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Date : 20120807

Dossier : IMM‑8293‑11

Référence : 2012 CF 973

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 août 2012

En présence de monsieur le juge Scott

 

 

ENTRE :

 

NEKISHA KATDIJAH SAMUEL

(ALIAS NEKISHA KATDIJA SAMUEL)

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée par Mme Nekisha Katdijah Samuel (Mme Samuel) conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision, rendue le 26 octobre 2011, par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que Mme Samuel n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

II.        Faits

 

[3]               Mme Samuel est citoyenne de Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines.

 

[4]               Le 27 janvier 2007, Mme Samuel a été témoin du meurtre de son frère, Kenford Samuel, par des membres du gang de la famille cubaine, organisation criminelle avec laquelle il était à couteaux tirés depuis longtemps.

 

[5]               En juin 2007, un procès a eu lieu. Ian Blackett, membre du gang de la famille cubaine, a été accusé du meurtre de Kenford Samuel. Mme Samuel a témoigné au procès d’Ian Blackett. Ce dernier a été acquitté et subséquemment déporté à la Grenade.

 

[6]               Après le procès, des bandits armés non identifiés ont tiré sur deux amis de Kenford Samuel.

 

[7]               Mme Samuel a bénéficié de la protection de la police pendant le procès, mais cette protection a cessé une fois le procès terminé. Elle a par la suite été victime de nombreux incidents de harcèlement, de violence verbale et de menaces de mort de la part de membres du gang de la famille cubaine.

 

[8]               Elle a demandé à plusieurs occasions la protection de la police et a informé les autorités des menaces faites à son endroit. Malgré ses tentatives d’obtenir l’aide des autorités, Mme Samuel aurait continué de faire l’objet de harcèlement et de menaces de mort à Saint‑Vincent jusqu’à ce qu’elle s’enfuie au Canada.

 

[9]               Elle est arrivée au Canada en décembre 2010 et a déposé une demande d’asile en février 2011.

 

[10]           Dans sa décision, la Commission a conclu que la crainte de Mme Samuel n’était pas fondée sur son sexe. Elle a également conclu que, même si Mme Samuel avait été personnellement visée par le gang de la famille cubaine à un certain nombre d’occasions, la situation à l’origine du risque allégué est généralisée partout à Saint‑Vincent. Elle a en outre estimé que Mme Samuel n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante. Par conséquent, la Commission est parvenue à la conclusion que Mme Samuel n’avait ni la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

III.       Dispositions législatives applicables

 

[11]           Les articles 96 et 97 de la LIPR sont ainsi libellés :

Définition de « réfugié »

 

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

 A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

Person in need of protection

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Personne à protéger

 

Person in need of protection

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

IV.       Questions en litige et norme de contrôle

 

A.        Questions en litige

 

1.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la crainte qu’éprouve Mme Samuel à l’égard du gang de la famille cubaine n’avait aucun lien avec les motifs prévus à l’article 96 de la LIPR?

 

2.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le risque auquel le gang de la famille cubaine expose Mme Samuel est généralisé à Saint‑Vincent?

 

3.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en estimant que Mme Samuel n’avait pas réfuté la présomption relative à l’existence d’une protection suffisante de l’État à Saint‑Vincent?

 

B.        Norme de contrôle

 

[12]           Dans la décision Soimin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 218, au paragraphe 8, la Cour a déclaré que la question de savoir si un demandeur fait partie d’un groupe social sur le fondement d’allégations relatives au sexe était une question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle suivant la norme de la décision raisonnable.

 

[13]           La décision qui règle le point de savoir si une personne est ou non exposée à un risque généralisé est également susceptible de contrôle selon la norme du caractère raisonnable (voir Prophète c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 331, [2008] ACF no 415 [la décision Prophète I]).

 

[14]           Enfin, cette même norme s’applique également au contrôle des décisions relatives au caractère suffisant de la protection de l’État (voir Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 157 ACWS (3d) 153, au paragraphe 38).

 

V.        Observations des parties

 

A.        Observations formulées par Mme Samuel

 

[15]           Mme Samuel a allégué qu’elle appartenait au groupe social composé des [traduction] « femmes de Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines qui sont l’objet de menaces de mort, de représailles et de violence parce qu’elles ont été témoins d’un crime perpétré par des membres d’une organisation criminelle » (voir la page 62 du dossier certifié du tribunal). Pour déterminer si Mme Samuel appartenait à un groupe social à Saint‑Vincent, la Commission a dû tenir compte du critère à trois volets énoncé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 [l’arrêt Ward]. Mme Samuel affirme toutefois que la Commission a omis d’appliquer le troisième volet du critère. Selon elle, la Commission a mal appliqué les règles de droit pertinentes lorsqu’elle a conclu à l’absence de tout lien avec l’un des motifs prévus par la Convention.

