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Date : 20120829

Dossier : IMM-6222-11

Référence : 2012 CF 1029

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 août 2012

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

 

ENTRE :

MIHAELA MAXIM

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Mihaela Maxim (la demanderesse) en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR], à l’encontre de la décision du 27 juin 2011 par laquelle Julie Fréchette, agente des visas (l’agente) au bureau canadien des visas de Vienne (Autriche), a refusé sa demande de permis de travail au motif qu’elle n’avait pas rempli les exigences de l’article 112 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR].

 

1. Les faits

[2]               La demanderesse est née en Roumanie le 21 mars 1973 et a la citoyenneté hongroise. Ayant obtenu un visa de visiteur, elle est entrée au Canada le 20 juin 2009 pour rendre visite à son frère. Ce visa a expiré le 20 décembre 2010. La demanderesse est mariée et a un enfant qui réside en Hongrie.

 

[3]               Le 21 février 2011, l’ambassade du Canada à Vienne (l’ambassade) a reçu la « demande d’un permis de travail présentée à l’extérieur du Canada » (la demande de permis de travail) de la demanderesse pour un emploi d’aide familiale auprès d’une femme de 76 ans vivant à Baie-d’Urfé (Québec).

 

[4]               Le 23 juillet 2010, la demanderesse a reçu un avis relatif au marché du travail (AMT) favorable pour le poste, valide jusqu’au 22 janvier 2011. Aussitôt après, elle a demandé un certificat d’acceptation du Québec (CAQ), qu’elle a obtenu le 13 décembre 2010.

 

[5]               Le 17 février 2011, la demanderesse a soumis sa demande de permis de travail à l’ambassade. Le 11 mars suivant, elle recevait une lettre, datée du 28 février 2011, l’informant que sa demande de permis de travail était refusée parce qu’elle n’était pas appuyée par un AMT valide.

 

[6]               Dans une lettre adressée à l’ambassade le 31 mars 2011, l’avocat de la demanderesse informait l’agente que la décision était erronée car, même s’il expirait le 22 janvier 2011, l’AMT restait valide trois mois après la délivrance du CAQ. Après avoir lu cette lettre, l’agente s’est rendu compte de son erreur et a décidé de réévaluer la demande de permis de travail, ainsi que l’ensemble de la preuve produite pour l’appuyer. Dans une lettre datée du 21 avril 2011, l’ambassade invitait la demanderesse à se rendre dans ses locaux dans les 30 jours pour une entrevue, munie de certains renseignements additionnels, par exemple une preuve officielle de son expérience comme aide familiale. La lettre précisait que l’entrevue et les documents permettraient à l’agente [traduction] « d’effectuer un examen plus poussé de la demande [de la demanderesse] […] ».

 

[7]               Dans un courriel daté du 29 avril 2011, l’ambassade apprenait que la demanderesse avait présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Le 18 mai suivant, la demanderesse y renonçait compte tenu de l’entrevue planifiée et du réexamen de sa demande de permis de travail.

 

[8]               Le 23 mai 2011, la demanderesse s’est rendue à Vienne en provenance du Canada pour son entrevue à l’ambassade. L’agente et elle sont loin de s’entendre sur le ton sur lequel cette entrevue s’est déroulée. Si l’on se fie à leurs deux comptes rendus, l’entrevue a principalement porté sur les trois questions suivantes : (i) à quoi la demanderesse avait employé son temps et comment elle avait subvenu à ses besoins depuis son arrivée au Canada le 20 juin 2009; (ii) les motifs de sa venue au Canada; (iii) son expérience comme aide familiale en Hongrie.

