était toutefois pas tenue d’examiner les arguments qu’il avait soulevés dans celles‑ci. La Commission doit tenir compte des nouveaux éléments de preuve produits, mais, « [l]orsque les parties, dans leurs observations au sujet du rapport, ne contestent pas les conclusions de fait tirées par l’enquêteur, mais présentent simplement des arguments pour obtenir une conclusion différente, il n’est pas inapproprié pour la Commission de fournir une réponse courte sous forme de lettre type » (Herbert, précitée, au paragraphe 26).

[65]           Le seul nouvel élément de preuve évoqué par le demandeur dans ses observations était une déclaration de l’avocat concernant l’affirmation de Mme Burke selon laquelle elle ne pouvait fournir qu’une preuve par ouï‑dire. Il ne s’agissait pas là d’une preuve importante ou substantielle nécessitant une réponse de la part de la Commission, et il est manifeste que la Commission ne s’est fondée sur aucun élément du témoignage de Mme Burke pour en arriver à sa conclusion.

Preuve suffisante pour un faire instruire la plainte par le Tribunal

[66]           Le véritable reproche que fait le demandeur en l’espèce porte sur l’appréciation erronée par la Commission du caractère suffisant de la preuve établissant un lien entre le licenciement de la défenderesse et un motif de distinction illicite. Il ne s’agit pas d’une question d’équité procédurale. Le demandeur ne reconnaît pas que la Commission disposait d’éléments de preuve suffisants pour étayer sa décision. Il n’est pas non plus conscient du fait que le rôle de la Commission n’est pas de soupeser des éléments de preuve contradictoires.

[67]           La Cour a affirmé ce qui suit dans Cerescorp Co. c Marshall, 2011 CF 468, au paragraphe 51 :

Le sous‑alinéa 44(3)a)(i) de la Loi prévoit qu’il suffit que la Commission soit « convaincue que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci est justifié ». Ce critère est peu exigeant (Bell Canada, précité, par. 35). Il suffit que la Commission estime, à tort ou à raison, que « la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante » (Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, [1989] A.C.S. no 103 (QL), par. 27).

 

[68]           Madame Ahenakew a dit à la défenderesse qu’on la licenciait en raison de leur lien familial à toutes deux et de sa toxicomanie passée. Cette déclaration faisait clairement ressortir l’existence d’un lien entre le licenciement et deux motifs de distinction illicite et constituait une preuve directe suffisante pour faire instruire la plainte par le Tribunal.

[69]           Même si une bonne partie de la preuve à l’appui de la plainte de la défenderesse était constituée de ouï‑dire, la preuve par ouï‑dire est recevable devant un tribunal administratif. Il est loisible au Tribunal de prendre en compte une telle preuve lorsqu’elle est fiable et nécessaire. Il est vrai que la défenderesse et Jeffrey ont fait des déclarations au sujet de leurs conversations avec Mme Ahenakew, lesquelles constituent du ouï‑dire, mais elles ne peuvent être utilisées pour établir la teneur exacte des propos de M. McIntosh. Or, la Commission aurait commis une erreur si elle n’avait pas pris en considération ces éléments de preuve. Puisque Mme Ahenakew est décédée, la preuve par ouï‑dire quant à ce qu’elle a dit a un caractère nécessaire.

[70]           Les faits de l’espèce se distinguent de ceux de l’affaire Varma, précitée. Dans cette affaire, le fondement unique de la plainte était que le plaignant croyait avoir fait l’objet de discrimination. En l’espèce, la plainte de la défenderesse est fondée sur des déclarations que M. McIntosh lui a faites quant au motif de son congédiement. Si pareil élément de preuve avait été disponible dans Varma, la Commission aurait fait instruire la plainte par le Tribunal. Bien que les employés du demandeur aient nié l’existence de discrimination dans la présente affaire, le lien établi par la preuve entre le licenciement de la défenderesse et un motif illicite suffisait pour que la plainte soit instruite par Tribunal.

[71]           La question de savoir si la défenderesse était une employée temporaire ou permanente n’a aucune importance. Si elle était une employée permanente, son licenciement pour un motif illicite serait l’objet de sa plainte. Si elle était une employée temporaire, le refus de lui donner du travail à l’avenir pour les mêmes motifs de distinction illicite serait alors l’objet de sa plainte. La nature de sa relation d’emploi avec le demandeur a une incidence sur la question des dommages‑intérêts uniquement, et non sur celle de savoir si sa plainte devait être instruite par le Tribunal.

