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Date : 20120914

Dossier : IMM-9420-11

Référence : 2012 CF 1081

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2012

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

 

FAIDIVER DURANGO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], visant la décision en date du 7 novembre 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés (la Commission) a refusé la demande de reconnaissance de la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi présentée par le demandeur.

 

Les faits

[2]               M. Faidiver Durango (le demandeur) est citoyen colombien. Il demande asile disant craindre l’ancien département administratif de sécurité (le DAS), les paramilitaires et le gouvernement colombien parce qu’il les a tous critiqués dans l’exercice de son métier de journaliste.

 

[3]               Le demandeur est entré illégalement aux États‑Unis en 1996. En 1997, il y a fait venir sa femme et son fils. Pendant qu’il vivait aux États‑Unis, il a tissé des liens avec la communauté des expatriés colombiens et il a participé à la création d’organismes sans but lucratif.

 

[4]               Le demandeur affirme que, dans la foulée du 11 septembre 2001, il a été incapable de renouveler son permis de conduire, qui venait à expiration en 2005. Il s’est donc procuré de faux papiers – certificat de naissance, carte d’assurance sociale et passeport américain – au nom de « Nelson Huertas Diaz », en 2003. Entre 2003 et 2007, il est retourné plusieurs fois en Colombie, muni de son faux passeport, dans le cadre du travail qu’il effectuait pour ses organismes.

 

[5]               Au mois de décembre 2005, il est retourné en Colombie avec sa famille, espérant s’y réinstaller. Toutefois, la famille est revenue aux États‑Unis en 2007.

 

[6]               Le demandeur dit ne pas avoir demandé asile aux États-Unis parce qu’il s’était servi de faux documents.

 

[7]               En 2008, le demandeur est venu au Canada en utilisant son faux passeport, et il a présenté une demande d’asile le 28 août 2008. Sa femme et ses deux enfants sont arrivés au Canada le 17 septembre 2008 et ont ensuite demandé asile sur le fondement des faits invoqués par le demandeur.

 

[8]               La Commission a entendu la demande d’asile le 18 octobre 2010 et les 21 février et 30 mai 2011.

 

La décision soumise au contrôle

[9]               La Commission a conclu qu’aux termes de la disposition d’exclusion énoncée à l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137, RT Can 1969 no 6 (la Convention), la demande d’asile du demandeur était irrecevable parce qu’il avait commis un crime grave de droit commun aux États‑Unis. En dépit du rejet de la demande d’asile du demandeur, la Commission a reconnu la qualité de réfugié au sens de la Convention à la femme du demandeur et à l’un de ses fils – né en Colombie. La Commission a indiqué que si le demandeur n’avait pas été exclu en application de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention, elle aurait accueilli sa demande.  Elle a également jugé qu’un autre fils du demandeur, qui était né aux États‑Unis, ne pouvait être considéré comme un réfugié puisqu’il jouissait d’une protection suffisante aux États‑Unis.

 

[10]           S’agissant de l’exclusion visée à l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention, la Commission a signalé que le demandeur ne s’était pas procuré le faux passeport afin de demander asile aux États‑Unis mais pour y demeurer. Elle a statué qu’au Canada, de tels gestes auraient constitué « l’emploi, la possession ou le trafic d’un document contrefait », infraction prévue à l’article 368 du Code criminel, LRC 1985, c C‑46, ainsi que l’infraction de faux et usage de faux en matière de passeport prévue à l’article 57 de ce code. La Commission a alors appliqué la présomption de gravité attachée aux infractions punissables d’une peine de dix ans d’emprisonnement ou plus au Canada, établie par la décision Chan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1180, [2000] 4 CF 390 [Chan]. Elle a également analysé les facteurs énumérés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, [2009] 4 RCF 164 [Jayasekara], concernant l’interprétation de la disposition d’exclusion, c’est‑à‑dire les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité. Au terme de son analyse, elle a conclu que le demandeur avait commis des crimes graves de droit commun aux États‑Unis qui l’excluaient du régime de protection des réfugiés.

