Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

 


Date : 20120810

Dossier: T-1070-11

Référence : 2012 CF 979

Ottawa (Ontario), le 10 août 2012

En présence de monsieur le juge de Montigny 

 

ENTRE :

 

CHRISTIANE ALLARD, MARIE-ANDRÉ FRÉDETTE, HÉLÈNE GAGNON, EL MEHDI HADDOU, ALAIN LAJOIE, SONYA LAURENDEAU, JULIE NAGEL, DANIEL PERRON, FRANCE PROVOST, MARIE-CLAUDE SIMARD, HÉLÈNE SOUCY ET GENEVIÈVE TOUPIN

 

 

 

Demandeurs

 

et

 

 

 

AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION

DES ALIMENTS

 

 

 

Défenderesse

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch F-7, à l’encontre d’une décision rendue le 2 juin 2011 par M. Omer Boudreau, Vice-président des Ressources humaines (le « Vice-président ») de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’« Agence »), rejetant les griefs de classification des demandeurs et entérinant du même coup la recommandation d’un Comité de grief de classification (le « Comité »).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la Cour en est arrivé à la conclusion que la décision du Vice-président doit être annulée, dans la mesure où la procédure de grief de classification n’a pas été respectée par le Comité.

 

1.         Les faits

[3]               Les demandeurs occupent le poste de spécialiste des programmes du Centre opérationnel, médecine vétérinaire, de la division du Québec au sein de l’Agence. Conformément au Processus de griefs de classification de l’Agence, les demandeurs ont déposé des griefs contestant la classification de leur poste au groupe et niveau VM-03. Les demandeurs ne contestent pas l’attribution au groupe professionnel, mais demandent à ce que leur poste soit classifié à un niveau supérieur.

 

[4]               Les griefs ont été présentés au nom des demandeurs par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« Institut »), qui est l’agent négociateur accrédité par la Commission des relations de travail dans la fonction publique pour les employés de l’Agence faisant partie de l’unité de négociation dans lequel se retrouvent les demandeurs. L’Institut et l’Agence sont liés par une convention collective dont la date d’expiration était le 30 novembre 2011.

 

[5]               L’Agence, pour sa part, est un organisme distinct au sein de la fonction publique tel que défini par l’article 11 de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, ch F-11. À titre d’employeur distinct, l’Agence est autorisée à fixer les conditions d’emploi des employés et à leur assigner leurs fonctions. En vertu des articles 7 et 13 de cette même Loi, le Président de l’Agence possède, et peut déléguer, le pouvoir de nommer les employés de l’Agence et prendre des décisions en matière d’organisation et de classification.

 

[6]               L’Agence a adopté la Politique en matière d’organisation et de classification Politique de classification »), qui sert de cadre de travail pour la gestion et le contrôle des activités de conception organisationnelle et de classification de l’Agence. Les décisions de classification, y compris celles découlant d’un grief de classification, sont rendues conformément à cette politique, ainsi qu’aux directives, lignes directrices et principes de conception organisationnelle correspondants, aux descriptions de travail, aux définitions des groupes professionnels et aux normes de classification approuvées par l’Agence. La norme de classification utilisée pour évaluer les postes rattachés au groupe de la médecine vétérinaire prévoit que l’évaluation des postes et la détermination de leur niveau de classification se font en fonction des cinq facteurs suivants : nature des travaux, complexité du travail, responsabilité professionnelle, responsabilités administratives, et portée des recommandations et des activités.

 

[7]               Contrairement aux griefs portant sur le contenu de la description de travail d’un employé, qui impliquent l’interprétation de la convention collective, les griefs de classification sont exclus de cette dernière et la procédure applicable est plutôt régie par le Processus de griefs de classification de l’Agence. En vertu de ce Processus, un employé doit présenter un grief portant sur la classification des postes par écrit à son superviseur immédiat au sein de l’Agence. Chaque grief est examiné selon son mérite et une recommandation sur la classification du poste est faite par un Comité de grief de classification (le « Comité ») au Vice-président de l’Agence par l’entremise du Gestionnaire, Classification et Design organisationnel. Le Vice-président, en tant que représentant du Président, révise le rapport du Comité et peut soit confirmer les recommandations du Comité, rendre une décision dans les cas de rapports minoritaires et majoritaires, ou rendre une décision séparée (Partie VIII du Processus, Pièce « B » de l’affidavit d’Allison Tomka, Dossier des demandeurs, vol. 1, p 88).

