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Date : 20120620

Dossier: IMM-8876-11

Référence : 2012 CF 785

Montréal (Québec), le 20 juin 2012

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

 

J JESUS HERNANDEZ GUTIERREZ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               Le fardeau de preuve de démontrer la non-viabilité d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] incombe au demandeur. En l’espèce, il n’a pas été démontré que les éléments de preuve non mentionnés par la Section de la protection des réfugiés [SPR] sont pertinents à la viabilité des PRI envisagées.

 

 

II. Procédure judiciaire

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR], à l’encontre d’une décision de la SPR, rendue le 10 novembre 2011, selon laquelle le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention tel que défini à l’article 96 de la LIPR ni la qualité de personne à protéger selon l’article 97 de la LIPR.

 

III. Faits

[3]               Monsieur J Jesus Hernandez Gutierrez est un citoyen mexicain.

 

[4]               Le demandeur allègue être persécuté, à Querétaro, dans l’État de Querétaro, par monsieur Jose Luis Alvarado Tapia, un entrepreneur pour le compte de qui il était à l’emploi en tant que chauffeur de taxi durant deux ans.

 

[5]               En novembre 2008, le demandeur aurait signé avec monsieur Jose Luis Alvarado Tapia un contrat d’achat de taxi par lequel le véhicule était soumis à une garantie de six mois. En vertu de ce contrat de vente, le demandeur devait respecter plusieurs échéances de paiement.

 

[6]               Au mois de mars 2009, à la suite de problèmes mécaniques avec le véhicule, le demandeur s’entretient avec monsieur Jose Luis Alvarado Tapia pour se prévaloir de la garantie. Il s’ensuit une querelle entre les deux hommes.

 

[7]               Le 16 mars 2009, le demandeur retient les services d’un avocat et entreprend de poursuivre monsieur Jose Luis Alvarado Tapia en justice. Le demandeur prétend qu’il se serait heurté au refus des autorités en raison de l’influence de monsieur Jose Luis Alvarado Tapia.

 

[8]               Le 19 mars 2009, le demandeur allègue avoir été agressé physiquement chez lui par monsieur Jose Luis Alvarado Tapia et ses gardes du corps qui lui réclamaient la somme restante de l’achat sous peine de le tuer. Le demandeur aurait été hospitalisé.

 

[9]               Le demandeur s’est réfugié chez sa mère à Salamanca, à une heure de Querétaro où il allègue avoir été retrouvé par monsieur Jose Luis Alvarado Tapia. En effet, il aurait vu, le 30 mars 2009, un véhicule circuler lentement devant la maison.

 

[10]           Le 3 mai 2009, le demandeur s’est réfugié chez ses beaux-parents à Caderyta, dans l’État de Querétaro.

 

[11]           Le 14 mai 2009, sans sa femme et son enfant, le demandeur a pris l’avion pour le Canada où il a demandé l’asile.

 

IV. Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[12]           La SPR a conclu que le demandeur avait une PRI dans les villes plus éloignées de Monterrey, Oaxaca ou Veracruz.

 

[13]           La SPR en vient à cette conclusion, car elle estime que son persécuteur n’a pas la motivation de le retracer. Elle précise que les occupants du véhicule ayant circulé devant la maison de sa mère ne l’ont pas aperçu.

 

[14]           Se basant sur la preuve documentaire, la SPR est d’avis qu’il est peu probable que le persécuteur puisse retrouver le demandeur à l’aide de ses renseignements personnels étant donné que le Mexique a pris des mesures pour lutter contre la corruption.

 

[15]           La SPR souligne également que l’épouse et l’enfant du demandeur sont restés au Mexique, chez les beaux-parents, et n’ont pas été importunés par le persécuteur.

 

V. Point en litige

[16]           La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant à la viabilité d’une PRI?

 

VI. Dispositions législatives pertinentes

[17]           Les dispositions suivantes de la LIPR s’appliquent au présent cas :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

VII. Position des parties

[18]           Le demandeur soutient que la SPR n’a pas pris en compte la preuve documentaire qui lui a été présentée et le fait que l’agent persécuteur était son employeur. Ainsi, ce dernier a accès à tous ses renseignements personnels qui lui permettront de le retracer partout au Mexique. Le demandeur serait, donc, dans l’obligation de vivre caché. Le demandeur prétend que la SPR aurait dû discuter des éléments de preuves contraires à sa conclusion.

