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Date : 20120813

Dossier : IMM-6840-11

Référence : 2012 CF 989

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 13 août 2012

En présence de monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

 

BALRAJ KAUR BHATTAL

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], permet au défendeur de lever toute exigence réglementaire si des motifs d’ordre humanitaire le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de tout enfant directement touché. La demanderesse conteste la légalité de la décision rendue par un agent d’immigration le 26 septembre 2011 de rejeter la demande de résidence permanente qu’elle avait présentée de l’intérieur du Canada pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[2]               La présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. La conclusion de l’agent selon laquelle les facteurs invoqués par la demanderesse, qu’ils soient pris séparément ou globalement, ne justifient pas une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47). Il s’avère que l’agent a pris en considération la situation personnelle de la demanderesse en tenant compte de l’ensemble de la preuve et des observations présentées par la demanderesse ou pour son compte par le consultant en immigration. En outre, il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale.

 

[3]               La décision prise par l’agent concernant la question de savoir s’il existe des motifs d’ordre humanitaire est essentiellement de nature factuelle. Depuis Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], les tribunaux ont constamment statué que la norme de contrôle qui s’applique aux décisions de ce type est celle de la raisonnabilité, alors que la norme de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale. Il faut faire preuve d’une retenue considérable envers les conclusions de l’agent (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 62) et la Cour doit s’abstenir de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par l’agent, notamment à l’intérêt supérieur de tout enfant directement touché (Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, au paragraphe 11).

 

[4]               Comme l’indiquent le dossier et les motifs, la demanderesse était, au moment de la présentation de sa demande, une citoyenne de l’Inde âgée de 58 ans qui avait perdu son mari en 1991. Elle a deux enfants adultes : une fille mariée qui vit dans le Pendjab, en Inde, et un fils qui est un résident permanent de la Colombie‑Britannique, au Canada, depuis 2004. Elle a aussi deux petits‑enfants qui sont nés au Canada et qui sont les enfants de son fils et de sa belle‑fille : un petit‑fils et une petite‑fille qui étaient âgés respectivement de cinq et de quatre ans au moment de la présentation de la demande.

 

[5]               La demanderesse a vécu à New Delhi pendant la plus grande partie de sa vie. Elle vivait avec son fils avant qu’il ne s’installe au Canada. Elle avait une source de revenu limitée et c’est son fils qui subvenait à ses besoins à l’époque. La demanderesse est entrée au Canada la première fois le 24 août 2006 pour rendre visite à son fils et à la famille de celui‑ci (sa belle‑fille et son petit‑fils). Elle est restée chez eux jusqu’à ce qu’elle retourne en Inde le 27 janvier 2007. La demanderesse est venue au Canada une deuxième fois le 21 juillet 2010 pour rendre visite à son fils et à ses deux petits‑enfants. En octobre 2010, un peu plus de deux mois après son arrivée, son fils a retenu les services d’un consultant en immigration et il a parrainé la demanderesse qui avait présenté de l’intérieur du Canada une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[6]               Je constate que l’affidavit de la demanderesse, de même que celui de son fils qui a été déposé à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire, renferment des éléments de preuve dont ne disposait pas le décideur. Avant que la demanderesse revienne au Canada en 2010, son fils s’était apparemment séparé de sa femme, laquelle avait quitté la maison avec les enfants. Ce fait important n’est toutefois pas mentionné dans la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire; entre-temps, des actions ont été intentées devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique en matière d’accès et de droits de visite. Le 11 octobre 2011, quelques semaines seulement après le rejet de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, le fils de la demanderesse a obtenu un accès à ses enfants deux fois par semaine. La demanderesse allègue maintenant que, étant donné que son fils travaille à temps plein comme technicien de l’automobile et qu’il doit souvent faire des heures supplémentaires, elle s’occupe de lui et de ses enfants, avec lesquels elle a développé une relation très étroite. En outre, bien qu’elle n’en ait rien dit dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la demanderesse affirme maintenant qu’elle essaie de s’établir au Canada en fréquentant régulièrement le temple sikh local, en participant régulièrement à des activités organisées par sa communauté et en apprenant l’anglais par elle‑même.

 

[7]               La demanderesse explique que ces nouveaux éléments de preuve n’ont pas été portés à l’attention de Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] parce que le consultant en immigration qui s’occupait de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne lui avait pas dit de présenter des observations écrites et des éléments de preuve concernant ses liens et son établissement au Canada. Elle reproche également au consultant de ne pas avoir mis à jour sa demande de façon à ce que la séparation de son fils et de sa belle‑fille et le différend les ayant opposés au sujet de la garde des enfants y soient mentionnés. Il est malheureux pour la demanderesse que des renseignements importants ne se trouvent peut‑être pas dans le dossier de CIC, mais il est bien établi en droit qu’une cour de révision est liée par le dossier dont disposait le tribunal administratif dont la décision fait l’objet du contrôle. Il n’existe, à mon avis, aucune raison particulière ou spéciale en l’espèce de déroger à cette règle générale. Aucune des exceptions reconnues par la jurisprudence ne s’applique à la situation de la demanderesse. Lors de l’audience de la Cour, l’avocat qui représente actuellement la demanderesse a confirmé expressément qu’aucune plainte n’avait été déposée contre l’ancien représentant de celle‑ci. En outre, la demanderesse s’appuie à tort sur la section 5.23 du Guide IP‑5 intitulé Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire [le Guide] et sur Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Kurukkal, 2010 CAF 230 [Kurukkal], un arrêt de la Cour d’appel fédérale, puisque la preuve ne démontre pas en l’espèce qu’une demande de réexamen a déjà été présentée à l’agent.

