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Date : 20120914


Dossier : IMM-9190-11

Référence : 2012 CF 1082

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2012

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

 

HELEN VENESSA RICHARDSON

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], visant la décision d’un agent de Citoyenneté et Immigration (l’agent), datée du 22 novembre 2011, de rejeter la demande déposée par la demanderesse en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi afin que sa demande de résidence permanente soit traitée de l’intérieur du Canada pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[2]               La demande de contrôle judiciaire sera rejetée pour les motifs qui suivent.

 

Le contexte factuel

[3]               Mme Helen Venessa Richardson (la demanderesse) est une citoyenne de Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines (Saint‑Vincent). Elle est entrée au Canada le 7 octobre 2000 en vertu d’un visa de visiteur d’une durée de validité de six mois et y est restée illégalement depuis l’expiration de ce visa. Son fils de 24 ans, qui n’est pas partie à la présente instance mais qui était inclus dans la demande originale fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, est retourné à la Barbade, son pays de naissance, avant qu’une décision soit rendue relativement à cette demande (décision, dossier du tribunal, aux pages 2 à 6). Il appert qu’il a attiré l’attention des autorités de l’immigration alors qu’il était en voyage à Niagara Falls (lettre du conseil, dossier du tribunal, à la page 111; affidavit de la demanderesse, au paragraphe 32).

 

[4]               La demanderesse a sept (7) autres enfants d’âge adulte : cinq (5) sont nés à Saint‑Vincent et deux (2) à la Barbade. Incapable de gagner un revenu suffisant, la demanderesse a déménagé à la Barbade où elle a trouvé un emploi dans un hôtel et à titre de travailleuse domestique pour une famille. C’est là qu’elle résidait avant de venir au Canada.

 

[5]               La demanderesse a commencé une nouvelle famille à la Barbade, mais elle a continué d’envoyer de l’argent à ses enfants à Saint‑Vincent; ceux‑ci l’ont rejointe ensuite à la Barbade. La demanderesse a aussi travaillé aux États‑Unis pendant environ deux ans et demi, en vertu d’un visa pour séjours multiples, puis elle est retournée à la Barbade, où elle a construit une maison.

 

[6]               La demanderesse a pris subséquemment des dispositions afin de rendre visite à Louise, la sœur de son premier conjoint, qui vivait au Canada. Avant son arrivée, elle a appris que Louise avait un cancer du sein et elle a accepté de l’aider. Tout juste un an après son arrivée au Canada, la demanderesse a commencé à travailler comme bonne d’enfants résidante tout en continuant de s’occuper de Louise pendant les fins de semaine. Après le décès de Louise, la demanderesse a décidé de demeurer au Canada et a travaillé surtout comme bonne d’enfants. Elle a aussi suivi des cours dans un collège et a terminé un programme de préposée aux services de soutien à la personne. Elle a également continué à envoyer de l’argent à sa famille à la Barbade.

 

[7]               La demanderesse et son fils ont présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire à laquelle était jointe une lettre d’accompagnement datée du 1er août 2007. Leur conseil a déposé à sept (7) reprises des observations additionnelles, lesquelles étaient datées du 15 août 2008, du 12 février 2009, du 11 mars 2010, du 25 mars 2010, du 7 avril 2010, du 21 septembre 2010 et du 26 octobre 2011 (dossier du tribunal, aux pages 111, 108, 40, 38, 29, 23 et 12). C’est la décision rendue par l’agent relativement à la demande de la demanderesse et de son fils qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

[8]               Lorsqu’il a étudié la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de la demanderesse, l’agent a apprécié l’établissement au Canada de celle‑ci, les difficultés auxquelles elle serait exposée et l’intérêt supérieur de l’enfant. Il a accordé un [traduction] « poids limité » à l’établissement de la demanderesse sur le plan financier parce qu’il disposait de peu de détails concernant le revenu et les dépenses de celle‑ci. À cet égard, l’agent a mentionné en outre que [traduction] « la preuve démontrant [que la demanderesse] avait déjà été autorisée à travailler au Canada était mince » et que la preuve étayant son emploi était insuffisante (décision, dossier du tribunal, à la page 6). L’agent a aussi considéré qu’il ne disposait pas de détails suffisants concernant l’établissement de la demanderesse sur le plan social, en particulier au regard de sa relation avec ses enfants et ses petits‑enfants canadiens (décision, dossier du tribunal, à la page 7).

