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Date : 20120831

Dossier : IMM-5924-11

Référence : 2012 CF 1045

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 août 2012

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

 

ENTRE :

 

DELIA PATRICIA FLORES GONZALEZ

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit de la demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), d’une décision datée du 16 août 2011 rendue par un agent d’immigration (l’agent) de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC). L’agent a rejeté la demande de résidence permanente de la demanderesse au motif qu’elle était frappée d’interdiction de territoire, aux termes du paragraphe 34(1) de la Loi, à titre de membre du front Farabundo Martí de libération nationale (FMLN), une organisation qui s’était livrée à des actes de terrorisme.

 

1. Faits

[2]               La demanderesse, une citoyenne du Salvador âgée de 44 ans, vit au Canada depuis 2002.

 

[3]               Le 4 août 2002, la demanderesse est arrivée au Canada en provenance des États‑Unis d’Amérique (É.‑U.), où elle avait vécu illégalement avec son ex‑mari, Renato Menendez (Renato), un citoyen canadien. Ils se trouvaient aux É.‑U. depuis 1999, après avoir fui le Salvador pour échapper à la guerre civile.

 

[4]               À son arrivée au point d’entrée de Fort Erie, la demanderesse a demandé l’asile parce qu’elle craignait d’être persécutée en raison de ses convictions politiques. Renato n’était pas présent au point d’entrée lorsqu’elle a rempli le formulaire « Annexe 1 – Renseignements de base » (l’annexe 1). Dans l’annexe 1, qu’elle a remplie avec l’aide d’un traducteur espagnol, la demanderesse a indiqué avoir été membre du FMLN. Elle a répondu « oui » aux questions suivantes de l’annexe 1 :

G.        Avez-vous déjà pris part à la lutte armée ou à des actes de violence, et épousé et défendu cette cause, dans le but d’atteindre des objectifs politiques, religieux ou sociaux?

 

H.        Avez‑vous déjà été associé ou appartenu à un groupe qui a ou a eu recours à la lutte armée ou à la violence afin d’atteindre des objectifs politiques, religieux ou idéologiques, ou qui les défend ou les a défendus?

 

[5]               La demanderesse a également indiqué dans l’annexe 1 qu’elle était autrefois membre de la guérilla – FMLN et que certains guérilleros utilisaient la force, mais qu’elle-même n’y avait jamais eu recours. Au bas de l’annexe 1, la demanderesse a signé une déclaration attestant que les renseignements fournis dans le formulaire étaient véridiques, complets et exacts, et qu’elle avait compris tous les éléments de l’annexe 1, ayant demandé et obtenu une explication sur chacun des points qu’elle ne comprenait pas bien. Elle a aussi déclaré qu’elle informerait immédiatement CIC de tout changement dans les renseignements donnés sur le formulaire.

 

[6]               À l’appui de sa demande d’asile, la demanderesse a présenté un Formulaire de renseignements personnels (FRP) à la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. À la première page du FRP, il est indiqué que les renseignements fournis doivent être complets, véridiques et exacts, et que le demandeur doit aviser la SPR de tout changement dans les renseignements donnés sur le formulaire. La demanderesse a rempli le FRP avec l’aide de Renato, qui a signé la déclaration de l’interprète indiquant qu’il avait interprété fidèlement le contenu du formulaire pour elle.

 

[7]               Dans son exposé circonstancié du FRP, reproduit à la page 44 de son dossier, la demanderesse a écrit qu’elle avait d’abord sympathisé avec les guérilléros du FMLN à l’adolescence. À cette époque‑là, elle croyait que seule la révolution pouvait changer les choses au Salvador. Elle a écrit aussi que, en 1985, elle avait rencontré des membres du FMLN et appris comment recueillir des renseignements sur les personnes qui n’appuyaient pas les guérilléros. Elle avait aussi appris à manier une arme pour se protéger et participé en préparant de la propagande, en organisant des grèves et en recueillant des renseignements. En outre, la demanderesse avait hébergé des guérilléros chez elle après qu’ils eurent lancé des attaques dans deux grandes villes du Salvador.