 

[8]               Le ou vers le 10 mai 2010, les demandeurs ont été avisés que la classification de leur poste, dont la description avait été convenue en mars 2009, avait été revue et maintenue par l’Agence au groupe et niveau VM-03, et ce en date du 26 juin 2001. C’est à la suite de cette décision que les demandeurs ont déposé en juin 2010 leurs griefs de classification.

 

[9]               Le 15 février 2011, le Comité s’est réuni afin de permettre à la représentante syndicale des demandeurs de présenter ses arguments pour une classification du poste à un niveau supérieur, soit au niveau 4. 

 

[10]           À la suite de la présentation de la représentante syndicale, le Comité a déterminé que l’une de ses membres ne pouvait continuer à siéger au Comité parce qu’elle avait été impliquée dans le grief de contenu relativement à la description de travail du poste faisant l’objet des griefs de classification. Elle a donc été remplacée par un autre membre.

 

[11]           Le 29 mars 2011, le Comité se réunit de nouveau pour obtenir des informations supplémentaires des demandeurs. Le Comité veut obtenir des précisions concernant sept (7) activités principales contenues dans la description de travail du poste des demandeurs pour les comparer à celles contenues dans les descriptions de travail des postes repères et des postes de relativité soumis par la représentante syndicale. Le Comité a aussi communiqué avec les surveillants des demandeurs pour obtenir des précisions concernant ces sept activités principales.

 

[12]           Les informations obtenues des demandeurs et des surveillants au sujet de certaines activités principales de la description de travail générique se sont avérées ambigües. Le Comité a jugé nécessaire d’obtenir davantage de précisions pour lui permettre de mieux comprendre la nature du travail et des activités effectuées par les demandeurs. Le Comité s’est donc réuni une nouvelle fois pour poser aux gestionnaires des demandeurs les mêmes questions qui avaient été posées aux demandeurs et à leurs surveillants.

 

[13]           Après avoir obtenu des informations des surveillants et des gestionnaires, le Comité a demandé à la représentante syndicale si les demandeurs avaient des représentations additionnelles à faire. La représentante syndicale a indiqué au Comité qu’elle ne ferait pas d’autres représentations sur la question du contenu de la description de travail, notamment parce que cette description était le résultat d’une entente dans le contexte d’un grief de contenu.

 

[14]           Le ou vers le 8 juin 2011, le Comité a fait parvenir aux demandeurs une copie de son rapport daté du 3 mai 2011 et entériné par le Vice-président le 2 juin 2011. Le Comité a recommandé que les postes en question soient classifiés aux groupe et niveau VM-03. Par la suite, les demandeurs ont reçu une lettre du Vice-président les avisant qu’il approuvait la recommandation du Comité et que sa décision était définitive et exécutoire, prenant effet le 26 juin 2001. Les griefs des demandeurs étaient ainsi rejetés.

 

2.         La décision contestée

[15]           Il convient ici de reproduire les conclusions du Comité eu égard aux deux facteurs dont les demandeurs contestent l’évaluation, soient ceux de la nature des travaux (évalué au niveau 3) et de la complexité du travail (également évalué au niveau 3). Tel que mentionné précédemment, les demandeurs ne contestent pas l’attribution au groupe professionnel VM (Médecine vétérinaire), ni l’évaluation des trois autres facteurs utilisés pour classifier un poste relevant de ce groupe : responsabilité professionnelle (évalué au niveau 4), responsabilités administratives (évalué au niveau 2) et portée des recommandations et des activités (évalué au niveau 4).

 

[16]           S’agissant du facteur « nature des travaux », voici ce que le Comité écrit :

Les postes en question doivent élaborer, clarifier et résoudre des questions d’interprétation de conception et d’exécution de programmes de médecine vétérinaire réglementaire pour l’Agence. Les postes en question doivent collaborer dans des équipes de spécialistes et rédiger des documents se rapportant aux programmes, incluant des directives et des modifications apportées aux manuels. Les postes en question sont aussi responsable pour surveiller l’exécution des programmes et évaluer l’efficacité des programmes zoosanitaires et des programmes relatifs à la salubrité des aliments ainsi que d’agir à titre de chef d’équipe dans le domaine de spécialité pour rédiger, vérifier et faire des recommandations de tâches pour intégration dans le système de vérification de conformité. Les postes en question doivent coordonner et gérer des enquêtes dans les cas nécessitant une expertise dans le domaine de spécialité, et gérer ou participer au développement, au maintien et à l’évaluation dans la préparation et le maintien des mesures d’urgence.

