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Date : 20120829

Dossier : IMM‑5854‑11

Référence : 2012 CF 1034

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Calgary (Alberta), le 29 août 2012

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

 

ALI ALTUN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur, M. Ali Altun, citoyen turc d’origine kurde, a présenté une demande d’asile fondée sur une présumée persécution découlant d’une déclaration de culpabilité et d’une sentence prononcées en Turquie par une cour criminelle. Selon le demandeur, la déclaration de culpabilité résultait de la prétendue falsification d’un document que le demandeur, un médecin, et un autre médecin avaient préparé et signé. Les deux individus ont été condamnés à deux ans et demi de prison en raison d’un certificat de maladie que les deux avaient certifié pour le compte d’un enseignant dont l’identité n’aurait pas été vérifiée adéquatement. Le demandeur a interjeté appel de la déclaration de culpabilité, mais a quitté son pays d’origine avant que son appel puisse être entendu.

 

[2]               Le demandeur demande à la Cour de renvoyer l’affaire à la Section de la protection des réfugiés [SPR] pour qu’elle soit entendue à nouveau parce qu’il est nécessaire d’analyser la preuve au regard de la question de savoir si les accusations étaient fausses et motivées par une persécution ethnique à son endroit.

 

[3]               Ayant lu et entendu les arguments après avoir analysé les preuves documentaires de nature subjective et objective présentées par les deux parties, la Cour estime que la SPR n’a pas examiné la preuve dans son ensemble et que, par conséquent, elle n’a pas rendu une décision raisonnable, tant à la lumière des éléments importants et probants de nature personnelle qu’au vu des éléments documentaires relatifs à la situation du pays en cause. La Cour reconnaît que si tous les documents avaient été dûment examinés, les motifs auraient à tout le moins révélé le caractère logique inhérent de la décision découlant de l’analyse d’une preuve considérable, pertinente et détaillée, donc l’existence d’une décision qui s’inscrit dans le cadre d’issues possibles, comme l’a indiqué la Cour suprême dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, et Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708. Cependant, on ne saurait dire que la preuve sur le « faux », question cruciale pour la demande d’asile du demandeur, a été appréciée.

 

[4]               La SPR n’a pas examiné les détails de la preuve, mais a plutôt apprécié la preuve de façon générale, sans procéder à une évaluation adéquate des détails probants les plus pertinents.

 

[5]               La SPR a reconnu que le fond était crédible et indiqué qu’elle était sensible aux circonstances de l’affaire. De plus, la SPR a estimé que les allégations étaient dignes de foi. Il est difficile de comprendre comment la SPR est arrivée à la conclusion que la preuve était insuffisante. La commissaire a considéré que l’affaire portait sur une poursuite judiciaire et non sur de la persécution. Toutefois, une poursuite peut être persécutrice s’il ressort clairement de la preuve que cette poursuite n’est pas équitable.

 

[6]               La SPR a renvoyé à la décision Hernandez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1323, dans laquelle la demanderesse avait fait l’objet d’une déclaration de culpabilité en Colombie, et ce, parce qu’elle avait refusé de collaborer avec un procureur, et la Cour avait dans cette affaire considéré que la déclaration de culpabilité découlait de motivations politiques.

[40]      En l’espèce, et j’y reviendrai ci‑dessous, il existait de graves questions relativement à la corruption dans l’appareil judiciaire en Colombie au moment de l’arrestation et de la déclaration de culpabilité de la demanderesse principale.  Par conséquent, vu son allégation d’une déclaration de culpabilité injustifiée, la demanderesse méritait que sa preuve soit davantage analysée, en particulier lorsque l’on considère qu’elle vient d’un pays où le respect de la règle de droit est sujet à caution.

 

[7]               En ce qui concerne la preuve relative à la situation du pays, la SPR a renvoyé au rapport de Transparency International (rapport indépendant reconnu comme étant fiable, ne servant pas les intérêts personnels d’un pays quelconque quant aux nécessités, attentes et subtilités diplomatiques internationales), dans lequel il est indiqué ce qui suit :

[traduction]

Le niveau relativement faible de corruption reconnue dans l’appareil judiciaire de la République turque depuis 60 ans a augmenté au cours des 20 dernières années, à telle enseigne que les enquêtes d’opinion signalent une perte croissante de la confiance du public dans l’institution. Selon le Baromètre mondial de la corruption 2005 de Transparency International, les répondants ont donné une cote de 4 au système judiciaire sur une échelle de 1 à 5 (où 5 signifie « très corrompu »).

 

Le nombre croissant de scandales impliquant des juges et des procureurs dont les médias font état alimente cette perception. Cela pourrait refléter l’augmentation de la corruption et non pas un pouvoir accru de la presse de la signaler, car la liberté de presse n’a pas augmenté de manière importante les dernières années.

 

La corruption des juges existe en dépit du fait que la constitution de la Turquie prescrit expressément « l’égalité devant la loi » et « l’indépendance des tribunaux et la justice pour tous » en tant que principes directeurs de la primauté du droit. Le niveau accru de corruption perçue a amené le public à considérer le système judiciaire comme étant le deuxième secteur le plus corrompu en Turquie, après le ministère du Revenu.

 

Cette perception est étayée par des preuves. Dans une recherche menée en 1999 par le professeur Hayrettin Ökçesiz, de l’Université d’Akdeniz, en collaboration avec le Barreau d’Istanbul, 631 des 666 avocats interrogés (95 pour cent) ont affirmé qu’il existait de la corruption dans l’appareil judiciaire. Le professeur Ökçesiz a plus tard fait l’objet d’une enquête et personne n’a plus jamais osé faire d’autres recherches. [Je souligne.]

 

Un tribunal doit préciser ce qui constitue la preuve. De plus, compte tenu du fait notoire que la Turquie n’a jamais reconnu le génocide d’un million et demi d’Arméniens perpétré dans ce pays, l’esprit du rapport de Transparency International correspond en gros à ce qui est indiqué dans les dernières phrases soulignées ci‑dessus, lesquelles font état d’un déni du présent, tout comme la non‑reconnaissance du génocide arménien est un déni du passé.

 

[8]               Pour tous les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur celle‑ci.

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal de la Section de la protection des réfugiés différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur celle‑ci. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5854‑11

 

INTITULÉ :                                                  ALIN ALTUN c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

AUDIENCE D’UNE DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE LE 28 AOÛT 2012 À PARTIR DE CALGARY (ALBERTA) ET D’EDMONTON (ALBERTA)

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  Le juge Shore

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 29 août 2012

 

 

 

COMPARUTION par voie de vidéoconférence :

 

Lorne Waldman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Rick Garvin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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