 

Question en litige

[11]           L’affaire soulève la question suivante :

La Commission a-t-elle commis une erreur de fait et de droit en concluant qu’il y avait lieu d’exclure le demandeur en application de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention?

 

Dispositions législatives

[12]           Voici les dispositions applicables de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés :

PARTIE 2

 

PROTECTION DES RÉFUGIÉS

 

Notions d’asile, de réfugié et de personne à protéger

 

 

 

Définition de « réfugié »

 

A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

PART 2

 

REFUGEE PROTECTION

 

 

Refugee Protection, Convention Refugees and Persons in Need of Protection

 

Convention refugee

 

A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Person in need of protection

 

(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

PARTIE 3

 

EXÉCUTION

 

Règles visant les poursuites

 

Immunité

 

133. L’auteur d’une demande d’asile ne peut, tant qu’il n’est statué sur sa demande, ni une fois que l’asile lui est conféré, être accusé d’une infraction visée à l’article 122, à l’alinéa 124(1)a) ou à l’article 127 de la présente loi et à l’article 57, à l’alinéa 340c) ou aux articles 354, 366, 368, 374 ou 403 du Code criminel, dès lors qu’il est arrivé directement ou indirectement au Canada du pays duquel il cherche à être protégé et à la condition que l’infraction ait été commise à l’égard de son arrivée au Canada.

PART 3

 

ENFORCEMENT

 

Prosecution of Offences

 

Deferral

 

133. A person who has claimed refugee protection, and who came to Canada directly or indirectly from the country in respect of which the claim is made, may not be charged with an offence under section 122, paragraph 124(1)(a) or section 127 of this Act or under section 57, paragraph 340(c) or section 354, 366, 368, 374 or 403 of the Criminal Code, in relation to the coming into Canada of the person, pending disposition of their claim for refugee protection or if refugee protection is conferred.

 

[13]           Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], sont également pertinentes :

 

PARTIE 3

 

INTERDICTIONS DE TERRITOIRE

 

Fausses déclarations

 

22. Les demandeurs d’asile, tant qu’il n’est pas statué sur leur demande, et les personnes protégées au sens du paragraphe 95(2) de la Loi sont soustraits à l’application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi.

PART 3

 

INADMISSIBILITY

 

 

Misrepresentation

 

22. Persons who have claimed refugee protection, if disposition of the claim is pending, and protected persons within the meaning of subsection 95(2) of the Act are exempted from the application of paragraph 40(1)(a) of the Act.

 

 

 

[14]           S’applique également la disposition suivante de la Convention :

Nations Unies

Convention relative au statut des réfugiés

 

Chapitre 1

 

DISPOSITIONS GÉNÉRALES

 

Article premier – Définition du terme « réfugié »

 

[…]

 

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser:

a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

b) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;

c) Qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

United Nations

Convention Relating to the Status of Refugees

 

Chapter 1

 

GENERAL PROVISIONS

 

 

Article 1 – Definition of the term “refugee”

 

 

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

(a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provisions in respect of such crimes;

 

(b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

(c) he has been guilty of acts contrary to the purposes and principles of the United Nations.

 

Norme de contrôle

[15]           Il est établi en jurisprudence que l’exclusion en application de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention est une question mixte de fait et de droit dont le contrôle s’effectue en fonction de la norme de la raisonnabilité (Radi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 16, au para 11, [2012] ACF no 9 (QL); Shire c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 97, au para 47, [2012] ACF no 111 (QL); Jawad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 232, au para 21, [2012] ACF no 232 (QL) [Jawad]). L’examen s’intéresse donc à la « justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’à l’appartenance de « la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au para 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

 

Arguments

Position du demandeur

[16]           Le demandeur fait valoir qu’il n’a jamais été poursuivi aux États‑Unis pour une infraction et qu’il a fait preuve de franchise en indiquant dans sa demande d’asile qu’il s’était procuré et avait utilisé de faux documents aux États‑Unis pour pouvoir se rendre en Colombie. Il dit également craindre de retourner en Colombie et souligne que la Commission a indiqué que, n’eût été de l’exclusion prévue à l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention, elle aurait accueilli la demande d’asile.