[72]           La plainte de la défenderesse n’était pas fondée sur du ouï‑dire. Une preuve directe montrait qu’on avait offert un contrat à temps plein à la défenderesse. Madame Ahenakew a également dit à la défenderesse qu’elle allait établir un contrat pour le reste de l’année. Bien que le témoignage de Mme Palendat contredise cette affirmation, il revient à bon droit au Tribunal de résoudre ces incohérences dans la preuve. Il ne convient pas non plus de passer au crible le témoignage de Jeffrey à l’étape de l’enquête. Or, ce témoignage étaye la prétention de la défenderesse selon laquelle on l’a congédiée parce que M. McIntosh ne voulait pas qu’elle travaille à l’école et parce que M. Gerow savait qu’elle avait consommé de la drogue dans le passé.

[73]           Le demandeur a tort de dire que la Commission ne s’est pas penchée sur les questions de fait et qu’elle n’a pas bien apprécié la preuve par ouï‑dire. Le rapport révèle que l’enquêtrice a bien pris en considération la preuve par ouï‑dire, et était au fait des incohérences de la preuve. Il aurait toutefois été déraisonnable pour la Commission, compte tenu de la preuve qui lui avait été présentée, de rejeter la plainte de la défenderesse à l’étape préliminaire.

[74]           Le rapport mentionnait les quatre facteurs qui, selon le demandeur, auraient été ignorés. Le demandeur a dit, quant au témoignage de M. McIntosh, que la Commission aurait dû conclure que ce dernier n’avait pas fait preuve de discrimination envers la défenderesse parce que, dans le passé, il avait embauché une autre personne rétablie de la dépendance aux drogues. On ne peut évaluer cet argument sans avoir plus d’information sur cette personne et la Commission n’était pas tenue de rechercher cette information.

[75]           La défenderesse ne s’est pas plainte de discrimination systémique, de sorte que le traitement réservé à un autre employé n’est du reste d’aucune pertinence. Le fait que d’autres personnes ayant une déficience semblable travaillent pour le demandeur ne permet pas de régler la plainte de la défenderesse. Les employeurs ne peuvent se prémunir contre des plaintes particulières de discrimination simplement en embauchant des employés atteints de la même déficience.

[76]           Les faits de l’espèce se distinguent également de ceux de l’affaire Hughes, précitée. Dans cette affaire, la Commission avait admis la déclaration d’un témoin selon laquelle l’employeur n’était pas au courant de la déficience du plaignant, alors qu’on lui avait présenté la preuve manifeste qu’il était bien au fait de cette déficience. En l’espèce, rien n’indique que la Commission a fait abstraction d’éléments de preuve ou qu’elle n’a pas abordé adéquatement les incohérences dans la preuve.

[77]           Même si la Cour retenait l’argument du demandeur voulant que la défenderesse ait été congédiée parce que Mme Ahenakew n’avait pas respecté une procédure d’embauche non divulguée, cela n’expliquerait pas pourquoi la défenderesse n’a pas été réembauchée, ni pourquoi personne n’a pas demandé à Mme Ahenakew de se conformer rétroactivement à la procédure. Retenir cette explication donnerait aussi à entendre que la défenderesse a été punie pour l’erreur de Mme Ahenakew. Il appartient au Tribunal d’évaluer si l’argument du demandeur est raisonnable.

[78]           Le demandeur n’a pas démontré l’existence d’une erreur de compétence ou d’un manquement à l’équité procédurale. La seule conclusion raisonnable que la Commission pouvait tirer était que la preuve justifiait l’instruction de la plainte; la décision doit par conséquent être confirmée.

ANALYSE

[79]           Les avocats des deux parties ont présenté à la Cour une argumentation écrite et de vive voix extrêmement solide. Je crois toutefois que certaines affirmations du demandeur sont erronées et qu’il se méprend sur le rôle que joue la Commission à cette étape‑ci de la procédure, où il s’agit de décider s’il y a lieu d’instruire la plainte.

