Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20120831

Dossier : IMM‑1364‑11

Référence : 2012 CF 1048

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 août 2012

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

 

DAVID DANIEL BALCORTA OLVERA

MARIA SOFIA RICALDE PEON

RODRIGO BALCORTA RICALDE

CARLA SOFIA BALCORTA RICALDE

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I. Aperçu

[1]               « [S]i une personne est exposée à une menace personnelle à sa vie ou au risque de subir des peines ou traitements cruels et inusités, ce risque n’est plus un risque général », même s’il est largement répandu dans son pays d’origine. On ne peut dire du ciblage personnel qu’il est général ou impersonnel, comme l’a tranché la juge Mary Gleason dans Portillo Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 678 (paragraphe 36).

II. Introduction

[2]               Le demandeur principal, son épouse et ses deux jeunes enfants demandent l’asile par crainte de représailles pour avoir refusé de verser à un gang criminel l’argent qu’on voulait leur extorquer. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la Commission] a rejeté leur demande d’asile, ayant conclu (i) qu’il n’y avait pas de lien avec un motif prévu par la Convention; et (ii) que le risque qu’ils couraient n’était pas suffisamment personnel.

 

III. Procédure judiciaire

[3]               La Cour est saisie d’une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision, datée du 4 janvier 2011, par laquelle la Commission a rejeté la demande d’asile des demandeurs.

 

IV. Contexte

[4]               Le demandeur principal, M. David Daniel Balcorta Olvera, né en 1978, son épouse, Mme Maria Sofia Ricalde Peon, née en 1983, leur fille, Carla Sofia Balcorta Ricalde, née en 2004, et leur fils, Rodrigo Balcorta Ricalde, né en 2008, sont des citoyens mexicains.

 

[5]               Le demandeur principal était un courtier en valeurs immobilières prospère à Cancún, au Mexique.

 

[6]               Le demandeur principal allègue qu’un homme disant appartenir au gang criminel Los Zetas, lui a téléphoné le 14 août 2009. L’homme a exigé de lui 500 000 pesos en lui disant que [traduction] « toutes les entreprises [payaient] et que [...] c’était [son] tour ». Lorsque le demandeur principal a refusé et a raccroché, l’homme l’a tout de suite rappelé pour réitérer son exigence.

 

[7]               Ces appels se sont répétés et ont commencé à s’accompagner de menaces de mort à l’endroit du demandeur principal ou d’un membre de sa famille. Le 17 août 2009, l’épouse du demandeur a intercepté l’un de ces appels.

 

[8]               Le demandeur principal s’est alors plaint à la police à Cancún. Peu après, il a commencé à remarquer des véhicules suspects et des personnes qui espionnaient sa résidence.

 

[9]               Le 30 août 2009, en rentrant chez lui, le demandeur et sa famille ont constaté qu’on y avait pénétré par effraction. La police n’a pas répondu à leurs appels pour obtenir de l’aide. Le 31 août 2009, le demandeur principal a signalé l’incident à la police et à la Procuraduria General de la Republica [la PGR]. La PGR l’a avisé qu’elle ne s’en mêlerait pas tant que personne ne serait tué ou enlevé.

 

[10]           Le 2 septembre 2009, l’épouse du demandeur a reçu un autre appel. L’interlocuteur a dit que le gang [traduction] « savait où [la famille] habitait parce qu’[il] avait déjà visité sa résidence ».

 

[11]           Le 7 septembre 2009, la police a informé le demandeur principal que c’était la PGR qui avait la responsabilité de le protéger. Lorsque le demandeur principal s’est plaint à la Commission des droits de la personne de l’État de Quintana Roo [la Commission des droits de la personne], celle‑ci lui a dit que la police n’avait pas raison, mais elle a ajouté que la police ne disposait pas des ressources et des procédures nécessaires pour assurer sa protection.

 

[12]           Alors qu’il réfléchissait à la possibilité de déménager ailleurs au Mexique, le demandeur principal appris que l’organisation Los Zetas est omniprésente au Mexique et qu’elle finirait probablement par le trouver, où qu’il aille au Mexique.

 

[13]           Les demandeurs se sont enfuis au Canada le 13 septembre 2009.

