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Date : 20120912

Dossier : IMM‑5813‑11

Référence : 2012 CF 1078

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 septembre 2012

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

DARSHAN KAUR

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision, en date du 5 août 2011, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du Statut de réfugié (la Commission) a refusé de reconnaître à la demanderesse la qualité de réfugiée au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la Loi et celle de personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la Loi. Cette décision était fondée sur les conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité et de la crainte subjective de la demanderesse.

 

[2]               La demanderesse demande à la Cour d’annuler la décision de la Commission et de renvoyer l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

Contexte

 

[3]               La demanderesse, Darshan Kaur, est une citoyenne de l’Inde originaire d’une région rurale du Pendjab. Elle a épousé Malkit Singh en 1971. Ils ont eu deux enfants qui sont maintenant d’âge adulte. Leur fille, Palvinder Kaur, vit en Angleterre, et leur fils, Balbir Singh, vit en Inde avec son père.

 

[4]               La demanderesse a expliqué dans son témoignage que son époux la traitait comme une servante, l’obligeant à s’occuper seule des enfants et à accomplir des tâches ménagères, à travailler à la ferme familiale et à effectuer en plus des travaux agricoles supplémentaires pour d’autres agriculteurs. Si elle refusait d’effectuer ces travaux supplémentaires pour lesquelles il était rémunéré, il la battait. La demanderesse a également expliqué que son mari la violait et la forçait à se prostituer avec d’autres hommes du village. Pendant tout ce temps, il a eu de nombreuses aventures avec d’autres femmes. La demanderesse a expliqué qu’elle avait tenté sans succès d’obtenir la protection de la police et d’un refuge pour femmes.

 

[5]               Avec l’aide de voisins, la demanderesse a quitté, en 2008, l’Inde pour se rendre aux États‑Unis. Elle a vécu au New Jersey entre mai et août 2008. Le 22 août 2008, avec l’aide d’une connaissance d’un voisin en Inde, elle est entrée au Canada. Elle a demandé l’asile le 8 juillet 2009.

 

[6]               Après que la demanderesse eut quitté l’Inde, son mari a commencé à cohabiter avec une autre femme dans leur foyer conjugal.

 

[7]               Le 21 juin 2011, Mme Lydia Kwa a procédé à l’évaluation psychologique de la demanderesse. Un compte rendu de cette évaluation a été déposé auprès de la Commission. Mme Kwa a tout d’abord résumé les violences conjugales dont la demanderesse avait été victime. Elle a fait observer que la demanderesse souffrait toujours de douleurs lombaires et de problèmes au poignet en raison des violences qu’elle avait subies. Mme Kwa a également fait observer que le mari de la demanderesse avait interdit à cette dernière de fréquenter le temple et qu’il s’était également livré à des violences physiques sur leurs enfants. Mme Kwa a expliqué que la mère de la demanderesse a amené avec elle, en Angleterre, la fille adolescente de la demanderesse pour fuir les violences et éventuellement la prostitution à laquelle son père pourrait la contraindre. Mme Kwa a également indiqué que la fille de la demanderesse soutenait beaucoup sa mère et l’appelait chaque jour. En revanche, le fils de la demanderesse vit avec son père et, comme il espère recevoir les biens de ce dernier en héritage, il n’offre aucun appui à sa mère ou à sa sœur.

 

[8]               Mme Kwa a expliqué que, même si la demanderesse a de la famille en Angleterre, elle ne s’est pas enfuie en Angleterre parce qu’elle croit que son mari pourrait facilement la retrouver là‑bas. En fait, pour la protéger, personne n’a dit au mari de la demanderesse l’endroit où elle se trouve depuis qu’elle a quitté l’Inde en 2008. Sa fuite de l’Inde a été rendue possible grâce à l’aide de diverses personnes de son village.

 

[9]               Dans son rapport psychologique, Mme Kwa a conclu que la demanderesse montrait des signes marqués de séquelles psychologiques à divers égards. À la suite de l’entrevue clinique, de ses observations in situ et de l’examen des réponses données par la demanderesse au questionnaire écrit, elle a conclu que tout indiquait que la demanderesse souffrait d’un trouble de stress post‑traumatique complexe (TSPT). Mme Kwa a également expliqué que la demanderesse souffrait d’anxiété grave.

 

[10]           L’audience relative à la demande d’asile de la demanderesse a eu lieu le 27 juin 2011. À la clôture de l’audience, M. Khan, le consultant en immigration de la demanderesse, a demandé qu’on lui accorde plus de temps pour présenter ses observations écrites. La Commission a acquiescé à sa demande et lui a donné jusqu’au 22 juillet 2011 pour présenter des observations complémentaires.

 

[11]           Le 21 juin 2011, M. Khan a transmis par télécopieur au registraire une lettre dans laquelle il demandait un délai supplémentaire pour formuler ses observations. M. Khan affirme que cette demande est restée sans réponse. Or, dans sa décision, la Commission a indiqué que M. Khan s’était vu accorder une prorogation de délai jusqu’au 30 juillet 2011 pour présenter des observations complémentaires.

 

[12]           Le 29 juillet 2011, M. Khan a demandé que le délai qui lui était imparti pour présenter d’autres observations soit reporté au 11 août 2011. Le 2 août 2011, la Commission a refusé cette demande et a déclaré que la phase consacrée aux délibérations commencerait le 4 août 2011. La Commission a expliqué qu’elle ne tiendrait compte que des observations complémentaires déposées avant cette date. Le 2 août 2011, M. Khan était en vacances. Il a donc appelé aux bureaux de la Section de la protection des réfugiés à Vancouver et a parlé avec l’agente de gestion des dossiers Sylvia Yu. Mme Yu a répété que la Commission commencerait à délibérer le 4 août 2011 et qu’il lui faudrait donc déposer ses observations complémentaires avant cette date. Toutefois, M. Khan a cru comprendre de cette conversation qu’un compromis avait été conclu et que la date limite de présentation des observations avait été reportée à minuit le 4 août 2011.