 

[9]               L’agent a conclu que l’intérêt supérieur des enfants n’était pas un [traduction] « facteur déterminant » et que [traduction] « les renseignements contenus dans les observations n’étaient pas suffisants pour se faire une opinion sur l’effet que pourrait avoir une décision favorable ou défavorable sur l’intérêt supérieur des enfants » (décision, dossier du tribunal, à la page 8). Il a mentionné en particulier que les observations n’établissaient pas que l’intérêt supérieur des petits‑enfants serait touché de manière préjudiciable au point où une dispense serait justifiée et qu’il n’était pas certain qu’ils demeureraient au Canada car le statut de leurs parents en matière d’immigration n’était pas clair.

 

[10]           Enfin, l’agent a conclu que la demanderesse ne serait pas exposée à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si elle retournait à Saint‑Vincent car l’expérience de travail qu’elle avait acquise à la Barbade et au Canada, ainsi que les actifs qu’elle avait accumulés au Canada, faciliteraient sa transition (décision, dossier du tribunal, à la page 8). Tout en reconnaissant les conditions relativement mauvaises existant à Saint‑Vincent, l’agent a mentionné que l’information présentée n’établissait pas que la demanderesse ne serait pas en mesure de trouver un logement ou un emploi. Il a ajouté que la demanderesse avait choisi de demeurer au Canada illégalement.

Les questions en litige

[11]           La présente affaire soulève les questions suivantes :

1.                  L’agent a-t-il tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents?

 

2.                  L’agent a-t-il commis une erreur dans son analyse de la preuve de l’établissement de la demanderesse au Canada?

 

3.                  L’agent a-t-il omis d’être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants touchés?

 

4.                  L’agent a-t-il commis une erreur dans son analyse des difficultés qui seraient causées à la demanderesse et à sa famille?

 

[12]           Subsidiairement à la quatrième question, la demanderesse soutient que les motifs de l’agent sont insuffisants.

 

Les dispositions législatives

[13]           Le paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés exige des personnes qui veulent immigrer au Canada qu’elles présentent une demande de résidence permanente à partir de l’extérieur du pays :

PARTIE 1

 

IMMIGRATION AU CANADA

 

Section 1

 

Formalités préalables à l’entrée et sélection

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

[…]

PART 1

 

IMMIGRATION TO CANADA

 

Division 1

 

Requirements before entering Canada and Selection

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

[…]

 

[14]           Cependant, l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés permet au ministre de lever toute exigence pour des motifs d’ordre humanitaire. La disposition pertinente de cet article prévoit ce qui suit :

Section 3

 

Entrée et séjour au Canada

 

 

Statut et autorisation d’entrer

 

 

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

Division 3

 

Entering and remaining in Canada

 

Status and Authorisation to enter

 

Humanitarian and compassionate considerations – request of foreign national

 

25. (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

La norme de contrôle

[15]           La demanderesse soutient que les décisions des agents chargés d’étudier les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter, selon Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 62, 174 DLR (4th) 193 (mémoire de la demanderesse, au paragraphe 7). Le défendeur convient que la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce est celle de la raisonnabilité (mémoire du défendeur, aux paragraphes 2 et 3).

 

[16]           La Cour suprême du Canada a fondu « en une seule » norme de contrôle les normes de la décision raisonnable simpliciter et de la décision manifestement déraisonnable dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 45, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]. La décision de l’agent est donc assujettie à une norme de raisonnabilité (voir, par exemple, Mikhno c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 386, au paragraphe 21, [2010] ACF no 583 (QL)). La Cour suprême a indiqué que « [l]e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et « à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, ci‑dessus, au paragraphe 47).

 

[17]           En ce qui concerne l’insuffisance des motifs de l’agent, le défendeur fait remarquer à juste titre que ce seul motif ne peut justifier un contrôle judiciaire. La Cour suprême du Canada a récemment expliqué, dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 14, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses], que l’analyse de cette question « est un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles ».