 

[16]           Mme Samuel affirme également avoir été personnellement prise pour cible par des membres du gang de la famille cubaine, comme le démontrent les menaces et le harcèlement dont elle a été victime à de nombreuses occasions à Saint‑Vincent. D’après elle, la Commission a à tort conclu dans sa décision que, comme la violence des bandes criminelles organisées est un risque auquel la population en général de Saint‑Vincent est exposée, elle‑même court un risque de nature généralisée. L’existence d’un risque généralisé ne signifie pas nécessairement que le risque particulier auquel est exposé un demandeur d’asile en est un que courent généralement les citoyens d’un pays. L’avocat de Mme Samuel estime que le cas présent comporte des similitudes avec la décision Pineda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 365 [la décision Pineda] rendue par notre Cour. Dans cette décision, la Cour a conclu que, comme le demandeur subissait des menaces et des attaques insistantes, il courait un risque supérieur à celui auquel était exposée la population en général. Mme Samuel fait valoir que le risque particulier qu’elle court à Saint‑Vincent constitue un risque supérieur à la moyenne. La Commission a donc fait erreur lorsqu’elle a conclu qu’elle était exposée à un risque généralisé dans son pays d’origine, à savoir un risque qui est partagé par la population en général.

 

[17]           Quant à la présomption relative à la possibilité de se prévaloir d’une protection suffisante de l’État, Mme Samuel soutient que la Commission n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents et contradictoires et que sa conclusion n’est donc pas raisonnable (voir Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, au paragraphe 17). Une preuve documentaire a été produite devant la Commission afin de corroborer la thèse avancée par Mme Samuel quant à son impossibilité d’obtenir une protection suffisante de la part des autorités à Saint‑Vincent puisqu’elle continuait d’être la cible de membres du gang de la famille cubaine.

 

[18]           Pour tous ces motifs, Mme Samuel soutient que la décision de la Commission justifie l’intervention de la Cour.

 

B.        Observations formulées par le défendeur

 

[19]           Selon le défendeur, le principe voulant que le fait d’être victime d’un crime ne prouve pas en soi l’existence d’un lien entre la crainte de persécution et un motif énoncé dans la Convention est bien établi (voir Asghar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 768, au paragraphe 24 [la décision Asghar]). Il renvoie à la décision Asghar, où la Cour s’est exprimée en ces termes :

[…] cette preuve indique précisément que ces individus sont ciblés par des « criminels » qui cherchent à les éliminer ou les faire taire. Comme la Commission l’a conclu, et comme le défendeur fait valoir, ce phénomène constitue des représailles et non de la persécution au sens de l’article 96 de la LIPR. Le mobile des agents de persécution est criminel, ce n’est pas un critère visé par la Convention.

 

 

[20]           Le défendeur estime donc que la conclusion de la Commission est raisonnable puisque la preuve présentée par Mme Samuel révèle sans équivoque que sa crainte liée au gang de la famille cubaine ne constitue pas de la persécution au sens de l’article 96 de la LIPR.

 

[21]           Quant à l’appartenance de Mme Samuel à un groupe social, le défendeur allègue que la façon dont cette dernière définit le groupe social dans la présente demande diffère de la définition proposée devant la Commission. La Cour doit contrôler la décision de la Commission en utilisant la définition de groupe social initialement donnée par Mme Samuel, soit les femmes à Saint‑Vincent.

 

[22]           Selon le défendeur, la conclusion de la Commission est raisonnable. Dans de nombreuses décisions, la Cour a conclu, lorsqu’elle appliquait l’arrêt Ward, précité, que « les personnes qui dénoncent des activités criminelles ne constituent pas un groupe social au sens de la Convention » (voir le mémoire du défendeur, à la page 6). Le défendeur soutient également que la présente affaire ne satisfait aux exigences d’aucune des trois catégories énoncées dans l’arrêt Ward, en particulier la troisième.