 

[8]               Le 9 mai 2005, la SPR a prononcé le désistement de la demande d’asile de la demanderesse. Le même mois, la demanderesse a présenté une demande de visa de résidente permanente, parrainée par Renato. Le dossier certifié du tribunal (DCT) ne contient pas le formulaire de cette demande et ne révèle pas si la demanderesse a divulgué son appartenance au FMLN à ce moment‑là.

 

[9]               Le 6 janvier 2006, Renato a été reconnu coupable d’avoir proféré des menaces à l’endroit de la demanderesse. Aux termes de la probation imposée à Renato pour cette infraction, il lui était interdit d’entrer en contact avec la demanderesse. Dans une lettre datée du 20 décembre 2007 envoyée à CIC, il a déclaré qu’il ne voulait plus parrainer la demanderesse et qu’ils étaient séparés depuis trois ans, c’est‑à‑dire depuis 2004.

 

[10]           Le 26 février 2008, CIC a rejeté la demande de résidence permanente présentée en 2005 par la demanderesse (DCT, page 195). L’agente qui a rejeté la demande n’était pas convaincue que le mariage de la demanderesse et de Renato n’avait pas été contracté essentiellement aux fins d’immigration. L’agente a noté qu’ils avaient cessé de cohabiter avant que la demande de résidence permanente ne soit présentée et a déclaré que la demanderesse essayait d’obtenir le statut de résidente permanente en faisant de fausses déclarations.

 

[11]           Le 10 décembre 2008, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a fait savoir à la demanderesse qu’elle pouvait présenter une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), ce que la demanderesse a fait le 22 décembre 2008. Dans le formulaire, elle a indiqué ne pas avoir été membre d’une organisation paramilitaire impliquée dans un conflit armé.

 

[12]           La demanderesse a également renvoyé aux observations présentées par son avocate en réponse à la directive, donnée dans le formulaire d’ERAR, d’exposer tous les événements importants qui l’avaient poussée à chercher protection à l’extérieur du Salvador. Dans ces observations, la demanderesse affirme avoir quitté le Salvador en raison des conflits incessants qui déchiraient le pays. Elle ajoute que Renato l’avait maltraitée durant leur relation et qu’elle avait en grande partie suivi les instructions de son mari sur les questions concernant l’immigration au Canada. Enfin, elle affirme que Renato avait rempli le FRP pour elle parce qu’elle lui faisait confiance, mais qu’elle n’avait pas compris le contenu du formulaire. Au bas de la demande d’ERAR, la demanderesse a signé la déclaration attestant que les renseignements fournis dans le formulaire étaient véridiques, complets et exacts.

 

[13]           Le 3 novembre 2008, la demanderesse a également présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, aux termes du paragraphe 25(1) de la Loi (la demande CH). Dans le formulaire qu’elle a rempli à cette fin, la demanderesse devait indiquer toutes les organisations dont elle avait été membre depuis le jour de ses dix-huit ans, y compris les organisations politiques et sociales. Dans les observations présentées avec sa demande CH, la demanderesse répète que Renato avait rempli son FRP et qu’elle n’avait pas compris le contenu du formulaire. Elle affirme encore n’avoir pas questionné Renato sur le contenu du formulaire, qu’elle avait signé selon les instructions de son mari. La demanderesse n’a pas divulgué son appartenance au FMLN dans sa demande CH, et a déclaré que tous les renseignements contenus dans sa demande CH et ses observations étaient véridiques, complets et exacts (DCT, page 208).

 

[14]           Dans une lettre datée du 9 septembre 2009 (la lettre provisoire), CIC a avisé la demanderesse que sa demande CH était approuvée en principe. La lettre provisoire informait la demanderesse du fait que CIC avait accordé une dispense en vertu de l’article 25 de la Loi. La lettre disait aussi que la demanderesse devait satisfaire à toutes les autres exigences de la Loi, à défaut de quoi sa demande pourrait être refusée. Le 9 septembre 2009, l’ASFC a fait savoir à la demanderesse que le dossier de sa demande d’ERAR avait été fermé parce que sa demande CH était approuvée en principe.