 

Analyse

 

1.         L’agent a-t-il tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents?

[18]           Dans ses observations écrites, la demanderesse a soutenu que l’agent n’avait pas tenu compte de ses observations du 25 mars 2010, lesquelles portaient sur Benyk c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 950, [2009] ACF no 1164 (QL) [Benyk]. Au soutien de cette prétention, la demanderesse signale que non seulement l’agent a omis de faire référence à cette décision, mais il n’a pas mentionné ses observations du 25 mars 2010 dans la liste des [traduction] « sources consultées » (dossier du tribunal, à la page 9). Elle fait valoir que, comme Benyk contredisait la décision de l’agent, celui‑ci était obligé de faire une distinction entre cette affaire et la sienne (mémoire de la demanderesse, aux paragraphes 10 à 13). À l’audience, la demanderesse a annoncé à la Cour qu’elle laissait tomber cet argument, mais elle a soutenu que l’agent avait omis de tenir compte de trois (3) pages (pages 172 à 174) du dossier du tribunal. La Cour note cependant que cette prétention n’a pas du tout été soulevée dans le mémoire de la demanderesse ou dans un mémoire complémentaire avant l’audition de la demande de contrôle judiciaire. En outre, la demanderesse a reconnu que, si les pages en cause pouvaient compléter ses observations, elles ne soulevaient ou ne concernaient aucune nouvelle question pertinente. Dans ces circonstances, la prétention de la demanderesse ne convainc toujours pas la Cour et elle ne sera pas prise en compte.

2.         L’agent a-t-il commis une erreur dans son analyse de la preuve de l’établissement de la demanderesse au Canada?

 

[19]           La demanderesse soutient que, à la suite de la décision rendue par le juge Campbell dans Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 316, au paragraphe 2, [2011] ACF no 395 [Lin], il était raisonnablement nécessaire que l’agent statue « de façon réaliste et avec empathie en ce qui concerne la question de l’établissement » à la lumière des 11 ans qu’elle avait passés au Canada (mémoire de la demanderesse, aux paragraphes 14 à 16). Selon la demanderesse, l’agent n’a pas bien fait son travail à cet égard en ne tenant pas compte de la preuve relative à sa bonne gestion financière, à ses dons de bienfaisance, à son bénévolat, à ses études postsecondaires et à l’adversité dont elle avait triomphé. La demanderesse conteste en particulier la conclusion de l’agent selon laquelle la preuve concernant l’identité du codétenteur de son compte de banque conjoint était mince, soulignant qu’elle expliquait, dans ses observations du 11 mars 2010, que tous les fonds lui appartenaient et que le compte était détenu conjointement conformément à la politique de la banque (mémoire de la demanderesse, aux paragraphes 18 et 19). De façon plus générale, elle fait valoir que le dossier contenait des lettres d’appui et démontrait dans l’ensemble qu’elle satisfaisait à tous les facteurs énumérés dans le Guide IP 5 de CIC intitulé Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire (mémoire de la demanderesse, aux paragraphes 21, 22 et 31). Selon elle, l’agent a démontré [traduction] « un parti pris évident et n’a manifestement pas tenu compte [de son] degré d’établissement élevé » (mémoire de la demanderesse, au paragraphe 19). En réponse, la demanderesse ajoute que le fait qu’elle n’avait pas de statut lorsqu’elle s’est établie au Canada n’était pas une raison pour que l’agent ne tienne pas compte de son établissement (réponse de la demanderesse, aux paragraphes 15 à 17).

 

[20]           Selon le défendeur, la demanderesse cherche essentiellement à faire en sorte que la Cour apprécie à nouveau la preuve, un exercice qui excède le cadre d’un contrôle judiciaire. Le défendeur soutient qu’il était loisible à l’agent d’apprécier la preuve relative à l’établissement de la demanderesse, et il met en évidence en particulier le fait que le défaut de celle‑ci de payer des impôts [traduction] « expliquait aussi sa réussite financière ». S’appuyant sur Kotler c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1123, aux paragraphes 10 et 11, [2011] ACF no 1385 (QL), il fait valoir qu’une conclusion d’établissement justifiant une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire ne peut être fondée sur l’existence d’une entreprise illégale (mémoire du défendeur, aux paragraphes 6 à 8).

