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Date: 20120907

Dossier : IMM-1954-12

Référence : 2012 CF 1065

Ottawa (Ontario), le 7 septembre 2012

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

 

FLORIAN BARANYI

FLORIANNE BARANYI

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Au préalable

[1]               L’argumentation des demandeurs repose principalement sur l’expérience collective des Roms en Hongrie et non sur leur histoire personnelle laquelle a été évaluée par la Section de la protection des réfugiés [SPR]. Son analyse est réfléchie et transparente et n’est pas sujette à révision.

 

[2]               La lecture du procès-verbal d’audience révèle, d’ailleurs, que la SPR a été fidèle au témoignage des demandeurs dans son analyse. Cette Cour, en raison du rôle de révision qui est le sien, ne peut simplement substituer son appréciation factuelle à celle de la SPR sur cette question (Sagharichi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 796, 182 NR 398 (QL/Lexis) (CAF).

 

II. Introduction

[3]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR], à l’encontre d’une décision de la SPR, rendue le 20 janvier 2012, selon laquelle les demandeurs n’ont ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention tel que défini à l’article 96 de la LIPR ni la qualité de personnes à protéger selon l’article 97 de la LIPR.

 

III. Faits

[4]               Les demandeurs, monsieur Florian Baranyi, 44 ans, et son épouse, madame Florianne Baranyi, 43 ans, sont citoyens de la Hongrie, d’origine ethnique rom.

 

[5]               Les demandeurs allèguent avoir fait l’objet de harcèlement dans plusieurs aspects de leur vie en raison de leur origine ethnique.

 

[6]               Les demandeurs allèguent avoir été attaqués en 2009 par six membres de la Garde hongroise, un groupe paramilitaire d’extrême droite. À cette occasion, la police aurait refusé d’intervenir puisque les demandeurs ignoraient l’identité des attaquants, mais elle les aurait accompagnés jusqu’à un arrêt d’autobus pour s’assurer qu’ils soient en sécurité.

 

IV. Décision faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire

[7]               La SPR est d’avis que les actes de harcèlement subis par les demandeurs n’équivalent pas à de la persécution, mais à de la discrimination. Pour arriver à cette conclusion, la SPR s’est référée au Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, rédigé par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [Guide]. Elle a noté que les demandeurs n’avaient jamais été privés de logement pas plus qu’ils n’avaient été empêchés de travailler, et cela, malgré les actes de discrimination allégués.

 

[8]               La SPR a, par ailleurs, conclu à la disponibilité de la protection de l’État. Après une analyse de la preuve documentaire, la SPR reconnait que les Roms sont discriminés au niveau de l’éducation, du logement ou de l’emploi. Elle est, néanmoins d’opinion, selon la preuve documentaire, que l’État hongrois a pris des mesures pour lutter contre la discrimination et que des recours s’offrent dorénavant aux Roms.

 

[9]               En ce qui concerne la crainte de persécution de la Garde hongroise, la SPR reconnaît la violence dont fait preuve ce groupe extrémiste envers les Roms. La SPR souligne, toutefois, que l’État hongrois a interdit ce groupe en 2009. La SPR admet que les membres de ce groupe se sont, par la suite regroupés en d’autres organisations, mais que le gouvernement hongrois a intensifié ses efforts pour protéger les Roms modifiant la législation à plusieurs reprises pour lutter contre les crimes haineux des groupes agissant sous le couvert de l’uniforme. Toujours en référant à la preuve documentaire, la SPR note que des poursuites ont été intentées contre des membres de la Garde hongroise.

 

[10]           La SPR conclut donc que les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État. À cet égard, elle note, d’ailleurs, que leur crainte selon laquelle la Garde hongroise aurait infiltré la police n’est pas fondée selon la preuve documentaire. La SPR note, par le fait même, que suite à l’incident d’avril 2009, les demandeurs n’ont pas requis de soins médicaux et que la police n’a pas refusé d’intervenir. En effet, les demandeurs n’étaient pas en mesure d’identifier les agresseurs ce pourquoi la police n’était pas en mesure d’entamer une enquête. Des policiers les ont tout de même accompagnés à un arrêt d’autobus, après l’incident, pour s’assurer de leur sécurité.