 

[9]               La demanderesse soutient que durant l’entrevue, l’agente s’est montrée irrespectueuse et agressive de plusieurs manières :

        l’agente a personnellement veillé à ce que la demanderesse subisse deux contrôles de sécurité additionnels avec un détecteur de métal avant d’être conduite à l’entrevue (en plus de celui auquel sont soumis tous les visiteurs);

        l’agente a insinué que la demanderesse n’était pas une bonne mère parce qu’elle était venue au Canada sans son enfant et qu’elle avait travaillé dans ce pays illégalement;

        en réponse aux préoccupations soulevées au sujet de son expérience d’aide familiale en Hongrie, la demanderesse a suggéré que l’agente communique avec son ancien employeur afin de vérifier son niveau d’expérience, mais l’agente lui a répondu qu’elle [traduction] « ne voulait pas déranger Mme Rochlitz »;

        lorsqu’elle a brièvement parlé en français, l’agente a adopté un fort accent et a ridiculisé la demanderesse parce qu’elle ne la comprenait pas;

        l’agente n’a pas cessé de répéter des phrases se rapportant à la crédibilité de la demanderesse, par exemple : [traduction] « Je ne peux pas vous croire »; [traduction] « Je ne peux pas vous donner le visa »; [traduction] « Je ne vous donnerai pas le visa parce que vous avez travaillé illégalement au Canada »; [traduction] « Vous travaillez pour votre frère ou ailleurs ».

 

[10]           L’agente a invité la demanderesse à produire des éléments de preuve démontrant qu’elle n’avait pas travaillé durant son séjour au Canada et qu’elle avait subvenu à ses besoins en retirant de l’argent de deux comptes bancaires en Europe, ainsi qu’elle l’a prétendu. Le 14 juin 2011, l’ambassade recevait la photocopie d’une carte bancaire et de relevés de transactions d’Instabank. Les retraits ont tous été effectués à la Banque de Montréal pendant une période de six jours consécutifs (du 18 au 23 mars 2011); il s’agissait de sommes importantes correspondant apparemment au retrait maximal quotidien autorisé.

 

[11]           L’agente n’a pas approfondi la question du soutien financier, estimant que la demanderesse ne remplissait pas les exigences réglementaires nécessaires à la délivrance d’un permis de travail au titre du Programme des aides familiaux résidants. Le 27 juin 2011, elle a refusé sa demande de permis de travail au motif que la demanderesse n’avait pas satisfait aux exigences prévues au sous-alinéa 112c)(ii) du RIPR.

 

2. La décision contestée

[12]           L’agente a rejeté la demande de permis de travail, la demanderesse n’ayant pas établi qu’elle avait rempli toutes les exigences de la partie 11 du RIPR. Dans sa lettre de décision, l’agente a coché trois cases pour expliquer les motifs de son refus. Elle n’était pas convaincue que la demanderesse avait terminé avec succès une formation d’aide familiale à temps plein de six mois en salle de classe, ou qu’elle avait terminé une année d’emploi comme aide familiale rémunérée à temps plein, dont au moins six mois d’emploi continu auprès d’un même employeur, comme l’exige l’article 112 du RIPR. L’agente estimait également que la demanderesse avait soumis, dans le cadre de sa demande de permis de travail, des documents non authentiques qui compromettaient sa crédibilité générale.

 

[13]           Les notes consignées le 23 mai 2011 dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) en disent davantage sur les préoccupations de l’agente :

[traduction]