 

V. La décision faisant l’objet du contrôle

[14]           La Commission a rejeté la demande du demandeur principal fondée sur l’article 96 de la LIPR parce que sa crainte n’était liée à un aucun motif prévu par la Convention. De plus, la demande d’asile n’était pas visée par les dispositions du paragraphe 97(1) de la LIPR parce que les risques pour le demandeur principal, comme l’a indiqué la Commission, étaient d’ordre général et non personnel.

 

[15]           La Commission n’a pas accueilli l’argument selon lequel le fait d’être propriétaire d’une entreprise faisait du demandeur principal un membre d’un groupe social au sens de l’article 96 de la LIPR. Citant Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, la Commission a déclaré que l’appartenance d’une personne à un groupe se mesure par des caractéristiques innées et immuables, en fonction de ce qu’elle est et non de ce qu’elle fait. La profession, qui n’est ni immuable ni fondamentalement liée à la personne, ne peut en soi constituer un groupe social. À l’appui, la Commission a renvoyé à Sanchez c Canada, 2007 CAF 99.

 

[16]           La Commission n’a pas accepté l’argument voulant que le motif de l’opinion politique prévu par la Convention s’applique. Elle a rejeté les arguments selon lesquels une opinion politique pouvait être imputée au demandeur principal parce qu’il avait résisté au gang, qu’il avait signalé cette situation à la police et qu’il s’était plaint de l’inaction de la police auprès de la Commission des droits de la personne. Rejetant les lignes directrices du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés relatives aux victimes du crime organisé intitulées « Guidance Note on Refugee Claims Relating to Victims of Organized Crime » [les lignes directrices du HCR] présentées à l’appui de cet argument, la Commission a déclaré que le fait de résister à un gang ne constitue pas l’expression d’une opinion politique à moins que la résistance ne soit fondée sur une conviction politique.

 

[17]           La Commission a plutôt estimé que le demandeur principal était ciblé à cause de son entreprise et d’une perception à l’égard de sa fortune. Bref, sa peur était attribuable à la criminalité. Renvoyant à Larenas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 159, et Vickram c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 457, la Commission a fait observer que cette peur n’avait pas de lien avec un motif prévu par la Convention. Qui plus est, cette criminalité existait avant qu’il ne porte plainte auprès des autorités. La séquence des événements tend à indiquer que son recours aux autorités n’aurait pas pu motiver la persécution du demandeur principal.

[18]           La Commission a conclu que les risques auxquels était exposé le demandeur principal n’étaient pas suffisamment personnels pour résister à une analyse fondée sur l’article 97 de la LIPR. La Commission a indiqué que l’article 97 de la LIPR protège une personne exposée à un risque lorsqu’elle « est particulièrement visée en raison de ce qu’elle est ». Comme l’activité criminelle est un risque pour tous les Mexicains, le risque couru par le demandeur principal n’a pas été considéré comme étant personnel.

 

[19]           Bien que les gangs criminels ciblent ce sous‑groupe mexicain – les propriétaires d’entreprises fortunés – de manière disproportionnée, les risques auxquels était exposé le demandeur principal étaient généralisés. La Commission a cité plusieurs affaires, notamment Osorio c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1459, Prophète c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 31, et Acosta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 213, à l’appui de sa proposition selon laquelle les risques ne sont pas personnels lorsqu’un large sous‑groupe y est exposé.

 

VI. Les questions en litige

[20]           1) Était‑il raisonnable de la part de la Commission de conclure qu’il n’y avait pas de lien avec un motif prévu par la Convention?

2) Était‑il raisonnable de la part de la Commission de conclure que le demandeur principal était exposé à un risque général?

3) La Commission a‑t‑elle omis d’examiner des éléments de preuve importants et contradictoires?

 

VII. Dispositions législatives et réglementaires pertinentes

[21]           Les dispositions pertinentes de la LIPR sont rédigées comme suit :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

 

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes – sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

VII. Thèses des parties

[22]           Les demandeurs soutiennent que la Commission, en analysant l’existence d’un lien aux fins de l’article 96, n’a pas procédé à une évaluation personnalisée. Ils prétendent que la Commission a mal interprété la loi en déclarant qu’un acte de persécution, quel qu’il soit, qui est de nature criminelle ne peut constituer un lien. En raison de cette présumée erreur dans l’analyse juridique, la Commission n’aurait pas pris en considération les faits particuliers de l’affaire et n’aurait donc pu les évaluer par rapport à la situation particulière des demandeurs.