[80]           Pour s’acquitter de sa tâche la Commission était tenue de manière générale, selon la jurisprudence,

a.                   de mener une enquête appropriée,

b.                  de décider si, au vu des éléments de preuve dégagés par l’enquête et des commentaires sur le rapport fournis par les deux parties, il y avait dans la preuve une justification raisonnable autorisant l’instruction de la plainte, et

c.                   d’expliquer dans ses motifs pourquoi elle estimait qu’il y avait ou non dans la preuve une justification raisonnable autorisant l’instruction de la plainte.

 

[81]           À mon avis, rien de ce qui touche à l’enquête dans le rapport, non plus que dans la méthodologie utilisée pour le rapport, ne constitue une erreur susceptible de contrôle. Les motifs de la décision sont énoncés dans les conclusions du rapport, et les raisons qui y sont avancées pour faire instruire la plainte sont les suivantes :

[traduction]

S’il n’est pas contesté que le mis en cause a licencié la plaignante le 24 avril 2009, les souvenirs des témoins quant aux motifs de ce licenciement demeurent contradictoires, et une bonne partie de la preuve consiste en du ouï‑dire. La crédibilité des témoins, par conséquent, est d’importance fondamentale pour décider de la plainte. Comme l’enquêtrice ne peut apprécier leur crédibilité, il semble indiqué que le Tribunal canadien des droits de la personne instruise la plainte, pour établir si le mis en cause peut fournir une explication raisonnable pour ses actes, qui ne constitue pas un prétexte lui permettant d’établir une distinction fondée sur un motif illicite.

 

 

[82]           Comme le souligne la défenderesse, il faut souligner d’entrée de jeu que la Commission dispose « d’un pouvoir discrétionnaire très vaste pour déterminer si, “compte tenu de toutes les circonstances”, il y a lieu de procéder à une instruction » (Herbert, précitée, au paragraphe 18).

[83]           La norme à respecter pour qu’une enquête soit jugée rigoureuse a été examinée dans Hughes, précitée. La juge Mactavish fait remarquer au paragraphe 33 de cette décision qu’il fallait faire preuve de retenue judiciaire envers la Commission et qu’un contrôle judiciaire est possible uniquement « lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné une preuve manifestement importante ».

[84]           La Cour suprême du Canada s’est penchée, au paragraphe 53 de l’arrêt Cooper, précité, sur le rôle fondamental que joue la Commission :

La Commission n’est pas un organisme décisionnel; cette fonction est remplie par les tribunaux constitués en vertu de la Loi.  Lorsqu’elle détermine si une plainte devrait être déférée à un tribunal, la Commission procède à un examen préalable assez semblable à celui qu’un juge effectue à une enquête préliminaire. Il ne lui appartient pas de juger si la plainte est fondée.  Son rôle consiste plutôt à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête.  L’aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s’il existe une preuve suffisante. Le juge Sopinka a souligné ce point dans Syndicat des employés de production du Québec et de L’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, à la p. 899 :

 

L’autre possibilité est le rejet de la plainte. À mon avis, telle est l’intention sous‑jacente à l’al. 36(3)b) pour les cas où la preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d’un tribunal en application de l’art. 39. Le but n’est pas d’en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante. [Non souligné dans l’original.]

 

[85]           Le demandeur fait valoir en l’espèce plusieurs arguments fondés sur l’équité procédurale, mais, à mon avis, il reproche essentiellement à la Commission de ne pas avoir bien apprécié le caractère suffisant de la preuve pour décider s’il y avait lieu de faire instruire la plainte de la défenderesse.

[86]           Comme je l’ai fait remarquer dans la décision Cerescorp, précitée, au paragraphe 51, « [i]l suffit que la Commission estime, à tort ou à raison, que “la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante” ».

[87]           Le demandeur soutient que la décision de faire instruire une plainte par le Tribunal ne peut reposer sur une preuve par ouï‑dire. Or, j’estime qu’il nous faut tenir compte de l’alinéa 50(3)c) de la LCDP, lequel dispose :

50. (3) Pour la tenue de ses audiences, le membre instructeur a le pouvoir :

 

[...]

 

c) de recevoir, sous réserve des paragraphes (4) et (5), des éléments de preuve ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire;

 

50. (3) In relation to a hearing of the inquiry, the member or panel may

 

[...]