 

[15]           La demanderesse a présenté d’autres observations à l’appui de sa demande CH le 22 mars 2011 (DCT, page 140), y compris un formulaire de demande mis à jour. Ce formulaire était pareil à celui qu’elle avait rempli en 2008. Elle ne mentionnait toujours pas son appartenance au FMLN et déclarait que les renseignements fournis étaient véridiques, complets et exacts.

 

[16]           Le 2 juin 2011, l’agent a demandé à la SPR de lui transmettre le dossier de la demanderesse, y compris le FRP et tout document produit en preuve. Le 13 juin 2011, l’agent a envoyé une lettre à la demanderesse pour l’informer que, selon lui, elle pourrait être interdite de territoire en application du paragraphe 34(1) de la Loi (la lettre d’équité). L’agent a demandé à la demanderesse de se présenter à une entrevue à CIC pour faire la lumière sur ce point, disant que, selon certains renseignements, elle avait peut-être été membre du FMLN. Il a joint à sa lettre des documents sur le FMLN et ses activités.

 

[17]           L’agent a reçu la demanderesse en entrevue le 4 août 2011. Il a commencé par expliquer que l’objet de l’entrevue consistait à déterminer si elle était frappée d’interdiction de territoire aux termes de l’article 34 de la Loi. À la question de savoir si les renseignements donnés dans le FRP étaient exacts, la demanderesse a répondu que c’était Renato qui avait rempli le formulaire. Elle a confirmé que c’était bien elle qui avait signé la section « déclaration » du FRP. À propos de son appartenance au FMLN, la demanderesse a affirmé n’avoir jamais été impliquée ni n’avoir eu de rôle dans l’organisation, et elle a soutenu n’avoir aucune opinion sur les événements qui s’étaient produits au Salvador à l’époque où le FMLN était une organisation terroriste. La demanderesse a ajouté qu’elle n’avait jamais été témoin de combat et qu’elle ignorait ce pour quoi le FMLN se battait, même si elle savait que l’actuel président du Salvador était membre du FMLN. La demanderesse a affirmé à l’agent qu’elle lui avait dit l’entière vérité.

 

[18]           L’agent a envoyé une nouvelle lettre à la demanderesse le 16 août 2011 (la lettre de refus), dans laquelle il lui dit qu’elle était interdite de territoire aux termes de l’alinéa 34(1)f) de la Loi en raison de son implication auprès du FMLN. L’agent dit avoir examiné les renseignements que la demanderesse avait présentés dans sa demande et les résultats de l’entrevue. L’agent a rejeté la demande de résidence permanente de la demanderesse au motif qu’elle était interdite de territoire aux termes de l’alinéa 34(1)f) de la Loi.

 

2. Décision contestée

[19]           En l’espèce, la décision s’entend de la lettre de refus et de la note que l’agent a envoyée à la Direction du renseignement, Direction générale de l’exécution de la loi, ASFC.

 

[20]           L’agent a examiné brièvement les antécédents de la demanderesse en matière d’immigration. Il a ensuite passé en revue les documents qui avaient été envoyés à la demanderesse avec la lettre d’équité ainsi que les articles 33 et 34 de la Loi, et s’est renseigné sur le critère applicable à l’interdiction de territoire au sens de l’alinéa 34(1)f) de la Loi. Il devait, dit‑il, avoir des motifs raisonnables de croire que la demanderesse était membre d’un groupe dont il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il était, avait été ou aurait été l’auteur d’actes de terrorisme. L’agent a fait remarquer qu’une preuve objective était nécessaire, même si le critère supposait une évaluation subjective.

 

[21]           L’agent a aussi examiné les définitions juridiques des termes « terrorisme » et « membre ». Il a constaté que la Cour suprême du Canada avait ainsi défini le terme « terrorisme » dans l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3, au paragraphe 98 :

[T]out « acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ».