 

[13]           M. Khan a transmis par télécopieur ses observations complémentaires vers 21 h, heure du Pacifique, le 4 août 2011. Le lendemain, Mme Yu a laissé un message vocal au bureau de M. Khan pour l’informer que la Commission n’avait pas reçu ses observations. Comme M. Khan était en route pour se rendre chez lui, il n’a reçu ce message vocal que le lundi 8 août 2011. Lorsqu’il a communiqué avec Mme Yu le 8 août 2011, celle‑ci l’a informé que la Commission n’avait pas reçu ses observations complémentaires. Comme les observations complémentaires en question ne lui avaient pas été soumises, la Commission a rendu sa décision sans en tenir compte.

 

Décision de la Commission

 

[14]           La Commission a rendu sa décision le 5 août 2011. L’avis de cette décision a été envoyé le 11 août 2011.

 

[15]           D’entrée de jeu, la Commission a déclaré qu’elle avait tenu compte, tant à l’audience que pour rendre sa décision, des Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (les Directives sur les revendicatrices).

 

[16]           La Commission a reconnu l’identité de la demanderesse et le fait qu’elle était citoyenne de l’Inde. Elle a également résumé les allégations formulées par la demanderesse dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP) et dans son témoignage.

 

[17]           La Commission a expliqué que la question déterminante à trancher était celle de la crédibilité. Elle a reconnu que lorsqu’un demandeur d’asile jure que certains faits sont vrais, les faits en question sont présumés avérés à moins qu’il existe des raisons d’en douter. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, la Commission a estimé qu’il existait des raisons de douter de la véracité des propos de la demanderesse en raison des contradictions, des incohérences et des omissions relevées dans la preuve qu’elle a présentée.

 

[18]           La Commission a pris acte du rapport de la psychologue concernant la demanderesse. Elle a constaté qu’il y était déclaré que la fille de la demanderesse appuyait beaucoup sa mère et qu’elles communiquaient chaque jour entre elles. La Commission a toutefois souligné qu’à l’audience, la demanderesse avait expliqué dans son témoignage qu’elle n’avait pas pu faire corroborer ses dires par sa mère ou par sa fille parce qu’elle n’avait aucun contact avec sa famille. La seule raison que la demanderesse a donnée pour expliquer cette contradiction était qu’elle avait communiqué avec sa fille quand elle vivait aux États‑Unis et que c’est ce à quoi elle faisait allusion lors de son entrevue avec Mme Kwa. La Commission a estimé que cette explication n’était pas crédible étant donné que l’entrevue avec Mme Kwa avait eu lieu en juin 2011, soit longtemps après le séjour de la demanderesse aux États‑Unis en 2008.

 

[19]           La Commission a ensuite signalé que les allégations de la demanderesse n’étaient pas corroborées. Elle a pris acte du témoignage de la demanderesse suivant lequel sa situation était bien connue dans son village et que des amis et des voisins l’avaient aidée à diverses reprises. La Commission a conclu que si les événements en question s’étaient produits comme l’affirmait la demanderesse, celle‑ci aurait pu obtenir une corroboration écrite. La Commission a par conséquent tiré une conclusion négative au sujet de la crédibilité de la demanderesse en raison de l’absence de preuve corroborant ses affirmations.

 

[20]           La Commission a ensuite fait observer que la demanderesse avait parlé à Mme Kwa du fait que son mari l’avait obligé à se prostituer, mais qu’elle ne l’avait pas mentionné dans son FPR ou à M. Khan, qu’elle considérait comme un fils. La Commission a toutefois conclu qu’il aurait été raisonnable de présumer que la demanderesse aurait dit à M. Khan qu’elle avait d’autres choses à dire au sujet de sa demande d’asile, mais qu’elle n’était pas à l’aise d’en parler à un homme. La Commission a fait observer que la demanderesse avait été capable de mentionner son viol dans l’exposé circonstancié de son FPR. Elle a par conséquent tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité de la demanderesse en raison du fait qu’elle avait tardé à parler de la prostitution à laquelle elle avait été contrainte de se livrer.

 

[21]           La Commission a ensuite expliqué qu’elle s’en remettait au bon sens pour conclure que certains aspects de la version des faits de la demanderesse n’étaient pas vraisemblables. Par exemple, la Commission a estimé que la demanderesse n’était pas aussi vulnérable qu’elle le prétendait. À l’appui de cette conclusion, la Commission a fait observer que la demanderesse avait voyagé à l’étranger à plusieurs reprises à compter de janvier 1999. La Commission a accepté le témoignage de la demanderesse suivant lequel son mari dominateur lui permettait de voyager parce qu’elle pouvait ainsi recueillir de l’argent auprès des membres de sa famille en Angleterre. Toutefois, la Commission a estimé que cela n’expliquait pas le voyage que la demanderesse avait fait au Canada et aux États‑Unis entre avril et décembre 2001. La Commission a par ailleurs fait observer que voyager à l’étranger nécessite un certain nombre de préparatifs et exigeait à bien des égards qu’elle se débrouille toute seule. Elle a indiqué que la demanderesse s’en était apparemment plutôt bien tirée, ce qui permettait de penser qu’elle était tout à fait capable de gérer des situations relativement complexes.

 

[22]           La Commission a également conclu que la mère et la fille de la demanderesse l’avaient vraisemblablement aidée jusqu’à ce qu’elle arrive au Canada. Elles avaient payé ses voyages en Angleterre et l’avaient hébergée à plusieurs reprises en plus de lui donner de l’argent pour qu’elle le remette à son mari à son retour. La Commission a par conséquent conclu qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse que la demanderesse soit obligée de retourner vivre avec son époux si elle devait retourner en Inde.

