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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20120910

Dossier: IMM-2691-12

Référence : 2012 CF 1066

Ottawa (Ontario), le 10 septembre 2012

En présence de Madame la juge Gagné

 

ENTRE :

 

DAILON RONALD SCOTT

DEXTON KIMRON C SCOTT

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 28 février 2012 par la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR] qui a rejeté la demande d’asile des demandeurs (le demandeur principal et son frère mineur), concluant qu’ils n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la  Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

 

[2]               Ayant attentivement pris connaissance des arguments du demandeur à l’encontre de ladite décision, et ce à la lumière de l’ensemble de la preuve au dossier, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu pour elle d’intervenir en l’espèce, la décision contestée de la SPR étant raisonnable dans les circonstances.

 

Faits

[3]               Les demandeurs sont deux frères citoyens de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, fils d’un policier à la retraite de cet État. Ils sont respectivement âgés de 28 ans (le demandeur principal) et de 13 ans (le frère mineur dont le demandeur principal était le représentant désigné devant la SPR).

 

[4]               La demande d’asile des deux frères était basée sur des motifs entièrement distincts.

[5]               Le demandeur principal allègue que ses problèmes ont commencé en décembre 2002 quand un groupe d’hommes l’ont accosté et l’ont frappé au visage en lui demandant de l’argent. Lorsque le demandeur a tenté de fuir, un des agresseurs (plus tard identifié comme Steve) l’aurait poignardé au dos avec des ciseaux. Il est alors tombé par terre et ses agresseurs l’ont battu. Suite à l’intervention de la police, deux individus (identifiés comme étant Steve et Baker) ont été arrêtés et jugés. Puisqu’ils étaient mineurs au moment des faits, ils ont réussi à obtenir pardon suite à leur condamnation, tout en étant astreints à garder la paix et à ne pas s’approcher du demandeur principal.

 

 

[6]               En 2003, des membres du même groupe auraient à nouveau approché le demandeur alors qu’il revenait du travail. Deux individus dénommés Boyle et Dario l’auraient alors frappé avec un madrier et à coups de poing. À nouveau le demandeur principal a porté plainte et les agresseurs ont été condamnés et pardonnés par la justice étant donné qu’ils étaient mineurs.

 

[7]               Le demandeur allègue que suite à ces évènements, soit en janvier 2005, il a trouvé refuge à l’Ile Canouan où il a trouvé un emploi. En juin 2006, il a cependant dû retourner à Saint-Vincent pour s’occuper de sa mère qui était malade.

 

[8]               Le demandeur aurait été attaqué une troisième fois en juillet 2008. Il allègue que lors du carnaval de Jouvert, des hommes masqués sont venus le menacer en lui disant qu’il va être tué et qu’il est un « homme mort qui marche ».

 

[9]               Le demandeur allègue que suite à cet incident, il a voyagé au Canada pour trouver refuge chez sa tante qui vit à Toronto. Il y est resté pendant trois semaines avant de retourner à Saint-Vincent-et-les-Grenadines, puis revenir au Canada le 28 novembre 2008. Sa demande d’asile a été déposée en juin 2009.

 

[10]           En ce qui concerne le demandeur mineur, sa demande d’asile date du mois d’août 2010. Il a alors rejoint son frère au Canada suite au décès de leur mère survenu le 16 juin 2010. Il demande la protection du Canada au motif qu’il craint devoir retourner vivre avec son père violent et abusif suite au décès de sa mère.

[11]           Le demandeur mineur allègue qu’en décembre 2005, après que son père ait violenté sa mère et qu’il leur ait proféré des menaces de mort, sa mère a décidé de quitter la maison familiale avec lui. Il a alors vécu sans danger avec sa mère jusqu’à son décès en juin 2010. En août 2010, le grand frère des demandeurs qui vit et fait des études à La Barbade l’aurait amené au Canada. Les demandeurs allèguent qu’aujourd’hui personne d’autre que le demandeur principal ne peut l’héberger et s’occuper de lui.