 

[17]           Il voit les erreurs suivantes dans la décision de la Commission. Elle aurait d’abord commis une erreur de droit en n’examinant pas si les infractions étaient de nature politique. Selon lui, la Commission a simplement présumé, sans fournir de motifs, qu’il s’agissait d’infractions de droit commun. Le demandeur prétend aussi que le « critère du caractère accessoire » élaboré dans l’arrêt Gil c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1995] 1 CF 508, 119 DLR (4th) 497 [Gil], auquel on a recours pour établir si un crime est de nature politique ou non, n’est applicable qu’aux crimes violents et ne doit pas servir à l’égard d’infractions non violentes (Gil, précité, au para 17). Il explique en outre qu’il s’est procuré les faux papiers afin de demeurer aux États‑Unis, c’est‑à‑dire pour ne pas avoir à retourner en Colombie, où il risquait la persécution, sous sa propre identité. Il déclare aussi que les faux papiers lui ont permis de se rendre en Colombie pour faire avancer le travail de sa fondation caritative et que la Commission aurait donc dû tenir compte de ces facteurs pour trancher la question de savoir si les infractions étaient de nature politique ou non.

 

[18]           Le demandeur affirme en outre que l’analyse de la « gravité » de l’infraction en fonction des éléments tirés de l’arrêt Jayasekara, précité, est erronée. Il soutient que les infractions relevées par la Commission étaient visées par l’article 133 de la Loi et l’article 22 du Règlement et que ces dispositions exonèrent un demandeur d’asile de fausses déclarations. Il fait valoir que, bien que l’article 133 de la Loi ne puisse être invoqué dans une poursuite criminelle (puisque le demandeur s’est servi des faux pour entrer en Colombie non au Canada), la Commission aurait dû, dans son analyse, considérer le principe général protégé par ces dispositions comme une circonstance atténuante. Il expose, plus précisément, que ces articles de la Loi et du Règlement établissent le principe que ceux qui [traduction] « fuient la persécution ne devraient pas encourir de responsabilité criminelle pour s’être procuré et avoir utilisé de faux documents à cette fin » (exposé des arguments du demandeur, au para 16).

 

[19]           Le demandeur ajoute que l’analyse des « circonstances atténuantes » faite par la Commission en application de Jayasekara, précité, n’était pas rationnelle. Il affirme essentiellement que la Commission a déclaré qu’elle aurait pu considérer qu’il y avait des circonstances atténuantes si le demandeur s’était servi du faux passeport pour entrer en Colombie à cause d’une « situation familiale urgente », mais qu’elle a conclu que l’utilisation de ce passeport pour « des raisons sociales ou politiques » constituait une circonstance aggravante, même si elle avait souligné la « valeur sociale » du travail qu’il accomplissait. Selon le demandeur, ses voyages en Colombie étaient d’ordre humanitaire et auraient dû être considérés comme des circonstances atténuantes (Guerrero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1210, 208 ACWS (3d) 815).

 

Position du défendeur

[20]           Le défendeur soutient quant à lui que la Commission a examiné les raisons motivant l’acquisition et l’utilisation des faux documents, mais qu’elle a jugé les arguments du demandeur non fondés. Concernant l’argument voulant qu’il ait utilisé le passeport pour son travail d’ordre humanitaire en Colombie, le défendeur affirme que l’utilisation du faux passeport n’a jamais eu de fondement politique et que le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve pouvant « établir un pont entre le politique et l’humanitaire » (exposé des arguments du défendeur, au para 9). L’utilisation par le demandeur de ses faux documents – certificat de naissance, carte d’assurance sociale et passeport – pour rester aux États‑Unis ne peut constituer un « crime politique » au sens de l’arrêt Gil, précité.