 

La Nature des travaux des postes en question porte habituellement sur un seul domaine de spécialisation mais exige la collaboration de collègues dans d’autres domaines de spécialisation; de plus, les activités diffèrent les unes des autres incluant la rédaction de documents se rapportant aux programmes, faire des recommandations lors de la révision de plans et devis soumis par l’industrie, surveiller l’exécution des programmes, suivre et examiner les développements qui surviennent dans le domaine, participer à titre de spécialiste lors d’audits internationaux et gérer des mesures d’urgence. La Nature des travaux dépasse la description du degré 2 mais est moindre que celle du degré 4. La Nature des travaux des postes en question dépasse celle du poste-repère 3, Vétérinaire en chef, usine de transformation de la volaille, car le travail du poste-repère se concentre sur un domaine de spécialisation dans un environnement très précis. La Nature des travaux des postes en question est inférieure à celle du poste-repère 7, Vétérinaire régional, santé des animaux, Moncton (N.B.), car le poste-repère est responsable de l’organisation et la gestion du travail au niveau du programme d’hygiène vétérinaire dans la région par le biais de 10 bureaux de district. La Nature des travaux des postes en question se compare bien avec celle du poste-repère 6, Vétérinaire en chef, usine plus complexe de transformation des viandes (Kitchener), compte tenu que les postes en question et le poste-repère œuvre dans un domaine de spécialisation et doivent offrir un service de consultation pour divers intervenants.

 

Le comité n’est pas du tout d’accord avec le choix du poste-repère 9, Chef des programmes de lutte, division de la santé des animaux, par le syndicat comme comparateur car le poste-repère est un poste responsable pour la planification, l’organisation et l’évaluation des programmes du ministère au niveau national tandis que les postes en question sont responsables pour voir à l’application d’un programme dans le contexte régional. De plus, le comité ne partage pas l’avis que les postes en question se comparent avec le poste numéro 12296 de l’Agence, Spécialiste national, Programme de la transformation des viandes, puisque le poste 12296 à (sic) un rôle de leadership à l’échelle nationale pour accroître la sécurité et la salubrité des viandes et des produits canadiens provenant d’établissements agrées par le gouvernement fédéral.

 

[17]           Pour ce qui est du facteur « complexité du travail », le comité a fait les observations suivantes :

Les postes en question doivent coordonner et gérer l’élaboration, l’approbation et la mise en œuvre de plans d’action visant à corriger des situations pouvant compromettre la protection des ressources animales disponibles ou rendre insalubres des produits alimentaires d’origine animale. Les postes en question doivent fournir des avis d’ordre scientifique st stratégique lors de situations d’urgences au Canada ou à l’étranger en matière de santé animale ou de salubrité des aliments. Les responsabilités des postes en question incluent le besoin d’identifier et d’analyser des situations problématiques où l’élaboration des programmes ne permet pas d’atteindre les objectifs escomptés. De plus, les postes en question doivent cerner les préoccupations et les risques naissants en vue d’améliorer les programmes de l’Agence.

 

La Complexité du travail des postes en question nécessite l’utilisation de données obtenues par des collègues sur le terrain ou par des gens du secteur privé ou par le biais d’observation personnelle ainsi que les analyses de laboratoire de l’Agence, de d’autres organismes gouvernementaux ou du secteur privé afin de s’assurer que les programmes de l’Agence soient appliqués de façon uniforme dans la région. La Complexité du travail des postes en question dépasse la description du degré 2 mais est moindre que celle du degré 4. La Complexité du travail des postes en question est supérieure à celle du poste-repère 3, Vétérinaire en chef, usine de transformation de la volaille, compte tenu que le poste-repère agit selon les données obtenues par observation directe et que les décisions se font selon des analyses assez simples avec très peu de variables. La Complexité du travail des postes en question est inférieure à celle du poste-repère 7, Vétérinaire régional, santé des animaux, Moncton (N.B.), car le poste-repère doit prendre des décisions au sujet de la planification, l’organisation et l’administration du programme d’hygiène vétérinaire dans la région par l’entremise de 10 bureaux de district impliquant une cinquantaine d’employés. La Complexité du travail des postes en question se compare bien avec celle du poste-repère 5, Vétérinaire, maladies infectieuses, puisque le travail du poste-repère et des postes en question doit s’accomplir à partir de méthodes habituelles avec la collaboration des gens sur le terrain.