 

Décision contestée

[12]           En ce qui concerne le demandeur principal, la SPR n’a pas été convaincue de la véracité de son récit; son témoignage vague et imprécis n’ayant pas éclairé davantage la base de sa crainte subjective. La SPR a noté que le demandeur avait très peu de connaissance sur les activités du gang dont il se dit victime. Il ne connaissait pas leur chef ni le profil personnel ou criminel de ses membres. La SPR a conclu que si le demandeur principal avait réellement fait l’objet de persécution par ce gang, il se serait davantage informé sur ses membres, en prêtant attention à tout ce qui se dit ou s’écrit sur eux.

 

[13]           De plus, la SPR a jugé que le retour du demandeur principal dans son pays après avoir passé trois semaines au Canada en août 2008, ainsi que son délai pour faire sa demande d’asile en 2009 (délai d’environ sept mois) étaient incompatibles avec ce que l’on peut attendre d’une personne qui craint réellement pour sa vie. Questionné à ce sujet par la SPR, le demandeur a répondu qu’il ne connaissait pas le système d’asile canadien, qu’il avait honte de demander l’asile et qu’il avait peur d’être déporté du Canada. Ces explications n’ont pas satisfait la SPR qui a trouvé que le témoignage du demandeur à ce sujet n’était pas clair, logique et cohérent. La SPR a conclu que, sur une balance des probabilités, le demandeur ne disait pas la vérité et n’avait pas établi l’existence d’une crainte subjective.

 

[14]           La SPR a aussi mentionné que même si elle croyait le demandeur principal, celui-ci n’a pas démontré qu’il a essayé de se protéger contre les Saints en se déplaçant ou en faisant appel à la protection de l’État.

 

[15]           La SPR a d’abord mentionné que le demandeur principal aurait pu aller vivre dans un endroit autre que Greenhill (où il a été attaqué deux fois), et que ce faisant, il aurait pu être relativement en sécurité étant donné la nature même des gangs de rue qui fonctionnent de façon très localisée. La SPR a noté à ce sujet que le demandeur a déjà vécu et travaillé à Canouan pendant plusieurs mois sans problème et qu’aucune preuve ne contredit le fait qu’il lui est toujours loisible de déménager dans les plus grandes îles des Grenadines, telles que Bequia ou Canouan.

 

[16]           Par ailleurs, la SPR a mentionné qu’il y avait une protection étatique adéquate pour le demandeur principal à Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Le fait que la police n’ait pas pu identifier les agresseurs du demandeur principal lors du carnaval de Jouvert n’a rien de surprenant puisque les agresseurs étaient masqués et que le demandeur était incapable de les identifier lui-même. La SPR a noté que la police est intervenue lors des attaques précédentes et que les agresseurs ont été reconnus coupable, en partie sur la base du témoignage du demandeur principal. Cela ne serait pas possible dans des pays où les tribunaux sont réticents à intervenir pour condamner les crimes commis par des gangs de rue. De plus, le demandeur lui-même n’était pas tout à fait certain que la dernière agression qui aurait eu lieu lors du carnaval était liée aux incidents précédents.

[17]           Enfin, la SPR constate que la preuve objective contenue au Cartable national de documentation sur Saint-Vincent-et-les-Grenadines, en date du 30 novembre 2011 [Cartable], ne contient aucune information selon laquelle la police ou les tribunaux de ce pays seraient corrompus ou manqueraient d’indépendance à l’égard des gangs de rue (onglet 9.1 du Cartable: VCT102596.EF. 11 septembre 2007. Articles du code pénal qui traitent des voies de fait causant des lésions corporelles). Les statistiques disponibles démontrent plutôt qu’il y existe un système policier et judiciaire pour sanctionner les crimes violents (onglet 9.2 du Cartable: Justice Studies Center of the Americas. 2007. « Saint Vincent and the Grenadines ». Judicial Systems in the Americas 2006-2007, p. 535-538).