0Déclare dans son CV avoir travaillé comme caissière (dans une épicerie) de 1997 à 2006. A fourni en preuve sa déclaration et ses relevés d’impôt sur le revenu établis par l’épicerie (Csemege-Match Kereskedelmi zrt). Prétend que c’est cette entreprise qui la déclarait pour les besoins d’assurance sociale et que c’est là aussi que son salaire d’aide familiale était déclaré. Affirme qu’elle occupait cet emploi pendant son congé de maternité. A déclaré un revenu comme travailleuse autonome. Précise toutefois qu’elle n’avait pas de permis commercial, qui n’existe pas pour les aides familiaux. Je remarque que dans les documents censés confirmer son revenu en tant qu’aide familiale à son compte la police des dates et de l’inscription de la personne qui aurait engagé la dem comme aide familiale (Rochlitz Tiborne Erzebet) est différente. Je remarque aussi que toutes ces déclarations sont imprimées sur du papier format lettre (en usage au Canada). L’un de ces documents est un original puisque la signature de la dem ainsi que celle de celui qu’elle dit être son employeur y figurent. Tous ces éléments soulèvent des préoccupations quant à l’authenticité des documents produits pour attester son expérience. Je lui ai fait part de mes préoccupations : elle affirme que ces documents ont été envoyés par les autorités hongroises à l’ambassade de Hongrie à Ottawa. Cela n’explique pas les signatures originales alors que tous les autres documents sont des copies. Par ailleurs, j’ai examiné les notes se rapportant à la demande de visa de résident temporaire que la dem a présentée à Budapest (V0710B0039) en octobre 2007. Elle avait alors déclaré qu’elle travaillait comme caissière et qu’elle était en congé de maternité. Aucune mention de l’emploi d’aide familiale à son compte. Compte tenu des renseignements fournis par la dem et à l’entrevue, je ne crois pas qu’elle possède l’expérience professionnelle requise aux termes du sous-alinéa 112c)(ii) du Règlement, et sa demande sera refusée pour ce motif. Attendrai les renseignements concernant les transactions bancaires effectuées au Canada sur ses comptes européens pour confirmer qu’elle subvenait à ses propres besoins, dissiper le soupçon qu’elle ait travaillé sans permis, et ainsi ne pas refuser la demande sur la base des alinéas 200e) et l) du Règlement également.

 

Affidavit de Julie Fréchette, pièce A, dossier du défendeur.

 

3. Questions en litige

[14]           Deux questions doivent être tranchées dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire :

a) L’agente a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle avait accumulé l’expérience professionnelle requise?

b) L’agente a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale?

 

4. Le cadre législatif

[15]           La disposition suivante de la LIPR s’applique à la présente instance :

Visa et documents

 

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

Application before entering Canada

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

[16]           En vertu de l’article 111 du RIPR, l’étranger qui cherche à entrer au Canada à titre d’aide familial fait une demande de permis de travail conformément à la partie 11, ainsi qu’une demande de visa de résident temporaire si ce visa est requis par la partie 9.

 

[17]           Le terme « aide familial » est défini à l’article 2 du RIPR :

« aide familial » Personne qui fournit sans supervision des soins à domicile à un enfant, à une personne âgée ou à une personne handicapée, dans une résidence privée située au Canada où résident à la fois la personne bénéficiant des soins et celle qui les prodigue.

“live-in caregiver” means a person who resides in and provides child care, senior home support care or care of the disabled without supervision in the private household in Canada where the person being cared for resides.

 

[18]           L’article 112 du RIPR énonce, dans la partie 11, les conditions préalables à la délivrance d’un permis de travail à un étranger :

Permis de travail : exigences

 

112. Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger qui cherche à entrer au Canada au titre de la catégorie des aides familiaux que si l’étranger se conforme aux exigences suivantes :

 

a) il a fait une demande de permis de travail à titre d’aide familial avant d’entrer au Canada;

 

b) il a terminé avec succès des études d’un niveau équivalent à des études secondaires terminées avec succès au Canada;

 

c) il a la formation ou l’expérience ci-après dans un domaine ou une catégorie d’emploi lié au travail pour lequel le permis de travail est demandé :

 

(i) une formation à temps plein de six mois en salle de classe, terminée avec succès,

 

 

(ii) une année d’emploi rémunéré à temps plein — dont au moins six mois d’emploi continu auprès d’un même employeur — dans ce domaine ou cette catégorie d’emploi au cours des trois années précédant la date de présentation de la demande de permis de travail;

 

d) il peut parler, lire et écouter l’anglais ou le français suffisamment pour communiquer de façon efficace dans une situation non supervisée;

 

e) il a conclu un contrat d’emploi avec son futur employeur.

