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Date : 20120810

Dossiers : IMM-8252-11

IMM-535-12

IMM-536-12

 

Référence : 2012 CF 981

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 août 2012

 

En présence de monsieur le juge Rennie

 

ENTRE :

 

Dossier : IMM-8252-11

 

DOUDOU SANE

 

 

 

demandeur

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

ET ENTRE :

 

 

 

Dossier : IMM-535-12

 

DOUDOU SANE

 

 

demandeur

et

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

défendeur

 

ET ENTRE :

 

 

 

Dossier : IMM-536-12

 

DOUDOU SANE

 

 

demandeur

et

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue par l’agent principal Spigelski (l’agent d’ERAR), en date du 22 août 2011, relativement à la demande d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) (IMM-8252-11) qu’il avait présentée en vertu de l’article 112 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

 

[2]               Le demandeur sollicite également le contrôle judiciaire des décisions de l’agent d’exécution Desmarais (l’agent d’exécution) de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) de rejeter, en date du 11 janvier 2012 (IMM‑535‑12) et du 16 janvier 2012 (IMM‑536‑12), les deux demandes qu’il avait présentées afin que son renvoi au Sénégal, qui était fixé au 28 janvier 2012, soit reporté jusqu’à ce que la Cour ait statué sur ses demandes de contrôle judiciaire.

 

[3]               La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

 

Les faits

[4]               Le demandeur, Doudou Sane, est un citoyen du Sénégal.

 

[5]               Le demandeur a vécu aux États‑Unis pendant huit ans, mais il est retourné à Dakar, au Sénégal, en février 2005. En 2006, il est allé avec un ami à Casamance, au Sénégal, afin de régler l’héritage d’un bien que lui avait légué son père. Le demandeur et son ami auraient été ciblés par des rebelles et par des forces gouvernementales. Ils ont été enlevés par l’armée, conduits dans un camp et détenus pendant deux jours. Le demandeur affirme qu’il s’est échappé du camp avec l’aide d’un soldat. À son retour à Dakar, lui et son ami ont reçu des appels téléphoniques de menaces. Le demandeur soutient que son ami est maintenant disparu.

 

[6]               Le demandeur s’est enfui du Sénégal et est arrivé au Canada le 24 mars 2007, avec en main un visa de visiteur. Il a demandé l’asile le 31 mai 2007. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté sa demande le 1er juin 2010 parce qu’il n’était pas crédible car il avait témoigné d’une voix hésitante et que son témoignage comportait de nombreuses contradictions. Le demandeur n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de cette décision.

 

[7]               Le 6 octobre 2010, la police sénégalaise a remis à la mère du demandeur un avis de convocation ou ce qui semble être une assignation à comparaître adressée à ce dernier.

 

[8]               Le 9 mars 2011, le demandeur a présenté une demande d’ERAR qui a automatiquement entraîné le sursis de son renvoi (Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2001‑227, article 232). Une décision défavorable a été rendue relativement à cette demande le 22 août 2011 et lui a été communiquée le 9 novembre suivant. En conséquence, le sursis a pris fin et le renvoi du demandeur au Sénégal a été fixé au 28 janvier 2012.

 

[9]               Le 10 janvier 2012 et le 13 janvier 2012, le demandeur a présenté des demandes afin que son renvoi au Sénégal soit reporté jusqu’à ce que des décisions soient rendues relativement à ses demandes de contrôle judiciaire. Les demandes ont été rejetées par l’agent d’exécution le 11 janvier 2012 et le 16 janvier 2012 respectivement.

 

[10]           Le 18 janvier 2012, le demandeur a demandé le contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue relativement à sa demande d’ERAR et des rejets de ses demandes de report. Il a ensuite, par requête, demandé à la Cour de surseoir à son renvoi jusqu’à ce qu’elle ait statué sur sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Le 24 janvier 2012, la Cour a accueilli la requête et a ordonné qu’il soit sursis au renvoi du demandeur au Sénégal qui était fixé au 28 janvier 2012.