 

[18]           La SPR conclut que le demandeur principal n’a pas satisfait son fardeau de démontrer qu’il avait été impliqué dans quelque chose de plus sérieux qu’une bataille de rue et n’a pas pu établir son risque de persécution ou de préjudice de manière à pouvoir se prévaloir de la protection du Canada sous le sous-paragraphe 97(1)(b) de la LIPR.

 

[19]           La SPR conclut également que le demandeur mineur n’a pas rempli son fardeau de démontrer qu’il faisait face à un risque quelconque du fait de la présence de son père à Saint-Vincent-et-les-Grenadines, risque qui justifierait sa demande de protection sous le paragraphe 97(1) de la LIPR. Aucune preuve n’a été faite pour établir que le père du demandeur mineur le recherchait ou que, compte tenu du temps écoulé depuis 2005, il abuserait de lui ou le violenterait s’il le retrouvait. Par ailleurs, la SPR a noté que, sur une balance des probabilités, le père des demandeurs aurait été impliqué dans le processus d’obtention du passeport et du visa américain de son fils mineur. À ce sujet, les demandeurs ont témoigné que le demandeur mineur a voyagé avec leur frère au Canada et qu’ils ignoraient si leur père avait consenti à ce que son fils mineur quitte le pays.

 

[20]           La SPR ajoute que si le demandeur mineur n’a pas eu besoin du consentement de son père pour quitter le pays, ce dont elle doute, c’est donc dire que quelqu’un d’autre a signé la demande de passeport du demandeur mineur et que cette personne pourrait le prendre en charge. Il s’agit, selon la SPR, d’une possibilité envisageable selon la preuve documentaire (onglet 5.10 du Cartable : VCT103742.FE. 19 mai 2011. Information sur la protection et les ressources offertes par le gouvernement et les organisations non gouvernementales (ONG) aux enfants orphelins et aux orphelins dont l'un des parents est soumis à une ordonnance d'interdiction (pages 99-105, Dossier du tribunal)).

 

[21]           À la lumière de l’information contenue dans la réponse à la demande d’information (provenant du Directeur des recherches de la CISR), la SPR conclut que le demandeur mineur pourrait également être placé en famille d’accueil. Pour une meilleure compréhension des motifs de la SPR, l’extrait pertinent du document consulté est reproduit ci-dessous :

« Le directeur [des Services à la famille du Ministère de la mobilisation nationale, du développement sociale, de la famille, des personnes handicapées, de la jeunesse, des sports et de la culture] a noté que lorsque le cas particulier d’un enfant est porté à l’attention de l’État, soit par des citoyens ou des travailleurs sociaux, l’État tente d’apporter son aide (Saint-Vincent-et-les-Grenadines 29 avr. 2011). Cependant, le directeur a souligné que puisque la Saint-Vincent-et-les-Grenadines n’est pas un pays riche, il ne peut offrir qu’une [traduction] « aide limitée » (ibid). Le directeur a aussi signalé que les enfants qui sont considérés comme orphelins sont ceux dont les deux parents sont décédés ou ceux dont l’un ou l’autre parent est décédé (ibid).



Selon le directeur, ce sont parfois des membres de la famille des enfants orphelins qui s’occupent de ceux-ci après le décès de leurs parents (ibid). Dans certains cas, les personnes qui accueillent les enfants ont les moyens de s’occuper des enfants sans aide de l’État (ibid). Cependant le directeur a également expliqué que l’État peut offrir une aide financière mensuelle, selon les besoins spécifiques des enfants (ibid). Comme exemple, il a noté que l’État peut fournir de l’aide à l’achat de fournitures scolaires (ibid).