Work permits — requirements

 

112. A work permit shall not be issued to a foreign national who seeks to enter Canada as a live-in caregiver unless they

 

 

 

 

(a) applied for a work permit as a live-in caregiver before entering Canada;

 

 

(b) have successfully completed a course of study that is equivalent to the successful completion of secondary school in Canada;

 

(c) have the following training or experience, in a field or occupation related to the employment for which the work permit is sought, namely,

 

 

(i) successful completion of six months of full-time training in a classroom setting, or

 

(ii) completion of one year of full-time paid employment, including at least six months of continuous employment with one employer, in such a field or occupation within the three years immediately before the day on which they submit an application for a work permit;

 

 

(d) have the ability to speak, read and listen to English or French at a level sufficient to communicate effectively in an unsupervised setting; and

 

 

(e) have an employment contract with their future employer.

 

5. La norme de contrôle

[19]           La décision d’un agent des visas d’accorder ou de refuser un permis de travail à un demandeur repose sur d’importantes conclusions factuelles susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité qui méritent une grande déférence. Les agents des visas jouissent d’une expertise reconnue en ce qui a trait à l’évaluation de ces demandes, et la Cour n’interviendra que si la décision contestée n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47. Voir également : Ngalamulume c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1268, 362 FTR 42, aux paragraphes 15 et 16; Odicho c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1039, 341 FTR 18, aux paragraphes 8 et 9; Obeng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 754, 330 FTR 196, au paragraphe 21.

 

[20]           En règle générale, les questions de justice naturelle et d’équité procédurale sont examinées suivant la norme de la décision correcte (Khosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43).

 

6. Analyse

a) L’agente a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle avait accumulé l’expérience professionnelle requise?

[21]           Pour se conformer à l’article 112 du RIPR, la demanderesse devait démontrer qu’elle avait à son actif six mois d’études ou une année d’expérience dans le domaine auquel se rapportait sa demande (celui des aides familiaux). Il incombe aux demandeurs de fournir à l’agent des visas tous les renseignements pertinents pour le convaincre qu’ils remplissent les exigences législatives de la LIPR et du RIPR. En l’espèce, la demanderesse devait prouver son expérience professionnelle en tant qu’aide familiale, comme l’exige le sous-alinéa 112c)(ii) du RIPR, puisqu’elle n’avait manifestement pas terminé une formation à temps plein de six mois en salle de classe pour les aides familiaux, comme l’exige subsidiairement le sous-alinéa 112c)(ii). L’agente a estimé qu’elle n’avait pas rempli cette condition et, compte tenu de la preuve dont elle disposait, je ne suis pas convaincu que sa décision était déraisonnable.

 

[22]           Dans sa demande de permis de travail, la demanderesse a déclaré qu’elle avait travaillé pour Rochlitz Tiborne Erzebet du 1er janvier 2007 au 1er mai 2008, étayant cette expérience professionnelle par un document manuscrit de son employeur. L’agente a toutefois estimé que cette lettre n’était pas une preuve fiable, car n’importe qui aurait pu l’écrire. Elle a donc décidé d’accorder le bénéfice d’une entrevue à la demanderesse pour que cette dernière puisse fournir des renseignements additionnels sur l’expérience d’aide familiale qu’elle prétendait détenir dans sa demande de permis de travail. Dans la lettre de convocation à l’entrevue, l’agente demandait à la demanderesse d’apporter, entre autres choses, une preuve officielle de son expérience comme aide familiale (relevés de salaire, preuve de son inscription à l’assurance sociale, déclarations de revenus, etc.).

 

[23]           À l’entrevue, la demanderesse a fourni un curriculum vitæ, la preuve de son inscription ainsi que des relevés d’impôt délivrés par l’épicerie où elle a travaillé comme caissière de 1997 à 2006. Durant l’entrevue, elle a expliqué qu’elle avait travaillé comme aide familiale durant son congé de maternité; à ce titre, elle était déclarée par l’épicerie aux fins de l’assurance sociale et c’est aussi là que son salaire était déclaré.