 

[23]           La Commission a ensuite signalé que la demanderesse avait fait de longs voyages à l’étranger entre 1999 et 2008. La Commission a accepté le témoignage de la demanderesse suivant lequel elle n’avait pas demandé l’asile en Angleterre lors de ces voyages parce que les membres de sa famille possédaient des terres en Inde (ce qui les amenait à se rendre fréquemment dans ce pays pour s’en occuper) et craignaient son mari, qui avait menacé de les tuer s’ils l’aidaient. La Commission a toutefois jugé invraisemblable que la demanderesse ne puisse compter sur l’aide de sa fille, qui avait été victime de violences de la part de son père, et de sa mère, qui l’avait déjà aidée et était parfaitement au courant des présumées violences. Comme elle pouvait compter sur l’appui de sa famille, la Commission a estimé qu’il n’était pas logique que la demanderesse ait continué de s’exposer à de mauvais traitements alors qu’elle avait la possibilité de fuir ces violences.

 

[24]           La Commission a également estimé qu’il n’était pas logique que la demanderesse ne demande pas l’asile aux États‑Unis. La Commission a relevé le témoignage de la demanderesse suivant lequel des voisins en Inde et des connaissances aux États‑Unis l’avaient aidée à échapper à la violence dont elle avait été victime. La Commission a toutefois jugé illogique que ces personnes ne l’aident pas à demander l’asile aux États‑Unis. Elle a par conséquent conclu que le défaut de la demanderesse de demander l’asile aux États‑Unis ainsi que lors des nombreuses occasions qu’elle avait eues de le faire lors de ses voyages en Angleterre permettait de penser qu’elle n’avait pas de crainte subjective. De même, comme la raison invoquée par la demanderesse pour justifier sa décision de venir au Canada était qu’elle souhaitait y demander l’asile, la Commission a conclu que le temps que la demanderesse avait laissé s’écouler avant de demander l’asile, soit 11 mois, permettait de penser qu’elle n’avait pas de crainte subjective.

 

[25]           Pour tous ces motifs, la Commission a estimé que la demanderesse n’avait pas de crainte subjective et que son témoignage n’était pas crédible.

 

[26]           La Commission a fait observer que toute conclusion négative tirée au sujet de la crédibilité sur le fondement de l’article 96 de la Loi n’est pas nécessairement déterminante quant à une demande d’asile fondée sur le paragraphe 97(1) de la Loi. La Commission a toutefois conclu que, comme aucun élément de preuve personnel ou documentaire ne lui permettait de conclure que la demanderesse pouvait démontrer qu’elle serait personnellement exposée à un risque au sens du paragraphe 97(1) de la Loi, la Commission ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour tirer une conclusion favorable au sujet de la demande d’asile. La Commission a par conséquent rejeté la demande présentée par la demanderesse tant en vertu de l’article 96 que de l’article 97 de la Loi.

 

Questions en litige

 

[27]           La demanderesse formule les questions en litige comme suit :

            1.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité :

                        a.         en n’appliquant pas correctement les Directives sur les revendicatrices?

                        b.         en n’évaluant pas le rapport psychologique et le diagnostic de TSPT pour évaluer la crédibilité de la demanderesse?

            2.         Le défaut de la Commission de tenir compte des observations de M. Khan équivaut‑il à un manquement à l’équité procédurale suffisant pour justifier l’infirmation de sa décision?

 

[28]           Je reformulerais comme suit les questions en litige :

            1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse de la crédibilité?

            3.         La Commission a‑t‑elle manqué à l’équité procédurale?

 

Observations écrites de la demanderesse

 

[29]           La demanderesse affirme que la Commission a commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité et qu’elle a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale.

 

[30]           Sur la question de la crédibilité, la demanderesse affirme que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

 

[31]           La demanderesse affirme que les Directives sur les revendicatrices reconnaissent que les femmes qui fuient leur pays parce qu’elles craignent d’être persécutées pour des raisons fondées sur leur sexe sont confrontées à des problèmes particuliers lorsqu’il s’agit pour elles de démontrer que leur demande est crédible et digne de foi. De plus, les Directives du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), qui sont citées dans les Directives sur les revendicatrices, indiquent qu’il peut être nécessaire de recourir à des méthodes qui tiennent compte du sexe pour réussir à faire témoigner les femmes qui demandent l’asile. La demanderesse affirme que sa situation, qui se caractérise notamment par des violences sexuelles commises sur une longue période ainsi que par des humiliations personnelles, par le viol anal et par la prostitution forcée, relève carrément du type de situation dont il est question dans les Directives sur les revendicatrices ainsi que dans les Directives de l’UNHCR. La demanderesse affirme également que les éléments de preuve non contestés qui démontrent qu’elle souffre de symptômes d’un TSPT complexe obligent encore plus la Commission à traiter son cas avec doigté.

 

[32]           La demanderesse signale que la Commission ne peut se contenter d’affirmer qu’elle a tenu compte des Directives sur les revendicatrices; elle doit également les appliquer correctement au cours de l’audience et du processus décisionnel. La demanderesse donne divers exemples qui démontrent à son avis que la Commission n’a pas appliqué les Directives sur les revendicatrices.