Saint-Vincent-et-les-Grenadines a également un programme de placement en famille d’accueil (Saint-Vincent-et-les-Grenadines 29 avr. 2011; ibid, s.d.b.). Selon le site Internet de la Division des services familiale, ce programme est destiné aux enfants qui ne peuvent pas vivre avec leurs parents biologiques, y compris des orphelins (ibid). Les enfants placés en famille d’accueil incluent aussi ceux dont les parents ne peuvent pas prendre la responsabilité et ceux que les parents ont rejetés, maltraités ou abandonnés (ibid). Selon le directeur, il y a environ 225 enfants qui vivent en famille d’accueil au  pays (ibid 29 avr. 2011). Le site Internet explique que ce sont les enfants âgés entre 0 à 16 ans qui peuvent être placés en famille d’accueil ((ibid. s.d.b.). D’après le site, la famille d’accueil peut obtenir [traduction] « une certaine aide financière de la part de l’État » (ibid.). »

 

[22]           La SPR a également cité l’extrait suivant pour appuyer sa conclusion quant à la possibilité pour le demandeur mineur de trouver une famille d’accueil:

“Sources indicate that the country has a foster care system (St. Vincent and the Grenadines 3 Oct. 2011; SVGHRA 30 Sept. 2011), that serves children up to 16 years (St. Vincent and the Grenadines 3 Oct. 2011). According to the Family Services director, approximately 200 children are in foster care (St. Vincent and the Grenadines 3 Oct. 2011). Of the 200 children, he claims that approximately 60 to 70 per cent are victims of child abuse, including physical abuse, sexual abuse, and gross neglect (ibid).”

 

[23]           Il convient de noter ici que la SPR a également fait référence au document contenu à l’onglet 5.2 du Cartable : VCT103849.EF. Information sur la fréquence des cas d’enfants maltraités et les formes de mauvais traitements qu’ils subissent, y compris sur les lois, la protection offerte par l’État et les services de protection de l’enfance (2008-2011), mais que seul celui se trouvant à l’onglet 5.10 est reproduit dans le Dossier du tribunal. Les réponses à la demande d’information n’étant pas disponibles sous forme électronique, la Cour prend pour acquis que l’extrait cité au dernier paragraphe de la décision sous étude est tiré de l’onglet 5.2.

[24]           Compte tenu de l’ensemble de ces motifs, la SPR a conclu que le risque de maltraitance allégué par le demandeur mineur n’était pas plus qu’une simple possibilité, insuffisante pour justifier sa demande de protection. Enfin, la SPR a noté que, dans l’alternative, le grand frère du demandeur qui l’a amené au Canada pourrait le prendre en charge advenant que l’enfant soit forcé de vivre avec son père et que ce dernier en abuse ou le violente.

 

Questions en litige et normes de contrôle applicables

[25]           Les demandeurs ont soulevé les questions suivantes dans leur demande de contrôle judiciaire :

a.       La SPR a-t-elle mal évalué la crédibilité du demandeur principal à l’égard de sa crainte subjective et la crainte du demandeur mineur?

b.      La SPR a-t-elle commis une erreur en considérant que la protection de l’État existait pour les demandeurs?

c.       Le fait que la SPR n’ait pas avisé le demandeur principal que la possibilité de refuge interne était un enjeu important l’a-t-il privé de l’équité procédurale à laquelle il avait droit?

 

[26]           La première question concerne l’évaluation de la preuve et de la crédibilité des demandeurs par la SPR, laquelle est révisable selon la norme de la décision raisonnable. En conséquence, les conclusions de la SPR doivent être maintenues à moins que le raisonnement sous-jacent soit vicié et que la décision qui en résulte soit étrangère « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]; Byaje c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 90 au para 5, [2010] ACF 103).

 

[27]           Il en va de même pour les questions mixtes de droit et de faits concernant la détermination, par la SPR, de l’existence de la protection de l’État (Greaves c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 736 au para 5, [2012] ACF 754) et ses conclusions factuelles relatives à la disponibilité d’un refuge interne (Franklyn c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1249 au para 18, [2005] ACF 1508; Rueda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 828 au para 58, [2009] ACF 937).

