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Date : 20120820

Dossier : IMM‑497‑12

Référence : 2012 CF 1002

[traduction FRANÇAISE certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 20 août 2012

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

 

CUIXIA HUANG

 

 

 

demanderesse

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse demande le contrôle judiciaire de la décision, rendue le 2 décembre 2011, par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR), décision qui a rejeté ses demandes de protection fondées sur l’article 96, et sur le paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR).

 

[2]               La demanderesse est une citoyenne de la République populaire de Chine (la Chine). Elle allègue que sa grand‑mère, qui était une adepte du Falun Gong depuis 1995, l’y a initié en 2006. La grand‑mère de la demanderesse pensait que le Falun Gong pourrait aider au soulagement de ses douleurs menstruelles. Auparavant, la demanderesse avait recherché, en vain, à soigner son état de santé au moyen de traitements médicaux.

 

[3]               En mai 2009, la demanderesse est venue au Canada pour faire ses études. Le 30 octobre 2009, la demanderesse a reçu un appel téléphonique de sa mère l’informant que le Bureau de la sécurité publique (BSP) était allé à la résidence familiale pour l’arrêter, en raison de sa participation aux activités du Falun Gong. La demanderesse a déposé une demande d’asile en novembre 2009.

 

[4]               La SPR a conclu que la question déterminante dans la présente affaire était la crédibilité de la demanderesse. La SPR a basé son évaluation sur : le récit de la demanderesse fourni dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le témoignage de la demanderesse relativement à la discipline du Falun Gong, les actions déclarées du BSP. La SPR a conclu que la demanderesse n’était pas un témoin crédible, et qu’elle n’était pas recherchée en Chine, par le BSP, pour ses activités liées au Falun Gong. La SPR a aussi conclu qu’il n’existait pas de possibilité sérieuse que la demanderesse soit persécutée en Chine, si elle y retournait.

 

[5]               La question qui se pose dans la présente demande est de savoir si la SPR a tiré des conclusions déraisonnables sur la crédibilité, et sur la vraisemblance. Plus précisément, la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’était pas une authentique adepte du Falun Gong était‑elle raisonnable?

 

[6]               La Cour suprême du Canada a décidé, dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190 (Dunsmuir), qu’il y a seulement deux normes de contrôle : la norme de la décision correcte pour les questions de droit, et la norme du caractère raisonnable pour les questions mixtes de fait et de droit, et pour les questions de fait. Dunsmuir, aux paragraphes 50 et 53. La Cour suprême a aussi décidé que, lorsque l’analyse de la norme de contrôle a déjà eu lieu, elle ne doit pas être reprise. Dunsmuir, au paragraphe 57. La Cour a décidé que, les conclusions en matière de vraisemblance et de crédibilité sont de nature factuelle. La norme de contrôle applicable aux évaluations en matière de crédibilité et de vraisemblance est la norme de la raisonnabilité, et elle doit être appliquée avec un degré de déférence très élevé.

 

[7]               La demanderesse allègue que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la demanderesse n’était pas une authentique adepte du Falun Gong. La demanderesse allègue que cette conclusion était fondée en grande partie sur l’évaluation erronée de ses connaissances du Falun Gong. La demanderesse soutient que la SPR s’est livrée à une analyse trop rigoureuse et microscopique de ses connaissances religieuses. De plus, allègue la demanderesse, la SPR a erronément soupesé le témoignage donné par la demanderesse sur cette question, à partir de sa propre conception erronée de ce qu’une personne se trouvant dans la même situation que la demanderesse saurait ou comprendrait ou devrait savoir ou comprendre.

 

[8]               Le défendeur soutient que la Cour a reconnu auparavant que la SPR est en droit de faire sa propre analyse de l’authenticité de la foi d’un demandeur, lorsqu’elle a fourni des motifs détaillés de la conclusion selon laquelle la foi du demandeur n’était pas authentique ou, lorsqu’elle a conclu que le demandeur a acquis ses connaissances religieuses pour étayer sa demande d’asile frauduleuse. Selon le défendeur, si on s’en tient à ces principes, il n’était pas déraisonnable que la SPR s’attende de la demanderesse, en tant que membre prétendu du Falun Gong qui le pratiquait depuis cinq ans, connaisse l’histoire, les principes et les pratiques du Falun Gong.

 

[9]               Les tribunaux ont indiqué que c’est la sincérité de la conviction qui importe, et non pas de savoir si, la croyance ou la pratique est prescrite selon les représentants religieux, et la Cour est qualifiée pour statuer sur cette sincérité, en tant que question de fait.