 

[19]           Le défendeur soutient que la SPR a raisonnablement conclu à une PRI étant donné qu’elle n’estimait pas que le demandeur pouvait être retrouvé. Le défendeur soutient également que la SPR  a considéré toute la preuve à laquelle elle n’était pas tenue de référer. De plus, le défendeur soumet que la preuve non citée ne remet pas en question la PRI ou la motivation du persécuteur à retrouver le demandeur.

 

VIII. Analyse

[20]           La norme de contrôle applicable à cette question est celle de la raisonnabilité. Un haut degré de déférence est requis envers l’appréciation de la preuve de la SPR (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708); Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 703).

 

[21]           La Cour, dans Kumar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 601, a résumé ainsi le test applicable pour conclure à une PRI :

[20]      Pour que la Commission puisse conclure que le demandeur a une PRI viable et sûre, le critère à deux volets suivant, qui a été énoncé et appliqué dans les arrêts Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.), et Thirunavukkarasu, précité, doit être rempli :

 

(1) la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d'être persécuté dans la partie du pays où il existe une PRI;

 

(2) la situation dans la partie du pays où il existe une PRI doit être telle que, compte tenu de toutes les circonstances y compris de sa situation personnelle, il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, de s'y réfugier. [La Cour souligne].

 

[22]           La SPR a appliqué le test précédant en tenant compte des circonstances du cas notamment le fait que le persécuteur, monsieur Jose Luis Alvarado Tapia, l’employeur du demandeur, avait accès à ses renseignements personnels (Décision de la SPR au para 25).

 

[23]           Tout d’abord, en ce qui concerne les craintes du demandeur d’être retracé, relatives au premier volet du test, la SPR s’est référé à la preuve documentaire, spécifiquement, l’onglet 2.4 du Cartable national de documentation du 20 avril 2011, intitulé Mexique : situation des témoins des crimes et de la corruption, des femmes victimes de violences et des victimes de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle daté de février 2007. Ce document mentionne les informations suivantes :

3.3 Possibilité de retrouver les personnes qui ont fui des situations violentes

 

            Aucun des informateurs ne connaissait de cas où des témoins de crimes ou de corruption aient été retrouvés par leurs agresseurs à l'aide des bases de données ou des registres gouvernementaux (CDHFFV 28 nov. 2006; PGR 21 nov. 2006; ibid . 22 nov. 2006a; ibid . 24 nov. 2006). En particulier, Jorge Rosas Garcia du SIEDO, Beatriz Gonzalez Dominguez de l'AFI et Carlos Garduno du SDHAVSC n'avaient pas connaissance de cas où des groupes criminels aient utilisé des registres nationaux tels que la base de données de l'Institut électoral fédéral (Instituto Federal Electoral — IFE) pour retrouver des personnes qui s'étaient réinstallées ailleurs (ibid . 21 nov. 2006; ibid. 22 nov. 2006a; ibid . 24 nov. 2006). D'après Octavio Diaz Garcia du SFP, même si de gros efforts ont été faits pour améliorer le contenu des registres nationaux tels que celui de l'IFE, il n'existe toujours pas au Mexique de base complète de données personnelles d'identification (21 nov. 2006). Les deux registres nationaux les plus importants sont la base de données de l'IFE qui contient entre autres choses les adresses des personnes, et la base des codes uniques d'inscription de la population (Clave Unica de Registro de Poblacion — CURP) qui contient les dates de naissance des personnes (SFP 21 nov. 2006).

 

            La loi interdit au grand public l'accès aux registres nationaux, dont la base de données de l'IFE (PGR 21 nov. 2006; ibid . 22 nov. 2006a). De plus, les agents de police fédéraux ne peuvent consulter la base de données de l'IFE que sur présentation d'une ordonnance de la cour et d'une permission écrite du ministère public (ibid. 21 nov. 2006). Dans le cas de la base de données des passeports, les organismes fédéraux d'application de la loi comme l'AFI ne peuvent y accéder qu'après en avoir fait une demande écrite à l'instance appropriée du ministère public (ibid . 22 nov. 2006a).