 

[8]               Lorsqu’il a étudié la demande, l’agent a examiné successivement l’établissement de la demanderesse au Canada, ses liens familiaux dans ce pays, l’intérêt supérieur de ses petits‑enfants nés ici et la difficulté de vivre seule en Inde. Plusieurs arguments avancés maintenant par la demanderesse sont liés au fait que l’agent a tenu compte de son degré d’établissement au Canada. La demanderesse insiste fortement sur le fait que sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne repose pas sur le degré de son établissement au Canada, mais essentiellement sur les liens familiaux étroits qu’elle a dans ce pays et sur son profond désir de vivre auprès de son fils et de ses petits‑enfants. Or, il s’avère que le rejet de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’est pas fondé seulement sur l’absence d’établissement au Canada. Cela étant dit, il n’était pas inapproprié de mentionner qu’il n’y avait au dossier aucune preuve indiquant que la demanderesse avait travaillé ou s’était intégrée d’une autre façon à une communauté au Canada, ou qu’elle avait commencé des cours au Canada, ce qui lui aurait permis de s’établir indépendamment de sa relation avec sa famille. À mon avis, l’agent n’est pas tenu d’examiner uniquement les motifs d’ordre humanitaire invoqués dans la demande : il peut prendre en considération tous les autres facteurs pertinents mentionnés dans le Guide.

 

[9]               En ce qui concerne les liens de la demanderesse avec son fils et ses petits‑enfants, l’agent a reconnu expressément que la demanderesse a des liens affectifs importants avec ses petits‑enfants au Canada. Il a indiqué cependant que ces liens ne seraient pas nécessairement rompus si la demanderesse retournait en Inde. Cette conclusion n’est pas déraisonnable. La preuve démontre que la demanderesse voyage beaucoup et qu’elle veut et peut le faire pour rendre visite à sa famille au Canada et à sa sœur au Royaume-Uni. En outre, l’agent pouvait conclure que, en l’absence de renseignements ou de documents additionnels, il ne disposait pas d’une preuve suffisante démontrant que la famille de la demanderesse vivant au Canada avait besoin des soins et de l’aide de celle‑ci. Cette conclusion est certainement étayée par le fait que la famille avait résidé au Canada sans la demanderesse du 27 janvier 2007 au 21 juillet 2010. En outre, l’agent a affirmé que la séparation temporaire ou permanente des membres d’une famille est une conséquence fréquente et même prévisible de la migration internationale et que la LIPR offre d’autres moyens permettant la réunification des familles grâce à la catégorie du regroupement familial.

 

[10]           Par ailleurs, la demanderesse conteste l’appréciation que l’agent a faite de l’intérêt supérieur de ses petits‑enfants nés au Canada. Selon la jurisprudence, l’intérêt supérieur des enfants n’est pas un facteur déterminant, mais il faut tout de même lui accorder un poids considérable dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire : Legault, ci‑dessus, au paragraphe 12. La demanderesse soutient que l’agent n’a pas examiné précisément l’effet négatif de son absence sur ses petits‑enfants, lesquels ont particulièrement besoin d’elle en ce moment afin de surmonter la séparation de leurs parents. Or, la preuve indiquait que les petits‑enfants vivaient au Canada avec le fils et la belle‑fille de la demanderesse. Comme il a été mentionné précédemment, il incombait à la demanderesse de mettre à jour sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et de porter tout nouvel élément de preuve pertinent à l’attention de l’agent. En l’espèce, l’intérêt des petits‑enfants de la demanderesse a été suffisamment pris en compte si l’on tient compte de la preuve dont l’agent disposait et si l’on suppose que ces enfants sont inclus, sans toutefois trancher la question.

 

[11]           Je constate que l’agent a reconnu expressément, dans la décision contestée, que la demanderesse a des rapports étroits avec ses petits‑enfants et que ceux‑ci bénéficieraient de sa présence au Canada. Il a toutefois conclu que ce facteur seul ne justifiait pas la levée des critères de sélection qui s’appliquent dans le cas des demandes de résidence permanente présentées de l’intérieur du Canada, étant donné : (1) le jeune âge des enfants; (2) la période de temps relativement courte pendant laquelle la demanderesse a été physiquement présente dans leur vie (environ 14 mois entre son admission la plus récente au Canada et la date de la décision); (3) la capacité de la demanderesse de voyager et de rendre visite à sa famille au Canada. À nouveau, l’agent a indiqué qu’il n’y avait rien dans la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qui établissait que le fils et la belle‑fille de la demanderesse n’étaient pas en mesure de bien s’occuper de leurs enfants en l’absence de la demanderesse. Par conséquent, l’agent n’était pas convaincu que les soins donnés aux enfants et leur développement seraient compromis si la demanderesse devait retourner vivre en Inde. Cette conclusion repose sur la preuve et j’estime qu’elle n’est pas déraisonnable.