 

[21]           Il ressort clairement d’une lecture de la décision que les motifs de l’agent satisfont aux critères de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, car ils décrivent l’appréciation minutieuse qu’il a faite de la preuve positive et de la preuve négative relatives à l’établissement. À titre d’exemple, l’agent a reconnu la preuve des fonds que la demanderesse avait accumulés, mais il a fait remarquer qu’il disposait de peu d’éléments de preuve concernant les détails de son emploi ou de ses dépenses. De la même façon, l’agent a reconnu la preuve de la participation de la demanderesse à son église et de sa relation avec ses petits‑enfants, mais il a conclu que la preuve concernant la nature de sa relation avec sa famille n’établissait pas qu’elle [traduction] « serait exposée à des difficultés inhabituelles et injustifiées si elle devait quitter le Canada » (décision, dossier du tribunal, aux pages 6 et 7). En fait, outre les déclarations du conseil et des photographies, la seule preuve au dossier concernant la relation de la demanderesse avec ses petits‑enfants était une courte lettre écrite par sa belle‑fille. Cette lettre indiquait ce qui suit :

[traduction] Vanessa est la grand‑mère de deux de mes enfants LEGEND ET NAOMI RICHARDSON. Malgré son horaire chargé, elle passe son temps libre avec ses petits‑enfants et a toujours le temps de s’informer d’eux. Elle est toujours là pour me soutenir et m’aider à prendre soin des enfants. Elle a aussi été un modèle important pour moi, qui m’a poussée dans la bonne voie, et je sais qu’elle est près de moi pour m’aider à gérer une partie du stress.

[Non souligné dans l’original.]

 

On ne peut pas dire que la conclusion de l’agent était déraisonnable vu l’insuffisance de cette preuve.

 

[22]           De plus, la demanderesse a tort de s’appuyer sur Lin, ci‑dessus, car il est arrivé souvent qu’une distinction soit établie avec cette affaire. Comme le juge Mosley l’a dit dans Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 813, au paragraphe 11, 393 FTR 135, le délai dans Lin, ci‑dessus, était extrêmement long (sept ans s’étaient écoulés avant qu’une décision ne soit rendue relativement à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire) et le demandeur s’était solidement établi pendant cette période. La Cour souscrit aux observations formulées récemment par le juge Near dans Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 612, au paragraphe 15, [2012] ACF no 635 (QL), selon lesquelles « bien que les demandeurs aient droit de se prévaloir de tous les recours légaux dont ils disposent, décider de le faire ne constituerait pas une circonstance échappant à leur contrôle ».

 

[23]           En l’espèce, la demanderesse est demeurée illégalement au Canada pendant six (6) ans avant de présenter une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. En outre – et comme la demanderesse l’a d’ailleurs reconnu – elle a obtenu une décision relativement à sa demande un petit peu plus de quatre (4) ans après l’avoir présentée, alors que ce délai était de sept (7) ans dans Lin, ci‑dessus.

 

[24]           La demanderesse attire l’attention de la Cour sur un seul élément de preuve en particulier dont, selon elle, l’agent n’a pas tenu compte lorsqu’il a examiné la question de l’établissement. Cet élément de preuve a trait aux détenteurs du compte de banque conjoint. Une analyse minutieuse de la décision de l’agent et du dossier révèle que cette critique est injustifiée.

 

[25]           Lorsqu’il a décrit les faiblesses de la preuve de la demanderesse, l’agent a souligné que [traduction] « peu d’éléments de preuve ont été présentés, par exemple, relativement à la question de savoir […] qui est le codétenteur du compte de banque conjoint dans lequel il y a plus de 12 000 $ […] ». Bien que la demanderesse prétende que ces propos ne tiennent pas compte de ses observations concernant le codétenteur, il n’en est rien. La seule preuve au dossier concernant le codétenteur du compte de banque semble être la déclaration incidente du conseil selon laquelle [traduction] « le nom de son cousin apparaît également sur le compte de la CIBC car elle a appris qu’elle ne pouvait pas ouvrir un compte elle‑même; tout l’argent a cependant été déposé par Mme Richardson » (dossier du tribunal, à la page 41, au no 10). Compte tenu de l’information au dossier, la Cour estime que la manière dont l’agent a interprété cette preuve n’était pas déraisonnable.