 

Le comité n’est pas d’accord avec le syndicat au sujet du choix du poste-repère 9, Chef des programmes de lutte, division de la santé des animaux, compte tenu que le poste-repère doit traiter de toute une myriade de questions problématiques reliées à l’application du programme à l’échelle du pays. De plus, le comité ne partage pas l’avis que les postes en question se comparent avec le poste numéro 12296 de l’Agence, Spécialiste national, Programme de la transformation de viandes, ainsi que le poste numéro 25576, « Senior Staff Veterinarian, Animal Products, Animal Health », puisque ces deux postes doivent traiter de l’élaboration et l’application des programmes à l’échelle nationale et sont les postes qui seraient consultés par les postes en question pour des conseils dans l’application des programmes de l’Agence.

 

3.         Questions en litige

[18]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les deux questions suivantes:

a)      Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision rendue par le Vice-président de l’Agence?

b)      Le Comité a-t-il manqué à son devoir d’équité procédurale en modifiant le contenu d’une description de travail?

 

4.         Analyse

a)      Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision rendue par le Vice-président de l’Agence?

[19]           Il convient tout d’abord de préciser que le rapport du Comité et la décision du Vice-président doivent être analysés comme un tout pour les fins de cette demande de contrôle judiciaire. Bien que le Vice-président est seul habilité à prendre une décision dans le cadre d’un grief de classification, il est clair qu’il prend cette décision en s’appuyant sur le rapport du Comité. Lorsqu’il endosse la recommandation du Comité, en particulier, il en adopte implicitement les motifs. Par conséquent, la décision du Vice-président n’a pas pour effet d’isoler l’évaluation du grief par le Comité, et toute erreur qu’aurait pu commettre ce dernier viciera la décision du Vice-président.

 

[20]           Les deux parties s’entendent sur les normes de contrôle applicable aux deux questions en litige dans le présent dossier. Il ne fait pas de doute qu’une question portant sur un grief de classification est une question mixte de fait et de droit qui relève de l’expertise du décideur de dernier palier. C’est la conclusion à laquelle j’en suis venu dans une affaire semblable, au terme d’un examen de la jurisprudence en la matière et d’une analyse contextuelle, et je ne vois pas de raison pour m’en écarter : Peck c Canada (Parcs Canada), 2009 CF 686 aux para 17-23, [2009] ACF no 1707; voir aussi Spencer c Canada (Procureur général), 2010 CF 33, [2010] ACF no 29; Adamadis c Canada (Conseil du Trésor), 2006 CF 243, [2006] ACF no 305; Utovac c Canada (Conseil du Trésor), 2006 CF 643, [2006] ACF no 833; Beauchemin c Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2008 CF 186, [2008] ACF no 238. Par conséquent, cette Cour doit faire preuve de déférence et n’interviendra que dans la mesure où il peut être démontré que la décision du Vice-président ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] ACF no 9.

 

[21]           Quant aux questions d’équité procédurale, elles ne font pas l’objet d’une analyse fondée sur une norme de contrôle. Lorsqu’une telle question est soulevée, la Cour doit plutôt déterminer si la procédure suivie par l’instance administrative dont la décision est sujette à la demande de contrôle judiciaire est conforme aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale : Canada (Procureur Général) c Sketchley, 2005 CAF 404, [2005] ACF no 2056. En principe, la violation d’un principe d’équité procédurale entraînera l’annulation de la décision contestée. Cette Cour a d’ailleurs confirmé dans l’arrêt Grauer c Canada (Procureur général), 2009 CF 242, [2009] ACF no 317, que les questions d’équité procédurale dans le contexte de griefs de classification sont soumises à la norme de la décision correcte.

 

b)      Le Comité a-t-il manqué à son devoir d’équité procédurale en modifiant le contenu d’une description de travail?

