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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20120815

Dossier : IMM-8521-11

Référence : 2012 CF 998

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 août 2012

En présence de madame la juge Gleason

 

 

ENTRE :

 

SHI JIE LI

(aussi appelé SHIJIE LI)

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR ou la Commission] a, le 27 octobre 2011, rejeté les demandes fondées sur l’article 96 et le paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR ou la Loi], présentées par le demandeur.

 

[2]               Le demandeur, citoyen de la République populaire de Chine, et plus particulièrement de Shijiazhuang, dans la province de Hebei, soutient qu’il était membre d’une maison‑église chrétienne clandestine qui a fait l’objet d’une descente par le bureau de la sécurité publique [le BSP] en 2010. Il allègue s’être caché après la descente et avoir appris, pendant qu’il était caché, que des membres du BSP s’étaient rendus à son domicile pour le trouver et que d’autres membres de son église avaient été arrêtés. Le demandeur s’est enfui de la Chine le 18 juillet 2010 avec l’aide d’un passeur de clandestins, et il a demandé la protection du Canada. Il affirme avoir appris depuis lors que le BSP est retourné à son domicile à de nombreuses occasions, et il a produit auprès de la SPR une lettre de sa mère visant à confirmer ces visites.

 

[3]               Une fois arrivé au Canada, le demandeur est devenu membre d’une église pentecôtiste (la Living Stone Assembly à Scarborough, en Ontario) et il se dit chrétien pratiquant. Il a déposé à la SPR un double d’une lettre du pasteur de son église attestant qu’il allait régulièrement à l’église, un baptistaire ainsi que plusieurs photographies le montrant en train de participer à des activités liées à l’église. Le demandeur allègue qu’en raison de ses croyances, il serait exposé à un risque s’il retournait en Chine.

 

La décision de la SPR

[4]               La Commission a conclu que la demande du demandeur était dépourvue d’un minimum de fondement et qu’il n’avait donc ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La conclusion relative à la crédibilité reposait sur la tentative infructueuse, par le demandeur, d’obtenir un visa étudiant en 2009, soit bien avant sa conversion alléguée au christianisme et la présumée descente effectuée à sa maison‑église. Dans son témoignage devant la Commission, le demandeur a déclaré ne rien savoir au sujet d’une demande de visa étudiant, malgré le fait que le dossier relatif au visa renfermait une photographie de lui, son numéro de passeport ainsi que sa date de naissance. Le dossier relatif au visa comportait en outre de faux documents concernant la profession et les biens des parents du demandeur ainsi que des précisions quant aux antécédents de ce dernier qui contredisaient complètement celles qu’il a données dans le cadre de sa demande d’asile.

 

[5]               La Commission a découvert quelque peu par hasard la demande de visa étudiant du demandeur, pendant l’audience, lorsque le commissaire a remarqué dans le dossier une mention obscure relative à un refus antérieur d’un visa étudiant et qu’il a posé des questions à ce sujet au demandeur. Celui‑ci a affirmé qu’il n’avait aucune connaissance d’une demande de cette nature. Au cours d’un ajournement de l’audience, le commissaire a appelé à l’Agence des services frontaliers du Canada, qui lui a fourni des copies des notes figurant dans le Système de soutien des opérations des bureaux locaux, communément appelé le « SSOBL », qui confirmaient l’existence de la demande de visa étudiant antérieure du demandeur. À la reprise de l’audience, le demandeur a continué d’affirmer qu’il n’était pas au courant de cette demande. La SPR a alors ajourné l’audience pendant plusieurs semaines pour obtenir des doubles de l’ensemble des documents liés à la demande de 2009 et pour permettre au demandeur de les examiner. À la reprise de l’audience, le demandeur a confirmé que la demande de visa étudiant frauduleuse comportait sa photographie, les mêmes numéro et date d’expiration que ceux figurant sur son propre passeport ainsi que sa date de naissance exacte. Il a toutefois continué de nier toute connaissance de cette demande. La Commission ne l’a pas cru.

