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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20120910

Dossier : IMM-324-12

Référence : 2012 CF 1070

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 septembre 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

KALMAN LAKATOS, ERIKA BALOGH,
MIRELLA LAKATOS ET
KALMAN LAKATOS (FILS)

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision, en date du 20 décembre 2011, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a conclu qu’ils n’étaient ni des réfugiés, ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

I.          Faits

 

[3]               Les demandeurs – Kalman Lakatos, son épouse, Erika Balogh, et leurs deux enfants mineurs, Kalman Lakatos (fils) et Mirella Lakatos – sont des citoyens hongrois d’ethnie rom. Ils sont arrivés au Canada le 10 décembre 2009 et ont présenté leur demande d’asile le 14 décembre suivant, invoquant la discrimination et le harcèlement dont ils sont victimes en Hongrie parce qu’ils sont rom.

 

[4]               Les demandeurs rapportent en particulier les événements suivants comme fondement de leur demande d’asile. Premièrement, M. Lakatos a été attaqué en 1996, lorsqu’il était adolescent, par quatre skinheads alors qu’il revenait de l’école avec deux de ses amis. On lui a, à cette occasion, cassé le nez et quelques côtes. Deuxièmement, alors qu’elle revenait de ses courses, Mme Balogh a été suivie par des skinheads, qui lui ont crié des injures racistes et l’ont giflée. Troisièmement, lorsqu’elle a été hospitalisée pour donner naissance à ses deux enfants, Mme Balogh a été placée avec d’autres femmes rom dans une salle séparée des autres patientes hongroises, et elle a reçu un traitement inégal. Enfin, un mois avant leur départ pour le Canada, les demandeurs ont découvert une croix gammée peinte sur la porte d’entrée de leur maison.

 

II. Décision sous contrôle

 

[5]               La Commission a conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau d’établir qu’ils étaient des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR. Estimant que la question décisive était de savoir si la crainte des demandeurs était objectivement raisonnable, la Commission a axé son analyse sur les questions de savoir si la protection de l’État est adéquate en Hongrie, si les demandeurs ont pris toutes les mesures nécessaires pour s’en prévaloir et s’ils ont fourni une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État à les protéger.

 

[6]               Après un examen détaillé de la preuve documentaire, qui contenait à son avis des contradictions, la Commission a conclu que la protection de l’État en Hongrie est adéquate. Elle a rappelé que l’on présume que les États sont capables de protéger leurs citoyens, et qu’il incombe aux demandeurs de réfuter cette présomption par une preuve claire et convaincante susceptible d’amener la Commission à accepter, selon la prépondérance des probabilités, que l’État en cause n’est pas en mesure de le faire.

 

[7]               Même si la preuve faisait état d’une discrimination répandue et d’incidents de persécution contre les Rom en Hongrie, la Commission a conclu que le gouvernement hongrois avait pris un certain nombre de mesures institutionnelles et légales pour améliorer la situation de cette minorité, et que les demandeurs pouvaient y avoir recours au besoin. La Commission a cité à titre d’exemple le commissaire parlementaire pour les droits des minorités nationales et ethniques (ombudsman des minorités), qui reçoit les plaintes de personnes estimant que leurs droits en tant que membres d’une minorité ou d’une ethnie ont été bafoués en raison d’une décision d’une agence gouvernementale, d’une procédure ou de négligence.

 

[8]               De plus, la Commission n’était pas convaincue que les demandeurs avaient pris toutes les mesures raisonnables pour obtenir la protection de l’État en Hongrie. M. Lakatos ne s’est adressé à la police qu’une seule fois lorsqu’il était mineur. Aucune autre plainte n’a été portée devant une autre institution en place. La Commission a conclu, compte tenu des circonstances particulières de l’affaire, que les demandeurs n’avaient pas fourni la preuve claire et convaincante requise du caractère inadéquat, selon la prépondérance des probabilités, de la protection de l’État en Hongrie.

 

III.       Questions en litige

 

[9]               La seule question à trancher en l’espèce est celle de savoir si la Commission a commis une erreur dans son évaluation de la protection de l’État.