 

[24]           L’agente a noté que la demanderesse avait déclaré un revenu en tant que travailleuse autonome, mais aussi que dans les documents censés confirmer ce revenu comme aide familiale la police utilisée pour les dates et le nom de la personne censée l’avoir engagée à ce titre était différente. Par ailleurs, les relevés étaient imprimés sur du papier format lettre plutôt que du papier format A4 (en usage en Europe), et l’un de ces documents n’était pas une copie puisqu’il contenait les signatures originales de la demanderesse et de celui qu’elle disait être son employeur.

 

[25]           À l’entrevue, l’agente a fait part de ces préoccupations à la demanderesse. Cette dernière a expliqué que les documents avaient été envoyés par les autorités hongroises à l’ambassade de Hongrie à Ottawa. Si tous ces documents avaient été des copies, cette explication aurait pu justifier le format du papier. Pourtant, l’une des pièces présentées était un document original hongrois, portant soi-disant les signatures de la demanderesse et du prétendu employeur, imprimé sur du papier format lettre plutôt que du papier format A4. Cette explication n’a donc pas dissipé les préoccupations de l’agente quant à l’authenticité de ces documents. Compte tenu de la preuve et des explications fournies par la demanderesse, il était manifestement raisonnable que l’agente n’attribue aucun poids à sa preuve documentaire.

 

[26]           L’agente a également constaté que sur sa demande de visa de résident temporaire présentée à Budapest en octobre 2007, la demanderesse avait déclaré qu’elle travaillait comme caissière et qu’elle était en congé de maternité. Il n’était mentionné nulle part qu’elle travaillait à son compte comme aide familiale.

 

[27]           Enfin, lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle vivait séparée de son époux et de sa fille de quatre ans, la demanderesse a répondu qu’elle avait pris cette décision avec son mari pour apprendre le français. L’agente lui a alors posé une question très simple en français, mais a dû la répéter trois fois pour que la demanderesse la comprenne. Cette dernière est revenue sur sa réponse, expliquant qu’elle vivait séparée de sa famille pour apprendre le français et l’anglais.

 

[28]           La demanderesse n’a contesté aucun de ces faits, lesquels sont tirés du compte rendu de l’agente dans son affidavit et des entrées du SMGC. Je constate par ailleurs que l’agente n’a pas été contre-interrogée par l’avocat de la demanderesse. Dans les circonstances, il était manifestement raisonnable que l’agente conclue que la demanderesse n’avait pas démontré par une preuve fiable qu’elle avait de l’expérience comme aide familiale. L’agente n’a pas ignoré la preuve lorsqu’elle a effectué cette évaluation, mais a tiré ses conclusions des réponses et de la preuve fournies par la demanderesse.

 

b) L’agente a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale?

[29]           La demanderesse a fait valoir que l’agente n’avait pas respecté les principes de justice naturelle : premièrement parce qu’elle a été traitée de manière irrespectueuse et intimidante; deuxièmement parce que l’agente a suscité une crainte raisonnable de partialité; troisièmement parce qu’elle n’a pas eu la possibilité de dissiper les préoccupations de l’agente. Malheureusement pour elle, la preuve n’appuie pas ces allégations.

 

[30]           L’allégation de partialité est grave et ne peut être faite à la légère. Dans l’arrêt Arthur c Canada (Procureur général), 2001 CAF 223, [2001] ACF no 1091 [Arthur], la Cour d’appel a déclaré qu’une allégation de partialité ne peut reposer sur des impressions ou des soupçons. Le critère qui permet de conclure que la partialité est réelle ou perçue est exigeant. Il faut démontrer une probabilité réelle de partialité :

Une allégation de partialité, surtout la partialité actuelle et non simplement appréhendée, portée à l’encontre d’un tribunal, est une allégation sérieuse. Elle met en doute l’intégrité du tribunal et des membres qui ont participé à la décision attaquée. Elle ne peut être faite à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme. Pour ce faire, il est souvent utile et même nécessaire de recourir à des preuves extrinsèques au dossier. C’est pourquoi ces preuves sont admissibles en dérogation au principe qu’une demande de contrôle judiciaire doit porter sur le dossier tel que constitué devant le tribunal.