 

[33]           Premièrement, la demanderesse signale la façon dont la Commission a traité le fait qu’elle est maintes fois revenue auprès de son mari et qu’elle avait réussi à voyager seule à l’étranger. La demanderesse affirme que les conclusions tirées par la Commission à cet égard permettent de penser qu’elle a présumé que, si elle était capable de repérer une porte d’embarquement dans un aéroport, elle serait également capable de quitter un mari violent et de demander l’asile une fois rendue à l’étranger. La demanderesse affirme que les tribunaux ont souvent infirmé des décisions dans lesquelles la Commission avait tiré des conclusions négatives du fait que la victime n’avait pas quitté plus tôt son agresseur. La demanderesse soutient que la conclusion de la Commission suivant laquelle elle n’avait pas de crainte subjective de son mari parce qu’elle revenait à lui suppose qu’elle a appliqué la norme de la personne raisonnable, ajoutant que le raisonnement suivi par la Commission est fondé sur des stéréotypes sur les femmes battues et sur la façon dont elles sont censées réagir. Cette erreur flagrante traduit une incompréhension du syndrome de la femme battue et jette une ombre sur toute la décision de la Commission.

 

[34]           Dans le même ordre d’idées, la demanderesse affirme que la Commission a omis d’appliquer les Directives sur les revendicatrices lorsqu’elle a tiré une conclusion négative au sujet de sa crédibilité du fait qu’elle avait parlé à une psychologue, mais non à M. Khan de la prostitution à laquelle son mari l’avait forcée à se livrer. La Commission a ainsi accordé peu de poids à la honte que la demanderesse ressentirait en révélant cette situation à M. Khan, qu’elle considérait comme son fils. La demanderesse soutient qu’en agissant ainsi, la Commission a fait fi des Directives sur les revendicatrices, qui reconnaissent clairement que les victimes d’agression sexuelle sont souvent réticentes à témoigner.

 

[35]           La demanderesse affirme également que la Commission n’a fait preuve d’aucune sensibilité à l’égard de sa situation en tirant une conclusion négative au sujet de sa crédibilité du fait que la preuve ne corroborait pas ses allégations. La Commission n’a pas tenu compte des conséquences probablement humiliantes et dégradantes auxquelles la demanderesse s’exposerait si on l’obligeait à demander à ses amis et à ses voisins d’écrire des lettres décrivant les viols dont elle avait été victime. La demanderesse rappelle également qu’il est de jurisprudence constante qu’il n’est pas nécessaire de présenter des preuves corroborantes pour obtenir gain de cause dans une demande d’asile.

 

[36]           La demanderesse fait valoir que la Commission s’est également fondée sur des hypothèses reposant sur ses propres conceptions culturelles au lieu de tenir compte du contexte culturel de la demanderesse. Par exemple, la demanderesse signale les faits suivants : la Commission a jugé invraisemblable que la mère de la demanderesse n’exhorte pas à sa fille à s’enfuir ou à se suicider s’il était vrai qu’elle était victime de violence; la Commission n’a pas mentionné les documents que l’on trouve dans le Cartable national de documentation au sujet du phénomène fort répandu des crimes d’honneur, de la violence conjugale et des conséquences et de la honte ressentie lorsque l’on reconnaît publiquement avoir été victime de violence en Inde; la Commission a estimé qu’il était peu probable que la fille de la demanderesse n’aide pas cette dernière malgré le témoignage de la demanderesse selon lequel son mari avait menacé de tuer quiconque l’aiderait. La demanderesse signale que la Cour a déjà jugé que les conclusions relatives à la vraisemblance ne doivent être tirées que dans les cas les plus clairs.

 

[37]           La demanderesse indique également que la Commission a commis une erreur en remettant en question sa crédibilité en raison du fait qu’elle n’avait pas été en mesure d’expliquer pourquoi d’autres personnes, dont son mari violent, agissaient de façon irrationnelle.

 

[38]           La demanderesse affirme en outre que la Commission a commis une erreur en ne mentionnant pas le rapport psychologique ou le diagnostic de TSPT dans sa décision. La Commission ne s’est pas demandé si l’état de santé de la demanderesse avait une incidence sur sa capacité de témoigner. La Commission n’a donc pas évalué le témoignage de la demanderesse en fonction de son profil psychologique. Elle a ainsi commis une erreur donnant ouverture à révision.

 

[39]           La demanderesse fait également valoir que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion négative du fait qu’elle n’a pas demandé l’asile aux États‑Unis et qu’elle a tardé à demander l’asile au Canada. Ce faisant, la Commission a méconnu la jurisprudence suivant laquelle les retards à agir doivent être traités différemment dans le cas des dossiers de violence conjugale.

 

[40]           Enfin, sur la question de la crédibilité, la demanderesse affirme que la conclusion de la Commission n’était pas claire au sujet des contradictions ou des invraisemblances qui l’avaient amenée à sa conclusion finale. Elle ajoute qu’un bon nombre des invraisemblances évoquées dans la décision sont fondées sur des stéréotypes et des hypothèses, ce qui entache la conclusion finale de la Commission.

 

[41]           La demanderesse soutient également que la Commission a manqué à l’équité procédurale en l’espèce. Ces questions sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte. La demanderesse affirme que, compte tenu de l’importance, pour les demandeurs d’asile, des questions en jeu dans une audience portant sur le statut de réfugié, le devoir d’agir avec équité est plus rigoureux.

 

[42]           La demanderesse mentionne la suite des événements entourant la présentation des observations complémentaires de M. Khan. La demanderesse signale que la Commission n’a pas répondu à la première demande de prorogation de délai présentée par M. Khan. Elle ajoute que Mme Yu n’a communiqué avec M. Khan pour s’enquérir au sujet des observations que le 5 août 2011, ce qui justifiait M. Khan de comprendre que les observations devaient être présentées au plus tard à minuit le 4 août 2011 et non avant le 4 août 2011, comme la Commission l’avait d’abord évoqué dans sa lettre du 2 août 2011. De plus, si Mme Yu a induit M. Khan en erreur, c’est elle qui est responsable du fait que M. Khan s’est fié à ce qu’elle lui a dit.