 

[28]           Enfin, la question de savoir si les demandeurs ont eu l’occasion de soumettre leurs observations sur la possibilité de refuge interne est une question d’équité procédurale, révisable selon la norme de la décision correcte (Gomes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 419 au para 6, [2006] ACF 520 [Gomes]).

Analyse

[29]           Pour les raisons qui suivent, je suis d’avis que l’intervention de la Cour n’est pas requise en l’espèce.

La SPR a-t-elle mal évalué la crédibilité du demandeur principal à l’égard de sa crainte subjective et la crainte du demandeur mineur?

 

 

 

La crédibilité du demandeur principal

[30]           Le demandeur principal soumet que la SPR a fait preuve de spéculation et d’inférence dans son analyse de sa crédibilité et qu’il n’était pas raisonnable pour elle de reprocher au demandeur de ne pas connaître le chef du gang dont il se dit victime ou ses membres, de ne pas avoir suivi les journaux ou l’actualité par rapport à ce gang et de ne pas savoir exactement si des membres du gang avaient commis des activités criminelles ou avaient purgé des sentences. Il prétend que la SPR lui a imposé un fardeau de preuve excessif puisqu’il ne vit plus à Saint-Vincent depuis 2008. Il prétend aussi que le fait pour lui de porter une attention particulière aux activités du gang aurait pu lui attirer encore plus les foudres de ses membres. Il soumet que la SPR ne pouvait s’attendre à ce qu’il fasse le travail d’enquête d’un policier.

[31]           Considérant qu’il s’agissait de la base même de la demande d’asile du demandeur principal, il ne fait aucun doute que la SPR pouvait raisonnablement questionner les faits pour s’assurer de leur véracité. À la lecture des transcriptions de l’audience, la Cour partage l’opinion de la SPR et du défendeur à l’effet que le témoignage du demandeur principal sur le gang était généralement vague et imprécis. Ce n’est qu’après avoir été réinterrogé plusieurs fois sur les activités et les crimes commis par les membres de ce gang que le demandeur principal a fini par mentionner quelques incidents de meurtre et d’agression, sans pour autant donner plus de précision ou d’information sur l’issue de ces affaires ou sur les personnes impliquées. Contrairement à ce que le demandeur prétend, je ne suis pas convaincue qu’il s’agisse d’un fardeau de preuve excessif. Son témoignage permettait de douter raisonnablement du fait qu’il se sentait véritablement ciblé et harcelé par le gang. Le raisonnement du tribunal à l’effet que si le demandeur principal s’était senti harcelé, il se serait informé davantage au sujet de ce gang, n’était pas déraisonnable en soi. Les questions de la SPR à ce sujet portaient de toute évidence sur l’époque où le demandeur vivait dans son pays.

[32]           La Cour ne peut intervenir pour réévaluer la preuve tant que la conclusion de la SPR se justifie comme étant raisonnable au regard de la preuve. J’estime que c’est le cas en l’espèce. Puisque le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il croyait avoir été ciblé par les membres de ce gang, la SPR n’a pas pu déterminer si le risque allégué était personnalisé et prospectif.

 

[33]           Le demandeur principal soumet que la SPR a relevé des contradictions là où il n’y en avait pas dans son analyse des motifs invoqués par le demandeur pour ne pas avoir fait une demande d’asile à la première occasion, soit lors de son premier voyage au Canada en août 2008.

 

[34]           Ayant pris connaissance des transcriptions de l’audience, je suis d’avis qu’il n’y a pas de contradiction majeure dans le témoignage du demandeur principal à cet égard, quoique les conclusions de la SPR ne me semble pas non plus déraisonnables. Il était raisonnable pour la SPR de tirer une inférence négative sur la crédibilité du demandeur principal, à l’égard de sa crainte subjective de persécution, du temps écoulé entre son arrivée au Canada et sa demande d’asile et du fait qu’il soit retourné à Saint-Vincent après une première visite au Canada.