 

 

[22]           La Cour d’appel fédérale a examiné la notion d’appartenance dans Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, [2005] RCF 487, et a statué que, eu égard en partie à l’existence d’une dispense d’application de l’alinéa 34(1)f), dans les cas qui le justifient aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi, « le mot “membre”, employé dans la Loi, devrait continuer d’être interprété d’une manière libérale » (au paragraphe 29).

 

[23]           Pour ce qui est du FMLN, l’agent a appris qu’il s’agissait qu’un groupe marxiste-léniniste, fondé en 1980 dans le but de renverser le gouvernement du Salvador. Le FMLN a utilisé la violence pour parvenir à ses fins : il a détruit un pont suspendu, attaqué l’infrastructure du réseau électrique du Salvador et fait exploser une bombe dans un marché de San Salvador, attaque au cours de laquelle neuf civils et deux soldats ont été tués. Bien que le FMLN fût devenu un parti politique officiel, l’agent était convaincu qu’il avait des motifs raisonnables de croire qu’il s’agissait d’une organisation qui s’était livrée au terrorisme.

 

[24]           Ayant déterminé que le FMLN était une organisation terroriste, l’agent a examiné les liens de la demanderesse avec le groupe. Plusieurs déclarations faites par la demanderesse dans son FRP ont mené l’agent à conclure qu’elle avait été impliquée dans l’organisation.

 

[25]           L’agent a aussi remarqué que la demanderesse n’avait pas mentionné son appartenance au FMLN dans la demande CH qu’elle avait remplie en 2011. Il a noté que la demanderesse avait démenti à l’entrevue les déclarations faites dans son FRP et déclaré que Renato avait rempli le FRP pour elle, et qu’elle avait apposé sa signature au bas du FRP. L’agent a aussi pris note du fait que la demanderesse avait dit avoir pris connaissance du contenu du FRP à l’audience de 2009 et l’avoir lu seulement une semaine avant son entrevue en raison de sa piètre connaissance de l’anglais.

 

[26]           À l’entrevue, l’agent a également demandé à la demanderesse pourquoi, si les renseignements contenus dans le FRP n’étaient pas véridiques, elle avait déclaré être membre du FMLN au point d’entrée. Renato, a répondu la demanderesse, lui avait dit quoi dire et lui avait conseillé de mentir, parce qu’elle serait ainsi certaine d’entrer au Canada. Lorsque les déclarations faites sur son FRP lui ont été présentées à l’entrevue, elle a affirmé ne pas soutenir la cause du FMLN, ne connaître aucun des membres du FMLN et n’avoir jamais recueilli de renseignements pour le compte de ce groupe. Elle a aussi nié avoir participé à des activités de propagande, hébergé des guérilléros et reçu de la formation sur le maniement des armes. À la question de savoir pourquoi elle avait quitté le Salvador, la demanderesse a répondu qu’elle était partie pour que ses filles puissent recevoir une meilleure éducation.

 

[27]           La demanderesse, a remarqué l’agent, ne contestait pas le fait que le FMLN était une organisation terroriste, bien qu’elle ait nié son implication auprès du groupe. L’agent a conclu que la demanderesse minimisait le rôle qu’elle avait joué au sein du FMLN parce qu’elle avait appris que cette implication pourrait l’empêcher d’obtenir un statut au Canada. L’agent a estimé qu’il était déraisonnable de croire que la demanderesse ne connaissait pas le contenu de son FRP avant 2009. Il a conclu à la véracité des déclarations contenues dans le FRP quant à l’appartenance de la demanderesse au FMLN, à la lumière de déclarations semblables faites auparavant au point d’entrée.

 

[28]           L’agent a déterminé que la demanderesse avait été, de son propre aveu, membre du FMLN pendant quinze ans. Durant cette période, elle avait assisté à des réunions, recueilli des renseignements sur l’opposition au FMLN, organisé des grèves, fait circuler de la propagande et reçu de la formation sur le maniement des armes. L’agent a estimé que ces activités établissaient l’appartenance de la demanderesse à l’organisation, en raison de leur caractère plus qu’occasionnel. Le fait que la demanderesse avait reçu de la formation sur le maniement des armes donne à penser qu’elle s’était sciemment mise en danger en soutenant le FMLN.