 

[21]           Le défendeur soutient en outre que la question de la nature politique ou non des infractions n’a pas été soumise à la Commission lors de l’audition de la demande, de sorte qu’elle ne peut être examinée dans le cadre du présent contrôle. La Commission n’a pas fait abstraction de la question de savoir si les infractions étaient de nature politique, elle l’a simplement jugée sans importance.

 

[22]           En réponse à l’argument du demandeur fondé sur les articles 133 de la Loi et 22 du Règlement, le défendeur souligne que le demandeur ayant utilisé les faux documents pour d’autres raisons que pour fuir la persécution, l’argument n’est pas fondé. Sur la question de la circonstance aggravante consistant à avoir utilisé le faux passeport pour retourner travailler en Colombie, le défendeur soutient que même si le travail du demandeur avait une valeur sociale, il n’est pas établi que cela pourrait justifier de fermer les yeux sur les graves infractions prévues aux articles 57, 368 et 403 du Code criminel (exposé des arguments du défendeur, au para 27).

 

Analyse

[23]           La Cour rappelle que trois conditions doivent exister pour que l’exclusion prévue à l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention s’applique (voir Zrig c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178, au para 134, [2003] 3 CF 761) : 1) il doit y avoir un crime; 2) il doit s’agir d’un crime de droit commun (non political) et 3) ce crime doit être grave.

 

[24]           Le demandeur soutient que son travail et ses activités en Colombie constituaient des motifs politiques, mais la Cour n’est pas convaincue qu’il y ait un lien entre les activités humanitaires ou charitables du demandeur et des aspects politiques. Le demandeur n’a pas démontré à la Cour que des motifs politiques sous‑jacents justifiaient qu’il utilise un faux passeport américain à plusieurs reprises pour retourner en Colombie.

 

[25]           Par exemple, le demandeur affirme qu’il craignait le DAS et ses agents en Colombie, mais malgré cette prétendue crainte, il a utilisé son nom véritable pour travailler en Colombie lorsqu’il y est retourné, bien qu’il se soit servi de sa fausse identité pour passer la frontière (décision de la Commission, au para 18f)).

 

[26]           En outre, le demandeur a utilisé son faux passeport lorsqu’il est retourné en Colombie avec sa famille pour des raisons personnelles en 2005. Aucun élément de preuve n’indique que ce retour avait des motifs politiques. Le demandeur et sa famille sont ensuite revenus aux États‑Unis en 2007.

 

[27]           Une importante distinction s’impose également en l’espèce. Le demandeur n’a pas contrevenu aux lois colombiennes afin de quitter la Colombie et demander asile dans un autre pays, par exemple aux États‑Unis. La Cour rappelle que le demandeur a enfreint les lois américaines pendant neuf ans et que, pendant cette période, il est retourné plusieurs fois en Colombie. On peut difficilement, alors, voir une fin politique à l’utilisation du faux passeport américain pour retourner en Colombie. À titre incident, j’ajouterais qu’il ressort clairement de la preuve que les crimes commis par le demandeur aux États‑Unis n’étaient pas de nature politique.