 

[10]           La Cour a eu plusieurs occasions de se pencher sur la question en litige dans la présente affaire. Au paragraphe 20 de la décision Dong c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 55, le juge Kelen a formulé la conclusion suivante :

 

Pour évaluer la connaissance que possède un demandeur du christianisme, la Commission ne devrait pas adopter une norme de connaissance aussi déraisonnablement élevée ou mettre l’accent sur « quelques erreurs ou malentendus au point d’en faire une analyse microscopique » : Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), (1989), 99 N.R. 168, [1989] A.C.F. no 444 (QL) et des affaires ultérieures : Huang c. Canada (MCI), 2008 CF 346, 69 Imm. L.R. (3d) 286, par le juge Mosley, au paragraphe 10; Chen c. Canada (MCI), 2007 CF 270, 155 A.C.W.S. (3d) 929, par le juge Barnes, au paragraphe 16.

 

 

[11]           Plus récemment, au paragraphe 61 de la décision Lin c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 288, le juge Russell a déclaré :

 

Compte tenu du critère très peu exigeant que notre Cour impose aux demandeurs d’asile pour démontrer leurs connaissances religieuses, je suis d’avis que, comme dans l’affaire Huang, la SPR s’est livrée en l’espèce à une analyse trop rigoureuse et microscopique des connaissances que le demandeur avait du Falun Gong. La SPR a commis une erreur en évaluant le témoignage donné par le demandeur sur cette question à partir de sa propre conception erronée de ce qu’une personne se trouvant dans la même situation que le demandeur saurait ou comprendrait ou devrait savoir ou comprendre. Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que, ce faisant, la SPR a fondé sa conclusion qu’il n’était pas un adepte authentique du Falun Gong sur des exigences déraisonnables et impossibles à respecter en ce qui concerne la connaissance du Falun Gong. La SPR a également négligé de tenir compte du fait, comme le juge Francis Muldoon l’a expliqué dans le jugement Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF no 1131, que « les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu ».

 

 

[12]           L’enquête faite par les tribunaux (et les organismes administratifs) sur les croyances religieuses doit être menée avec précaution, vu le caractère subjectif et personnel des croyances religieuses d’une personne. Dans l’arrêt Syndicat Northcrest c Amselem, 2004 CSC 47 (Amselem), la Cour suprême du Canada a déclaré que, les demandeurs qui invoquent la liberté de religion ne devraient pas être tenus d’établir la validité objective de leurs croyances en apportant la preuve que d’autres les reconnaissent comme telles. La Cour suprême a indiqué qu’une personne doit établir la sincérité de sa croyance, et non pas que sa croyance est valide :

 

50        [...] Les tribunaux devraient donc éviter d’interpréter — et ce faisant de déterminer —, explicitement ou implicitement, le contenu d’une conception subjective de quelque exigence, « obligation », précepte, « commandement », coutume ou rituel d’ordre religieux.  Statuer sur des différends théologiques ou religieux ou sur des questions litigieuses touchant la doctrine religieuse amènerait les tribunaux à s’empêtrer sans justification dans le domaine de la religion.

 

51        Cela dit, bien que les tribunaux ne soient pas qualifiés pour se prononcer sur la validité ou la véracité d’une pratique ou croyance religieuse, ou pour choisir parmi les diverses interprétations d’une croyance, ils sont qualifiés pour statuer sur la sincérité de la croyance du demandeur, lorsque cette sincérité est effectivement une question litigieuse : voir Jones, précité; Ross, précité. Toutefois, il importe de souligner qu’une croyance sincère s’entend simplement d’une croyance honnête : voir Thomas c. Review Board of the Indiana Employment Security Division, précité.

 

[...]

 

53        L’appréciation de la sincérité est une question de fait qui repose sur une liste non exhaustive de critères, notamment la crédibilité du témoignage du demandeur (voir Woehrling, loc. cit., p. 394) et la question de savoir si la croyance invoquée par le demandeur est en accord avec les autres pratiques religieuses courantes de celui-ci. Cependant, il est important de souligner qu’il ne convient pas que le tribunal analyse rigoureusement les pratiques antérieures du demandeur pour décider de la sincérité de ses croyances courantes [....]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[13]           La SPR a mené une enquête rigoureuse et microscopique des connaissances de la demanderesse sur le Falun Gong. Cela ressort de la transcription de l’audience, et de la décision de la SPR. Après avoir examiné les réponses de la demanderesse aux questions portant sur les pratiques et la philosophie du Falun Gong, la SPR a déclaré ce qui suit :

 

36  Le tribunal estime que la demandeure d’asile a appris quelques concepts liés au Falun Gong. Il souligne que la demandeure d’asile a traité du « karma » dans une déposition précédente, mais que les réponses qu’elle a données démontrent qu’elle ne sait pas appliquer ses connaissances liées au Falun Gong dans sa vie quotidienne.