 

[29]           L’agent a conclu que la demanderesse avait adhéré au FMLN de son plein gré et qu’elle aurait été au courant des activités violentes du groupe. D’après tous les faits au dossier, l’agent était convaincu que la demanderesse avait été membre du FMLN et a rejeté la demande de résidence permanente pour ce motif.

 

3. Questions en litige

[30]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les trois questions suivantes :

i)    L’agent a-t-il commis une erreur en omettant de tenir compte de l’ensemble de la preuve?

ii)   L’agent a‑t‑il commis une erreur en ne consultant pas la Division de la sécurité nationale avant de rendre sa décision?

iii)  L’agent a‑t‑il commis une erreur de procédure en omettant d’exercer son pouvoir discrétionnaire de renvoyer l’affaire à une personne ayant le pouvoir délégué d’évaluer si, pour des considérations d’ordre humanitaire, il fallait accorder à la demanderesse la levée de l’interdiction de territoire?

 

4. Analyse

            Question préliminaire

[31]           Avant d’examiner les questions de fond soulevées par cette demande, je dois dire un mot sur la requête en interdiction de divulgation présentée par le défendeur en vertu de l’article 87 de la Loi. Le DCT a été déposé à la Cour le 4 janvier 2012. Selon la lettre de présentation qui accompagnait le DCT, certaines pages ou parties de page n’avaient pas été divulguées au motif que leur divulgation aurait pu porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui, ou au motif que ces renseignements portaient sur des tiers sans rapport avec la présente affaire. Le 26 janvier 2012, le défendeur a transmis une autre lettre à la Cour et aux parties pour les aviser que certaines pages entièrement expurgées auparavant étaient maintenant divulguées en entier. De plus, une page avait été modifiée, de sorte que certaines de ses parties n’étaient plus biffées.

 

[32]           À l’appui de la requête en interdiction de divulgation des renseignements, le défendeur a présenté à la Cour un affidavit classifié qu’il ne voulait pas divulguer au public ni à la demanderesse et à son avocate. Après avoir soigneusement examiné l’affidavit et les renseignements expurgés, et après avoir entendu le défendeur lors d’une audience à huis clos tenue le 22 mars 2012, j’ai dit que la requête en interdiction de divulgation serait accueillie, pour les motifs suivants.

 

[33]           Premièrement, les renseignements expurgés ne sont pas substantiels, et leur non-divulgation n’empêche pas la demanderesse d’établir le bien-fondé de ses prétentions. De surcroît, ces renseignements n’ont pas d’effet déterminant sur les questions soulevées dans la demande de contrôle judiciaire, et le défendeur ne se fonde pas sur l’information confidentielle pour répondre à la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse. Enfin, l’avocate de la demanderesse a consenti à la requête du défendeur.

 

[34]           Deuxièmement, je suis convaincu que la divulgation des renseignements expurgés pourrait  avoir des répercussions sur la capacité des organismes d’enquête à s’acquitter de leurs mandats en matière de sécurité nationale du Canada. S’ils étaient divulgués, ces renseignements porteraient atteinte à la sécurité nationale du Canada ou compromettraient la sécurité des personnes. Par conséquent, ils ne doivent pas être divulgués au public ni à la demanderesse et à son avocate.

 

Norme de contrôle

[35]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’est pas toujours nécessaire de procéder à une analyse relative à la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. C’est seulement lorsque cette recherche est infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs servant à déterminer la norme de contrôle applicable.

 

[36]           Dans Naeem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 123, [2007] 4 RCF 658, la juge Eleanor Dawson a statué, au paragraphe 40, que la norme de contrôle applicable à une décision d’interdiction de territoire en vertu de l’article 34 de la Loi est celle de la décision raisonnable simpliciter. Le juge Frederick Gibson est arrivé à la même conclusion dans Naeem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1375, [2008] ACF no 750, au paragraphe 19. De plus, la juge Anne Mactavish a statué, au paragraphe 35 de la décision Hagos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1214, [2011] ACF no 1484, qu’une conclusion d’interdiction de territoire prononcée sous le régime de l’article 34 devait être contrôlée suivant la norme du caractère raisonnable. Par conséquent, la norme de contrôle applicable à la première question est celle de la raisonnabilité.