 

[6]               Pendant l’audience, le commissaire a interrogé le demandeur sur ses connaissances du christianisme et le demandeur a réussi à répondre à de nombreuses questions touchant les préceptes fondamentaux de la foi chrétienne. Il ne pouvait cependant pas se rappeler à quelle date on avait célébré Pâques en 2010. Dans sa décision, la SPR a accordé une grande importance à cette omission parce que, cette année‑là, cette fête tombait la semaine précédant la descente alléguée. Selon la Commission, si le demandeur avait réellement fréquenté l’église de façon assidue en Chine, comme il l’a affirmé, il aurait dû se souvenir que le dimanche de Pâques était tombé juste une semaine avant la descente effectuée à son église.

 

[7]               À la lumière de ces faits, la Commission a conclu que le demandeur n’était pas un chrétien pratiquant en Chine, que la descente alléguée à sa maison‑église n’avait pas eu lieu et que, contrairement à ses dires, aucun des autres présumés fidèles de son église n’avait été arrêté ou emprisonné. Lorsqu’elle a tiré cette conclusion, la Commission n’a donné que peu de poids à une [traduction] « carte de visite en prison » ou à la lettre de la mère du demandeur visant à confirmer que le BSP s’était présenté chez elle à la recherche du demandeur. La Commission a conclu que le premier document n’était pas authentique et n’a accordé qu’un poids négligeable à la lettre de la mère du demandeur parce que les parents de ce dernier s’étaient rendus complices de l’élaboration de la demande de visa étudiant antérieure frauduleuse.

 

[8]               Après avoir conclu que le demandeur n’avait pas été un chrétien pratiquant en Chine, la Commission s’est penchée sur la demande d’asile sur place du demandeur, ou sur son allégation voulant qu’il ait obtenu le statut de réfugié par suite de son adhésion au christianisme au Canada. Lorsqu’elle a examiné cette demande, la Commission a d’abord cru citer James Hathaway, auteur de l’ouvrage intitulé The Law of Refugee Status (Toronto, Butterworths, 1991), en affirmant qu’il avait écrit ce qui suit : [traduction] « une personne qui, en guise de stratagème, manipule délibérément les circonstances dans le but de créer un véritable risque de persécution qui n’existait pas au préalable ne peut pas être réputée appartenir à cette catégorie [soit celle des personnes pouvant légitimement présenter une demande d’asile sur place] » (décision, au paragraphe 40). Comme il est mentionné plus loin, cette citation n’est pas tirée de l’ouvrage The Law of Refugee Status. Cependant, comme il est également mentionné plus loin, cela n’a aucune incidence sur le caractère raisonnable de la décision de la Commission.

 

[9]               À la lumière de ses conclusions relatives à la crédibilité, la Commission a estimé que le demandeur s’était joint à une église chrétienne au Canada uniquement en vue d’étayer une demande d’asile frauduleuse. Elle n’a accordé que peu ou pas de poids à la lettre du pasteur, au baptistaire et aux photographies liées à l’église déposés par le demandeur. Elle a ensuite conclu en ces termes, au paragraphe 41 de la décision, que le demandeur n’était pas un véritable chrétien :

Le tribunal conclut, compte tenu des conclusions susmentionnées, que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur d’asile est devenu membre d’une église chrétienne au Canada dans le seul but de donner du poids à une demande d’asile frauduleuse. Compte tenu du contexte exposé ci‑dessus et de l’ensemble de la preuve présentée, le tribunal conclut que le demandeur d’asile n’est pas un véritable chrétien pratiquant, qu’il ne l’a jamais été et qu’il ne serait pas perçu comme tel en Chine. Je ne crois pas qu’il pratiquerait le christianisme s’il retournait en Chine.

 

 

[10]           La SPR a donc rejeté la demande du demandeur en concluant qu’il n’avait pas réussi à s’acquitter de son obligation d’établir l’existence d’une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté ou qu’il soit exposé à une menace à sa vie, à la torture ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait en Chine.