 

IV.       Norme de contrôle

 

[10]           La conclusion de la Commission touchant la protection de l’État se rapporte à des questions de fait et de droit, et elle est donc susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (voir Mendez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 584, [2008] ACF no 771, aux paragraphes 11 à 13; Pinto Ponce c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 181, [2012] ACF no 189, au paragraphe 25). Comme il a été énoncé dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] RCS 190, la raisonnabilité tient principalement « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » (voir paragraphe 47). La Cour n’interviendra que si la décision en question n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

V.        Analyse

 

[11]           Les demandeurs font valoir que la Commission a commis trois erreurs dans son évaluation de la protection de l’État : (i) elle a fourni des motifs contradictoires et a mal formulé le critère requis pour réfuter la présomption de protection de l’État dans son analyse de la crainte objective; (ii) elle n’a pas tenu compte de la situation particulière des demandeurs en se prononçant sur leur obligation de chercher à obtenir la protection de l’État; (iii) elle n’a pas tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe à l’égard de Mme Balogh.

 

(i)         Motifs contradictoires et réfutation de la présomption de protection de l’État

 

[12]           Les demandeurs font valoir que pour être adéquate, la protection de l’État doit être un tant soit peu efficace. Ils invoquent à cet égard une jurisprudence abondante, et soutiennent en outre que la Commission a eu tort de s’attarder sur les efforts du gouvernement hongrois en vue d’améliorer la situation des Rom, au lieu d’examiner les résultats. Ils affirment enfin qu’il ne leur appartient pas de fournir toute la preuve requise pour réfuter la présomption de protection de l’État, et que la Commission aurait dû concilier les éléments de preuve qu’ils avaient soumis avec ceux de la Section de la protection des réfugiés.

 

[13]           Je ne puis accepter les arguments des demandeurs sur cette question pour deux raisons principales. Premièrement, la jurisprudence établit clairement qu’il incombe aux demandeurs de présenter une preuve claire et convaincante susceptible de réfuter la présomption de protection de l’État selon la prépondérance des probabilités (Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] ACF no 399, au paragraphe 38; Kis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 606, [2012] ACF no 603, au paragraphe 15). Un demandeur d’asile en provenance d’un pays démocratique doit s’acquitter d’un lourd fardeau, en ce qui a trait à la qualité de la preuve, pour démontrer que la protection de l’État n’est pas disponible (Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, [2007] ACF no 584, au paragraphe 57; arrêt Carillo, précité, au paragraphe 26). La Commission a correctement formulé et appliqué le critère, et a raisonnablement conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de leur fardeau de réfuter la présomption de protection de l’État en l’occurrence.

 

[14]           Deuxièmement, la Cour a rappelé plusieurs fois que le critère relatif à la protection de l’État n’est pas de savoir si celle‑ci est en soi efficace, mais si elle est adéquate (Kaleja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 668, [2011] ACF no 840, au paragraphe 25; arrêt Carillo, précité). La Cour et la Cour suprême ont d’ailleurs souligné que la protection accordée aux réfugiés est une protection qui supplée à celle de l’État dont le demandeur a la nationalité (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, au paragraphe 18; Flores c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 723, [2008] ACF no 969, au paragraphe 10). À ce titre, « [i]l ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation » (décision Flores, précitée, au paragraphe 10; Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca, [1992] ACF no 1189, 18 Imm LR (2d) 130 (CAF)).

 

[15]           La Commission a examiné la preuve dont elle disposait et, bien qu’elle l’ait jugée contradictoire, elle est parvenue à une conclusion appartenant aux issues acceptables au regard des faits. Elle a raisonnablement évalué les différents programmes en place pour parer aux difficultés particulières auxquelles font face les Rom en Hongrie avant de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État était adéquate.