 

[26]           Le reste des prétentions de la demanderesse visent à contester le poids que l’agent a attribué à la preuve. Or, comme le défendeur l’a fait remarquer à juste titre, un contrôle judiciaire ne peut pas servir à cela (voir Palumbo c Canada (Procureur général), 2005 CAF 117, au paragraphe 11, 138 ACWS (3d) 593).

 

3.         L’agent a-t-il omis d’être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants touchés?

 

[27]           La demanderesse soutient que, plutôt qu’être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de ses petits‑enfants, l’agent a adopté une attitude dédaigneuse et n’a pas tenu compte des incidences éventuelles de son renvoi. Elle conteste sa conclusion selon laquelle il disposait de peu d’éléments de preuve concernant sa relation avec ses petits‑enfants. Elle signale à cet égard la lettre écrite par sa belle‑fille et soutient que cette lettre et les photographies [traduction] « illustrent à tout le moins un degré important de dépendance, ainsi qu’un attachement profond et affectueux entre eux » (mémoire de la demanderesse, aux pages 35 à 41).

 

[28]           Le défendeur soutient qu’il incombe à la personne qui présente une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de produire une preuve des incidences de son renvoi sur tout enfant touché, et que, en l’espèce, la demanderesse ne l’a pas fait. Il fait valoir en particulier que la preuve produite n’indiquait pas clairement quel rôle précis la demanderesse jouait dans la vie de ses petits‑enfants, si d’autres personnes pourraient s’occuper d’eux ou si une autre aide pourrait être obtenue et s’ils resteraient au Canada (mémoire du défendeur, aux paragraphes 9 à 11).

 

[29]           L’agent d’immigration qui examine une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire doit être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants sur lesquels l’expulsion d’un parent ou d’un grand‑parent peut avoir des conséquences préjudiciables, mais un demandeur doit néanmoins produire une preuve et des arguments au soutien de sa demande (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, au paragraphe 5, [2004] 2 RCF 635).

 

[30]           La demanderesse n’a pas réussi à convaincre la Cour que l’agent avait commis une erreur dans son examen de l’intérêt supérieur des enfants en l’espèce.

 

[31]           Après avoir déterminé quels enfants pourraient être touchés par le renvoi de la demanderesse, l’agent a apprécié l’effet probable qu’une décision défavorable aurait sur les deux petits‑enfants de celle‑ci. À cet égard, il a conclu qu’il disposait de peu de renseignements concernant les petits‑enfants et que les observations n’établissaient pas qu’il leur serait impossible de maintenir des rapports avec la demanderesse par [traduction] « des visites, des lettres, des appels téléphoniques, des courriels ou d’autres moyens de communication électroniques ». En conséquence, l’agent a conclu que l’intérêt supérieur des enfants n’était pas un facteur déterminant et il lui a accordé peu de poids (décision, dossier du tribunal, à la page 8).

 

[32]           En ce qui concerne Benyk, ci‑dessus, la demanderesse soutient que cette décision s’applique en l’espèce parce qu’une relation doit être appréciée en fonction de la « qualité » et non de la « quantité ».

