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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20120905


Dossier : IMM-432-12

 

Référence : 2012 CF 1052

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Toronto (Ontario), le 5 septembre 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

EDOUARD NGABWE MUTABUNGA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Pour les motifs exposés ci-après, la présente demande de contrôle judiciaire relative à une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Commission) ne peut être accueillie. La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, parce que son témoignage n’était pas crédible.

 

[2]               Le demandeur, qui est citoyen de la République démocratique du Congo, soutient qu’il s’est enfui parce qu’il est devenu un témoin possible d’un meurtre, qui pourrait avoir été commis par un militaire avec la complicité de la police.

 

[3]               Plus précisément, il fait valoir qu’il prenait un verre, seul, dans un restaurant le soir du 22 avril 2011. Sa table se trouvait à côté de celle qu’occupaient trois hommes. Il les a remarqués parce qu’ils ne s’exprimaient pas dans la langue locale, mais plutôt dans une langue [traduction] « parlée principalement par les militaires du Congo ». Il a déclaré que deux des hommes [traduction] « portaient des vêtements civils sur lesquels des mots étaient écrits ... Congo nouveau. L’autre homme portait une chemise bleue ».

 

[4]               Tôt le lendemain matin, alors qu’il conduisait un véhicule, le demandeur a remarqué un groupe de personnes rassemblées autour de ce qui semblait être un cadavre qui gisait sur le bord de la route. Il s’est arrêté pour regarder et a constaté qu’il s’agissait de l’homme qu’il avait vu au restaurant et qui portait la chemise bleue. L’homme décédé portait toujours la chemise bleue, son visage et son cou étaient enflés, ses yeux étaient grand ouverts et sa langue était sortie. Il avait apparemment été étranglé.

 

[5]               Peu après avoir vu le cadavre, le demandeur s’est rendu au poste de police pour faire un rapport. Il a raconté au chef de police ce qu’il avait vu, tant au bord de la route qu’au restaurant. Le chef lui a demandé s’il était certain et il a répondu par l’affirmative. À la demande du chef, le demandeur a laissé son numéro de téléphone et a attendu d’autres nouvelles.

 

[6]               Le chef a demandé au demandeur de retourner au poste cet après-midi-là. Il lui a demandé s’il pouvait identifier les deux autres hommes du restaurant. Le demandeur a répondu par l’affirmative. À ce moment, un militaire s’est approché. Le demandeur a reconnu le militaire comme l’un des deux autres hommes qu’il avait vus au restaurant. Le demandeur était renversé et le chef a remarqué sa réaction. Le demandeur a tenté de rester calme et le chef lui a dit qu’il pouvait partir.

 

[7]               Plutôt que de retourner directement chez lui, le demandeur est allé voir sa petite amie. Lorsqu’il est retourné chez lui plus tard le même soir, sa bonne ou domestique lui a dit que trois hommes (dont deux portaient un uniforme militaire) étaient venus le voir. Les hommes n’ont pas dit pourquoi ils voulaient voir le demandeur, mais ils ont mentionné qu’ils reviendraient. Le demandeur a décidé de passer la nuit chez un ami.

 

[8]               Le lendemain matin, lorsque le demandeur est retourné chez lui, sa domestique ne s’y trouvait pas. Les voisins lui ont dit que la domestique avait été emmenée par des hommes en uniforme. Effrayé, le demandeur a réuni rapidement des documents importants et s’est enfui au Burundi. Quelque temps après, un individu a communiqué avec la soeur du demandeur, qui vit au Burundi, pour savoir si celui-ci se cachait là-bas. Elle a répondu par la négative. Cependant, étant donné que les deux endroits étaient assez rapprochés, le demandeur a décidé qu’il n’était pas en sécurité au Burundi non plus et s’est enfui au Canada.

 

[9]               La Commission a jugé peu vraisemblable que le demandeur ait pu reconnaître le cadavre qui gisait sur le bord de la route dans l’état qu’il a décrit, parce qu’il avait simplement vu l’homme en question dans un restaurant bondé sans avoir le moindre contact ou la moindre conversation avec lui. La Commission a également jugé qu’il n’était pas vraisemblable que le demandeur ait eu peur de la police, parce qu’il n’avait jamais vu les agents qui étaient apparemment allés chez lui ni ne leur avait parlé, il ne savait pas pourquoi ils se trouvaient là et il ignorait s’il s’agissait des mêmes agents que ceux qu’il aurait vus la veille. La Commission a aussi conclu que le demandeur ne lui avait présenté aucun élément de preuve montrant que la police était allée chez lui pour l’arrêter ou que les agents étaient les mêmes que ceux qu’il avait vus précédemment.

 

[10]           Le demandeur soutient que la Commission a tiré des conclusions erronées quant à la crédibilité et à la vraisemblance en ignorant la preuve et l’explication précises qu’il a données quant à la façon dont il a pu identifier le corps comme celui de l’homme qu’il avait vu la veille au restaurant.