 

[35]           Une ancienne jurisprudence de la Cour d’appel fédérale indique que « le retard à formuler une revendication du statut de réfugié ou à quitter le pays de persécution n’est pas un facteur déterminant en soi. Il demeure cependant un élément pertinent dont le tribunal peut tenir compte pour apprécier les dires ainsi que les faits et gestes d’un revendicateur. » (Huerta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] ACF 271, 1993, 157 NR 225 (CAF)).  La jurisprudence de cette Cour reconnaît que le retard d’un demandeur d’asile à demander la protection peut être un facteur raisonnable dans la détermination de la véracité de sa crainte subjective, notamment lorsque la crédibilité de son récit est déjà entachée (Peti c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 82 au para 42, [2012] ACF 68; Valera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1384 au para 13, [2008] ACF 1775). De plus, le fait pour un demandeur d’asile de retourner dans son pays après l’avoir quitté une première fois est un autre facteur qu’il est raisonnable de prendre en compte (Rocha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 195 aux para 8-10, [2010] ACF 228). À la lumière de cette jurisprudence, j’estime que la conclusion de la SPR dans le cas présent n’était pas déraisonnable.

 

[36]           En ce qui concerne le rapport médical soumis par le demandeur principal, il pourrait corroborer le fait que le demandeur principal a subi des sévices corporels dans le passé, mais il ne peut corroborer sa prétendue crainte subjective et prospective de persécution.  Puisque la SPR a conclu que le demandeur principal avait vraisemblablement été impliqué dans des batailles de rue, le rapport médical ne lui est d’aucune aide et la SPR n’avait pas l’obligation d’y référer dans ses motifs. Le simple fait de ne pas y avoir fait référence ne permet pas à la Cour de conclure que la SPR a fait défaut de le considérer (Florea c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1993] ACF 598).

 

 

 

[37]           Le rôle de cette Cour dans le cadre d’une révision judiciaire n’est pas de refaire l’exercice de l’évaluation de la preuve et ainsi « usurper le rôle de la Commission qui consiste à juger les faits » pour reprendre l’expression du juge Mosley dans Gardanzari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1047 au para 14, [2005] ACF 1320.

 

La crainte du demandeur mineur

[38]           En ce qui concerne le risque allégué par le demandeur mineur, à savoir le fait de devoir vivre avec son père, une précision s’impose avant d’aborder les arguments des demandeurs.

 

[39]            Les demandeurs contestent toutes les solutions alternatives proposées par la SPR, à savoir la possibilité pour le demandeur mineur d’être placé en famille d’accueil, de vivre avec d’autres membres de sa famille ou, alternativement, avec son frère qui l’a accompagné au Canada si tant est qu’il n’ait d’autre choix que de vivre avec son père et que ce dernier soit abusif ou violent. Il ne faut pas perdre de vue que cette partie de la décision n’est qu’une suite logique de la conclusion de la SPR sur le fondement de la demande d’asile du demandeur mineur. La SPR a conclu, selon la balance des probabilités, que le demandeur mineur ne serait pas à risque de maltraitance par son père s’il devait retourner dans son pays, étant donné qu’il n’avait eu aucun problème depuis 2005 et qu’il y avait des motifs valables de croire que son père a consenti à ce qu’il obtienne un passeport et quitte le pays.

 

 

 

 

 

[40]           Les demandeurs n’ont présenté aucune preuve à l’effet que le père était déchu de son autorité parentale ou que le lien parental entre le demandeur mineur et son père était brisé au point où le consentement du père n’était pas requis pour que le demandeur mineur quitte le pays. Le cas échéant nous dit la SPR, le demandeur mineur n’aurait pas à vivre chez son père advenant son retour dans son pays, il pourrait vivre avec la personne qui a signé sa demande de passeport, que ce soit son frère ou un autre membre de sa famille.

 

[41]           Les demandeurs soutiennent qu’il s’agit d’une conclusion sans appui factuel et que le tribunal aurait dû prendre tous les moyens raisonnables afin de clarifier sa compréhension des faits s’il voulait baser sa décision sur cette conclusion.