[22]           La procureure des demandeurs a soutenu que le Comité avait retenu le témoignage des surveillants et des gestionnaires des demandeurs pour modifier certains aspects de la description de travail des demandeurs, en minimisant ou même en supprimant totalement certaines des tâches énumérées dans la description de travail. On reproche notamment au Comité d’avoir retenu la prétention des surveillants et des gestionnaires à l’effet que plusieurs des tâches relevant des activités principales des demandeurs sont faites à l’échelle régionale ou provinciale plutôt qu’au niveau national. C’est ce qui aurait amené le Comité à rejeter plusieurs postes-repères et postes-comparateurs proposés par l’Institut, au motif que ces postes impliquaient des travaux à l’échelle nationale.

 

[23]           Il ne fait aucun doute qu’un grief de classification ne peut comporter une mésentente quant au contenu de la description de travail, et qu’un grief sur le contenu d’une description de travail aura préséance sur un grief de classification. Le Processus de griefs de classification est on ne peut plus clair à cet égard :

2. Un grief de classification ne comprend pas une mésentente relative au contenu de la description de travail ni la date d’entrée en vigueur de la décision de classification alors que ces matières doivent être résolues par le biais de la procédure de règlement des griefs de relations de travail prévue dans les conventions collectives.

 

3. Un grief de relations de travail sur le contenu d’une description de travail a précédence (sic) sur un grief de classification. Une décision sur le grief de contenu d’une description de travail d’un poste doit être rendue avant qu’un grief de classification sur ce poste ne puisse procéder. Si, à la suite de sa résolution par l’entremise de la procédure de griefs de relations de travail, la description de travail change, une nouvelle décision doit être émise et un employé peut exercer son droit pour un nouveau grief de classification sur cette dernière. Le grief de classification initial devient alors désuet.

 

[24]           Ceci dit, il faut également tenir compte du fait que la description de travail du poste des demandeurs est générique. Elle décrit le travail attribué à certains postes semblables ou identiques de même niveau et groupe professionnel. Une description de travail générique n’est pas taillée sur mesure pour un poste spécifique. Tel que l’indique la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Currie c Canada (Agence des douanes et du revenu), 2006 CAF 194, [2006] ACF no 784 « [i]l n’est pas rare que les fonctions et responsabilités d’employés ayant la même description de travail soient différentes. Dans la mesure où elles concordent avec la formulation générale de la description de travail, il n’y a pas de problème » (au para 1).

 

[25]           Il est vrai que dans le cas présent, comme l’a souligné la procureure des demandeurs, la description de travail pour le poste « Spécialiste des programmes du Centre opérationnel, médecine vétérinaire réglementaire » n’est pas formellement identifiée comme une description générique. Il n’en demeure pas moins que cette description s’applique à tous les postes occupés par les demandeurs dans le présent litige. Il est donc possible que des activités contenues dans une description de travail générique ne soient pas exécutées pour un poste donné en totalité ou dans la même mesure. Les demandeurs ont d’ailleurs admis ne pas nécessairement accomplir toutes les tâches qui apparaissent dans leur description de travail, même s’ils auraient les qualités requises pour remplir toutes les fonctions énumérées dans cette description. 

 

[26]           La description de travail énumère vingt et un (21) rôles principaux, qui représentent en fait les activités principales des demandeurs. Dans le cadre du grief de classification, le Comité a requis des parties des informations supplémentaires pour sept (7) des activités principales, soient les activités 1, 4, 6, 7, 10, 17 et 20. Il va de soi que le Comité, dans le cadre de l’examen d’un grief de classification, ne pouvait modifier la description de travail ou refuser de considérer les tâches et activités qui y sont contenues. Cette description avait fait l’objet d’une entente entre les demandeurs et l’Agence suite à un grief de contenu en vertu de la convention collective. Le défendeur a d’ailleurs reconnu que le Comité aurait violé les principes de justice naturelle s’il avait modifié la description de tâches, dans la mesure où il aurait alors privé les demandeurs d’être entendus par un arbitre impartial dont la décision aurait été sujette au contrôle judiciaire.

 

[27]           Toute la question consiste donc à déterminer si le Comité a modifié la description de travail, ou s’il a plutôt considéré les informations que lui ont transmises les demandeurs, leurs superviseurs et leurs gestionnaires pour s’assurer de bien comprendre la nature des tâches des demandeurs pour prendre la mesure dans laquelle les tâches et activités énumérées dans leur description de travail sont exécutées.