 

V. Point en litige

[11]           La décision de la SPR est-elle raisonnable?

 

VI. Dispositions législatives pertinentes

[12]           Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

VII. Position des parties

[13]           Les demandeurs prétendent que la SPR a mal apprécié leur témoignage relativement aux conséquences de la discrimination liée à leur origine ethnique dont ils ont été l’objet. Ainsi, elle a erré en ne considérant pas l’effet cumulatif de ces actes comme assimilable à de la persécution. Les demandeurs, par le fait même, soutiennent qu’une abondante preuve documentaire corrobore leurs allégations selon lesquelles ils sont à risque d’être persécuté en raison de leur origine ethnique. La même preuve documentaire indiquerait que l’État hongrois n’est pas en mesure d’assurer avec efficacité la protection de ses citoyens roms des groupes extrémistes comme la Garde hongroise.

[14]           Le défendeur soumet que les demandeurs ont été, au plus, victimes de discrimination et non de persécution. D’autre part, il soutient que la protection de l’État est la question principale en l’instance et qu’elle est déterminante, peu importe la conclusion de la Cour sur la question de la discrimination. À cet égard, le défendeur argumente que la preuve documentaire fait état des mesures mises en places par l’État hongrois pour lutter contre la discrimination des Roms. D’ailleurs, les policiers auraient protégé les demandeurs lors de l’incident de 2009, mais comme ces derniers ne pouvaient pas identifier leurs agresseurs, les policiers ne pouvaient procéder à l’arrestation des agresseurs.

 

VIII. Analyse

[15]           Les questions visant l’appréciation factuelle de la SPR appellent un certain degré de déférence et doivent être révisées selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708).

 

Persécution et discrimination

[16]           Cette Cour a reconnu que l’effet cumulatif d’une série d’actes discriminatoires peut équivaloir à de la persécution (Munderere c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CAF 84).

 

[17]           Dans le présent cas, la SPR s’est prononcée de manière non équivoque sur la question du cumul des actes de discrimination allégués par les demandeurs appliquant correctement le principe du cumul, se rapportant explicitement aux articles 54 et 55 du Guide.

[18]           La SPR a, toutefois, noté les faits suivants au soutien de sa conclusion négative relative à la persécution :

a.       La demanderesse a abandonné ses études de sa propre initiative, encouragée par ses parents en raison de la discrimination subie de la part des professeurs et d’autres élèves;

b.      La demanderesse a fréquenté une école normale hongroise et non ségréguée;

c.       La demanderesse a travaillé à planter des arbres;

d.      Le demandeur a possédé son propre commerce durant plusieurs années avant de déclarer faillite;

e.       Alors qu’il alléguait subir de la discrimination de la part de son employeur dans le domaine de la coupe de bois, le demandeur ne s’est jamais plaint à son employeur;

f.       Les demandeurs étaient propriétaires de leur maison.

 

[19]           En l’espèce, la SPR n’a pas erré en droit comme l’affirment les demandeurs. Cette dernière a bel et bien examiné l’effet cumulatif des actes discriminatoires, conformément aux enseignements de cette Cour. Elle a néanmoins conclu à de la discrimination en raison de son appréciation factuelle dont elle est, faut-il le rappeler, maître. À ce sujet, les demandeurs n’ont pas démontré que les conclusions de fait tirées par la SPR soient arbitraires ou non justifiées. (Référence est également faite à la décision Csonka v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2012 FC 1056 au para 68 et l’Obiter à la fin de la décision.)

 

[20]           La lecture du procès-verbal d’audience révèle, d’ailleurs, que la SPR a été fidèle au témoignage des demandeurs dans son analyse. Cette Cour, en raison du rôle de révision qui est le sien, ne peut simplement substituer son appréciation factuelle à celle de la SPR sur cette question (Sagharichi, ci-dessus).