 

[23]           Les demandeurs contestent la décision de la Commission selon laquelle le demandeur principal n’était pas exposé à un risque personnel. S’appuyant sur Pineda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 365, les demandeurs soutiennent qu’une personne qui est expressément ciblée court un risque personnalisé, même si le public est exposé à un risque d’ordre général. Ils avancent qu’une personne précise expressément ciblée court nécessairement un plus grand risque que le public en général.

 

[24]           Les demandeurs font aussi valoir que la Commission n’a pas examiné adéquatement certains éléments de preuve importants et contradictoires, à savoir les lignes directrices du HCR. Les demandeurs citent Lopez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1341, pour étayer leur argument que l’omission de tenir compte d’une preuve contradictoire est une erreur susceptible de révision. S’appuyant sur le Guide du HCNUR cité dans Lebedev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 728, 314 FTR 286, les demandeurs soutiennent que la Commission aurait dû accorder plus de poids au document.

 

[25]           Le défendeur allègue qu’il était raisonnable de conclure qu’il n’y avait pas de lien aux fins de l’article 96. Citant Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 502, le défendeur prétend qu’un lien existe si la persécution est motivée par une caractéristique immuable et fondamentale de l’identité. Par conséquent, la profession ne peut constituer un lien. S’appuyant sur Karaseva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 1725 (QL/Lexis), et Suarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 1036 (QL/Lexis), le défendeur ajoute que la victimisation criminelle n’est pas un lien. Citant Deheza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 521, le défendeur affirme que le fait de dénoncer la corruption ne peut constituer un lien, à moins qu’elle ne représente un [traduction] « problème auquel est confronté l’État corrompu dans son ensemble ».

 

[26]           Le défendeur fait aussi valoir que le fait de se demander si le risque du demandeur est personnel suppose une nouvelle appréciation de la preuve. Citant plusieurs affaires, dont les décisions Prophète et Acosta, précitées, il avance qu’il était raisonnable de conclure que le risque auquel était exposé le demandeur principal était d’ordre général, tout simplement parce ce qu’un sous‑groupe suffisamment important avait été exposé à ce risque général. Selon le défendeur, c’est le cas si un demandeur d’asile d’un tel sous‑groupe est expressément ciblé (Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 345; Katwaru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 196).

 

[27]           Enfin, le défendeur prétend que la Commission n’était pas tenue d’examiner davantage les lignes directrices du HCR parce que la Commission a suivi les lois canadiennes applicables.

 

IX. Analyse

Norme de contrôle

[28]           La question de savoir si le demandeur principal est un membre d’un groupe social est une question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle suivant la norme du caractère raisonnable (Samuel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 973). La norme du caractère raisonnable s’applique également à l’évaluation du risque encouru par le demandeur principal, que la Commission a jugé être un risque généralisé (décision Samuel, précitée).

 

[29]           Puisque la norme du caractère raisonnable s’applique, la Cour ne peut intervenir que si les motifs de la Commission ne sont pas « justifiés, transparents ou intelligibles ». Pour satisfaire à cette norme, la décision doit appartenir aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, paragraphe 47).

 

(1) Était‑il raisonnable de la part de la Commission de conclure qu’il n’y avait pas de lien avec un motif prévu par la Convention?

[30]           L’arrêt Ward, précité, énonce qu’un « groupe social », aux termes de l’article 96 de la LIPR, renvoie aux catégories suivantes : (i) les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable; (ii) les groupes dont les membres s’associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu’ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; ou (iii) les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique. 