 

[43]           La demanderesse fait valoir qu’en ne tenant pas compte des observations complémentaires de M. Khan, la Commission a manqué à l’équité procédurale, ce qui justifie l’infirmation de sa décision. La demanderesse signale que les éléments de preuve dont disposait la Commission, en l’occurrence l’affidavit souscrit par M. Khan et le bordereau de confirmation de transmission de télécopie, étaient suffisants pour prouver que les documents avaient effectivement été déposés avant minuit le 4 août 2011. Ces éléments de preuve n’ont été contestés ni par Mme Yu ni par le défendeur. Le témoignage de M. Khan devrait donc être présumé véridique. De plus, les observations en question étaient extrêmement pertinentes étant donné qu’elles indiquaient que le temps que la demanderesse avait laissé s’écouler avant de présenter sa demande d’asile s’expliquait par son manque de connaissances, par le syndrome de la femme battue, par le rapport psychologique et par les Directives sur les revendicatrices. Ces observations renvoyaient aussi aux indications données par les tribunaux sur la façon d’évaluer la crédibilité dans le cas d’une demande fondée sur la violence conjugale.

 

Observations écrites du défendeur

 

[44]           Le défendeur soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse n’était pas crédible était raisonnable. Il signale que la norme de contrôle applicable aux questions de crédibilité est celle de la décision raisonnable. Il ajoute que, comme c’est la Commission qui était la mieux placée pour évaluer le bien‑fondé de la demande, la décision qu’elle a rendue commande un degré élevé de déférence. De plus, lorsqu’elle conclut qu’un demandeur d’asile n’est pas crédible quant à un aspect clé de sa demande d’asile, la Commission peut rejeter sa demande.

 

[45]           Le défendeur fait remarquer que la Commission a fondé ses conclusions au sujet de la crédibilité sur les nombreuses invraisemblances, incohérences et omissions relevées dans le témoignage de la demanderesse. Le témoignage de la demanderesse comportait également des contradictions qui ont influé sur les conclusions de la Commission. Le défendeur affirme que la Commission a le droit de tirer des conclusions raisonnables en se fondant sur l’invraisemblance, le bon sens et la logique, et que la Commission peut conclure qu’une version des faits n’est pas crédible lorsqu’il manque des renseignements cruciaux dans le FPR du demandeur et qu’il n’y a pas d’explications acceptables ou suffisantes justifiant cette omission.

 

[46]           Le défendeur fait également valoir que, pour apprécier la crainte subjective, la Commission avait le droit de tenir compte du temps que la demanderesse avait passé aux États‑Unis sans demander l’asile et du temps qu’elle avait laissé s’écouler avant de demander l’asile au Canada.

 

[47]           Le défendeur affirme que la Commission n’a pas ignoré des éléments de preuve ou fait défaut d’appliquer les Directives sur les revendicatrices. La Commission est présumée avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve et elle dispose de toute la latitude voulue pour apprécier cette preuve. Selon le défendeur, il ressort clairement de sa décision que la Commission a tenu compte du rapport psychologique, qu’elle a d’ailleurs mentionné à plusieurs reprises avant de tirer ses conclusions au sujet de la crédibilité de la demanderesse. Le défendeur soutient en outre que les conclusions négatives tirées par la Commission au sujet de la crédibilité n’avaient rien à voir avec les difficultés de la demanderesse à communiquer sa preuve, mais plutôt avec son incapacité de fournir des explications plausibles au sujet des contradictions relevées dans sa version des faits. Ces lacunes ne sont pas corrigées par l’application des Directives sur les revendicatrices.

 

[48]           En résumé, le défendeur soutient que la Commission a correctement appliqué les Directives relatives aux revendicatrices pour tirer sa conclusion négative au sujet de la crédibilité. Il affirme que la demanderesse n’a pas signalé d’erreur dans la décision de la Commission, mais qu’elle conteste plutôt la valeur que la Commission a accordée aux éléments de preuve dont elle disposait. Une nouvelle appréciation de la preuve ne constitue pas un motif valable pour demander le contrôle judiciaire d’une décision de la Commission.

 

[49]           Le défendeur affirme également qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale. Il signale que M. Khan n’a pas fourni ses observations avant l’échéance qui lui avait été fixée par la Commission, de sorte que cette dernière n’en a pas tenu compte dans ses délibérations. Le défendeur fait observer que M. Khan a été avisé à deux reprises – la première fois par écrit, et la seconde lors de sa conversation avec Mme Yu – et qu’on lui a bien précisé que les observations devaient être reçues avant le 4 août 2011, date à laquelle la Commission devait commencer à délibérer. Le défendeur affirme qu’il n’y a aucun élément de preuve permettant de penser que quiconque à la Section de la protection des réfugiés a dit à M. Khan que ses observations seraient acceptées si elles étaient reçues avant la fin de la journée le 4 août 2011. On ne doit pas dissocier les actes de M. Khan, lorsqu’il agit en tant que conseil, de ceux de sa cliente sauf dans des circonstances exceptionnelles. Or, il n’y en avait pas dans le cas présent. Le défendeur fait par conséquent valoir que la demanderesse n’a pas démontré que la Commission avait manqué à l’équité procédurale.

 

Analyse et décision

 

[50]           Première question

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la jurisprudence a déjà arrêté la norme de contrôle applicable à une question particulière soumise au tribunal, la cour de révision peut adopter cette norme (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[51]           Il est de jurisprudence constante que les conclusions relatives à la crédibilité, qui constituent « l’essentiel de la compétence de la Commission », sont essentiellement de pures conclusions de fait qui sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, [2003] ACF no 162, au paragraphe 7; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 46; et Demirtas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 584, [2011] ACF no 786, au paragraphe 23). L’analyse que la Commission fait des Directives sur les revendicatrices dans le cadre de l’appréciation de la crédibilité est également assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Higbogun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 445, [2010] ACF no 516, au paragraphe 22; et Torales Bolanos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 388, [2011] ACF no 497, au paragraphe 16).