 

[28]           À l’appui de son argument voulant que le crime politique englobe davantage que des actes commis lors d’un soulèvement, le demandeur invoque Regina v Governor of Brixton Prison Ex parte Kolczynski, [1955] 1 QB 540 [Kolczynski], cité dans Gil, précité, au para 17. Toutefois, le parallèle que le demandeur cherche à établir entre sa situation et l’affaire Kolczynski ne tient pas. Dans Kolczynski, les membres d’équipage d’un chalutier polonais avaient maîtrisé le capitaine et le représentant politique et avaient mené le bateau en Grande‑Bretagne où ils avaient demandé asile; ce faisant, ils avaient commis une infraction qui, à cette époque, avait un [traduction] « caractère politique » et, même s’ils pouvaient être poursuivis pour piraterie, advenant leur extradition, ils seraient en fait punis comme [traduction] « auteurs d’un crime politique » (Gill, précité, au para 17). Il serait vraiment difficile d’affirmer en l’espèce – et aucun élément de preuve ne l’établirait – qu’en sanctionnant l’utilisation d’un faux passeport les États‑Unis puniraient le demandeur comme auteur d’un crime politique. 

 

[29]           Il importe également de signaler que non seulement y a-t-il eu usage d’un faux passeport, mais également d’un faux certificat de naissance et d’une fausse carte d’assurance sociale. Il appert de la preuve que ces actes étaient motivés par des raisons personnelles et non par un but politique discernable : le demandeur voulait rester aux États‑Unis et y travailler (dossier du demandeur, p 38; dossier du Tribunal, p 513 et 537).  Par conséquent, en dépit de l’argument du demandeur selon lequel la Commission a attaché peu de poids à la question de savoir si le crime était politique ou non, la preuve est claire. La Cour estime en outre qu’en faisant mention du but recherché par le demandeur, à savoir vivre et travailler aux États‑Unis, la Commission a suffisamment examiné cette question (décision de la Commission, aux para 18d) et f)).

 

[30]           Le demandeur fait également valoir que les articles 133 de la Loi et 22 du Règlement [traduction] « prévoyaient et excusaient » les infractions mentionnées par la Commission et que, sur la question des crimes graves, la décision Jayasekara, précitée, avait été mal appliquée. Comme il en a été fait mention, toutefois, le demandeur n’a pas utilisé les faux documents pour fuir la Colombie et demander asile dans un autre pays. La Commission pouvait donc raisonnablement conclure qu’il « ne s’agit pas d’une situation où le demandeur d’asile a obtenu un faux passeport dans le but de demander l’asile aux É.‑U » (décision de la Commission, aux para 14(3)-(5) et 18f)). En outre, le demandeur ne peut se servir de faux documents aux États‑Unis de façon répétée et soutenir – compte tenu des faits de l’espèce – que ses gestes avaient valeur de circonstance « atténuante » (décision de la Commission, au para 8 in fine). Dans ces circonstances, il était raisonnable que la Commission reconnaisse d’un côté la valeur sociale du travail du demandeur consistant à construire des logements pour les personnes déplacées en Colombie mais qu’elle conclue par ailleurs que « d’utiliser un faux passeport pour retourner à plusieurs reprises dans un pays pour des raisons sociales ou politiques constitue des circonstances aggravantes » (décision de la Commission, au para 8 in fine).

 

[31]           Voici des observations récentes formulées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, au para 16 :

Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soitil, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391).  En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

 

[32]           Pour tous ces motifs, la Cour est d’avis, compte tenu des faits en cause, que la décision de la Commission selon laquelle le demandeur devrait être exclu en application de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention est raisonnable et qu’elle fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il n’y a donc pas lieu que la Cour intervienne. 

 

[33]           À l’audience, le défendeur a indiqué qu’il déposerait une question de portée générale pour certification, mais il a ensuite informé la Cour, par lettre en date du 31 juillet 2012, qu’il n’avait pas l’intention de soumettre une telle question sur le fondement des faits en cause. Le demandeur a répondu par lettre en date du 1er août 2012, souscrivant à l’opinion du défendeur qu’il n’y avait pas lieu de certifier de question de portée générale. 

 

[34]           En conséquence, aucune question ne sera certifiée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande est rejetée.

 

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-9420-11

 

INTITULÉ :                                      FAIDIVER DURANGO c MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 26 juillet 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 14 septembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Clifford Luyt

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet de M. Luyt

Toronto (Ontari)o

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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