 

[12]           Pour ce qui est des difficultés auxquelles la demanderesse pourrait être exposée à son retour en Inde, l’agent a indiqué qu’elle avait vécu seule en Inde depuis le départ de son fils en 2004, qu’elle est en bonne santé et qu’elle a une sœur à New Delhi ainsi qu’un frère, son père et une fille au Pendjab, de sorte qu’elle peut décider de s’installer plus près des membres de sa famille si elle craint d’être isolée ou de n’avoir personne près d’elle en cas d’urgence. L’agent a indiqué également que la demanderesse jouit d’une certaine indépendance financière étant donné qu’elle est propriétaire d’une maison et d’une petite terre agricole en Inde et qu’elle a des économies à la banque. Il a conclu que la demanderesse ne serait pas exposée à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives à son retour en Inde à cause de l’absence de soutien ou d’aide de la part de sa famille, que ce soit sur le plan affectif ou financier. Cette conclusion repose également sur la preuve et j’estime qu’elle n’est pas déraisonnable.

 

[13]           La demanderesse soutient qu’il était déraisonnable que l’agent ne tienne pas compte du coût élevé que représentent des voyages réguliers entre l’Inde et le Canada pour une femme de son âge; selon elle, des visites régulières ne sont pas une solution faisable ou durable pour maintenir des rapports avec ses petits‑enfants. Elle soutient également que l’agent aurait dû accorder une plus grande importance au fait que sa fille habite à plus de 300 kilomètres de New Delhi et que, dans la culture indienne, les jeunes mariées vivent chez leur belle‑famille et deviennent un membre de la famille de leur mari. J’estime que les reproches de la demanderesse ne sont pas justifiés. La demanderesse demande simplement à la Cour de conclure que, contrairement à l’opinion de l’agent, elle aura besoin de beaucoup de temps pour mener à bien une demande de résidence permanente présentée de l’extérieur du Canada, ce qui constitue en soi une difficulté inhabituelle et injustifiée pour une femme peu instruite de près de 60 ans. Or, la demanderesse a fait plusieurs voyages au Canada et au Royaume-Uni et a démontré qu’elle était capable de vivre seule en Inde depuis la mort de son mari en 1991 et le départ de son fils au Canada en 2004.

 

[14]           Dans l’ensemble, le raisonnement de l’agent repose sur le bon sens et le régime de la LIPR et n’est ni irrationnel ni arbitraire. En fait, comme l’agent l’a dit, [traduction] « l’appréciation favorable d’une demande de résidence permanente [DRP] fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est une réponse exceptionnelle à un ensemble particulier de circonstances. Une telle demande ne doit pas remplacer une demande de parrainage d’une personne se trouvant à l’étranger au titre de la catégorie du regroupement familial pour des raisons de commodité ou d’opportunité ». La demanderesse n’a pas contesté sérieusement cette affirmation générale de l’agent. En conséquence, la Cour doit se montrer particulièrement déférente à l’égard de la conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse n’a pas produit des renseignements ou des documents suffisants pour le convaincre que sa situation personnelle justifiait la levée des critères de sélection qui s’appliquent dans le cas des demandes de résidence permanente présentées de l’intérieur du Canada.

 

[15]           En conclusion, je ne peux pas conclure que l’agent n’a pas pris en considération l’ensemble de la preuve de la demanderesse et n’a pas apprécié sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en tenant compte de son âge, de ses antécédents culturels, du Guide et des objectifs de la LIPR. Je conclus en outre que l’agent n’a pas manqué à son obligation d’agir équitablement, contrairement à ce que la demanderesse alléguait. L’agent n’avait pas l’obligation de chercher à obtenir des observations ou des renseignements additionnels de la part de la demanderesse. Il incombe aux personnes qui présentent une demande pour des motifs d’ordre humanitaire d’établir les faits sur lesquels celle‑ci est fondée : Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, au paragraphe 8. Enfin, les motifs de l’agent sont clairs et convaincants et, dans l’ensemble, ses conclusions sont étayées par la preuve et sont raisonnables dans les circonstances.

 

[16]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune partie n’a proposé une question grave de portée générale à des fins de certification et l’affaire ne soulève aucune question de ce genre.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6840-11

 

INTITULÉ :                                      BALRAJ KAUR BHATTAL c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 8 août 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 13 août 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gurpreet Badh

 

                            POUR LA DEMANDERESSE

 

Edward Burnet

 

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smeets Law Corporation

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

                            POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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