 

37  Le tribunal souligne que la demandeure d’asile a 15 années de scolarité. Comme il a été mentionné précédemment, il est réaliste pour le tribunal de s’attendre à ce que la demandeure d’asile ait une connaissance pratique supérieure à la moyenne du contenu du Zhuan Falun et de la plupart des concepts présentés et qu’elle sache comment appliquer le tout dans sa vie quotidienne.

 

38  Le tribunal souligne que, pour une personne qui ne comprend pas les philosophies du Falun Gong, les exercices de Falun Gong ne sont pas plus bénéfiques que les autres types d’exercices de qigong. Étant donné que la demandeure d’asile ne comprend pas de nombreux principes et de nombreuses philosophies du Falun Gong et qu’elle n’a pas su expliquer certains des principaux concepts du Zhuan Falun, le tribunal estime, selon la prépondérance des probabilités, que la demandeure d’asile n’a pas étudié le Zhuan Falun et qu’elle n’est donc pas une véritable pratiquante du Falun Gong. Le tribunal tire une conclusion défavorable de la connaissance limitée qu’a la demandeure d’asile du Falun Gong et du fait quelle attache très peu d’importance à la compréhension et à l’adoption de la philosophie du Falun Gong.

 

 [Non souligné dans l’original.]

 

 

[14]           La SPR a conclu que la demanderesse a bien certaines connaissances des concepts du Falun Gong, mais la SPR a décidé que la demanderesse omettait de les appliquer dans sa vie quotidienne. La SPR a jugé les connaissances de la demanderesse sur le Falun Gong selon des connaissances au‑dessus de la moyenne. De telles affirmations révèlent que la SPR a évalué les connaissances de la demanderesse eu égard à une norme de connaissances élevée, et à la philosophie du Falun Gong, au lieu d’évaluer la sincérité des croyances de la demanderesse.

 

[15]           La SPR va plus loin, et elle conclut que la demanderesse n’est pas une adepte de la discipline du Falun Gong, la SPR déclare que « [l]a demandeure d’asile aurait facilement pu acquérir au Canada la connaissance qu’elle a du Falun Gong, dans le dessein de faire accepter une demande d’asile frauduleuse ». Une conclusion relative à fraude requiert une norme de preuve stricte, puisqu’elle exige une intention de tromper. Lorsque la SPR donne à penser que la demanderesse avait une intention frauduleuse, cela étaye l’inférence selon laquelle la SPR soumet la demanderesse à une norme de connaissances religieuses élevée, qui est bien au‑delà de la norme de connaissances religieuses relativement peu élevée nécessaire pour l’établissement de la sincérité des croyances.

 

[16]           Enfin, la SPR a fait abstraction des exercices liés à la pratique du Falun Gong faits par la demanderesse; la SPR a estimé qu’il s’agissait simplement d’exercices de qi gong. Ce faisant, la SPR fait fi des indications de la Cour suprême du Canada, au paragraphe 50 de l’arrêt Amselem selon lesquelles : « [l]es tribunaux devraient donc éviter d’interpréter — et ce faisant de déterminer — explicitement ou implicitement, le contenu d’une conception subjective de quelque exigence, « obligation », précepte, « commandement », coutume ou rituel d’ordre religieux. »

 

[17]           La Cour conclut donc que, la SPR a soumis la demanderesse à une norme de connaissances du Falun Gong déraisonnablement élevée, et la SPR a imposé sa propre conception du Falun Gong à la demanderesse. La Cour décide que la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’était pas une authentique adepte du Falun Gong était déraisonnable. Étant donné que cette conclusion est le fondement des autres conclusions de la SPR, selon lesquelles la demanderesse n’était pas recherchée par le BSP en Chine, la décision de la SPR ne peut pas être confirmée.

 

[18]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

[19]           Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à des fins de certification, et la Cour conclut qu’aucune n’est soulevée en l’espèce.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SPR est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui‑ci statue à nouveau sur l’affaire.

 

  1. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LLM., M.A.Trad.jur

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                               IMM‑497‑12

 

INTITULÉ :                                             CUIXIA HUANG

                                                            c

                                                                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                    LE 23 JUILLET 2012

 

MOTIFS DE JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                   LE JUGE MANDAMIN

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 20 AOÛT 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Elyse Korman

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Suran Bhattacharyya

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Otis & Korman

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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