 

[23]           Contrairement à ce qu’a soutenu Mme Samuel, le défendeur allègue que le simple fait qu’un particulier soit spécialement et personnellement visé ne signifie pas que le risque auquel il est exposé est personnalisé (voir Guifarro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 182, au paragraphe 32; Rajo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1058, aux paragraphes 20 et 36; et Flores Romero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 772, aux paragraphes 10 à 20). Suivant le défendeur, l’article 97 de la LIPR exige davantage qu’une preuve du fait que le demandeur d’asile était ciblé individuellement.

 

[24]           Le défendeur souligne que le risque couru par Mme Samuel est de nature généralisée et que d’autres personnes y sont exposées à Saint‑Vincent. La conclusion tirée par la Commission sur ce point est raisonnable.

 

[25]           En ce qui concerne la protection de l’État, le défendeur fait valoir que la preuve documentaire produite par Mme Samuel n’est pas suffisamment probante pour infirmer la décision de la Commission.

 

VI.       Analyse

 

1.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la crainte qu’éprouve Mme Samuel à l’égard du gang de la famille cubaine n’avait aucun lien avec les motifs prévus à l’article 96 de la LIPR?

 

[26]           Dans la décision Asghar, précitée, aux paragraphes 14, 25 et 26, la Cour a déclaré ce qui suit :

[14] La notion de groupe social doit être évaluée en gardant en tête le fait qu’elle s’inscrit dans les « thèmes sous‑jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination qui viennent justifier l’initiative internationale de protection des réfugiés » : Ward c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 689. Trois catégories possibles de groupes sociaux ont été identifiées par la Cour suprême du Canada dans Ward, supra :

 

(1) les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;

 

(2) les groupes dont les membres s’associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu’ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association;

 

(3) les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.

 

[…]

 

[25] La jurisprudence de cette Cour a constamment établi que la crainte de représailles motivées par de la vengeance ou le fait d’être victime d’un acte criminel ne constitue pas un motif de persécution tel que prévu par l’article 96 : Rawji c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1773, en ligne : QL; Mason c. Canada (Secrétaire d’État), [1995] A.C.F. no 815, en ligne : QL; Mousavi‑Samani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1267, en ligne : QL; Montchak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 111, en ligne : QL; Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 CF 327. Les victimes d’actes criminels n’appartiennent pas de ce fait à un groupe social.

 

[26] Compte tenu des catégories identifiant les groupes sociaux établies dans Ward, supra, je ne peux conclure, tel que le soutient le demandeur, que la Commission a erré en décidant que son père, en tant que policier pakistanais témoin à charge, n’était pas persécuté au sens de l’article 96 de la LIPR puisqu’il ne faisait pas partie d’un groupe social identifiable.

 

[27]           La Commission a écrit ce qui suit au paragraphe 9 de sa décision :

Dans ses observations écrites, le conseil a proposé pour la demandeure d’asile un groupe social possible avec un certain nombre de mots qui se résumeraient à l’expression « femmes de Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines », ce qui, selon lui, permettrait à la demandeure d’asile d’être visée par le motif concernant le groupe social qui est prévu dans la Convention. Toutefois, malheureusement pour la demandeure d’asile, tous les mots que le conseil a ajoutés à l’expression « femmes de Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines » ne font pas référence à des caractéristiques innées et immuables. Sa proposition de groupe social va donc à l’encontre de la décision rendue dans Ward quant à une caractéristique innée et immuable de groupes sociaux et ne peut donc pas être analysée du point de vue de la loi.

 

[28]           Le défendeur fait valoir que la Commission a examiné comme il se doit les trois catégories énoncées dans l’arrêt Ward. Il insiste sur le fait que Mme Samuel a proposé dans son dossier une définition différente de celle présentée à la Commission. Dans son dossier, elle a affirmé qu’elle appartenait au groupe social composé de [traduction] « particuliers de Saint‑Vincent qui sont l’objet de menaces de mort, de représailles et de violence parce qu’ils ont été témoins d’un crime perpétré par des membres d’une organisation criminelle » (voir la page 5 de l’exposé complémentaire des arguments de la demanderesse). Or, Mme Samuel a proposé la définition suivante devant la Commission : « femmes de Saint‑Vincent‑et–les Grenadines qui sont l’objet de menaces de mort, de représailles et de violence parce qu’elles ont été témoins d’un crime perpétré par des membres d’une organisation criminelle » (voir la page 62 du dossier certifié du tribunal). Dans l’arrêt Bekker c Canada, 2004 CAF 186, au paragraphe 11, la Cour d’appel s’est exprimée en ces termes :