 

[21]           De plus, la SPR, référant à la preuve documentaire, a conclu que des mesures pour lutter contre la discrimination avaient été mises en place par le gouvernement hongrois.

 

[22]           Il convient de noter que cette conclusion dépend du contexte devant être évalué avec soin par le décideur des faits. Ainsi, il ne saurait être question de la même conclusion au regard de faits minimalement divergents, les actes discriminatoires pouvant atteindre, dans d’autres circonstances, selon l’ensemble de la preuve, un degré équivalant à de la persécution.

 

Protection de l’État

[23]           Ensuite, la SPR a conclu, subsidiairement, que la protection de l’État hongrois était disponible pour les demandeurs.

 

[24]           Il est bien établi que la protection offerte par un État ne se doit pas d’être parfaite et qu’il incombe aux demandeurs de démontrer que celle-ci ne leur est pas disponible (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689; Kovacs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 1003).

 

[25]           Dans le présent cas, la SPR a reconnu objectivement la situation des Roms en Hongrie et la discrimination dont ils font l’objet dans le domaine de l’éducation, des services sociaux ou de l’emploi. Néanmoins, la SPR a dressé la liste des mesures mises en place par le gouvernement hongrois pour lutter contre la discrimination envers les minorités. La SPR a noté que durant les nombreuses années durant lesquelles les demandeurs allèguent avoir été discriminés en raison de leur origine ethnique, ils n’ont jamais tenté de se plaindre aux autorités compétentes.

 

[26]           Relativement à l’agression vécue en 2009 par les demandeurs, la SPR a retenu que la haine envers les Roms est telle que certains sont visés par des attaques de la part de groupes haineux extrémistes. Néanmoins, la SPR est d’avis, après une étude approfondie de la preuve documentaire que la protection est disponible par l’intermédiaire de corps policiers mis en places pour enquêter sur les attaques contre les Roms (Décision de la SPR au para 26).

 

[27]           La SPR a, d’ailleurs, déterminé que la crainte des demandeurs selon laquelle la police aurait été infiltrée par les groupes extrémistes n’est pas fondée au regard de la preuve documentaire. En effet, un tribunal a été créé avec l’objectif précis d’enquêter sur les plaintes dirigées à l’encontre des policiers dans un souci d’amélioration du travail du corps policier. Dans la même perspective, la SPR mentionne que les policiers trouvés coupables doivent répondre de leurs actes.

 

[28]           La SPR fait remarquer que les demandeurs n’ayant pu identifier leurs agresseurs n’ont pas permis aux policiers d’entamer une enquête. Ces derniers leur ont offert qu’une protection jusqu’à l’arrêt d’autobus.

 

[29]           Dans ces circonstances, au regard de la preuve documentaire, il était raisonnable pour la SPR de conclure que les demandeurs par cette unique tentative de plainte n’ont pas réfuté la protection de l’État (Kallai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 729).

 

[30]           Il s’agit là de constats factuels qui sont à l’abri du contrôle judiciaire puisque justifiés et non arbitraires eu égard à la preuve au dossier.

 

[31]           L’argumentation des demandeurs repose principalement sur l’expérience collective des Roms en Hongrie et non sur leur histoire personnelle laquelle a été évaluée par la SPR. Son analyse est réfléchie et transparente et n’est pas sujette à révision.

 

IX. Conclusion

[32]           À la lumière des raisons qui précèdent, la décision de la SPR et raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est, par conséquent, rejetée.

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE le rejet de la demande de contrôle judiciaire des demandeurs. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1954-12

 

INTITULÉ :                                      FLORIAN BARANYI

                                                            FLORIANNE BARANYI

                                                            c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             le 5 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                     le 7 septembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alain Vallières

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Simone Truong

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Alain Vallières, avocat

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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