 

[52]           De même, l’appréciation de la preuve et l’interprétation et l’évaluation de la preuve sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Oluwafemi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1045, [2009] ACF no 1286, au paragraphe 38).

 

[53]           Lorsqu’elle procède au contrôle de la décision de la Commission en appliquant la norme de la décision raisonnable, la Cour ne devrait intervenir que si la Commission a tiré une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable et intelligible et que cette conclusion n’appartient pas aux issues raisonnables pouvant se justifier au vu de la preuve dont elle disposait (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59). Il n’appartient pas à la cour de révision d’imposer sa propre conception du résultat préférable ni de procéder à une nouvelle évaluation de la preuve (arrêt Khosa, précité, aux paragraphes 59 et 61).

 

[54]           En revanche, la norme de contrôle applicable dans le cas des questions relatives à l’équité procédurale est celle de la décision correcte (Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 798, [2008] ACF no 995, au paragraphe 13; et arrêt Khosa, précité, au paragraphe 43). Il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence envers la Commission sur ces questions (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 50).

 

[55]           Deuxième question

            La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse de la crédibilité?

            Il est bien établi que les conclusions tirées au sujet de la crédibilité commandent un degré élevé de déférence judiciaire et qu’elles ne doivent être infirmées que dans les cas les plus manifestes (Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1330, [2011] ACF no 1633, au paragraphe 30). En principe, la Cour ne doit pas substituer son opinion à celle de la Commission à moins qu’elle ne conclue que la décision de celle‑ci est fondée sur des conclusions de fait erronées tirées de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments dont la Commission disposait (Bobic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1488, [2004] ACF no 1869, au paragraphe 3).

 

[56]           La demanderesse affirme que, dans le cas qui nous occupe, la Commission a commis une erreur dans son analyse de la crédibilité en n’appliquant pas correctement les Directives sur les revendicatrices et en ne tenant pas compte du rapport psychologique et du diagnostic de TSPT de la demanderesse pour apprécier sa crédibilité.

 

[57]           Les Directives sur les revendicatrices sont censées viser les situations dans lesquelles les demanderesses présentent une série de symptômes communément appelés « syndrome de la femme battue » qui les rend réticentes à témoigner (Borisovna Abbasova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 43, [2011] ACF no 40, au paragraphe 54).

 

[58]           Au début de sa décision, la Commission a expliqué qu’elle avait tenu compte des Directives sur les revendicatrices tant à l’audience que lors du processus de prise de sa décision. Il est de jurisprudence constante qu’il ne suffit pas de faire une affirmation en ce sens : « [l]a sensibilité dont doit faire preuve la SPR à l’égard des femmes ayant fait l’objet de persécution en raison de leur sexe doit se matérialiser autrement que par une simple référence formelle et rituelle aux Directives » (Vargas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1347, [2008] ACF no 1706, au paragraphe 15).

 

[59]           La Commission doit démontrer qu’elle possède des connaissances spéciales au sujet de la persécution fondée sur le sexe et appliquer ces connaissances avec compréhension et sensibilité (Keleta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 56, [2005] ACF no 54, au paragraphe 14). Elle doit étudier « le témoignage du point de vue du narrateur et doit, [...] en particulier, examiner avec attention quelle conduite peut être demandée de la part d’une femme vivant dans des conditions aussi violentes que celles décrites » (Griffith c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 171 FTR 240, [1999] ACF no 1142, au paragraphe 3). De plus, si elle ne croit pas la demanderesse, la Commission doit formuler des motifs doivent faire preuve de sensibilité à l’égard de ce qui est connu des femmes victimes de violence conjugale (décision Griffith, précitée, au paragraphe 25).

 

[60]           En l’espèce, la Commission a accepté la preuve soumise par la demanderesse, y compris son témoignage et le rapport psychologique. Elle a toutefois relevé certaines contradictions, incohérences et omissions dans la preuve pour lesquelles la demanderesse n’avait pas, à son avis, fourni d’explications satisfaisantes. Ainsi que la juge Judith Snider l’explique dans Abdul c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 260, [2003] ACF no 352, au paragraphe 15 :

La Commission peut tirer des conclusions raisonnables en se fondant sur les invraisemblances, le bon sens et la rationalité et elle peut rejeter des éléments de preuve non contestés s’ils ne sont pas compatibles avec les probabilités qui touchent l’affaire dans son ensemble (voir les arrêts Aguebor, précité, et Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.) (QL)). Bien que la Commission puisse même rejeter des éléments de preuve non contestés, elle ne peut pas omettre de prendre en compte des éléments de preuve qui expliquent les incohérences apparentes et tirer alors une conclusion défavorable quant à la crédibilité (voir l’arrêt Owusu‑Ansah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 442 (C.A.) (QL)). […]

 

 

[61]           En l’espèce, la Commission a fait ressortir les contradictions, incohérences et omissions suivantes qu’elle avait relevées dans la preuve :

            ‑   Des contradictions entre le rapport de la psychologue et le témoignage de la demanderesse au sujet des contacts qu’elle avait maintenus avec sa fille;

            ‑   Le fait que la fille, la mère, les amis et les voisins de la demanderesse dans son village en Inde n’avaient pas témoigné pour corroborer ses allégations quant aux violences dont elle affirmait avoir été victime;

            ‑   La divulgation tardive de la prostitution à laquelle elle avait été contrainte de se livrer et l’absence de témoignage corroborant de sa mère à ce sujet;

            ‑   Le fait qu’elle s’était rendue à plusieurs reprises à l’étranger seule, ce qui rendait invraisemblable sa présumée vulnérabilité;

            ‑   Le fait qu’aucune raison n’avait été donnée pour expliquer pourquoi son mari lui avait permis de se rendre en Amérique du Nord en 2001;

