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Date : 20120905


Dossier : IMM-509-12

 

Référence : 2012 CF 1054

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 5 septembre 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

OMAR ALFREDO SANCHEZ AGUILAR,

LILIANA GUEVARA MONZON,

JOSE MARIA SANCHEZ GUEVARA ET

JOSUE ROBERTO SANCHEZ GUEVARA

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire visant la décision défavorable rendue par une agente d’immigration relativement à un examen des risques avant renvoi (l’ERAR), en date du 22 novembre 2011, est rejetée.

Le contexte

[2]               Les demandeurs sont des membres d’une même famille. Omar Alfredo Sanchez Aguilar (le père) et Josue Roberto Sanchez Guevara (l’enfant) sont des citoyens du Salvador; Liliana Guevara Monzon (la mère) et Jose Maria Sanchez Guevara (l’enfant) ont la citoyenneté guatémaltèque. Ils craignent que les gangs criminels Maras au Salvador et au Guatemala s’en prennent à eux. 

 

[3]               Les gangs ont extorqué de l’argent à M. Sanchez Aguilar, un importateur de fruits et de légumes indépendant, en menaçant de s’en prendre à lui et à sa famille. Les extorsions ont eu lieu en 2004 et en 2005, au Salvador et au Guatemala, car M. Sanchez Aguilar faisait des affaires dans ces deux pays. M. Sanchez Aguilar a d’abord versé de l’argent aux gangs, puis il a été incapable de répondre à leurs demandes de plus en plus élevées. Lors de l’une des extorsions, en septembre 2004, il a été poignardé et il a presque été atteint par une balle. Il prétend qu’il a tenté de signaler l’incident à la police, mais que celle‑ci a refusé sa plainte parce qu’elle craignait les gangs Maras.

 

[4]               Les demandeurs se sont enfuis aux États‑Unis en 2006 et ont demandé l’asile. Leur demande a été rejetée en 2007. Les demandeurs sont restés aux États‑Unis malgré le fait qu’une mesure d’expulsion avait été prise contre eux, car ils craignaient de retourner au Salvador ou au Guatemala. La famille est arrivée à Fort Erie, en Ontario, le 25 février 2009 et a demandé l’asile. 

 

[5]               La Commission a rejeté la demande d’asile des demandeurs le 7 mars 2011. Bien qu’elle ait convenu que les faits allégués étaient survenus, elle a statué qu’il n’y avait aucun lien avec un motif prévu par la Convention et qu’il y avait dans les deux pays une partie représentative suffisamment importante de personnes qui étaient exposées de manière générale au même risque que les demandeurs pour que l’on conclue que ces derniers n’étaient pas des « personnes à protéger » au sens de l’article 97 de la Loi. La Cour a rejeté la demande d’autorisation de contrôle judiciaire visant cette décision.

 

[6]               Les demandeurs ont présenté une demande d’ERAR et ont produit de nouveaux éléments de preuve relatifs à des faits récents concernant une sœur, Maria Carlota Sanchez Aguilar, qui habite au Salvador. Celle-ci a produit une déclaration notariée dans laquelle elle affirme avoir été victime d’un vol à main armée à un GAB, d’une agression physique grave et de plusieurs menaces proférées par les gangs Maras – ceux‑ci avaient notamment fait référence à M. Sanchez Aguilar et à sa « dette » toujours impayée. Elle a tenté de porter plainte à la police au sujet de l’agression physique, mais les policiers qui l’ont reçue ont ri d’elle et n’ont pas accepté sa plainte. Elle a produit une déclaration notariée de son médecin indiquant qu’elle avait souffert de [traduction] « multiples blessures et qu’elle avait perdu connaissance » la nuit où elle dit avoir été agressée. Elle affirme en outre que, la même nuit, elle a reçu un appel téléphonique d’une personne qui a dit être membre du Mara Salvatrucha et qui a indiqué qu’il savait qu’elle était allée voir la police, qui l’a menacée de mort et qui lui a rappelé la dette toujours impayée de M. Sanchez Aguilar.

 

[7]               L’agente a indiqué qu’il faudrait se baser sur des hypothèses pour conclure que les incidents dont Mme Sanchez Aguilar avait été victime, dont la survenance ne faisait cependant [traduction] « aucun doute », s’étaient produits en raison de ses liens avec M. Sanchez Aguilar. En conséquence, et aussi pour d’autres raisons, l’agente a affirmé qu’elle devait accorder peu de poids à la preuve de Maria Carlota en tant qu’élément prédictif du tort qui, selon les demandeurs, allait leur être causé par les Maras.