Les demandes de contrôle judiciaire ont une portée limitée. Il ne s’agit pas de nouvelles instances au cours desquelles de nouvelles questions peuvent être tranchées sur la foi de nouveaux éléments de preuve. Comme l’a dit le juge Rothstein, de la Cour d’appel fédérale, dans Gitxsan Treaty Society c. Hospital Employees’ Union, [2000] 1 C.F. 135, au paragraphe 15, « le but premier du contrôle judiciaire est de contrôler des décisions » et, j’ajouterais, simplement d’en déterminer la légalité : voir également Offshore Logistics Inc. c. Intl. Longshoremen’s Assoc., section locale 269 (2000), 257 N.R. 338 (C.A.F.). C’est la raison pour laquelle, sauf dans des circonstances exceptionnelles comme l’existence de questions relatives à la partialité ou à la compétence, qui ne figurent pas nécessairement au dossier, la cour de révision est liée par le dossier dont le juge ou l’office était saisi et est limitée à ce dossier. Par souci d’équité pour les parties et pour le tribunal dont la décision est révisée, cette restriction est nécessaire. Ainsi, la nature même de la demande de contrôle judiciaire empêche la Cour de faire droit à la demande du demandeur. De plus, il existe d’autres raisons tout aussi impérieuses de refuser cette demande.

 

 

[29]           Dans la présente affaire, la Cour est liée par le dossier produit devant la Commission et elle ne peut contrôler la décision en utilisant la définition modifiée proposée par Mme Samuel.

 

[30]           En outre, Mme Samuel prétend que la Commission a omis d’appliquer le troisième volet du critère énoncé dans l’arrêt Ward, à savoir « un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique ». Au paragraphe 70 de cet arrêt, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

Le sens donné à l’expression « groupe social » dans la Loi devrait tenir compte des thèmes sous‑jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination qui viennent justifier l’initiative internationale de protection des réfugiés. Les critères proposés dans Mayers, Cheung et Matter of Acosta, précités, permettent d’établir une bonne règle pratique en vue d’atteindre ce résultat. Trois catégories possibles sont identifiées :

 

(1)  les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;

 

(2)  les groupes dont les membres s’associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu’ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; et

 

(3)  les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.

 

La première catégorie comprendrait les personnes qui craignent d’être persécutées pour des motifs comme le sexe, les antécédents linguistiques et l’orientation sexuelle, alors que la deuxième comprendrait, par exemple, les défenseurs des droits de la personne. La troisième catégorie est incluse davantage à cause d’intentions historiques, quoiqu’elle se rattache également aux influences antidiscriminatoires, en ce sens que le passé d’une personne constitue une partie immuable de sa vie.

 

 

[31]           Mme Samuel fait valoir que, comme elle a témoigné contre des membres du gang de la famille cubaine et pourrait éventuellement témoigner contre d’autres membres dans l’avenir, la nature même de son devoir, à titre de témoin, est immuable en raison de sa permanence historique.

 

[32]           Dans la décision Zhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1026, au paragraphe 8, la Cour a déclaré ce qui suit : « En appliquant Ward, notre Cour a conclu par le passé que les personnes qui dénoncent des activités criminelles ne constituent pas un groupe social au sens de la Convention. Voir, par exemple : Serrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1999), 166 F.T.R. 227 (C.F. 1re inst.) [la décision Serrano]; Suarez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1036 (1re inst.) (QL); Mason c. Canada (Secrétaire d’État), [1995] A.C.F. no 815 (1re inst.) (QL) ». Les citoyens qui ont été témoins d’un crime doivent témoigner. Cette obligation ne fait pas d’eux des membres d’un groupe social (voir la décision Serrano, précitée). C’est pourquoi la Cour estime que la conclusion tirée par la Commission relativement à la première question est raisonnable.

 

2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le risque auquel le gang de la famille cubaine expose Mme Samuel est généralisé à Saint‑Vincent?

 

[33]           Dans l’arrêt Prophète c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 31, au paragraphe 7 [l’arrêt Prophète II], la Cour d’appel affirme que, « [p]our décider si un demandeur d’asile a qualité de personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la [LIPR], il faut procéder à un examen personnalisé en se fondant sur les preuves présentées par le demandeur d’asile dans le contexte des risques actuels ou prospectifs auxquels il serait exposé (Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 99 (CanLII), 2007 CAF 99, au paragraphe 15) ».