 

Questions à trancher

[11]           Le demandeur fait valoir que la décision de la SPR doit être annulée parce que les conclusions relatives à la crédibilité sont déraisonnables. Il soutient à cet égard que la demande de visa étudiant présentée à l’extérieur du Canada ne peut suffire à attaquer sa crédibilité et que le fait que la Commission se soit appuyée sur son incapacité à se rappeler la date de Pâques est déraisonnable. À l’appui de ce dernier point, il avance que cette conclusion de la Commission repose à tort sur des « futilités religieuses » et qu’il y a donc lieu d’annuler la décision, comme ce fut le cas dans Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1030, au paragraphe 13, 206 ACWS (3d) 800; Dong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 55, au paragraphe 20, [2010] ACF no 54, et Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 929, au paragraphe 22, [2009] ACF no 1143. D’après le demandeur, la Commission a également omis de tenir compte d’éléments de preuve établissant l’authenticité de ses croyances et pratiques religieuses. En outre, elle n’aurait pas dû prendre en considération les raisons pour lesquelles il s’est joint à la Living Stone Assembly et a participé aux activités de celle‑ci puisque, selon le droit canadien, l’existence ou l’absence d’un motif de bonne foi pour s’engager dans des activités susceptibles d’étayer une demande d’asile sur place est dénuée de pertinence en ce qui concerne l’appréciation de la validité d’une telle demande.

 

[12]           Le défendeur, quant à lui, prétend que la Commission pouvait légitimement tirer une inférence défavorable de la demande de visa étudiant du demandeur et de son incapacité à se souvenir de la date de Pâques. Sur ce point, l’avocate précise que la décision de la SPR repose non pas sur le fait que l’incapacité du demandeur à se rappeler cette date dénote un manque de connaissance du christianisme, mais bien sur son incapacité à situer dans le temps, par rapport au dimanche de Pâques, la descente alléguée, ce dont le demandeur aurait dû se souvenir s’il avait, comme il l’a affirmé, fréquenté l’église de façon assidue. À la lumière de ces faits, le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur ne fréquentait pas une maison‑église en Chine. Le défendeur avance en outre que la Commission n’a pas accordé une importance indue aux raisons qui ont motivé le demandeur et que sa conclusion voulant que ce dernier n’ait pas établi qu’il était un véritable chrétien au Canada est raisonnable compte tenu du manque de crédibilité du demandeur et de l’absence d’autres éléments de preuve quant à la sincérité de ses croyances. Le défendeur signale à cet égard qu’il n’était pas déraisonnable pour la Commission d’accorder peu ou pas de poids à la lettre du pasteur, aux photographies et au baptistaire produits par le demandeur.

 

[13]           À la lumière de ce qui précède, la présente affaire soulève quatre questions :

1.   Quelle est la norme de contrôle applicable aux erreurs qui, selon le demandeur, auraient été commises par la SPR?

2.   Les conclusions de la Commission concernant la crédibilité étaient‑elles raisonnables?

3.   La Commission a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a tenu compte des raisons ayant incité le demandeur à se joindre à l’église de la Living Stone Assembly?

4.   La Commission a‑t‑elle apprécié d’une manière raisonnable le manque de sincérité de l’adhésion du demandeur au christianisme?

 

Quelle est la norme de contrôle applicable aux erreurs qui, selon le demandeur, auraient été commises par la SPR?

 

[14]           La norme de contrôle fondée sur le caractère raisonnable s’applique à chacune des erreurs alléguées. Il est bien établi que les conclusions relatives à la crédibilité, à titre de conclusions de faits, commandent l’application de la norme du caractère raisonnable (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, [1993] ACF no 732 (CA), au paragraphe 4; Singh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 169 NR 107, [1994] ACF no 486 (CA), au paragraphe 3; et Cetinkaya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 8, au paragraphe 17, [2012] ACF no 13). Les questions relatives à la prise en compte des raisons pour lesquelles le demandeur pratique le christianisme au Canada et au caractère raisonnable de la décision de la SPR sont étroitement liées : l’absence d’un motif de bonne foi a joué un rôle important dans la décision de la SPR voulant que les croyances du demandeur ne soient pas sincères. Les conclusions tirées par la Commission sur ces points intéressent des questions mixtes de fait et de droit, lesquelles sont assujetties à la norme de contrôle de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 51, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], voir également Xin Cai Hou (alias Xincai Hou) c Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2012 CF 933).