 

(c) subject to subsections (4) and (5), receive and accept any evidence and other information, whether on oath or by affidavit or otherwise, that the member or panel sees fit, whether or not that evidence or information is or would be admissible in a court of law;

 

À mon avis, cette disposition autorise clairement le Tribunal à admettre une preuve par ouï‑dire présentée au soutien d’une plainte. Il s’ensuit que, lorsque la question à trancher par la Commission est de savoir si la preuve fournit une justification raisonnable au soutien d’une plainte, la prise en considération d’une preuve par ouï‑dire est possible. J’estime que cela est d’autant plus vrai si l’on considère la norme de preuve peu élevée à laquelle il faut satisfaire pour faire instruire une plainte (voir Cerescorp Co. c Marshall, 2011 CF 468, au paragraphe 51, et Bell Canada c Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 CF 113, au paragraphe 35). Les décisions Utility Transport et Re B and Catholic Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, précitées, ne sauraient permettre d’affirmer que, sous le régime de la LCDP, la décision de faire instruire une plainte ne peut reposer sur une preuve par ouï‑dire, et que le recours à une telle preuve constitue une entorse à la justice naturelle.

[88]           Comme les observations présentées dans le cadre de la présente demande le font clairement voir, les parties divergent fortement d’opinion sur la question de savoir si ce que Mme Ahenakew a dit à la défenderesse sur les motifs de son licenciement constituait une preuve par ouï‑dire ou une preuve directe. Je n’ai pas à trancher ce différend, pas plus que la Commission; le Tribunal évaluera la valeur probante de cet élément de preuve et le soupèsera en tenant compte d’autres éléments, peu importe la façon de le qualifier en droit.

[89]           Je ne crois pas non plus qu’il s’agisse en l’espèce d’une situation du type visé dans Varma, précitée, ou dans Utility Transport, précitée, au paragraphe 47. Dans Varma, la juge Reed tente de nous faire comprendre qu’il faut plus qu’une simple affirmation pour justifier la décision de faire instruire une plainte. Le plaignant ne peut pas tout simplement dire : « J’ai été victime de discrimination. » La défenderesse a fait davantage en l’espèce. Son témoignage sur ce que Mme Ahenakew lui a dit et les propos de celle‑ci adressés à Jeffrey pourraient établir l’existence d’une discrimination. Comme il est loisible au Tribunal d’admettre ces éléments de preuve et de s’en servir pour décider du bien‑fondé de la plainte, la décision de faire instruire la plainte par le Tribunal peut donc fort bien reposer sur eux.

[90]           À mon sens, la Commission conclut dans ses motifs qu’il y avait dans la preuve une justification raisonnable étayant la plainte. La Commission dit que la preuve par « ouï‑dire » obtenue pourrait établir le bien‑fondé de la plainte, en reconnaissant toutefois que des témoignages contraires pourraient écarter ce ouï‑dire si le Tribunal les jugeait crédibles. La question de la crédibilité des témoins se pose en raison de l’existence d’une preuve permettant d’établir le bien‑fondé de la plainte.

[91]           Pour régler la plainte, le Tribunal devra évaluer la crédibilité des témoins afin d’établir sur quels témoignages il pourra se fonder. Si par exemple le Tribunal conclut que M. McIntosh n’est pas crédible, le témoignage de ce dernier ne contredira pas le témoignage de la défenderesse concernant ce que M. McIntosh a dit à Mme Ahenakew, ou ce que celle‑ci lui a dit. Ce n’est pas simplement les incohérences relevées dans la preuve qui appuient la décision de faire instruire la plainte; la preuve présentée à l’enquêtrice permettrait amplement d’établir le bien‑fondé de la plainte si le Tribunal concluait que d’autres témoignages ne sont pas crédibles.

[92]           La décision est suffisamment motivée pour démontrer que la Commission a évalué si la preuve par « ouï‑dire » suffisait pour faire instruire la plainte par le Tribunal. La Commission a conclu que les éléments de preuve présentés suffisaient, mais que pour régler la plainte il faudrait les évaluer en tenant compte d’autres éléments de preuve. Selon mon interprétation des motifs, la Commission a examiné les éléments de preuve suivants :

-                      le témoignage de la défenderesse quant aux motifs de congédiement dont Mme Ahenakew lui a fait part;

-                      le témoignage de Jeffrey quant à ce que Mme Ahenakew lui a dit au sujet du congédiement de la défenderesse;

-                      le témoignage et le journal de Mme Palendat;

-                      le témoignage de M. McIntosh sur les motifs pour lesquels il a licencié la défenderesse;

-                      le témoignage d’autres témoins.