 

[28]           Une lecture attentive des activités décrites dans la description de tâches ainsi que du résumé que fait le Comité des commentaires formulés par les superviseurs et les gestionnaires révèle que ces derniers n’ont pas simplement modulé les responsabilités des demandeurs de façon à tenir compte du contexte dans lequel ces responsabilités sont exercées, mais qu’ils ont à plusieurs égards remis en question la nature même des activités répertoriées dans la description de tâches. Quelques exemples suffiront à illustrer ce constat.

 

[29]           La première activité consiste à « [é]laborer et tenir à jour les règlements, politiques, programmes, procédures et normes de l’ACIA ayant trait aux exigences zoosanitaires et à la salubrité des aliments ». Les demandeurs ont indiqué qu’ils effectuaient ces tâches, et ils ont fourni des exemples à cet effet, et leurs superviseurs ont essentiellement confirmé leurs dires. Par contre, les gestionnaires ont affirmé que cette activité principale « est du ressort de postes à l’administration centrale », et ont minimisé la responsabilité des demandeurs en indiquant que les demandeurs sont  « consultés » dans l’élaboration des politiques et « collaborent » dans la rédaction de certains documents. Enfin, les demandeurs avaient indiqué au Comité qu’ils élaboraient des politiques pour la région du Québec en consultation avec des collègues ailleurs au pays, alors que les gestionnaires ont plutôt mentionné qu’ils étaient responsables de « tenir à jour » les documents pour la région du Québec.

 

[30]           Plus significatif encore est l’écart qui sépare les activités 4 et 17 telles que décrites dans la Description de travail et les commentaires formulés par les superviseurs et les gestionnaires devant le Comité. Les activités 4 et 17 se lisent comme suit dans la Description de travail:

4. Consulter les gouvernements provinciaux et les groupes sectoriels exerçant leurs activités sur le territoire desservi par le Centre opérationnel. Représenter l’ACIA et diriger des comités et groupes de travail internationaux, nationaux et régionaux participant à des consultations bilatérales et multilatérales, à des négociations liées aux politiques et programmes canadiens touchant les exigences zoosanitaires et la salubrité des aliments.

 

17. Négocier les exigences applicables à la certification des importations et des exportations ainsi que les exigences des programmes relativement aux animaux, aux produits animaux, aux sous-produits et à d’autres produits connexes. Fournir des interprétations et des avis concernant les exigences zoosanitaires et les exigences en matière de salubrité des aliments s’appliquant aux importations/exportations.

 

[31]           Or, s’agissant de l’activité 4, les surveillants ont nié que les demandeurs dirigent des groupes internationaux, tandis que les gestionnaires ont indiqué que les demandeurs « ne sont pas du tout impliqués au niveau international et ne participent pas à des consultations bilatérales et multilatérales liées aux politiques et programmes canadiens touchant les exigences zoosanitaires et la salubrité des aliments ». Pour ce qui est de l’activité 17, les surveillants ont témoigné devant le Comité que les demandeurs ne font pas de négociations tel que prévu dans cette activité principale car ce genre de travail se fait à « Ottawa », alors que les gestionnaires ont catégoriquement indiqué que les demandeurs « n’ont pas de responsabilités au niveau de la première partie de cette activité principale et que cette responsabilité appartient au niveau national ».

 

[32]           L’activité 6 concerne l’élaboration, la participation et la présentation à la haute direction de l’Agence, au personnel des Réseaux et Opérations, ainsi qu’à d’autres organisations gouvernementales et non gouvernementales, des avis, des interprétations, des recommandations, des conférences à caractère scientifique concernant les exigences zoosanitaires et les programmes de salubrité des aliments. À ce chapitre, les surveillants et les gestionnaires ont allégué que les demandeurs accomplissaient ce genre de travail « au niveau du Québec seulement ».