 

[15]           La norme de la raisonnabilité est rigoureuse et elle oblige la cour chargée de la révision à faire preuve de déférence à l’égard de la décision d’un tribunal; la cour de révision peut s’immiscer dans le processus décisionnel uniquement si elle est convaincue que les motifs du tribunal ne sont pas justifiés, transparents ou intelligibles et que la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Lorsque la cour de révision applique cette norme appelant la déférence, il importe peu qu’elle souscrive aux conclusions du tribunal, qu’elle eût rendu une décision différente ou qu’elle eût pu suivre un autre raisonnement. Dès lors que les motifs sont compréhensibles et que la décision appartient aux issues rationnelles susceptibles d’être étayées par les faits et les règles de droit applicables, la cour de révision ne peut infirmer la décision d’un tribunal inférieur sur le fondement de la norme de la décision raisonnable.

 

Les conclusions de la Commission concernant la crédibilité étaient-elles raisonnables?

[16]           Comme il est mentionné plus haut, le demandeur allègue qu’il était déraisonnable pour la Commission de conclure qu’il avait présenté une demande de visa étudiant frauduleuse en 2009 et de s’appuyer sur son incapacité à se rappeler la date de Pâques en 2010. À mon avis, aucune de ces observations n’est fondée.

 

[17]           En ce qui a trait à la demande de visa étudiant frauduleuse, le dossier pertinent renferme la photographie du demandeur, son numéro de passeport ainsi que la date à laquelle celui‑ci a été délivré. Le demandeur était incapable d’offrir la moindre précision pour expliquer comment ces renseignements et sa photographie ont pu se retrouver dans le dossier relatif au visa étudiant. En l’absence d’une quelconque explication de ce genre, la Commission a naturellement conclu que le demandeur s’est rendu complice de l’élaboration de cette demande, et il s’agit en conséquence d’une conclusion raisonnable. En outre, la demande d’asile du demandeur est viciée par sa tentative antérieure frauduleuse d’entrer au Canada; cela montre qu’il était disposé à employer des moyens malhonnêtes pour pouvoir entrer au pays. À cet égard aussi, il est tout naturel d’inférer de ce fait qu’un motif analogue sous‑tend la demande d’asile du demandeur. La Commission pouvait donc légitimement s’appuyer sur ce facteur comme raison importante pour ne pas croire les allégations du demandeur relatives aux événements qui se seraient déroulés en Chine et pour conclure que le demandeur n’était pas un croyant sincère.

 

[18]           En ce qui concerne le fait que la Commission se soit fondée sur l’incapacité du demandeur à se souvenir de la date de Pâques en 2010, l’observation formulée par le défendeur est convaincante. La Commission n’a pas conclu que cette incapacité dénotait un manque de connaissance des préceptes de la religion chrétienne; elle a plutôt estimé que cela minait l’allégation du demandeur voulant que son église ait été l’objet d’une descente. Comme l’a signalé la SPR dans sa décision, Pâques est l’une des principales fêtes de la religion chrétienne, et il n’est pas croyable qu’un nouveau fidèle ne se souvienne pas de la proximité de Pâques à un événement aussi important qu’une descente effectuée à son église, s’il avait réellement fréquenté cette église chaque semaine comme il l’a affirmé. De plus, lorsqu’il a été interrogé sur ces points, le demandeur a cherché des faux‑fuyants et il a fait marche arrière quant à la fréquence où son pasteur allait à l’église. Il était donc raisonnable pour la Commission de conclure que l’incapacité du demandeur à se rappeler la date de Pâques constituait un facteur permettant de tirer une inférence défavorable concernant sa crédibilité.