Arthur, précité, au paragraphe 8.

 

 

[31]           En l’espèce, la seule preuve invoquée par la demanderesse reposait sur son impression que l’agente était hostile et froide, et qu’elle cherchait une excuse pour la discréditer. Il se peut que la demanderesse ait vécu l’entrevue comme une expérience subjectivement bouleversante, et que l’agente ne lui ait pas paru polie et courtoise; néanmoins, ces motifs sont bien insuffisants pour étayer une allégation de partialité. Les notes du SMGC révèlent que l’agente s’est excusée auprès de la demanderesse pour avoir précédemment rejeté par erreur sa demande de permis de travail. Elle avait cependant des préoccupations légitimes concernant la validité des documents présentés par la demanderesse et elle lui en a fait part; celle-ci avait tout le loisir de présenter ses observations et de réfuter les préoccupations de l’agente.

 

[32]           Les notes détaillées de l’agente, consignées le jour de l’entrevue, ne corroborent pas la perception de partialité de la demanderesse et ne révèlent certainement ni tension ni comportement déplacé durant l’entrevue. Ces notes, plus actuelles que l’affidavit de la demanderesse, doivent recevoir plus de poids que sa version des événements de ce jour-là : voir Oei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 466, 221 FTR 112, au paragraphe 42; Ahmed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1203, [2006] ACF no 1506, au paragraphe 18; Al Nahhas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1507, [2006] ACF no 1949, aux paragraphes 14 à 17. De plus, l’agente n’avait aucun intérêt direct à ce que la demande de permis de travail de la demanderesse connaisse une issue particulière  : Ayertey c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 599, [2010] ACF no 698, au paragraphe 23; Austini c Canada (Solliciteur général), 2007 CF 755, [2007] ACF no 1009, au paragraphe 13.

 

[33]           L’agente était en droit de questionner la demanderesse au sujet de son statut et de ses activités depuis 2009 durant son séjour au Canada. Elle est légalement tenue de se renseigner ou de vérifier si la demanderesse a travaillé illégalement au Canada (sans obtenir de permis de travail). En vertu de l’alinéa 200(3)e) du RIPR, l’agent des visas ne délivre pas de permis de travail à l’étranger qui a occupé un emploi au Canada sans autorisation. Les questions posées durant l’entrevue étaient donc légitimes et ne peuvent établir une crainte raisonnable de partialité.

 

[34]           Quoi qu’il en soit, il importe de se rappeler que la demande de permis de travail de la demanderesse a été refusée parce qu’elle n’avait pas démontré qu’elle avait rempli les exigences du sous-alinéa 112c)(ii) du RIPR en matière d’expérience professionnelle, et non parce qu’elle avait travaillé illégalement au Canada. L’examen de la lettre de refus, des notes du SMGC et de l’affidavit de l’agente démontre que cette dernière n’a pas conclu que la demanderesse avait travaillé illégalement au Canada.

 

[35]           Enfin, la demanderesse n’a pas présenté aucun élément de preuve pour démontrer qu’elle avait soulevé cette crainte de partialité devant l’agente. Elle n’a pas établi qu’elle s’était plainte auprès d’elle du comportement reproché ou du précédent refus de sa demande de permis de travail. Par ailleurs, la demanderesse n’a pas démontré qu’elle avait demandé à l’agente qu’un autre agent des visas évalue sa demande de permis de travail. Le fait qu’elle n’ait exprimé aucune opposition au moment de l’entrevue revient implicitement à renoncer au droit de soulever la question à ce stade-ci : Fletcher c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 909, [2008] ACF no 1130, au paragraphe 17.

 

[36]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée, sans frais.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans frais.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6222-11

 

INTITULÉ :                                      MIHAELA MAXIM c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 6 MARS 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 29 AOÛT 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marius Maxim

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Margarita Tzavelakos

Yaël Levy

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Marius Maxim

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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