 

[33]           La décision rendue dans Benyk, ci‑dessus, découlait du rejet d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par une Ukrainienne qui était venue au Canada dix ans plus tôt avec en main un visa de visiteur temporaire afin de voir sa fille et ses petites‑filles. Le juge Sean Harrington a conclu que « Mme Benyk [était] l’une des deux principales fournisseuses de soins, voire peut-être la principale fournisseuse de soins ». Lorsque Mme Benyk est arrivée au Canada, sa fille était au cœur d’un divorce et souffrait d’une tumeur au cerveau; même si elle s’est rétablie, Mme Benyk a continué à vivre avec sa famille et à prendre soin de ses petites‑filles parce que l’emploi de sa fille exigeait qu’elle travaille souvent le soir et qu’elle voyage (Benyk, ci‑dessus, au paragraphe 6). Le juge Harrington a accueilli la demande de contrôle judiciaire au motif que la manière dont l’agent avait pris en considération l’intérêt supérieur des enfants était déraisonnable. Il a conclu en particulier que l’agent n’avait pas apprécié les difficultés qui seraient causées, compte tenu du fait que Mme Benyk vivait avec sa famille depuis huit ans, qu’il serait extrêmement difficile pour sa fille de trouver un emploi qui n’exigerait pas qu’elle travaille le soir ou qu’elle voyage et que le dossier n’indiquait pas que celle‑ci pourrait embaucher une personne pour s’occuper des enfants la nuit (Benyk, ci‑dessus, au paragraphe 13).

 

[34]           En parvenant à cette conclusion, le juge Harrington a dit ce qui suit au sujet de l’appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant :

[9] [...] Les facteurs qui peuvent être pris en considération sont l’âge des enfants (13 et 15 ans, au moment de la décision), le niveau de dépendance et le degré de l’établissement au Canada (les deux sont nées et ont été élevées ici).

 

[10] D’autres facteurs dont il faut tenir compte sont les relations actuelles par opposition à un simple fait de parenté biologique; le lieu de résidence par rapport aux enfants; les périodes de séparation antérieures et l’interdépendance de la famille du point de vue économique.

 

[35]           Il semble donc que la preuve était beaucoup plus complète et détaillée dans Benyk qu’en l’espèce. En résumé, il n’y a aucune preuve en l’espèce qui indique que la demanderesse était la principale fournisseuse de soins à ses petits‑enfants, ni qu’elle habitait avec ces derniers – en fait, ceux‑ci n’étaient pas nés au moment où elle a présenté sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[36]           Quoi qu’il en soit, il ne fait aucun doute que l’agent connaissait l’âge des petits‑enfants ainsi que leur degré d’établissement quand il a souligné qu’il n’était pas clair si ceux‑ci resteraient au Canada étant donné le statut incertain de leurs parents en matière d’immigration. Quant au niveau de dépendance et aux autres facteurs mentionnés dans Benyk, ci‑dessus, aux paragraphes 9 et 10, la demanderesse n’a pas produit le type de preuve qui aurait permis à l’agent de les apprécier. L’affaire Benyk est donc différente de la présente affaire.

 

[37]           Vu l’absence de preuve détaillée concernant la nature de la relation entre la demanderesse et ses petits‑enfants, la Cour ne peut pas convenir avec elle que la conclusion de l’agent était déraisonnable.

 

4.         L’agent a-t-il commis une erreur dans son analyse des difficultés qui seraient causées à la demanderesse et à sa famille?

 

[38]           La demanderesse soutient que l’agent n’a pas fait montre de l’empathie prescrite par la jurisprudence lorsqu’il a apprécié les difficultés indues, injustifiées et excessives. Elle soutient en particulier que l’agent a agi de manière déraisonnable et indifférente lorsqu’il a conclu que son expérience de travail et ses avoirs financiers allaient l’aider à s’établir à Saint‑Vincent. La demanderesse affirme que, étant donné qu’il est probable qu’elle ne trouve pas de travail à Saint‑Vincent, les avoirs financiers qu’elle a accumulés au Canada seront rapidement épuisés.

 

[39]           La demanderesse soutient également que l’agent a commis une erreur en lui reprochant en fait de s’être établie au Canada alors que c’est le défendeur qui a pris plus de quatre (4) ans pour traiter sa demande. Elle fait valoir qu’on devrait plutôt lui reconnaître un [traduction] « certain mérite » pour avoir tenté de régulariser son statut en matière d’immigration plus de onze (11) ans après son arrivée au Canada et malgré le fait qu’on ne lui a jamais ordonné de partir.