 

[37]           Dans le cas du contrôle d’une décision suivant la norme de la raisonnabilité, l’analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Khosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59).  En d’autres termes, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[38]           En ce qui concerne les deuxième et troisième questions en litige, la juge Judith Snider a statué, dans Zaki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1066, [2005] ACF no 1314, au paragraphe 14, que le fait d’entraver l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire est une question qui touche à l’équité procédurale. Le juge Richard Mosley a tiré une conclusion semblable dans Benitez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461, [2007] 1 RCF 107, au paragraphe 133. Enfin, la Cour d’appel fédérale a statué, dans Thamotharem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198, [2008] 1 RCF 385, au paragraphe 33, que la norme de contrôle qui s’applique à l’entrave du pouvoir discrétionnaire est celle de la décision correcte. La norme de contrôle applicable à ces questions est donc celle de la décision correcte.

 

i) L’agent a-t-il commis une erreur parce qu’il n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve?

[39]           La demanderesse ne conteste pas la conclusion de l’agent selon laquelle le FMLN est ou était une organisation terroriste. La demanderesse conteste seulement la conclusion de l’agent selon laquelle elle a été membre du FMLN.

 

[40]           La demanderesse soutient que l’agent n’avait pas examiné toute la preuve au dossier lorsqu’il a conclu qu’elle était interdite de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) de la Loi. Elle affirme avoir dit une seule fois qu’elle avait été membre du FMLN, à savoir dans le FRP, que Renato avait rempli pour elle. Elle n’a pas parlé du FMLN dans sa demande de résidence permanente de 2005, ni dans sa demande CH de 2008, ni dans l’autre formulaire de demande CH qu’elle a présenté en 2011. Il pourrait donc sembler que la demanderesse n’essayait pas de minimiser son implication auprès du FMLN afin d’obtenir un statut au Canada et qu’elle était cohérente depuis au moins 2008 en déclarant qu’elle ne connaissait pas le contenu de son FRP, mais en réalité, ce comportement ne cadre pas avec les déclarations qu’elle a faites au point d’entrée.

 

[41]           La demanderesse affirme toutefois que l’agent n’a pas tenu compte du caractère violent de sa relation avec Renato. Cette relation expliquerait pourquoi la demanderesse avait signé son FRP sans en connaître le contenu, faisait aveuglément confiance à Renato et avait suivi ses conseils en répondant comme elle l’avait fait aux questions posées au point d’entrée.

 

[42]           Après avoir examiné soigneusement le dossier ainsi que les observations présentées de vive voix et par écrit par les deux avocates, je conclus que la demanderesse n’a pas réussi à démontrer que l’agent avait fait abstraction d’un quelconque élément de preuve ou mal apprécié la preuve au moment d’évaluer la crédibilité de la demanderesse quand elle affirmait ne pas avoir été membre du FMLN. Elle a clairement indiqué avoir été membre du FMLN quand elle a répondu aux questions posées à l’annexe 1 au point d’entrée. Renato n’était pas avec elle à ce moment‑là; le formulaire au complet avait été interprété pour elle. L’agent pouvait difficilement croire que la demanderesse n’avait aucune idée du contenu du FRP étant donné qu’elle avait fait des déclarations semblables au point d’entrée.

