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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20120803

Dossier : IMM-6119-11

Référence : 2012 CF 967

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 août 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

REGINA SAMUEL

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, Regina Samuel, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 29 juillet 2011 par laquelle un agent d’évaluation des risques avant renvoi (agent d’ERAR) a conclu qu’elle ne serait pas exposée à un risque de persécution ou de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle était renvoyée dans son pays d’origine, Sainte-Lucie.

 

I.          Les faits à l’origine du litige

 

[2]               La demanderesse est arrivée au Canada le 9 mars 2008 après avoir quitté Sainte‑Lucie. Elle a déposé une demande d’asile le 17 août 2009; cependant, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a subséquemment déclaré que cette demande avait été abandonnée, parce que la demanderesse et son avocat ne s’étaient pas présentés à une audience qui avait été fixée.

 

[3]               La demanderesse a d’abord présenté une demande d’ERAR le 11 mars 2011, soutenant qu’elle craignait d’être persécutée et affirmant qu’elle risquait d’être blessée ou tuée par son ex‑conjoint de fait violent, Trevor LaForce (également appelé à l’occasion M. Lafos).

 

[4]               Après avoir examiné la demande de la demanderesse et les arguments de l’avocat de celle‑ci, l’agent d’ERAR a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs au soutien de ses allégations relatives à la violence, aux trois plaintes faites à la police, à une déclaration de culpabilité ainsi qu’aux menaces persistantes.

 

[5]               En ce qui a trait au caractère adéquat de la protection de l’État à Sainte-Lucie, l’agent d’ERAR a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve établissant de façon claire et convaincante que les autorités ne pourraient protéger la demanderesse. L’agent d’ERAR n’était pas convaincu que M. LaForce n’avait pas été arrêté avant qu’elle abandonne ses deux premières plaintes ou que [traduction] « les autorités de Sainte-Lucie n’avaient pas répondu et agi de manière raisonnable après que la demanderesse eut signalé la conduite de M. Lafos ».

 

[6]               Commentant ensuite la preuve documentaire, l’agent d’ERAR a reconnu que la violence familiale était un sérieux problème à Sainte-Lucie et qu’il y avait des cas où les autorités ne réussissaient pas vraiment à protéger certaines femmes. L’agent a néanmoins conclu que la demanderesse aurait accès à une protection, bien qu’imparfaite, eu égard aux efforts déployés dans le passé pour la protéger, aux nouvelles mesures législatives et à l’exemple de l’équipe de soutien aux personnes vulnérables que la police avait mise sur pied en 2007 pour offrir de la surveillance et des conseils dans les cas de violence familiale.

 

II.        Les questions en litige

 

[7]               Les deux questions que la demanderesse a soulevées sont les suivantes :

 

a)         L’agent d’ERAR a-t-il porté atteinte au droit de la demanderesse à l’équité procédurale en ne lui accordant pas d’audience?

b)         L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur lors de l’analyse de la protection de l’État?

 

III.       La norme de contrôle

 

[8]               Les décisions des agents d’ERAR sont généralement susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Hnatusko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 18, 2010 [2010] ACF no 21, aux paragraphes 25 et 26). Cela signifie que l’intervention n’est possible que si la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel posent problème (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

[9]               Cependant, les questions d’équité procédurale nécessitent l’application de la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43).

 

IV.       Analyse

 

A.        Équité procédurale

 

[10]           L’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, énonce les facteurs pertinents quant à la question de savoir si la tenue d’une audience est requise dans le contexte d’une demande d’ERAR :

Facteurs pour la tenue d’une audience

 

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

Hearing — prescribed factors

 

 

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

 

[11]           En se fondant sur ces facteurs, la demanderesse fait valoir que l’agent d’ERAR a commis une erreur en refusant de lui accorder une audience alors qu’il a mis en doute sa crédibilité dans la décision. Pour sa part, le défendeur répond qu’il n’y a eu aucune conclusion défavorable au sujet de la crédibilité en l’espèce, mais simplement une appréciation du caractère suffisant de la preuve présentée par la demanderesse. En conséquence, aucune audience n’était nécessaire.

 

[12]           Dans les décisions rendues sur cette question, une distinction est reconnue entre les conclusions défavorables au sujet de la crédibilité et celles qui mettent en doute le caractère suffisant des éléments de preuve corroborants. Il est vrai que la Cour fédérale a reconnu qu’une audience peut être nécessaire dans certains cas où la crédibilité est mise en doute, mais elle ne l’a fait que dans les cas les plus évidents (voir, par exemple, Zokai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1103, [2005] ACF no 1359, au paragraphe 12; Latifi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1388, [2006] AFC no 1738, aux paragraphes 54 à 60). Dans d’autres circonstances, mes collègues ont souligné qu’aucune audience n’est nécessaire lorsque l’agent d’ERAR évalue le poids ou la valeur probante des éléments de preuve sans se demander s’ils sont crédibles (voir, par exemple, Ferguson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, [2008] ACF no 1308, aux paragraphes 25 à 27, 32 et 33; Cromhout c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1174, [2009] ACF no 1473, aux paragraphes 35 à 38; Cosgun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 400, [2010] ACF no 458, aux paragraphes 34 à 41).