 

Compte tenu de ces éléments de preuve et de l’admissibilité devant le Tribunal de la preuve par ouï‑dire, j’estime que l’issue de la décision était raisonnable. Même en admettant que le témoignage direct de M. McIntosh contredît la preuve par ouï‑dire, cette preuve par ouï‑dire justifiait de manière raisonnable la décision de la Commission de faire instruire la plainte par le Tribunal. Voici ce que la Cour suprême du Canada a affirmé dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Association c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16 :

Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391).  En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[93]           En l’espèce, la Commission savait manifestement quels éléments de preuve étaient susceptibles d’étayer la plainte et elle savait que certains de ces éléments constituaient du ouï‑dire. La Commission a indiqué aux parties (et à la Cour) les éléments de preuve sur lesquels elle a fondé sa décision de faire instruire la plainte par le Tribunal. Au vu des éléments ainsi exposés par la Commission, la Cour est en mesure de conclure que l’issue de la décision était raisonnable. La preuve par « ouï‑dire » – si tant est qu’il s’agisse bien de ouï‑dire – suffisait en l’espèce pour que la Commission fasse instruire la plainte par le Tribunal, de sorte que l’issue de la décision appartient aux issues possibles acceptables. La Cour ne doit donc pas intervenir dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

[94]           Cela ne signifie pas pour autant que la preuve par ouï‑dire sera toujours suffisante. Dans certaines décisions, comme Varma et Utility Transport, précitées, la Cour a jugé la preuve en cause insuffisante pour justifier l’opportunité de faire instruire la plainte mais, à mon avis, les lacunes de la preuve dans ces affaires différaient grandement de ce que laissent voir les faits de la présente espèce. Dans Varma il n’y avait rien de plus qu’une simple affirmation, et dans Utility Transport, la preuve produite pour étayer la plainte consistait en une rumeur anonyme. La preuve en l’espèce, qu’il s’agisse ou non de ouï‑dire, est beaucoup plus solide.

[95]           Le demandeur, à mon sens, insiste dans le cadre de la présente demande pour dire que la Commission a l’obligation d’évaluer et de soupeser la preuve obtenue par l’enquête pour établir si la plainte repose sur une justification raisonnable. Le demandeur a analysé la preuve avec soin et il a relevé dans le détail en quoi selon lui, compte tenu de sa nature et de sa qualité, elle ne peut étayer la plainte. À mon sens, l’arrêt Cooper, précité, nous enseigne que la Commission n’est pas tenue d’apprécier la preuve de cette manière. Le rôle de la Commission est de décider, à l’étape où elle intervient, si une instruction est justifiée eu égard à tous les faits d’espèce. L’élément central de cet exercice consiste à évaluer si la preuve présentée est suffisante. Toutefois, j’estime que dans son analyse du caractère suffisant, la Commission n’est pas liée par les règles de preuve formelles, et elle dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour décider de l’opportunité de faire instruire la plainte. Compte tenu des faits qui m’ont été exposés dans le cadre de la présente demande, je ne puis dire que la décision de la Commission était déraisonnable.

[96]           Quant aux questions de compétence liées au CCT et aux autres procédures qui y sont prévues, et à la prétention selon laquelle la Commission n’a pas examiné et pris en compte les observations du demandeur, je souscris, aux fins des présents motifs, aux arguments avancés en réponse par la défenderesse. Tel qu’il est apparu clairement lors de l’instruction de la présente demande, la véritable question en litige en l’espèce était celle de savoir si la preuve présentée à la Commission était suffisante et si elle justifiait de faire instruire la plainte. Malgré les arguments fort valables de l’avocat du défendeur, j’estime ne pas pouvoir modifier la décision pour les motifs précédemment exposés.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE COMME SUIT :

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  La défenderesse a droit aux dépens afférents à la présente demande.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COURT FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑693‑11

 

INTITULÉ :                                                  LE CHEF DAVID (BRUCE) MORIN, en son propre nom et au nom de tous les membres de la PREMIÈRE NATION DE BIG RIVER

 

                                                                        ‑ et ‑

 

                                                                        JANET DODWELL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Saskatoon (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 19 avril 2012

 

 

MOTIF DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 20 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Timothy J. Howard

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Richard W. Elson

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Timothy J. Howard

Avocat

Roberts Creek (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

McKercher LLP

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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