 

[43]           Selon sa version des faits, la demanderesse ignorait que son mari avait déclaré qu’elle était membre du FMLN jusqu’à ce qu’elle prenne connaissance du contenu de son FRP en 2009, mais cette explication ne révèle pas pourquoi elle a dit être membre du FMLN au point d’entrée. Elle ne peut affirmer qu’elle ignorait cette déclaration, parce qu’elle l’avait formulée en présence d’un interprète. Je conviens avec le défendeur que le fait, pour l’agent, de se fonder sur cette contradiction était raisonnable et appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[44]           Je conviens aussi avec le défendeur que le caractère violent de la relation entre la demanderesse et Renato a peu d’incidence sur les conclusions de l’agent et n’a aucun rapport avec la crédibilité de l’explication selon laquelle la demanderesse ne savait pas ce qui était écrit dans son FRP. Malgré la violence de la relation, la demanderesse devait savoir qu’elle avait affirmé être membre du FMLN même avant de remplir le FRP, puisque c’était ce qu’elle avait déclaré au point d’entrée alors qu’elle était assistée par un interprète.

 

[45]           Si l’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle avait été incitée à présenter de manière erronée son rôle au sein du FMLN pour obtenir un statut au Canada était acceptée, il faudrait alors se demander pourquoi la demanderesse a continué à faire de fausses déclarations au défendeur, même après s’être séparée de son mari en 2004. Si elle avait vraiment été dirigée, on aurait pu s’attendre à ce que la demanderesse prenne des mesures afin de rectifier ses déclarations trompeuses dans ses demandes ou lettres subséquentes. Le fait qu’elle n’a pas tenté de rectifier la situation ni mentionné expressément son appartenance au FMLN dans sa demande de résidence permanente de 2005 ou dans les autres lettres ou formulaires envoyés à CIC mine la crédibilité de cette affirmation.

 

[46]           Compte tenu de ces considérations, il était raisonnable pour l’agent de conclure que la demanderesse manquait de crédibilité et avait modifié son récit afin d’obtenir un statut au Canada. L’agent a rendu une décision raisonnable en rejetant l’explication que la demanderesse a donnée pour ne pas avoir réfuté son appartenance au FMLN plus tôt, et il était loisible à l’agent de ne pas prêter foi à la dénégation de cette appartenance exprimée subséquemment par la demanderesse.

 

            ii) L’agent a‑t‑il commis une erreur en ne consultant pas la Division de la sécurité nationale avant de rendre sa décision?

 

[47]           La demanderesse soutient que l’agent, bien que non tenu de suivre les guides opérationnels, a agi à l’encontre de la section 5 du document ENF 2/OP 18 – Évaluation de l’interdiction de territoire en ne consultant pas la Division de la sécurité avant de rendre sa décision. Selon la demanderesse, ce manquement a eu pour double conséquence que l’agent n’a pas appliqué la loi de manière uniforme, et qu’il n’a ni exercé ses fonctions « avec prudence » ni justifié sa décision « de la manière la plus précise possible » (voir Daud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 701, [2008] ACF no 913, au paragraphe 8).

 

[48]           Comme la demanderesse l’a elle‑même concédé, il est bien établi en droit que les lignes directrices ne sont pas juridiquement contraignantes pour l’agent d’immigration. La politique comme telle énonce que l’agent ne « doit pas » refuser de demandes sur la base d’une allégation fondée sur le paragraphe 34(1) sans consulter d’abord la Division des enquêtes pour la sécurité nationale de l’ASFC. Il est vrai que le paragraphe d’introduction de la section 5 du guide opérationnel indique que « [s]i un agent fait face à des questions de sécurité, il doit demander conseil à la section appropriée de la Division des enquêtes pour la sécurité nationale à l’AC de l’ASFC ». En l’espèce, toutefois, l’agent n’était pas tenu de consulter la Division de la sécurité nationale à la lumière des faits, car la demanderesse avait clairement admis au moins deux fois être membre du FMLN, une organisation qui se livrait au terrorisme, comme la demanderesse l’avait elle‑même reconnu, soit dit en passant. Dans ces circonstances, il était inutile que l’agent demande conseil.

 

iii)        L’agent a‑t‑il commis une erreur de procédure en omettant d’exercer son pouvoir discrétionnaire de renvoyer l’affaire à une personne ayant le pouvoir délégué d’évaluer si, pour des considérations d’ordre humanitaire, il fallait accorder à la demanderesse la levée de l’interdiction de territoire?