 

[19]           En conséquence, aucune des raisons avancées par le demandeur pour justifier l’annulation des conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité n’est probante.

 

La Commission a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a tenu compte des raisons ayant incité le demandeur à se joindre à l’église de la Living Stone Assembly?

 

[20]           Contrairement à ce qu’allègue le demandeur, la jurisprudence reconnaît que la SPR peut, dans les cas appropriés, tenir compte des motifs pour lesquels une personne adhère à une pratique religieuse au Canada. Cependant, la conclusion voulant qu’un demandeur ait été motivé à pratiquer une religion au Canada en vue d’étayer une demande d’asile frauduleuse ne peut, à elle seule, justifier le rejet de la demande. La conclusion selon laquelle le demandeur était motivé par un désir d’étayer sa demande d’asile n’est que l’un des facteurs dont la SPR peut tenir compte pour apprécier la sincérité des croyances religieuses d’un demandeur.

 

[21]           La sincérité de ces croyances doit être examinée dans les cas où, comme en l’espèce, la poursuite d’une pratique religieuse dans le pays d’origine pourrait faire courir un risque au demandeur. Si les croyances ne sont pas authentiques, il n’y a alors aucun risque puisque le demandeur ne pratiquerait vraisemblablement pas sa nouvelle religion dans son pays d’origine si son adhésion à celle‑ci est uniquement motivée par un désir d’étayer une demande d’asile. Par ailleurs, il pourrait bien arriver qu’un demandeur, initialement motivé à adhérer à une religion pour ce genre de raison, finisse par avoir la foi et devienne un véritable fidèle. C’est ce qui semble s’être produit dans l’affaire Ejtehadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 158 [Ejtehadian]. Selon la Cour, le demandeur avait initialement commencé à pratiquer le christianisme pour étayer sa demande d’asile, mais il est ensuite devenu un prêtre au sein de l’église mormone.

 

[22]           Au moment de se pencher sur la notion de demande sur place en droit canadien, il convient d’abord d’examiner l’arrêt Ghazizadeh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 465, 154 NR 236, où la Cour d’appel fédérale a conclu que « […] le concept tout entier du réfugié “sur place” exige d’évaluer la situation du pays d’origine du requérant après qu’il l’a quitté ». Le tribunal a donc annulé la décision de la Commission parce qu’elle était axée sur le fait que le requérant avait obtenu un timbre de sortie de l’Iran, et non sur le risque que des événements subséquents survenus dans ce pays lui feraient courir s’il devait y retourner.

 

[23]           Dans une suite de décisions récentes, le présent tribunal a examiné les exigences applicables en matière de demande sur place fondée sur la religion. La première de ces décisions, l’affaire Ejtehadian, intéresse un demandeur devenu chrétien après son départ de l’Iran. La Commission a rejeté sa demande après avoir conclu que sa conversion n’était pas authentique parce qu’il était devenu chrétien pour pouvoir demeurer au Canada et demander l’asile. Il importe de signaler que, dans cette affaire, contrairement à celle dont je suis saisie, la Commission disposait d’éléments de preuve établissant que les déserteurs sont persécutés et exécutés en Iran et que, par conséquent, le simple fait d’avoir abandonné sa foi (par opposition à la pratique continue de sa religion) aurait pu étayer le motif de persécution. En outre, il semble que le demandeur se soit converti et soit devenu un fidèle sincère puisque, comme il est mentionné plus haut, il a reçu la prêtrise au sein de l’église mormone. Lorsqu’il a infirmé la décision de la SPR, le juge Blanchard a fait remarquer que la Commission avait mal formulé le critère applicable en matière de demande d’asile sur place et il a conclu ce qui suit à la lumière des faits propres à cette affaire : « En évaluant les risques auxquels le demandeur pourrait faire face à son retour, dans le cadre d’une demande d’asile sur place, il est nécessaire de tenir compte de la preuve crédible de ses activités au Canada, indépendamment des motifs derrière sa conversion ».