 

[11]           La principale preuve que le demandeur invoque est énoncée dans un affidavit qu’il a produit au soutien de la demande d’autorisation et dont le contenu est réitéré dans son mémoire. Le demandeur y affirme avoir déclaré au cours de son témoignage que l’un des hommes du restaurant portait un t-shirt bleu comportant l’inscription Congo Novo et qu’il a remarqué que le cadavre portait le même t-shirt bleu arborant la même inscription – Congo Novo – que celui qu’il avait vu la veille.

 

[12]           Cependant, il appert clairement du dossier certifié du tribunal que ce n’est pas ce que le demandeur a dit lorsqu’il a témoigné devant la Commission. Il a alors déclaré que deux des hommes portaient des chemises comportant l’inscription Congo Novo, mais que l’autre homme avait un t-shirt bleu. Bref, le dossier ne permet pas de dire que la Commission n’a pas tenu compte de cette preuve; ce n’était pas la preuve dont la Commission a été saisie. De plus, le demandeur a déposé un faux affidavit au soutien de la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, ce qui est encore plus problématique.

 

[13]           Le demandeur a également donné un faux renseignement dans son affidavit en ce qui a trait au sexe de la personne (bonne ou domestique) qui aurait été enlevée par les autorités. Sur son formulaire de renseignements personnels, il emploie le pronom « her », identifiant la personne comme une femme. Au cours de l’audience devant la Commission, le demandeur a dit clairement à maintes reprises qu’il s’agissait d’un domestique. La Commission n’a apparemment pas relevé cette incohérence. Cependant, dans l’affidavit qu’il a déposé au soutien de la présente demande, le demandeur utilise à nouveau le pronom féminin « her » pour identifier la personne en question.

 

[14]           Malgré le fait que je n’aurais peut-être pas conclu, comme la Commission l’a fait, qu’il était peu probable que le demandeur ait pu identifier le corps comme celui de l’homme qu’il avait vu au restaurant, je ne puis dire que la décision n’était pas raisonnable parce qu’elle « n’appartenait pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits », selon le critère qu’a énoncé la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9.

 

[15]           En conséquence, la présente demande doit être rejetée quant au fond.

 

[16]           De plus, même si j’avais été d’avis que la Commission avait commis une erreur en tirant cette conclusion, je n’aurais pas accueilli la demande, eu égard à la fausse preuve que le demandeur a présentée à la Cour en l’espèce.

 

[17]           Dans Poveda Mayorga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1180, au paragraphe 18, il a été décidé que la Cour fédérale a le pouvoir discrétionnaire de refuser de faire droit à la demande de contrôle judiciaire lorsque le demandeur ne se présente pas sans reproche :

Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2006 CAF 14, la Cour d’appel fédérale a dit au paragraphe 9 que si la cour « est d’avis qu’un demandeur a menti, ou qu’il est d’une autre manière coupable d’inconduite, elle peut rejeter la demande sans la juger au fond ou, même ayant conclu à l’existence d’une erreur sujette à révision, elle peut refuser d’accorder la réparation sollicitée ». La Cour a ajouté, au paragraphe 10, que les facteurs à prendre en compte pour se prononcer sur le rejet d’une demande de cette façon sont les suivants :

[...] la gravité de l’inconduite du demandeur et la mesure dans laquelle cette inconduite menace la procédure en cause, la nécessité d’une dissuasion à l’égard d’une conduite semblable, la nature de l’acte prétendument illégal de l’administration et la solidité apparente du dossier [...].

 

[18]           À mon avis, la fausse déclaration que le demandeur a formulée dans son affidavit au sujet du témoignage qu’il a présenté à la Commission relativement à la chemise est très grave. La Cour fédérale est appelée à trancher les demandes d’autorisation sans avoir lu le dossier en entier et sans avoir pu consulter une transcription des témoignages présentés. En conséquence, lorsque le demandeur atteste qu’il a présenté des éléments de preuve précis que la Commission a ignorés ou dont elle n’a pas tenu compte, le juge saisi de la demande d’autorisation doit présumer qu’il dit vrai. Lorsque l’autorisation est accordée sur la foi d’une fausse déclaration de cette nature, la production d’un faux affidavit est non seulement inappropriée, elle constitue un abus de procédure. En conséquence, dans la présente affaire, je n’aurais pas accueilli la demande de contrôle judiciaire, même si j’avais conclu que la décision visée par le contrôle était déraisonnable.

 

[19]           Aucune des deux parties n’a proposé de question à certifier.


JUGEMENT

 

La présente demande est rejetée et aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-432-12

 

INTITULÉ :                                      EDOUARD NGABWE MUTABUNGA c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 29 août 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 5 septembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Solomon Orjiwuru

 

POUR LE DEMANDEUR

Bradley Bechard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Solomon Orjiwuru

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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