 

[42]           Pour sa part, le défendeur réfère la Cour à une réponse aux demandes d’information (onglet 3.5 : VCT103090.EF. 23 mars 2009. Information sur la marche à suivre afin d’obtenir un passeport pour mineur; information indiquant si l'autorisation écrite des deux parents est requise), qui fait état des instructions pour présenter une demande de passeport pour un mineur, disponibles sur le site Internet de l’Organisation des États des Caraïbes orientales. On peut y lire que  « les enfants âgés de moins de 16 ans doivent remplir le formulaire B et faire signer la demande par le parent ».

 

[43]           Bien que la SPR n’ait pas spécifiquement référé à ce document dans ses motifs, elle a néanmoins connaissance spécialisée de telles démarches. Je suis d’avis que dans les circonstances  cette Cour doit accorder un certain niveau de déférence aux observations de la SPR, particulièrement dans le contexte où les demandeurs n’ont pas été en mesure d’apporter un quelconque éclairage sur cette question. Le fardeau leur en incombait (Soares c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 190 au para 22, [2007] ACF 254).

 

[44]           Je suis d’avis que tous les autres arguments du demandeur mineur, avec lequel nous pouvons certainement compatir, sont davantage du ressort d’une demande de résidence permanente pour des motifs humanitaires (dans la mesure où la demande d’asile du demandeur principale était accueillie) que du ressort d’une demande d’asile pour les motifs énumérés aux articles 96 et 97 de la LIPR.  En d’autres termes, il suffisait à la SPR de conclure que le demandeur mineur n’avait aucune crainte subjective de persécution advenant son retour au pays pour disposer de sa demande d’asile au Canada.

 

[45]           J’en conclus que la SPR n’a pas mal évalué la crainte du demandeur mineur, ni a-t-elle tiré d’autres conclusions de faits erronées à l’égard de sa demande de protection.

 

 

La SPR a-t-elle commis une erreur en considérant que la protection de l’État existait pour les demandeurs

 

[46]           Les arguments des demandeurs au niveau de la protection de leur État sont fondés essentiellement sur les faits. Le demandeur principal soumet que le fait que ses agresseurs ont réussi à obtenir un pardon (après avoir été reconnu coupable) démontre non seulement un manque de volonté de la part des tribunaux de punir les membres de gangs de rue, mais également qu’ils ne peuvent intervenir au niveau des groupes même s’ils peuvent punir ses membres. En d’autres termes, même si les agresseurs sont condamnés, cela n’empêchera pas les autres membres du gang d’essayer de se venger contre lui ou de continuer à le persécuter.

[47]           Les deux parties s’appuient sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] ACF 399 [Carrillo] pour soutenir que la protection de l’État doit (selon le demandeur), ou ne doit pas (selon le défendeur), être adéquate. Selon la jurisprudence majoritaire de cette Cour, la norme retenue est celle de la protection « adéquate » et non celle de la protection « effective ou parfaite » de l’État (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Villafranca, [1992] ACF 1189, 99 DLR (4e) 334 (CAF); Mendez c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 584 aux para 18-23, [2008] ACF 771; Cueto c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 805 aux para 27-28, [2009] ACF 917).

 

 

[48]           Dans la décision devant moi, la SPR s’est fondée sur une preuve documentaire objective pour conclure qu’il existe un système policier et judiciaire pour sanctionner les crimes violents à Saint-Vincent-et-les-Grenadines et qu’il n’y a aucune preuve à l’effet que ce système soit corrompu ou partial. La conclusion de la SPR à l’effet que ce principe est confirmé dans le cas du demandeur principal qui a obtenu une certaine protection lors des deux agressions dont il a été victime est également raisonnable. Le fait que les agresseurs du demandeur principal aient pu bénéficier d’un pardon n’établit pas que l’État est incapable d’agir ou refuse d’agir, dans le contexte où dans le cas des deux premières agressions les agresseurs étaient des mineurs et que lors du troisième incident, le demandeur principal a été lui-même incapable d’identifier ses agresseurs.