            ‑   L’appui que lui avaient donné sa mère et sa fille lorsqu’elle s’était rendue en Angleterre à trois occasions distinctes;

            ‑   Son défaut de demander l’asile lors de tous ces voyages à l’étranger entre 1999 et 2007;

            ‑   Le fait qu’elle revenait toujours vers son mari violent alors qu’elle pouvait compter sur l’appui de sa fille et de sa mère en Angleterre;

            ‑   Son omission de demander l’asile aux États‑Unis, notamment à la lumière de l’aide gratuite qu’elle avait reçue d’un voisin en Inde pour s’y rendre et de l’aide qu’elle avait reçue d’une connaissance de ce voisin à son arrivée aux États‑Unis;

            ‑   Le temps qu’elle avait laissé s’écouler avant de demander l’asile au Canada, compte tenu du fait qu’elle affirmait être venue au Canada pour demander l’asile.

 

[62]           La Commission a tiré des inférences négatives de tout ce qui précède et a finalement tiré une conclusion négative au sujet de la crédibilité en se fondant sur l’ensemble de ces contradictions, incohérences et omissions.

 

[63]           Prises isolément, certaines de ces contradictions, incohérences et omissions permettent de penser que la Commission avait une opinion objective assez stricte de ce que devrait faire une personne victime de violence. Toutefois, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour ne doit pas examiner à la loupe des passages isolés de la décision, mais se demander si, dans l’ensemble, la décision justifie la conclusion négative tirée au sujet de la crédibilité (Guarin Caicedo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1092, [2010] ACF no 1365, au paragraphe 30).

 

[64]           Dans le cas qui nous occupe, je conclus que la plupart des conclusions tirées par la Commission s’expliquent par son appréciation des faits plutôt que par l’insensibilité dont elle aurait fait preuve à l’égard de la situation de la demanderesse ou par une incompréhension de la dynamique qui caractérise les rapports marqués par la violence. Par ailleurs, je n’estime pas que les conclusions de la Commission sont non pertinentes ou inexistantes. J’estime plutôt qu’elles découlent de la preuve versée au dossier.

 

[65]           L’élément qui est peut‑être le plus important est le fait que la demanderesse s’est rendue à l’étranger à plusieurs reprises et qu’elle avait alors toujours pu compter sur l’aide de sa famille et de voisins. La Commission a souligné l’aide que la demanderesse avait reçue de la part de sa mère (qui avait notamment payé ses billets d’avion, l’avait accueillie chez elle et lui avait donné de l’argent), les liens étroits que la demanderesse entretient avec sa fille (ainsi qu’il était déclaré clairement dans le rapport de la psychologue et comme le démontraient ses nombreux voyages en Angleterre) et l’aide que la demanderesse avait reçue de son voisin en Inde (notamment une aide financière pour se rendre aux États‑Unis et l’aide que lui avait fournie une connaissance de ce voisin aux États‑Unis). La Commission a beaucoup tablé sur la disponibilité de tous ces appuis pour tirer des conclusions négatives au sujet de la crédibilité de la demanderesse.

 

[66]           Lorsqu’elle a des réserves au sujet de la crédibilité d’un demandeur, la Commission peut se fonder sur l’absence d’éléments de preuve documentaire corroborant les prétentions du demandeur pour tirer des conclusions négatives au sujet de sa crédibilité (Richards c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1391, [2011] ACF no 1697, au paragraphe 23). Il est légitime de la part de la Commission d’exiger une preuve documentaire étayant les aspects importants de la demande d’asile (Guzun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1324, [2011] ACF no 1615, au paragraphe 20).

 

[67]           Dans le cas qui nous occupe, la preuve permet de penser que la mère de la demanderesse et son voisin en Inde étaient au courant des violences dont la demanderesse était victime. De plus, ils lui ont tous les deux offert leur aide : sa mère l’a fait lorsqu’elle est allée lui rendre visite en Angleterre et son voisin, quand il l’a aidée à quitter l’Inde pour se rendre aux États‑Unis. Comme les violences en question se situent au cœur même de la demande d’asile de la demanderesse, j’estime que la Commission n’a pas commis d’erreur en tirant des conclusions négatives du fait qu’elle ne disposait pas de témoignages corroborants de la part de la mère de la demanderesse et du voisin qui l’avait aidée à quitter l’Inde.

 

[68]           La Commission a également conclu qu’il n’y avait aucune raison logique expliquant pourquoi la demanderesse n’avait pas demandé l’asile aux États‑Unis et avait tant tardé à présenter sa demande d’asile au Canada. Le défaut de demander l’asile dans un pays signataire par lequel un demandeur transite avant d’arriver au Canada constitue un élément dont on peut tenir compte pour rejeter une demande d’asile (Modernell Gilgorri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 559, [2006] ACF no 701, aux paragraphes 24 à 27). La Commission a cherché à en savoir plus à ce sujet à l’audience :

                        [traduction] 

Q : Pourquoi n’avez‑vous pas demandé l’asile lorsque vous étiez aux États‑Unis?

 

R : Personne ne m’en a parlé. Je ne connaissais pas le système et je suis illettrée.

 

Q : Avez‑vous dit à votre voisin la raison pour laquelle vous vous rendiez aux États‑Unis – il s’agit bien du voisin qui vous a aidé à vous rendre aux États‑Unis n’est‑ce pas?

 

R : Oui.

 

Q : Avez‑vous dit à votre voisin la raison pour laquelle vous alliez aux États‑Unis?

 

R : Eh bien, c’est lui qui m’a offert son aide parce qu’il avait été témoin des violences que je subissais. Il m’a donc – il a lui‑même proposé son aide.

 

Q : Très bien. Il vous a donc aidée à obtenir le visa. Ne vous a‑t‑il pas offert son aide pour vous expliquer ce que vous deviez faire une fois rendue là‑bas?