 

[34]           Dans sa décision, la Commission a mentionné ce qui suit : « [...] bien que je reconnaisse le fait que le gang de la famille cubaine ait précisément et personnellement visé la demandeure d’asile un certain nombre de fois, j’estime tout de même, considérant cette affaire dans le contexte global du témoignage et des documents sur le pays, que l’origine et la nature du risque auquel est exposée la demandeure d’asile découle d’un risque généralisé, soit la violence d’un gang criminel en général à Saint‑Vincent, et en est donc un » (voir le paragraphe 10 de la décision de la Commission). Contrairement à ce qu’affirme la Commission dans sa décision, le fait que Mme Samuel était précisément la cible de membres du gang de la famille cubaine est pertinent. Le critère applicable pour apprécier le risque généralisé tient à un examen personnalisé fondé sur la preuve présentée par le demandeur d’asile.

 

[35]           On a reconnu que Mme Samuel avait été ciblée, à plusieurs occasions, en raison de la querelle qui opposait depuis longtemps son frère au gang de la famille cubaine. Elle a été visée à nouveau pour avoir assisté au meurtre de son frère. À la suite de son témoignage au procès criminel concernant un membre du gang de la famille cubaine, elle a encore reçu des menaces à plusieurs occasions après avoir obtenu la protection de la police.

 

[36]           La Commission n’a dégagé aucune conclusion quant à la crédibilité et elle paraît avoir ajouté foi au témoignage de Mme Samuel. La preuve dont était saisie la Commission démontre que Mme Samuel a été ciblée, à plusieurs occasions, et pendant une longue période. Dans les circonstances particulières de la présente affaire, la conclusion de la Commission touchant le risque personnalisé auquel Mme Samuel était exposée est déraisonnable.

 

3.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en estimant que Mme Samuel n’avait pas réfuté la présomption relative à l’existence d’une protection suffisante de l’État à Saint‑Vincent?

 

[37]           La Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que Mme Samuel n’avait pas réussi à réfuter la présomption relative à l’existence d’une protection suffisante de l’État à Saint‑Vincent.

 

[38]           Dans l’arrêt Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, au paragraphe 38, la Cour d’appel fédérale a répondu à la question certifiée de la façon suivante :

Le réfugié qui invoque l’insuffisance ou l’inexistence de la protection de l’État supporte la charge de présentation de produire des éléments de preuve en ce sens et la charge ultime de convaincre le juge des faits que cette prétention est fondée. La norme de preuve applicable est celle de la prépondérance des probabilités, sans qu’il soit exigé un degré plus élevé de probabilité que celui que commande habituellement cette norme. Quant à la qualité de la preuve nécessaire pour réfuter la présomption de la protection de l’État, cette présomption se réfute par une preuve claire et convaincante de l’insuffisance ou de l’inexistence de ladite protection.

 

 

[39]           Non seulement la preuve présentée doit être claire et convaincante, mais encore elle doit étayer le fondement de la demande d’asile. La majeure partie de la preuve documentaire produite par Mme Samuel concerne la persécution fondée sur le sexe, laquelle ne s’applique pas en l’espèce. Quant à l’inaction alléguée de la police, les faits de la présente affaire établissent que Mme Samuel a obtenu la protection de la police pendant qu’elle témoignait dans le cadre des poursuites criminelles. À plusieurs occasions, après son témoignage, la police a répondu à ses plaintes. Mme Samuel n’a pas réfuté la présomption relative à l’existence d’une protection suffisante de l’État à Saint‑Vincent.

 

[40]           La Cour insiste sur le fait qu’il est bien établi qu’une conclusion selon laquelle il existe une protection suffisante de l’État est fatale quant aux demandes d’asile fondées tant sur l’article 96 que sur l’article 97 de la LIPR. Par conséquent, la décision de la Commission doit être confirmée (voir Macias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 598, au paragraphe 14).

 

VII.     Conclusion

 

[41]           Mme Samuel n’a pas réussi à réfuter la présomption relative à l’existence d’une protection suffisante de l’État à Saint‑Vincent. Pour cette seule raison, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.                   La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                   Il n’y a pas de question d’importance générale à certifier.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑8293‑11

 

INTITULÉ :                                                  NEKISHA KATDIJAH SAMUEL
(ALIAS NEKISHA KATDIJA SAMUEL)

 

                                                                        et

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 25 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 7 août 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Pablo Irribarra

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Veronica Cham

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jordan Battista LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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