 

[11]           La demande de contrôle visant les rejets de ses demandes de report n’a maintenant plus aucun intérêt pratique dans la mesure où le demandeur a obtenu ce qu’il demandait dans ces demandes, ses requêtes en sursis ayant été accueillies par la Cour. La détermination du caractère raisonnable de la décision de l’agent d’exécution n’aurait aucun effet pratique sur les droits du demandeur. Un sursis a été accordé, le demandeur est resté au Canada et son renvoi au Sénégal n’est plus prévu. Les demandes relatives au refus de reporter son renvoi (IMM‑535‑12 et IMM‑536‑12) sont donc rejetées.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

[12]           L’agent d’ERAR a examiné l’allégation du demandeur et la décision de la SPR. Il a souligné que les allégations contenues dans la demande d’ERAR étaient identiques à celles présentées à la SPR. Il a souligné également que le demandeur avait produit de nouveaux éléments de preuve matériels – l’avis de convocation de la police ainsi que plusieurs articles portant sur le traitement des prisonniers au Sénégal – au soutien de ces allégations. Il a fait remarquer que l’avis de convocation de la police ne précisait pas le motif de la convocation et ne mentionnait pas le présumé risque invoqué par le demandeur. Selon l’agent d’ERAR, le document ne démontrait pas le risque allégué par le demandeur; il n’a donc pas été pris en compte dans le cadre de la demande d’ERAR. Quant aux neuf autres documents sur les conditions générales existant au Sénégal, l’agent d’ERAR était d’avis qu’ils n’établissaient pas les risques allégués par le demandeur, et il a conclu que celui‑ci n’avait pas produit une preuve suffisante pour démontrer qu’il serait exposé à un risque personnalisé s’il était renvoyé au Sénégal.

 

[13]           En conséquence, la demande a été rejetée.

 

La norme de contrôle et les questions en litige

[14]           La première question soulevée par la présente demande consiste à déterminer si la décision de l’agent d’ERAR était raisonnable : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; Tindale c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 237, au paragraphe 5.

 

Analyse

[15]           Le demandeur prétend que l’agent d’ERAR a commis une erreur lorsqu’il a écarté l’avis de convocation de la police et qu’il a omis de reconnaître que les règles techniques de présentation de la preuve ne s’appliquent pas dans le contexte d’une demande d’ERAR. À mon avis cependant, le demandeur demande essentiellement à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve sur cette question et de parvenir à une conclusion qui lui serait favorable. Or, ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Duran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1271, au paragraphe 41.

 

[16]           L’agent d’ERAR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle lorsqu’il a analysé et apprécié les nouveaux éléments de preuve pertinents, ni lorsqu’il a tiré la conclusion générale selon laquelle le demandeur n’avait pas démontré qu’il serait exposé à un risque personnalisé s’il était renvoyé au Sénégal. L’avis de convocation indique que le demandeur doit se présenter à la Direction générale de la sûreté nationale du Sénégal, sans donner plus de détails. Le demandeur devait produire de nouveaux éléments de preuve au soutien de sa demande d’ERAR aux termes de l’alinéa 113a) de la LIPR, mais il ne l’a pas fait. Il était loisible à l’agent d’ERAR de refuser de tenir compte de l’avis de convocation de la police car celui‑ci ne mentionnait pas le motif de la convocation, ni le risque invoqué par le demandeur. 

 

[17]           En outre, comme le défendeur le fait valoir, les articles sur le traitement des prisonniers au Sénégal qui ont été présentés à l’agent d’ERAR ne démontrent pas que le risque allégué par le demandeur avait fondamentalement changé entre la date de la décision de la SPR et la date de la demande d’ERAR. Enfin, l’agent d’ERAR a raisonnablement déterminé, en se fondant sur des éléments de preuve documentaire matériels, qu’il n’y avait aucune raison de croire qu’une personne ayant le profil du demandeur serait exposée à davantage qu’une simple possibilité d’être persécutée au Sénégal. L’agent pouvait tirer ces conclusions compte tenu de la preuve dont il disposait.