 

[8]               L’agente a dit ce qui suit au sujet du critère relatif à l’article 97 de la Loi :

[traduction] La preuve démontrant, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur et sa famille sont exposés à un risque personnel prospectif d’être tués ou de subir des traitements ou peines cruels et inusités au Salvador ou au Guatemala, par opposition à un risque généralisé d’être victimes de crimes ou d’actes de violence commis par les criminels en général, est insuffisante. Dans l’éventualité peu probable où [les demandeurs] seraient exposés à un grave préjudice à leur retour, […] ils pourraient obtenir une protection de l’État adéquate, quoique non parfaite, dans ces pays. [Non souligné dans l’original.]

 

Les questions en litige

[9]               Les questions soulevées par les demandeurs peuvent être formulées comme suit :

1.      La conclusion de l’agente concernant la protection de l’État adéquate était‑elle déraisonnable vu :

a.       soit qu’elle était contraire à la conclusion de risque généralisé;

b.      soit qu’elle était fondée sur le mauvais critère et ne tenait pas compte de la preuve;

c.       soit qu’elle ne tenait pas compte de la situation particulière des demandeurs?

2.      La conclusion de l’agente concernant la preuve insuffisante cachait-elle une conclusion relative à la crédibilité et, en conséquence, l’agente a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas d’audience?

 

Analyse

1.         La conclusion relative à la protection de l’État

La présumée contradiction

[10]           Les demandeurs soutiennent qu’une conclusion de risque généralisé et de protection de l’État adéquate tirée sous le régime des sous‑alinéas 97(1)b)(i) et (ii) de la Loi [traduction] « n’est pas logique et [est] contradictoire »; cette conclusion est donc déraisonnable selon la norme formulée dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9. En d’autres termes, les demandeurs soutiennent qu’[traduction] « une conclusion d’absence de protection de l’État est contenue implicitement dans une conclusion de risque généralisé ».

 

[11]           Cette prétention ne peut être correcte étant donné qu’elle est fondée sur une présomption non pas de protection de l’État adéquate, laquelle suppose qu’un certain risque existera toujours, mais de protection de l’État parfaite, laquelle signifie que tous les risques détectés ont été éradiqués.

 

[12]           Pressée par la Cour, l’avocate des demandeurs a dit qu’elle soutenait en fait que, lorsque l’on conclut qu’une très grande partie de la population en général est exposée à un risque, on ne peut pas dire également qu’il existe une protection de l’État adéquate, car s’il en était autrement, le risque ne serait pas si grand.

 

[13]           Les défendeurs soutiennent que les notions de risque auquel sont exposées généralement « d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent » et « la protection de ce pays » qui sont prévues aux sous‑alinéas 97(1)b)(i) et (ii) sont deux notions distinctes et séparées qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre.

 

[14]           Je suis d’accord avec les défendeurs. Cependant, l’existence d’un risque répandu, probable et sérieux peut être un indicateur fiable du caractère inadéquat de la protection de l’État. Il ne s’agit toutefois que d’un indicateur factuel et les deux analyses restent séparées. En l’espèce, la Commission a conclu que d’autres personnes dans les pays en cause étaient exposées à un risque de même nature, mais non, contrairement à ce que les demandeurs laissent entendre, qu’un grand nombre de personnes dans les pays d’origine étaient susceptibles d’être exposées à ce risque. La conclusion de l’agente concernant le risque généralisé et la protection de l’État adéquate n’était donc pas déraisonnable.

 

L’application du mauvais critère et le défaut de prendre en considération certains éléments de preuve

[15]           Les demandeurs soutiennent que l’agente a commis une erreur de droit dans son analyse de la protection de l’État en mettant l’accent sur les mesures prises par les États en cause et non sur les résultats ou l’efficacité de ces mesures. Ils soutiennent également que l’agente a commis une erreur en ne tenant pas compte de certains éléments de preuve sur les conditions existant dans les pays en cause ou en tenant compte seulement de certains éléments de preuve choisis. J’estime qu’aucune de ces erreurs n’a été commise.

 

[16]           L’agente décrit longuement dans la décision les mesures qui sont prises pour lutter contre la violence des gangs au Salvador et au Guatemala et conclut que des [traduction] « efforts sérieux » étaient déployés. Elle fait aussi cependant souvent référence à l’effet de ces mesures au Salvador. À titre d’exemple, elle fait état de cinq cas d’arrestations massives de membres de gangs Maras survenus récemment, plus précisément au cours de la première moitié de 2011. Elle fait remarquer que 70 % des plaintes d’extorsion sont entendues par les tribunaux, que la protection des victimes est offerte au procès, que des douzaines de policiers ont été condamnés pour des infractions criminelles au cours des dix dernières années et que, par suite de l’adoption d’une loi disciplinaire applicable à la police en 2008, environ 140 policiers (dont plusieurs officiers hauts gradés) ont perdu leur poste en 2009. Elle mentionne finalement que le taux d’homicides a baissé d’environ 10 % en 2010 au Salvador. L’agente fait également état des résultats constatés au Guatemala.