 

[49]           Une protection adéquate n’inclut pas une protection préventive au sens où le demandeur l’entend, soit que la condamnation de ses agresseurs empêche systématiquement qu’il soit victime d’agression dans le futur. Le risque auquel le demandeur principal fait face a été analysé par la SPR qui a conclu, selon la balance des probabilités, qu’il n’était pas appréciable. La décision de la SPR est justifiable et raisonnable à cet égard.

 

[50]           En ce qui concerne le demandeur mineur, la Cour rappelle qu’il existe une présomption selon laquelle les États sont en mesure de protéger leurs citoyens sauf dans le cas où ils ne peuvent le faire à cause de l’effondrement complet de l’appareil étatique (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 au para 50). Il est bien établi qu’il incombe au demandeur d’asile de réfuter cette présomption en présentant une preuve « pertinente, digne de foi et convaincante » qui démontre, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État est inadéquate dans son cas (Carrillo, précitée, au para 30). Aucune telle démarche n’a été faite par les demandeurs en l’espèce pour tenter d’obtenir la protection de l’État à l’égard du demandeur mineur et ils n’ont pas non plus établi que ce n’était objectivement pas raisonnable de le faire.

 

Le fait que la SPR n’ait pas avisé le demandeur principal que la possibilité de refuge interne était un enjeu important l’a-t-il privé de l’équité procédurale à laquelle il avait droit

 

[51]           Le demandeur principal  soumet que la SPR n’a pas respecté son obligation de faire preuve d’équité procédurale du fait qu’elle n’a pas invoqué la question du refuge interne en début d’audience et que, de ce fait, il a été privé de l’occasion de présenter ses observations sur ce point. Les demandeurs ont invoqué plusieurs décisions de cette Cour – dont Augustine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF 1069; Sivamayam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF 1218; et Gomes, précitée – pour prétendre que la SPR avait l’obligation de porter à leur attention, en début d’audience, toutes les questions importantes soulevées par leur demande d’asile.

 

[52]           Dans Gomes, le juge Barnes fait une revue de la jurisprudence applicable en la matière. Il s’en dégage que l’obligation de la SPR consiste à s’assurer que le demandeur a connaissance de toutes les questions « qu’elle estime être les questions susceptibles d’être déterminantes » (Gomes, précitée, au para 7). D’entrée de jeu, la SPR s’est adressée aux demandeurs en ces termes :

“So with respect to the issues, well we’ll have to investigate the fear of the claimant today, what the claimants fear if they were returned. Credibility of course is always in play, and state protection is of course the key concern.”

 

[53]           Il est vrai que la question de la possibilité de refuge interne n’a pas été soulevée à ce stade de l’audience, mais le procureur des demandeurs a interrogé le demandeur principal à ce sujet. Il prétend toutefois que si cette question avait été identifiée comme déterminante en début d’audience, il aurait davantage insisté sur ce point lors de son interrogatoire.

 

[54]           La transcription de l’instance et les observations écrites du procureur des demandeurs devant la SPR révèlent que celui-ci non seulement avait connaissance de cet aspect de la demande, mais également qu’il le considérait suffisamment important et déterminant pour le soulever dans son argumentation orale et écrite. Cet argument est donc rejeté (voir Thevarajah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1654 au para 16, [2004] ACF 2008).

 

[55]           Pour conclure, l’intervention de la Cour dans ce dossier n’est pas requise. Aucune question d’importance générale n’a été proposée et le dossier n’en soulève aucune.

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

« Jocelyne Gagné »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER:                                         IMM-2691-12

 

INTITULÉ:                                       Dailon Ronald Scott & Dexton Kimron C Scott

                                                            et MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE:               Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE:              Le 29 août 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT &

JUGEMENT :                                   L’HONORABLE JUGE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 10 septembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS:

 

Me Éric Taillefer

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Gretchen Timmins

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

Me Éric Taillefer

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Complexe Guy Favreau

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

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