 

Selon Jorge Rosas Garcia du SIEDO, il est beaucoup plus facile de retrouver des personnes en interrogeant des membres de leur famille ou leurs amis qu'en passant par les registres nationaux (PGR 24 nov. 2006). De plus, selon lui et selon Alfonso Castillo Garcia du CDHFFV, le registre national de la propriété qui est accessible au grand public est un autre moyen de retrouver des personnes, même si, à leur connaissance, ce registre n'a jamais été utilisé de cette manière (ibid; CDHFFV 28 nov. 2006). Jorge Rosas Garcia a fait remarquer que cette méthode ne serait possible que si la personne recherchée y avait fait enregistrer une propriété (PGR 24 nov. 2006). [La Cour souligne].

 

[24]           La preuve documentaire étaye, donc, le raisonnement de la SPR selon lequel le demandeur ne serait pas retrouvé au Mexique grâce à ses renseignements personnels. La SPR n’a pas exigé que le demandeur vive caché dans les PRI envisagées. 

 

[25]           Ensuite, le demandeur prétend que la SPR a écarté certains éléments de preuve. Le raisonnement avancé dans Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 FTR 35 s’applique au cas présent :

[15]      La Cour peut inférer que l'organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée " sans tenir compte des éléments dont il [disposait] " du fait qu'il n'a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l'organisme. Tout comme un tribunal doit faire preuve de retenue à l'égard de l'interprétation qu'un organisme donne de sa loi constitutive, s'il donne des motifs justifiant les conclusions auxquelles il arrive, de même un tribunal hésitera à confirmer les conclusions de fait d'un organisme en l'absence de conclusions expresses et d'une analyse de la preuve qui indique comment l'organisme est parvenu à ce résultat. [La Cour souligne].

 

[26]           La Cour note que les preuves suivantes n’ont pas été mentionnées par la SPR :

a)         Lettre d’un avocat témoignant des démarches entreprises pour porter plainte contre monsieur Jose Luis Alvarado Tapia;

b)         Preuve médicale attestant des blessures subies par le demandeur;

c)         Lettres de témoignages de la famille du demandeur et de tiers témoin de l’agression;

d)         Preuve du contrat de vente et d’éléments de preuve liant monsieur Jose Luis Alvarado Tapia au demandeur.

 

[27]           Pour réussir dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur ne doit pas seulement se contenter de relever la preuve soumise n’ayant pas été mentionnée par le tribunal, encore faut-il que cette preuve soit pertinente aux conclusions ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En effet, l’examen attentif de ces preuves révèle que ces dernières ne sont pas contraires aux conclusions de la SPR relatives à la viabilité de la PRI. Ces preuves apportent, tout au plus, une corroboration des parties du récit du demandeur que la SPR n’a pas remis en question. En effet, elle n’a pas douté de l’existence du persécuteur ni de l’agression du demandeur.

 

[28]           De plus, à la lecture de la décision et du procès-verbal d’audience, cette Cour est convaincue que la SPR n’a pas indûment écarté la preuve testimoniale. La SPR a, entre autres, tenu compte des tentatives du demandeur de se cacher de son persécuteur au Mexique, avant sa venue au Canada. Le demandeur n’a pas démontré que la SPR a tiré des conclusions sans tenir compte de la preuve versée au dossier qui affecterait la viabilité des PRI envisagées.

 

[29]           Enfin, le deuxième volet du test de la PRI appliqué par la SPR est raisonnable. En outre, la SPR n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de chercher refuge dans les villes envisagées.

 

[30]           En conséquence, la conclusion de PRI est raisonnable.

 

IX. Conclusion

[31]           Pour les motifs énoncés ci-dessus, l’intervention de cette Cour n’est pas requise. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur soit rejetée. Aucune question d’importance générale à certifier.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8876-11

 

INTITULÉ :                                      J JESUS HERNANDEZ GUTIERREZ c

LE MINISSTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             le 19 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                             LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                     le 20 juin 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alain Vallières

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Salima Djerroud

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Alain Vallières

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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