 

[18]           Une demande d’ERAR présentée par un demandeur d’asile débouté n’est pas un appel ou un réexamen de la décision de la SPR. Bien qu’une demande d’ERAR puisse nécessiter l’examen de certains ou de la totalité des mêmes points de fait ou de droit qu’une demande d’asile, j’ai indiqué dans Tindale c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 237, au paragraphe 6, qu’« [i]l est de jurisprudence constante qu’il n’est pas loisible à celui qui présente une demande d’ERAR de plaider de nouveau la demande d’asile dont il a été débouté ».

 

[19]           Je suis convaincu également par l’argument du défendeur selon lequel ce n’est pas parce que la preuve documentaire démontre que la situation dans un pays est problématique du point de vue du respect des droits de la personne que l’on doit nécessairement en déduire un risque pour un individu donné : Jarada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 409, au paragraphe 28. Comme le défendeur l’indique, le profil des personnes susceptibles d’être en danger est une conclusion de fait de l’agent d’ERAR qui commande une grande déférence.

 

[20]           Le demandeur soutient en outre que l’agent d’ERAR a appliqué la mauvaise norme de preuve lorsqu’il a apprécié la preuve, en particulier l’avis de convocation. L’agent a rejeté le document parce qu’il [traduction] « […] ne donnait aucune indication du présumé risque invoqué par le demandeur », qu’il [traduction] « ne prouvait pas le risque allégué » et qu’il [traduction] « ne [serait] pas pris en compte dans la présente demande ».

 

[21]           L’agent d’ERAR devait adopter la norme et l’approche appropriées à l’égard de la preuve. Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur parce qu’il a placé la barre trop haut en employant à tort l’expression [traduction] « exigeant la preuve » car cette expression suppose un certain degré de certitude ou une certaine valeur probante qui dépasse la norme de la prépondérance des probabilités.

 

[22]           Je conviens avec le demandeur que les termes employés ne reflètent pas la précision associée à un débat réfléchi sur la norme de preuve dans une cour de justice. Il était cependant loisible à l’agent de conclure, comme il l’a fait, que le document n’avait absolument aucune valeur probante. À mon avis, les motifs indiquent que l’avis de convocation a été rejeté parce qu’il n’avait aucune valeur probante ou qu’il avait une valeur probante si faible qu’on ne pouvait pas considérer qu’il établissait les faits ou les risques que le demandeur cherchait à tirer du document. En somme, après avoir lu le passage en tenant compte du contexte et des défauts relevés par l’agent d’ERAR, je ne pense pas qu’il s’agisse d’une mauvaise description de la norme de preuve. Il s’agit plutôt d’une déclaration sur le caractère suffisant ou adéquat du document pour établir les faits importants en litige.

 

[23]           En conséquence, la demande concernant la décision défavorable rendue relativement à la demande d’ERAR du demandeur (IMM‑8252‑11) est rejetée. 

 

[24]           Les présents motifs règlent les trois demandes de contrôle judiciaire en cause : IMM‑8252‑11, IMM‑535‑12 et IMM‑536‑12.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.                  Les demandes de contrôle judiciaire présentées dans les affaires IMM-535-12 et IMM‑536‑12 n’ont pas d’intérêt pratique et sont rejetées.

2.                  La demande de contrôle judiciaire présentée dans l’affaire IMM-8252-11 est rejetée.

3.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8252-11

INTITULÉ :                                      DOUDOU SANE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

DOSSIER :                                        IMM-535-12

INTITULÉ :                                      DOUDOU SANE c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

DOSSIER :                                        IMM-536-12

INTITULÉ :                                      DOUDOU SANE c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 24 juillet 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 10 août 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Dov Maierovitz

 

                   IMM-8252-11/IMM-535-12/IMM-536-12

                   POUR LE DEMANDEUR

 

Nina Chamdy

                  IMM-8252-11/IMM-535-12/IMM-536-12

                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gertler, Etienne LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

                   IMM-8252-11/IMM-535-12/IMM-536-12

                   POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

                   IMM-8252-11/IMM-535-12/IMM-536-12

                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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