 

[40]           Le défendeur soutient que l’agent n’a pas commis d’erreur dans son analyse de l’établissement de la demanderesse puisque celle‑ci n’a pas produit une preuve établissant un lien entre les conditions générales existant à Saint‑Vincent et sa situation particulière ou, en d’autres mots, démontrant qu’elle subirait personnellement des difficultés « inhabituelles » ou « excessives » à cause de ces conditions. Il s’appuie sur Hussain c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 719, au paragraphe 12, 149 ACWS (3d) 303, pour avancer qu’un demandeur ne doit pas simplement faire référence aux conditions existant dans un pays en général sans établir un lien entre ces conditions et sa situation personnelle et que la preuve de la demanderesse ne démontrait pas de quelle façon son renvoi pourrait avoir une incidence sur l’intérêt de ses petits‑enfants.

 

[41]           La demanderesse s’appuie à tort sur la décision rendue récemment par le juge Campbell dans Damte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1212, aux paragraphes 33 et 34, 208 ACWS (3d) 831 [Damte], pour affirmer qu’un agent doit montrer de l’empathie lorsqu’il apprécie une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Comme le juge Campbell l’a explicitement indiqué dans sa décision, ces observations ont été faites de manière incidente et la décision faisant l’objet du contrôle a été annulée parce que l’agent avait commis six erreurs d’appréciation de la preuve qui étaient susceptibles de contrôle (Damte, ci‑dessus, au paragraphe 28).

 

[42]           La demanderesse cherche également en particulier à contester la conclusion de l’agent selon laquelle ses avoirs financiers et son expérience de travail allaient l’aider à se réinstaller à Saint‑Vincent. Elle prétend que cette conclusion est déraisonnable parce qu’il est peu probable qu’elle trouve un emploi à Saint‑Vincent. L’agent a cependant conclu que la preuve était [traduction] « de nature générale » et ne démontrait pas que la demanderesse serait incapable de se trouver un emploi ou un logement (décision, dossier du tribunal, à la page 8). Compte tenu de la preuve dont l’agent disposait, cette conclusion était raisonnable. La Cour constate que le dossier renferme peu d’éléments de preuve concernant les conditions à Saint‑Vincent. Outre les déclarations du conseil et les connaissances de la demanderesse, le seul élément de preuve est un extrait du The World Factbook de la Central Intelligence Agency traitant de l’économie de Saint‑Vincent (voir le dossier du tribunal, aux pages 100 à 105). L’agent a fait remarquer à juste titre que la demanderesse possède maintenant de l’expérience et des avoirs financiers qui l’aideront à se réinstaller à Saint‑Vincent.

 

[43]           La prétention de la demanderesse selon laquelle l’agent a commis une erreur en lui [traduction] « reproch[ant] » d’être restée au Canada pendant si longtemps n’est pas plus convaincante. Comme il a été indiqué précédemment, la demanderesse a vécu illégalement au Canada pendant six (6) ans avant de présenter une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. C’est elle qui a décidé de demeurer au Canada. La demanderesse affirme maintenant qu’on [traduction] « devrait lui reconnaître un certain mérite » pour avoir cherché à légaliser son statut. Elle passe toutefois sous silence le fait qu’elle a décidé de rester au Canada illégalement après l’expiration de son visa de visiteur.

 

[44]           Compte tenu de la preuve au dossier, la conclusion de l’agent était raisonnable et on ne peut pas dire que celui‑ci n’a pas montré d’empathie. Ses motifs permettent à une cour de révision de comprendre pourquoi il a conclu qu’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire n’était pas justifiée et de déterminer si la conclusion appartient aux issues acceptables (voir Newfoundland Nurses, ci‑dessus, au paragraphe 16).

 

[45]           L’intervention de la Cour n’est pas justifiée. 

 

[46]           Aucune partie ne propose une question à des fins de certification. Aucune question ne sera certifiée.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.         Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-9190-11

 

INTITULÉ :                                      HELEN VENESSA RICHARDSON c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 24 juillet 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 14 septembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Maria Deanna P. Santos

 

                            POUR LA DEMANDERESSE

 

Rachel Craig

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet de Madame Santos

Markham (Ontario)

 

                            POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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