 

[17]           Par ailleurs, je ne suis pas convaincu que l’agente a fait une utilisation sélective de la preuve et qu’elle a omis de tenir compte d’éléments favorables aux demandeurs. Bien qu’elle ne se soit pas référée directement aux sources des demandeurs, l’agente reconnaît franchement tout au long de la décision relative à l’ERAR que l’ampleur de la criminalité, de la violence liée aux gangs et de la corruption au sein de l’appareil de la protection de l’État constitue toujours un problème grave au Salvador et au Guatemala. 

 

[18]           L’information dont l’agente disposait démontrait que les deux États avaient la capacité de s’attaquer à la criminalité liée aux gangs, notamment à l’extorsion, et à la corruption au sein de l’appareil de protection de l’État, et d’intenter des poursuites à cet égard – et qu’ils le faisaient effectivement – même si la situation était loin d’être parfaite. L’agente a reconnu expressément que les mesures avaient eu un effet mitigé, mais elle a conclu que, sur le plan systémique, l’appareil étatique était capable de protéger ses citoyens – et les protégeait effectivement – dans les deux États. Cette conclusion n’était pas déraisonnable compte tenu du dossier dont elle disposait.

 

L’agente n’a pas tenu compte de la situation particulière des demandeurs

[19]           Les demandeurs soutiennent que l’agente n’a pas appliqué le bon critère juridique relatif à la protection de l’État parce qu’elle n’a pas tenu compte de leur situation particulière, en particulier du fait que les Maras ont des relations dans la police et qu’ils ont été en mesure de découvrir que Maria Carlota avait essayé de faire une dénonciation, que la police avait refusé sa plainte et que M. Sanchez Aguilar intéressait toujours les Maras. 

 

[20]           Bien que l’on ne renvoie pas expressément à ces aspects de son affidavit, je ne peux pas conclure que cela a pu avoir une incidence sur la conclusion de protection de l’État adéquate et la conclusion particulière selon laquelle les efforts limités déployés par les demandeurs pour obtenir la protection de l’État ne réfutaient pas la présomption voulant que celle‑ci existe.

 

2.         La conclusion cachée concernant la crédibilité et le défaut de tenir une audience

[21]           Le demandeur soutient que l’agente a tiré une conclusion [traduction] « cachée » concernant la crédibilité de Maria Carlota et qu’elle aurait dû tenir une audience afin d’apprécier la crédibilité.

 

[22]           Les demandeurs soutiennent que l’agente [traduction] « a omis d’examiner la preuve […] qui traitait directement du risque particulier et personnel auquel les demandeurs étaient exposés ». L’affirmation selon laquelle l’agente n’a pas décrit ce risque de manière suffisamment précise est fondée. Si on y ajoute foi, la preuve démontre que M. Sanchez Aguilar était visé personnellement dans une certaine mesure; pourtant, l’agente s’est contentée de qualifier le risque auquel les demandeurs étaient exposés de risque de [traduction] « crime ou [de] violence ». Or, cela n’est pas déterminant au regard de la nécessité de tenir une audience ou, surtout, au regard de la demande dans son ensemble. Même si on y ajoutait foi, la preuve de Maria Carlota concernant son unique tentative de porter plainte à la police n’aurait pas été suffisante pour établir que les demandeurs n’étaient pas en mesure de demander la protection de l’État. Le critère prévu à l’alinéa 167c) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, consiste à déterminer si la preuve, à supposer qu’on y ajoute foi, « justifier[ait] que soit accordée la protection ». Ce qui importe, c’est le caractère suffisant de sa preuve, non sa crédibilité. Même si on y ajoutait foi, sa preuve n’est pas suffisante pour réfuter la présomption de protection de l’État. Il n’était donc pas nécessaire de tenir une audience.

 

[23]           Aucune des parties n’a proposé une question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

 

                                                                                                              « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-509-12  

 

INTITULÉ :                                      OMAR ALFREDO SANCHEZ AGUILAR,

LILIANA GUEVARA MONZON, JOSE MARIA

SANCHEZ GUEVARA ET JOSUE ROBERTO

SANCHEZ GUEVARA c

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 28 août 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 5 septembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lina Anani

 

Jane Stewart

 

                                 POUR LES DEMANDEURS

 

                                 POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lina Anani

Avocate

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

                                 POUR LES DEMANDEURS

 

 

 

                                 POUR LES DÉFENDEURS

 

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