 

[24]           Dans une série de décisions récentes touchant des demandeurs chinois, la Cour a appliqué la décision Ejtehadian et a conclu, d’une part, que la Commission ne pouvait rejeter une demande sur place pour manque de crédibilité ou parce que la demande se fonde sur un motif inacceptable et, d’autre part, qu’elle doit plutôt apprécier l’authenticité de la pratique religieuse du demandeur pour décider s’il sera exposé à un risque s’il retourne dans le pays d’origine (voir Jin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 595, [2012] ACF no 677 [Jin]; El Aoudie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 450, [2012] ACF no 487 [El Aoudie]; Hannoon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 448, [2012] ACF no 480 [Hannoon]; Jia cv Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 444, [2012] ACF no 463; Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 205 [Huang]; Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 614 [Wang]; Yin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 544 [Yin]; Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 677, [2009] ACF no 1391 [Chen]). Dans bon nombre de ces décisions, les conclusions de la SPR ont été annulées parce que cette dernière n’avait pas effectué une analyse de l’authenticité de la pratique religieuse de la partie demanderesse et qu’elle s’était contentée de rejeter sur‑le‑champ les demandes sur le seul fondement d’un motif inacceptable (voir El Aoudie, Hannoon, Yin, Chen). En revanche, dans les décisions Jin et Wang, la Commission a fait état du motif douteux avancé à l’appui de la conversion du demandeur, mais elle a néanmoins examiné le caractère authentique de cette conversion, puis conclu que celle‑ci en était dépourvue. La Commission a fondé ses conclusions sur le manque de crédibilité des demandeurs, sur le fait qu’ils avaient fabriqué des histoires quant à leur adhésion au christianisme en Chine et sur leur manque de connaissance des particularités de la religion qu’ils alléguaient pratiquer. Comme elle a estimé que les demandeurs n’étaient pas de véritables pratiquants, la SPR a conclu qu’ils ne pratiqueraient pas cette religion s’ils retournaient en Chine et qu’ils n’étaient donc exposés à aucun risque.

 

[25]           L’assertion selon laquelle [traduction] « [...] une personne qui, en guise de stratagème, manipule délibérément les circonstances dans le but de créer un véritable risque de persécution qui n’existait pas au préalable ne peut pas être réputée appartenir à [...] » la catégorie des demandeurs d’asile sur place (assertion que la SPR a, à tort, attribuée à James Hathaway, comme il est mentionné plus haut, au paragraphe 8), ne reflète pas l’état du droit au Canada. Elle ne reflète pas non plus les opinions du professeur Hathaway sur la question.

 

[26]           Comme l’a signalé le juge Zinn dans la décision Huang (ci‑dessus, au paragraphe 24), loin d’affirmer qu’un motif de mauvaise foi invalide la demande d’asile, M. Hatahaway souscrit plutôt à l’analyse exposée plus haut. Le juge Zinn s’est exprimé ainsi :

[traduction] Il ne s’ensuit pas toutefois que toutes les personnes se livrant à l’étranger à des activités qui ne mettent pas véritablement en évidence une opinion politique oppositionnelle sont exclues de la définition de réfugié. Même s’il est évident que la déclaration ou l’acte délibéré était frauduleux, en ce sens qu’il s’expliquait principalement par la volonté d’obtenir l’asile, le fait que la demandeure d’asile se soit vue imputer conséquemment une opinion politique négative par les autorités de son pays d’origine peut néanmoins faire en sorte qu’elle soit visée par la définition de réfugié au sens de la Convention. Étant donné que le droit des réfugiés vise essentiellement l’octroi d’une protection contre des actes déraisonnables de l’État, il devrait être procédé à une analyse des risques de préjudice en cas de retour, en raison des activités politiques effectuées de façon non sincère à l’étranger.