 

[49]           L’avocate de la demanderesse affirme que l’agent a commis une erreur en omettant d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’envisager, de sa propre initiative, une dispense d’application de l’alinéa 34(1)f)de la Loi. À l’appui de cette affirmation, la demanderesse mentionne le fait que l’agent ne s’est penché sur aucun des facteurs d’ordre humanitaire, comme l’intérêt supérieur de l’enfant ou l’établissement au Canada. Là encore, je dois exprimer mon désaccord avec la demanderesse.

 

[50]           Dans les cas où, comme en l’espèce, le demandeur n’a pas demandé explicitement la levée de l’interdiction de territoire, la décision d’accorder ou non une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire est totalement discrétionnaire. Le demandeur a la responsabilité de faire une telle demande, comme l’énoncent clairement les sections 5.25 et 5.27 du Bulletin opérationnel IP 5 – Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, de CIC :

5.25

[…]

Si le demandeur n’a pas demandé explicitement une dispense et que l’interdiction de territoire est découverte durant le traitement de la demande, l’agent peut refuser la demande.

[…]

 

5.27

[…]

Si l’étranger ne demande pas directement une dispense, mais que les faits dans la demande portent à croire qu’il demande la levée de l’interdiction de territoire, l’agent doit traiter la demande comme si une dispense avait été demandée.  [Souligné dans l’original.]

[…]

 

[51]           L’avocate de la demanderesse se fonde sur la décision que j’ai rendue dans Rogers c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 26, 339 FTR 191 [Rogers], pour avancer que l’agent a commis une erreur en n’envisageant pas d’accorder une dispense à la demanderesse pour des considérations d’ordre humanitaire. En invoquant Rogers, la demanderesse fait toutefois abstraction d’une importante remarque que j’ai faite au paragraphe 41 :

Le défendeur a sans doute raison d’affirmer qu’aucun manquement à l’équité procédurale n’a été établi pour le simple motif que l’agent d’immigration n’a pas, de sa propre initiative, envisagé d’octroyer une dispense au demandeur. Même si le Bulletin vise des situations dans lesquelles un agent d’immigration peut envisager d’octroyer à un demandeur une dispense même si le demandeur n’en a pas fait la demande, il n’ordonne pas à l’agent de le faire.

 

 

[52]           De plus, la décision Rogers reposait sur des faits qui lui étaient propres et qui peuvent facilement être distingués de ceux de la présente espèce. Dans Rogers, le demandeur avait rempli, sans l’aide d’un représentant, une demande de résidence permanente qui ne contenait pas de renseignements sur la présentation d’une demande CH. Dans ce contexte particulier, la Cour a conclu que l’agent aurait dû se demander s’il y avait des motifs suffisants pour accorder une dispense.

 

[53]           Dans l’affaire qui nous occupe, en revanche, la demanderesse avait l’aide d’un conseiller juridique et elle a pu remplir le nouveau formulaire de demande de résidence permanente; ce nouveau formulaire, conforme au Bulletin opérationnel IP 5 de CIC, mentionne que le demandeur doit indiquer clairement s’il souhaite demander une dispense pour faire lever une interdiction de territoire. Ainsi, l’agent n’était pas tenu d’envisager une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire en l’absence de demande à cet effet. La demanderesse n’a jamais demandé explicitement que l’interdiction de territoire soit levée, et n’a même jamais fait implicitement allusion à cette possibilité. La demanderesse savait que l’objet de l’entrevue de 2011 consistait à déterminer si elle était interdite de territoire. Elle aurait pu demander une dispense, mais elle ne l’a pas fait; elle a plutôt choisi de s’évertuer à convaincre l’agent qu’elle n’avait au grand jamais été membre du FMLN. Dans ces circonstances, on ne saurait reprocher à l’agent de ne pas avoir envisagé la dispense.

 

[54]           Pour tous les motifs qui précèdent, je conclus que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Bien entendu, la demanderesse peut encore demander une dispense ministérielle aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5924-11

 

INTITULÉ :                                      DELIA PATRICA FLORES GONZALEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 11 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 31 août 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kristine Dela Cruz

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Bridget O’Leary

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Green et Spiegel s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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