 

[31]           D’ordinaire, une profession ne constitue pas un lien aux fins de ce motif. La profession renvoie à ce qu’une personne fait, plutôt qu’à ce qu’elle est, et ne cadre pas avec le premier des groupes définis dans l’arrêt Ward (décision Martinez, précitée, paragraphes 9 et 10). Une profession précise n’est pas non plus si essentielle à la dignité humaine d’une personne que celle‑ci ne devrait pas être contrainte d’y renoncer. Dans l’arrêt Sanchez, précité, la Cour d’appel fédérale a soutenu que le fait d’obliger un demandeur à renoncer à une entreprise parallèle « ne constituerait donc pas une atteinte à un principe essentiel des droits de la personne » (paragraphe 19). Enfin, la Cour a statué qu’un entrepreneur en construction n’appartient pas à la troisième catégorie définie dans l’arrêt Ward (Chekhovskiy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 970, aux paragraphes 19 et 20).

 

[32]           Compte tenu de cette jurisprudence, la décision de la Commission selon laquelle l’entreprise du demandeur principal ne pouvait constituer un lien aux fins de l’article 96 était raisonnable.

 

[33]           Dans Klinko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 CF 327, [2000] ACF no 228 (QL/Lexis), la Cour d’appel fédérale a déclaré que « [d]ans les cas où […] les éléments corrompus sont si répandus au sein du gouvernement qu’ils font partie de la structure de ce dernier, une dénonciation de la corruption [du gouvernement] constitue l’expression d’une “opinion politique” » (paragraphe 35). Toutefois, dans la décision Deheza, précitée, la Cour a conclu qu’une dénonciation de la police n’équivaut pas à l’expression d’une opinion politique si elle vise « non [pas] des personnes corrompues qui font partie de l’étoffe du gouvernement », mais plutôt « un groupe très restreint de trois personnes » (paragraphe 32).

 

[34]           En l’espèce, la Commission a conclu que la résistance du demandeur principal au gang criminel n’équivalait pas à une opinion politique, au motif qu’elle n’était pas « fondée sur une conviction politique ». Il ne ressort pas du dossier que le demandeur principal avait dénoncé le gang ou la police en raison d’une forte conviction personnelle quant à la corruption au Mexique. Au contraire, le dossier semble indiquer que le demandeur principal a cherché à obtenir de l’aide auprès des autorités parce qu’il avait été victime d’agissements criminels, qu’il a également refusé de se laisser extorquer de l’argent et qu’il craignait des représailles. Qui plus est, bien que la Commission ait accueilli la preuve selon laquelle l’activité criminelle avait augmenté après que le demandeur principal eut contacté les autorités, elle a estimé qu’il avait été ciblé avant de porter plainte. Il était raisonnable de conclure, comme l’a fait la Commission, que le recours aux autorités n’était pas la cause des actes de violence dont le demandeur principal a fait l’objet.

 

[35]           Il était également raisonnable de la part de la Commission de conclure qu’en l’espèce, le demandeur principal craignait de devenir une victime d’actes criminels et que ce fait ne pouvait servir à établir un lien. Cette conclusion était cohérente avec la preuve et la jurisprudence. Dans la décision Larenas, précitée, la Cour fédérale a statué que « [l]es victimes réelles ou potentielles de crime, de corruption ou de vendetta personnelle ne peuvent généralement pas établir un lien entre leur crainte de persécution et les motifs prévus par la Convention » (paragraphe 14).

 

(2) Était‑il raisonnable de la part de la Commission de conclure que le demandeur principal était exposé à un risque général?

[36]           Pour avoir qualité de personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR, le demandeur doit faire la démonstration, selon la prépondérance des probabilités, que son renvoi dans son pays d’origine, en l’occurrence le Mexique, l’exposerait personnellement, dans toutes les parties du pays, à une menace à sa vie ou au risque de traitement ou peines cruels et inusités auxquels les autres personnes de ce pays ou originaires de ce pays ne sont pas généralement confrontées. Il est de jurisprudence constante qu’un risque peut demeurer de nature générale même s’il est ressenti de façon disproportionnée par un vaste sous‑groupe d’une population (décision Prophète, précitée, aux paragraphes 3 et 10).

 

[37]           Cependant, la jurisprudence est moins établie quant à la question de savoir si une personne personnellement ciblée par un gang criminel est exposée à un risque généralisé. Une tendance de la jurisprudence considère qu’un demandeur qui a été expressément ciblé est confronté à un risque général si la plupart de ses concitoyens (ou un sous‑groupe auquel ces concitoyens appartiennent) sont confrontés à ce même risque (décision Acosta, précitée). L’autre tendance veut qu’il soit déraisonnable d’accepter qu’un demandeur a été expressément ciblé et de conclure néanmoins que le risque n’est pas personnel au motif qu’il est répandu dans son pays (décision Pineda, précitée).