 

Cette question se pose particulièrement lorsqu’il est allégué que le fait d’avoir présenté une demande d’asile non fondée peut en soi poser un risque sérieux de persécution. Même si ces cas constituent peut‑être les exemples les plus évidents d’une tentative « d’arriver à ses fins », le tribunal doit néanmoins prendre clairement acte des risques à l’égard des droits de la personne fondamentaux en cas de retour, qui peuvent découler du fait que l’État a imputé une opinion politique répréhensible à la demandeure d’asile, et il doit évaluer ces risques. Le simple fait que la demandeure d’asile puisse subir une certaine forme de sanction peut ne pas être suffisamment important pour constituer de la persécution, mais il existe clairement des situations où les conséquences du retour peuvent être considérées comme donnant naissance à une crainte bien fondée de persécution. Par exemple, dans Slawomir Krzystof Hubicki, la preuve démontrait que, en vertu du droit criminel polonais de l’époque, le demandeur d’asile était passible d’une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de huit ans parce qu’il avait présenté une demande d’asile au Canada. En pareille situation, le fondement de la demande n’est pas l’activité frauduleuse ou l’assertion elle‑même, mais plutôt l’opinion politique ou la déloyauté imputée à la demandeure d’asile par l’État d’origine. Dans un tel cas, la gravité de l’atteinte conséquente et les autres critères définitionnels devraient être évalués pour déterminer si le statut de réfugié est justifié.

 

 

 

[27]           À la lumière de ce qui précède, le simple fait que la Commission a pris en compte et s’est appuyée sur le motif invoqué par le demandeur pour se joindre à la Living Stone Assembly et pour pratiquer ses activités n’a pas pour effet d’invalider sa décision. Il m’appartient plutôt, dans le cadre de la présente demande, de décider si la SPR a tiré une conclusion raisonnable lorsqu’elle a conclu que le demandeur n’était pas un véritable chrétien.

 

La Commission a‑t‑elle apprécié d’une manière raisonnable le manque de sincérité de l’adhésion du demandeur au christianisme?

 

[28]           Comme je l’ai déjà précisé, la norme de la décision raisonnable est rigoureuse et elle empêche la cour de révision de substituer son opinion à celle de la SPR. Je le répète, dès lors que les motifs sont compréhensibles et que la décision appartient aux issues rationnelles susceptibles d’être étayées par les faits et les règles de droit applicables, la cour de révision ne peut infirmer la décision d’un tribunal inférieur sur le fondement de la norme de la décision raisonnable. L’application de ce critère à la décision de la SPR voulant que les croyances du demandeur ne soient pas sincères débouche sur la conclusion selon laquelle la décision doit être confirmée puisque les motifs offerts par la SPR étaient compréhensibles et que la décision rendue peut être étayée par les faits et les règles de droit applicables.

 

[29]           En particulier, il incombait au demandeur d’établir la sincérité de ses croyances. La conclusion de la Commission voulant qu’il ne se soit pas acquitté de cette obligation se fondait sur son appréciation de la crédibilité du demandeur : il avait manifestement fabriqué une histoire quant à ce qui s’est produit en Chine, il avait menti pendant son témoignage devant la Commission et il n’avait présenté aucune preuve convaincante d’une expérience de conversion au Canada. À l’exception de la lettre du pasteur, du baptistaire et des photographies, aucun élément de preuve n’a été produit par le demandeur pour étayer son assertion voulant qu’il soit un véritable chrétien. La Commission n’était nullement obligée d’accepter ces documents à titre de preuve de la sincérité des croyances religieuses du demandeur, surtout à la lumière du manque de crédibilité du demandeur et de sa tentative frauduleuse antérieure d’entrer au Canada. À cet égard, je souscris aux propos suivants tenus par le juge Pinard au paragraphe 20 de la décision Jin (ci‑dessus, au paragraphe 24) :

[…] il serait absurde d’accueillir une demande d’asile sur place chaque fois qu’un pasteur fournit une lettre attestant l’adhésion d’un demandeur à son église.