 

[33]           On constate une moins grande disparité entre la description de travail et les commentaires de la gestion en ce qui concerne les activités 7 et 10. En revanche, l’activité 20 fait également apparaître des disparités importantes entre le texte de la description de travail et la perception qu’en ont les gestionnaires. Cette activité consiste à répondre à des questions et à agir en qualité de porte-parole national et régional en matière de politiques et de programmes zoosanitaires et de salubrité des aliments, en réponse aux questions soulevées par le personnel de l’Agence, les représentants des gouvernements nationaux et internationaux et l’industrie, le grand public et les médias. Tandis que les demandeurs ont affirmé agir régulièrement comme porte-paroles de l’Agence au niveau national, particulièrement en français, les surveillants et les gestionnaires ont insisté pour dire que les demandeurs parlent au nom de l’Agence « surtout au Québec, mais aussi au niveau national surtout à cause de la langue ».

 

[34]           L’examen qui précède révèle que le Comité ne s’est pas contenté d’évaluer la fréquence ou le degré avec lesquels les tâches décrites à la description de travail étaient effectivement effectuées, mais qu’il est allé plus loin en modifiant la description de travail elle-même. Il est vrai que les demandeurs ont admis ne pas remplir toutes les tâches décrites dans la description de travail sur une base régulière. Mais la description de travail, telle qu’acceptée par l’Agence au terme d’un grief, n’en constituait pas moins l’outil de comparaison qui doit être utilisée aux fins de la classification. La description de travail, faut-il le rappeler, témoigne des qualités requises d’un employé pour remplir un poste donné, même s’il peut arriver qu’un employé ne remplisse pas toutes et chacune des fonctions et responsabilités mentionnées dans une description de travail applicable à plusieurs employés. 

 

[35]           La définition même de la description de travail énoncée dans la Politique en matière d’organisation et de classification de l’Agence prévoit qu’il s’agit d’un « document approuvé par le gestionnaire compétent et décrivant les exigences de travail d’un poste. Une description de travail contient tous les renseignements qui, en vertu de la norme de classification pertinente, sont nécessaires à son évaluation ». (Affidavit de Chantal Seeton, Pièce « A », Dossier de la défenderesse, p 29). Dans la même veine, la Cour d’appel fédérale écrivait dans l’arrêt Eksal c Canada (Procureur général), 2006 CAF 50 au para 10, [2006] ACF no 164 :

[10] …Le fait que les titulaires puissent n’être appelés à exercer des fonctions ne correspondant qu’à une partie de ces exigences ne modifie pas la description de poste, ni n’établit que les exigences ne sont plus en vigueur. En fait, les fonctions d’un employé correspondent rarement en tout temps à la totalité des exigences énoncées dans une description de poste. Il en découle que […] la seule comparaison utile est celle qui est faite avec la description de poste.

 

 

[36]           À ce chapitre, il est significatif de constater que le Comité semble avoir eu des doutes sur le mandat qui lui était confié et sur sa compétence à trancher le grief, compte tenu du désaccord entre les parties sur l’élément clé qui sous-tend la classification d’un poste. Voici d’ailleurs ce que le Comité écrit à ce sujet dans son rapport :

Le comité délibère longuement sur la question à savoir s’il a compétence à poursuivre l’étude des griefs compte tenu que les renseignements obtenus des surveillants et des gestionnaires invalident en partie le contenu de la description de travail ; le comité note aussi que certains renseignements obtenus des plaignants eux-mêmes mettent en doute certains aspects des activités principales telles que décrites… 

 

(Dossier des demandeurs, vol. 1, p 16).

 

[37]           Compte tenu de ce constat, le Comité ne pouvait procéder à l’examen du grief de classification et aurait dû s’assurer que les parties s’entendaient sur la description de travail avant d’aller plus loin. Si les gestionnaires n’étaient pas d’accord avec la description des tâches ou croyaient que les demandeurs n’étaient pas véritablement visés par la description de tâches générique qu’on leur a appliquée, ils leur revenaient de déposer un grief de contenu qui aurait été entendu par un arbitre impartial soumis au contrôle judiciaire de cette Cour. Il est d’ailleurs significatif de noter, à ce chapitre, que la gestionnaire qui a accepté la description de travail ne l’a pas vraiment défendue et s’est contenté de dire au comité qu’ « elle avait tout simplement signé une lettre aux plaignants rédigée par les gens des ressources humaines en réponse au grief de relations de travail au sujet du contenu de leur description de travail mais qu’elle n’avait pas nécessairement lu le contenu de la description de travail » (Dossier des demandeurs, vol. 1, p 14). Quoiqu’il en soit, le Comité ne pouvait ignorer ce désaccord fondamental entre la gestion et les demandeurs sur la description de travail et procéder à l’examen du grief de classification en présumant que les renseignements obtenus lui permettraient de faire la part des choses. Le désaccord ne portait pas sur de simples modalités mais sur des aspects essentiels de la description de travail. Dans ce contexte, le Comité ne pouvait se prononcer sur le grief de classification, tel que le stipule l’article 2 du Processus de grief de classification cité plus haut. Voir aussi: Beauchemin c Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2008 CF 186, [2008] ACF no 238 au para 40.