 

[38]           Dans la décision Portillo, précitée, la juge Gleason a déclaré qu’il était déraisonnable de conclure qu’un demandeur d’asile qui avait été menacé personnellement par un gang criminel était exposé à un risque de criminalité général simplement parce que la violence des gangs criminels était un phénomène généralisé dans le pays d’origine du demandeur. La juge écrit : « Les deux affirmations que la Commission fait sont tout simplement incompatibles : si une personne est exposée à une menace personnelle à sa vie ou au risque de subir des peines ou traitements cruels et inusités, ce risque n’est plus un risque général. » Une telle approche, a soutenu la juge Gleason, forcerait le sens de l’article 97 de la LIPR et ce dernier perdrait toute pertinence : « Si le raisonnement de la Commission est juste, il est peu probable qu’il existe des situations dans lesquelles cet article permettrait à quiconque d’être protégé des risques liés à la criminalité » (paragraphe 36).

 

[39]           La juge Gleason propose le critère suivant pour déterminer la nature du risque auquel un  demandeur est exposé. Premièrement, il faut chercher à savoir si le demandeur est « exposé à un risque persistant ou à venir […], quel est le risque en question et s’il consiste à être exposé à des traitements ou à des peines cruels ou inusités et, enfin, le fondement de ce risque » (paragraphe 40). Deuxièmement, il faut comparer le risque auquel le demandeur est exposé « avec celui auquel est exposée une partie importante de la population de son pays pour déterminer si ces risques sont similaires de par leur nature et leur gravité » (paragraphe 41).

 

[40]           Le membre soussigné de la Cour est d’accord avec la décision de la juge Gleason. Premièrement, il est problématique d’accepter qu’une personne qui a été expressément ciblée soit exposée à un risque auquel sont généralement exposées d’autres personnes. Le risque auquel est exposée une personne qui a été ciblée est qualitativement différent du risque auquel est exposée une personne soumise à une forte probabilité d’être ciblée. Ainsi, le premier risque ne peut être considéré comme un risque général. Deuxièmement, l’approche prise par la Commission semble évider l’article 97 de la LIPR de toute application dans le contexte criminel. Comme l’a écrit la Cour dans Lovato c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 143, « l’article 97 ne doit pas être interprété d’une manière qui le vide de son sens. Si un risque créé par une “activité criminelle” est toujours considéré comme un risque général, il est difficile de voir comment les exigences prévues à l’article 97 pourraient être satisfaites » (paragraphe 14).

 

[41]           Il était déraisonnable de la part de la Commission de conclure que le demandeur principal était exposé à un risque général. Il est irrationnel de la part de la Commission d’accepter les allégations du demandeur principal selon lesquelles il était expressément ciblé par Los Zetas et de conclure du même souffle que le risque particulier auquel il était exposé était généralement le lot des autres Mexicains. Les risques que courent les personnes qui vivent dans le même voisinage que l’homme armé ne peuvent être considérés comme étant les mêmes que ceux que courent les personnes qui se tiennent directement devant lui.

 

(3) La Commission a‑t‑elle omis d’examiner des éléments de preuve importants et contradictoires?

[42]           En ce qui concerne les lignes directrices du HCR,  la Commission n’a pas commis d’erreur dans son approche. Elle a pris connaissance du document et conclu qu’il était incompatible avec la jurisprudence canadienne. Elle ne lui a donc accordé aucun poids, comme nous l’avons vu.

 

X. Conclusion

[43]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il tienne une nouvelle audience.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal de la Section de la protection des réfugiés différemment constitué pour qu’il tienne une nouvelle audience. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, L.L.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑1364‑11

 

INTITULÉ :                                                  DAVID DANIEL BALCORTA OLVERA
MARIA
SOFIA RICALDE PEON
RODRIGO BALCORTA RICALDE
CARLA SOFIA BALCORTA RICALDE c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRAITON

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 29 août 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 31 août 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Nico G.J. Breed

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Rick Garvin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sharma & Harsanyi

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.