 

[30]           Le demandeur avance que son cas peut être distingué des décisions Jin et Wang (ci‑dessus, au paragraphe 24) parce que dans celles‑ci, contrairement à la présente affaire, le tribunal a conclu que les connaissances qu’avaient les demandeurs de la religion à laquelle ils avaient affirmé adhérer étaient insuffisantes. Aucune conclusion en ce sens n’a été tirée par la Commission en l’espèce et, en réalité, lorsqu’il a interrogé le demandeur à ce sujet à l’audience, le commissaire s’est déclaré satisfait des connaissances de ce dernier en matière de christianisme. L’avocat soutient qu’en l’absence d’un manque de connaissance du christianisme, il était déraisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur n’était pas un fidèle sincère parce que, dans les faits, cette conclusion ne se fonde sur rien de plus que le motif inacceptable pour lequel le demandeur se serait joint à l’église de la Living Stone Assembly.

 

[31]           Je ne suis pas d’accord et j’estime que la tentative d’établir une distinction avec les décisions Jin et Wang n’est pas convaincante. Comme je l’ai déjà signalé, les conclusions relatives au motif et à la sincérité dégagées par la Commission en l’espèce sont étroitement liées. Néanmoins, la décision de cette dernière voulant que le demandeur manque de sincérité reposait aussi sur son appréciation de la crédibilité du demandeur, sur le fait qu’il avait menti sous serment et sur son omission d’offrir une quelconque preuve convaincante susceptible d’expliquer pourquoi il faudrait considérer sous un angle différent son allégation relative à sa pratique du christianisme au Canada et son allégation mensongère voulant qu’il ait pratiqué le christianisme en Chine. À la lumière de ces facteurs, la conclusion de la Commission était raisonnable.

 

[32]           Lorsque la SPR estime, comme en l’espèce, que l’assertion d’un demandeur selon laquelle il est victime de persécution religieuse à l’étranger est une fabrication, il est tout à fait raisonnable qu’elle exige un degré de preuve beaucoup plus élevé de la sincérité des croyances et des pratiques religieuses du demandeur pour établir le bien‑fondé d’une demande sur place que celui susceptible d’être exigé si le simple fait d’abandonner sa foi peut donner lieu à de la persécution ou si la Commission croit que le demandeur a été victime de persécution religieuse à l’étranger. Autrement, il serait bien trop facile d’obtenir gain de cause dans le cadre d’une demande d’asile frauduleuse : un demandeur malhonnête n’aurait qu’à se joindre à une église et à étudier sa religion pour présenter une demande sur place. Or, la preuve de l’adhésion à une église et de la connaissance de ses préceptes ne peut être assimilée à une preuve établissant que le particulier serait exposé à un risque s’il retournait dans son pays d’origine. Dans le contexte d’un pays comme la Chine, où les chrétiens sont persécutés non pour l’abandon de leur foi, mais bien pour la pratique de leur religion, le demandeur doit convaincre la SPR qu’il continuera de pratiquer sa religion dans ce pays. À la lumière des faits en l’espèce, il était entièrement raisonnable pour la Commission de conclure qu’il était improbable que le demandeur continue de pratiquer sa religion en Chine. La Commission a formulé des motifs compréhensibles qui se fondaient sur les faits dont elle était saisie.

 

[33]           Pour ces motifs, aucun des moyens avancés au soutien de l’annulation de la décision de la Commission n’est fondé. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[34]           Les parties n’ont pas soumis de question à certifier en vertu de l’article 74 de la LIPR, et aucune n’est soulevée en l’espèce.


JUGEMENT

 

LA COUR statue que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée;

3.                  Il n’y a aucune adjudication des dépens.

 

 

 

 

« Mary J.L. Gleason »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8521-11

 

INTITULÉ :                                      SHI JIE LI (AUSSI APPELÉ SHIJIE LI) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :             Le 12 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 15 août 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marvin Moses

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nadine Silverman

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Marvin Moses Law Office

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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