 

[38]           Compte tenu de tout ce qui précède, la Cour est d’avis que le Comité a excédé sa compétence en modifiant le contenu de la description de travail des demandeurs sans leur donner la possibilité de se faire entendre par un arbitre. Contrairement à un grief de classification, un grief portant sur le contenu de la description de travail d’un employé est un grief qui implique l’interprétation de la convention collective, en l’occurrence l’article E 1.01. Par conséquent, un tel grief peut faire l’objet d’un renvoi à l’arbitrage en application des articles 208 et 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, ch 22.

 

[39]           Cette violation des principes de justice naturelle suffirait, à elle seule, à invalider la décision du Comité. Mais il y a plus. La minimisation et même la modification de certaines des tâches attribuées aux demandeurs dans leur description de travail a eu un impact déterminant sur la classification attribuée par le Comité au poste occupé par les demandeurs. Il est vrai, comme le souligne la défenderesse, que la description de travail n’est pas le seul élément dont il faut tenir compte pour déterminer la valeur relative d’un poste. Il faut également le comparer à des postes-repères, le situer dans le contexte organisationnel et tenir compte de la relativité ministérielle. Il n’en demeure pas moins, comme le reconnaît dans son affidavit la gestionnaire de la classification et de la conception organisationnelle de l’Agence, que la description de travail est « cruciale » pour la classification d’un poste : Affidavit de Chantal Seeton, Dossier de la défenderesse, onglet 2, para 14.

 

[40]           Or, une lecture attentive des motifs du Comité sous les rubriques « Nature des travaux »,     « Complexité du travail » et « Responsabilité professionnelle » révèle que le Comité a de toute évidence été influencé par les commentaires des surveillants et des gestionnaires, selon qui plusieurs des travaux et activités principales des demandeurs sont effectués à l’échelle régionale ou provinciale et non au niveau international. Non seulement cette perception a-t-elle induit le Comité à réécrire implicitement la description de travail, mais c’est également l’une des raisons principales pour lesquelles le Comité a écarté les postes-repères et les deux postes de relativité proposés par la représentante syndicale. Ce faisant, le Comité a fait fi du libellé de la description de travail, qui mentionne à plusieurs endroits le caractère national et même international des tâches et responsabilités décrites, pour s’en remettre plutôt au témoignage des surveillants et des gestionnaires à l’effet que ces tâches étaient effectuées à l’échelle régionale ou provinciale. 

 

[41]           La Cour est donc d’avis que le Comité a outrepassé sa compétence et n’a pas respecté le Processus de griefs de classification en modifiant la description de tâches faisant l’objet du grief de classification. Le Comité a usurpé le rôle d’un arbitre de griefs et a par le fait même enfreint les principes de justice naturelle en ne respectant pas la marche à suivre prévue par la convention collective et les propres politiques de l’Agence. Lorsqu’un comité de classification décèle un désaccord fondamental entre les parties quant à la description de tâches dont il doit faire l’évaluation, comme c’était le cas en l’occurrence, il lui incombe de se dessaisir du grief jusqu’à ce qu’il y ait eu entente ou, le cas échéant, décision arbitrale eu égard à la description de tâches. En ne procédant pas de la sorte, le Comité a violé les droits des demandeurs et a rendu une décision déraisonnable. Par conséquent, la décision du Vice-président de rejeter les griefs de classification des demandeurs doit être annulée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, et que la décision du Vice-président rejetant les griefs de classification des demandeurs soit annulée, avec dépens en faveur des demandeurs.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1070-11

 

INTITULÉ :                                      Christiane Allard et al c

                                                            Agence canadienne d’inspection des aliments

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 13 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 10 août 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lise Leduc

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Marie-Josée Montreuil

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sack Goldblatt Mittchell LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.