 

[13]           La distinction dépend en bout de ligne de la nature de la décision de l’agent d’ERAR. Voici le passage de la décision qui préoccupe la demanderesse en l’espèce :

[traduction]

Les observations de la demanderesse portent la mention « Affidavits à suivre ». Je n’ai été saisi d’aucun affidavit ou élément de preuve supplémentaire. Il appert du dossier électronique de mon service que la demanderesse n’a déposé aucune observation après la présentation de la preuve.

 

Selon la demande d’ERAR de la demanderesse, la mère et les quatre fils adultes de celle-ci résident tous à Sainte-Lucie. Je souligne que la demanderesse n’a pas présenté le moindre élément de preuve provenant de ces membres de la famille ou d’amis au sujet d’actes de violence que M. Lafos aurait commis ou de récentes menaces qu’il aurait proférées ou encore au sujet de réponses de la part des autorités de Sainte-Lucie. Elle n’a présenté aucun élément de preuve objectif provenant des autorités de Sainte-Lucie et concernant les plaintes qui ont été déposées contre M. Lafos ou la déclaration de culpabilité prononcée contre lui. J’en arrive à la conclusion que la demanderesse n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs à l’appui de ses allégations.

 

[14]           Eu égard à cet extrait, j’aurais tendance à admettre, comme le défendeur l’a souligné, que l’agent d’ERAR s’est attardé principalement à soupeser les éléments de preuve objectifs tout en soulevant des préoccupations au sujet du caractère suffisant de ceux-ci plutôt que de contester indirectement la crédibilité de la demanderesse. Cette constatation m’incite à conclure que l’agent d’ERAR n’a pas porté atteinte au droit à l’équité procédurale de la demanderesse en ne lui accordant pas d’audience – laquelle décision relève toujours du pouvoir discrétionnaire de l’agent – visant à examiner des questions de crédibilité qui ne préoccupaient pas vraiment l’agent d’ERAR lors de l’évaluation de la preuve.

 

[15]           Au soutien de cette conclusion, je réitère les remarques que le juge Russel Zinn a formulées dans la décision Ferguson, susmentionnée, au paragraphe 27, dans la mesure où elles s’appliquent directement à la présente affaire :

[27]      […] S’il n’y a pas corroboration, alors il pourrait ne pas être nécessaire d’évaluer sa crédibilité puisque son poids pourrait ne pas être suffisant en ce qui concerne la charge de la preuve des faits selon la prépondérance de la preuve. Lorsque le juge des faits évalue la preuve de cette manière, il ne rend pas de décision basée sur la crédibilité de la personne qui fournit la preuve; plutôt, le juge des faits déclare simplement que la preuve qui a été présentée n’a pas de valeur probante suffisante, soit en elle-même, soit combinée aux autres éléments de preuve, pour établir, selon la prépondérance de la preuve, les faits pour lesquels elle est présentée. […]

 

[16]           Eu égard à l’ensemble de la preuve, il n’était pas nécessaire que l’agent d’ERAR accorde une audience. Comme je l’explique ci-dessous, j’estime également que l’évaluation de la protection de l’État était raisonnable dans les circonstances.

 

B.        Analyse de la protection de l’État

 

[17]           Après avoir examiné la décision, je ne vois rien qui permet à la demanderesse de soutenir que l’agent d’ERAR n’a pas fourni une analyse suffisamment détaillée des éléments de preuve documentaires contradictoires ou qu’il n’a pas expliqué pourquoi il a accordé une grande importance à certains éléments plus favorables de cette preuve.

 

[18]           L’agent d’ERAR a mené une analyse relativement équilibrée de la preuve documentaire concernant la violence familiale à Sainte-Lucie. Le problème a été reconnu comme un [traduction] « grave problème à Sainte-Lucie, quelques femmes ayant été tuées au cours des dernières années par leurs conjoints ». L’agent d’ERAR a également reconnu qu’il [traduction] « y a des cas où les autorités ne réussissent pas vraiment à protéger certaines femmes ». Cependant, l’agent a étudié ces renseignements à la lumière du fait qu’après la troisième plainte de la demanderesse, M. LaForce a été arrêté et déclaré coupable. L’agent d’ERAR n’était pas convaincu non plus que les autorités n’avaient pas réagi et ne l’avaient pas arrêté après les deux premières plaintes. Enfin, l’agent a relevé certains des changements mis en oeuvre à Sainte-Lucie pour lutter contre le problème de la violence familiale. L’agent d’ERAR n’est pas tenu de mentionner chaque élément de la preuve documentaire (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CA); Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 NR 317, [1992] ACF no 946 (CA)).

 

[19]           Bien qu’imparfaite, la protection a été jugée adéquate. Eu égard à l’aide que les autorités lui ont fournie dans le passé et aux mesures que l’État a prises pour lutter contre le problème, la demanderesse n’a tout simplement pas réussi à présenter des éléments de preuve clairs et convaincants pour réfuter la présomption selon laquelle la protection de l’État serait insuffisante pour les victimes de violence familiale dans un État démocratique comme Sainte-Lucie (Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] ACF no 399, au paragraphe 38).

 

V.        Conclusion

 

[20]           Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

«  D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6119-11

 

INTITULÉ :                                      REGINA SAMUEL c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 27 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 3 août 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Odeleye

 

POUR LA DEMANDERESSE

Bradley Bechard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Babalola, Odeleye

Avocats

North York (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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