 

R : Oui, il l’a fait. Ce voisin m’a effectivement aidé à me rendre aux États‑Unis et il m’a également dit qu’il connaissait quelqu’un, ou un associé, là‑bas qui pourrait m’aider. Et l’aide que cette personne qu’il connaissait m’a donnée était l’aide pour me rendre au Canada.

 

[69]           La Commission a finalement conclu que, si ce voisin avait aidé la demanderesse à se rendre aux États‑Unis, il l’aurait aussi logiquement aidée à demander l’asile ou la personne qu’il connaissait aux États‑Unis l’aurait fait. De plus, même si cette personne croyait que la demanderesse ne pouvait pas demander l’asile aux États‑Unis, la Commission a estimé qu’il était illogique qu’il l’aide à se rendre au Canada sans s’assurer qu’elle saurait quoi faire à son arrivée ici. J’estime que la Commission n’a pas omis d’appliquer les Directives sur les revendicatrices pour arriver à cette conclusion. J’estime plutôt qu’elle a tiré une conclusion raisonnable fondée sur la preuve dont elle disposait.

 

[70]           En résumé, j’estime que la Commission n’a pas omis d’appliquer les Directives sur les revendicatrices dans son examen de la demande d’asile de la demanderesse. J’estime également que les symptômes du TSPT décrits dans le rapport de la psychologue n’ont pas eu d’incidence importante sur les contradictions, incohérences et omissions précises que la Commission a relevées dans la preuve de la demanderesse. J’estime que la conclusion tirée par la Commission au sujet de la crédibilité appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au vu de la preuve dont elle disposait.

 

[71]           Troisième question

            La Commission a‑t‑elle manqué à l’équité procédurale?

            La demanderesse fait également valoir qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale en l’espèce. Ce manquement découlerait du fait que la Commission n’a pas tenu compte des observations complémentaires déposées par M. Khan à 21 h le 4 août 2011.

 

[72]           Il convient de retracer le fil des événements pour bien examiner cette question.

 

[73]           L’audience relative à la demande d’asile de la demanderesse a eu lieu le lundi 27 juin 2011. À la clôture de l’audience, M. Khan a demandé un délai supplémentaire pour présenter des observations écrites. La Commission a accordé à M. Khan plus de trois semaines pour produire les observations en question et a fixé ce délai au vendredi 22 juillet 2011.

 

[74]           Le jeudi 21 juillet 2011, veille de la date d’échéance, M. Khan a demandé une prorogation de délai. Même si M. Khan affirme n’avoir reçu aucune réponse à cette demande, il ressort de la décision de la Commission que celle‑ci a acquiescé à cette demande et a reporté le délai au samedi 30 juillet 2011.

 

[75]           En ce qui concerne l’allégation de M. Khan, il convient de faire remarquer que, même s’il n’avait reçu aucune réponse à sa demande de prorogation, il n’a pas présenté d’observations supplémentaires avant l’expiration du délai du 22 juillet 2011.

 

[76]           Néanmoins, le vendredi 29 juillet 2011, veille de la seconde date limite, M. Khan a demandé que le délai soit de nouveau prorogé jusqu’au 11 août 2011. Le mardi 2 août 2011, la Commission a refusé cette demande. Elle a toutefois avisé M. Khan qu’elle commencerait ses délibérations le jeudi 4 août 2011 et qu’elle examinerait alors toute observation déposée avant cette date. Sur réception de cette lettre, M. Khan a indiqué qu’il avait communiqué avec le bureau du registraire de la SPR à Vancouver le 2 août 2011. Mme Yu, agente chargée de la gestion des dossiers, a expliqué que la Commission lui avait dit qu’il ne serait tenu compte que des observations qui seraient reçues avant le 4 août 2011. M. Khan a toutefois affirmé dans son affidavit qu’il croyait comprendre de la conversation qu’il avait eue avec Mme Yu qu’il serait acceptable qu’il dépose ses observations complémentaires avant minuit le 4 août 2011.

 

[77]           M. Khan a effectivement déposé ses observations avant minuit le 4 août 2011. Toutefois, hormis son affidavit, il n’y a aucun élément de preuve permettant de penser que le délai fixé pour la réception des observations avant le 4 août 2011 avait été prorogé. À défaut de preuve en ce sens et compte tenu des nombreuses prorogations qui ont été accordées (du 22 au 30 juillet et, enfin, au 3 août), j’estime qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

 

[78]           Il importe de se rappeler que la Commission de l’immigration du statut de réfugié est appelée à se prononcer sur un grand nombre de demandes d’asile. Par souci d’équité envers tous les demandeurs d’asile, il importe de tenir compte des délais et des exigences de célérité de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. J’estime qu’en l’espèce la Commission est parvenue à un juste équilibre entre, d’une part, la possibilité pour la demanderesse de présenter sa cause et, d’autre part, l’importance de minimiser tout arriéré dans le traitement des demandes d’asile. J’estime donc que l’omission de la Commission de tenir compte des observations supplémentaires déposées la soirée du 4 août 2011, après l’expiration du délai fixé, ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale.

 

[79]           En résumé, j’estime que la Commission a tiré une conclusion raisonnable au sujet de la crédibilité en se fondant sur l’ensemble de la preuve dont elle disposait, et ce, en tenant dûment compte des Directives sur les revendicatrices. De plus, j’estime qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale. La présente demande de contrôle judiciaire devrait donc être rejetée.

 

[80]           Aucune des parties n’a souhaité me soumettre de question grave de portée générale en vue de sa certification.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives applicables

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5813‑11

 

INTITULÉ :                                                  DARSHAN KAUR

 

                                                                        ‑ et ‑

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 21 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 12 septembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Laura Best

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Edward Burnet

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Embarkation Law Group

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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