 

(ii)        Situation particulière des demandeurs

 

[16]           Je n’ai pas trouvé convaincant l’argument des demandeurs selon lequel la Commission n’a pas tenu compte de leur situation particulière avant de conclure qu’ils n’avaient pas pris toutes les mesures raisonnables pour se prévaloir de la protection de l’État. La Commission a expressément interrogé les demandeurs sur ce point à l’audience. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’était allé voir la police qu’une seule fois, M. Lakatos a même déclaré qu’il [traduction] « comprenait ce que [le commissaire] voulait dire ». La Commission s’est raisonnablement informée de la situation particulière des demandeurs et a légitimement conclu (i) que ces derniers n’avaient pas pris toutes les mesures raisonnables pour se prévaloir de la protection de l’État et (ii) qu’aucune exception à cette règle n’était justifiée en l’espèce.

 

(iii)       Directives concernant la persécution fondée sur le sexe

 

[17]           Les demandeurs avancent que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte des « Directives no 4 : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe – Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration, mise à jour » (Directives concernant la persécution fondée sur le sexe) lorsqu’elle a rendu sa décision. Je ne puis accepter cet argument.

 

[18]           Premièrement, le fait que les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe n’aient pas été mentionnées ne signifie pas que la Commission n’en a pas tenu compte. Comme le fait remarquer le défendeur, la Cour a estimé qu’il n’était pas nécessaire que la Commission renvoie explicitement et systématiquement aux Directives dans sa décision (Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 31, [2010] ACF no 41, au paragraphe 23; Munoz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1273, [2006] ACF no 1591, au paragraphe 30).

 

[19]           Par ailleurs, la Cour a conclu que les directives en question ne constituent pas une preuve susceptible d’étayer la demande d’asile de demandeurs (voir S.I. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1662, [2004] ACF no 2015, au paragraphe 9), pas plus qu’elles ne sont censées « corriger toutes les lacunes que comporte la demande ou la preuve de la demanderesse » (Karanja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 574, [2006] ACF no 717, au paragraphe 5). Comme l’indique le défendeur, la Cour a également déclaré que « les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe ne délient pas nécessairement les demandeurs de leur obligation de rechercher la protection de l’État » (Canseco c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 73, [2007] ACF no 115, au paragraphe 10).

 

[20]           L’avocate des demandeurs renvoie au passage suivant des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe :

Si la revendicatrice peut montrer clairement qu’il était objectivement déraisonnable pour elle de demander la protection de l’État, son omission de le faire ne fera pas échouer sa revendication. En outre, que la revendicatrice ait ou non cherché à obtenir la protection de groupes non gouvernementaux ne doit avoir aucune incidence sur l’évaluation de la protection qu’offre l’État.

 

[21]           En l’espèce, après avoir tenu compte de la situation en particulière de la demanderesse, la Commission a estimé que cette dernière n’avait pas démontré qu’il était objectivement déraisonnable qu’elle cherche à obtenir la protection de l’État. D’ailleurs, les raisons invoquées par Mme Balogh pour justifier qu’elle ne se soit pas tournée vers l’État concernaient surtout son identité ethnique. Elle a déclaré qu’elle ne s’était pas adressée au gouvernement autonome minoritaire rom parce que [traduction]« ce sont aussi des Rom, ils reçoivent le même traitement que n’importe quel autre Rom ». Par ailleurs, bien qu’elle ait déclaré à l’audience qu’elle ignorait l’existence du bureau de l’ombudsman des minorités à l’époque de la naissance de ses enfants, Mme Balogh a affirmé qu’elle s’y serait rendue pour se plaindre de la manière dont elle avait été traitée à l’hôpital. Elle a laissé entendre que l’ombudsman aurait peut-être pu aider d’autres femmes rom si elle avait fait appel à lui. Compte tenu des circonstances de l’affaire, je suis convaincu que la décision de la Commission au regard de Mme Balogh était raisonnable.

 

VI.       Conclusion

 

[22]           Après avoir examiné la preuve dont elle disposait, la Commission a raisonnablement conclu que les demandeurs n’avaient pas fourni de preuve claire et convaincante permettant de réfuter, selon la prépondérance des probabilités, la présomption de protection de l’État.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-324-12

 

INTITULÉ :                                      KALMAN LAKATOS ET AL c MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 5 SEPTEMBRE 2012

 

Motifs du jugement

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 10 SEPTEMBRE 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sarah L. Boyd

 

POUR LES DEMANDEURS

Suran Bhattacharyya

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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