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Date : 20111107


Dossier : T-555-10

Référence : 2011 CF 1266

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

ANTON OLEINIK

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’un rapport d’enquête et d’une décision datés du 30 mars 2010 dans lesquels le commissaire à la protection de la vie privée du Canada (commissaire) a conclu que la plainte de M. Oleinik à l’encontre du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) n’était pas bien fondée. Pour les motifs exposés ci-après, la demande est rejetée.

 

Les faits

 

[2]               Le demandeur est professeur agrégé à la Memorial University de Terre-Neuve (Université). En octobre 2007, il a demandé une subvention ordinaire de recherche (SOR) du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH). Sa demande a été refusée. En avril 2008, le demandeur a présenté une demande d’accès à l’information au CRSH en liaison avec cette dernière demande. Le CRSH a obtempéré à la demande. Insatisfait des renseignements communiqués par le CRSH en réponse à la demande, le demandeur a déposé une plainte auprès du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (CPVP). La principale préoccupation du demandeur concernait la question de savoir si [traduction] « seuls les renseignements personnels provenant des sources approuvées par l’établissement avaient été employés au cours du processus décisionnel » relatif à sa demande de SOR. En termes plus clairs, le demandeur craignait que le CRSH n’ait communiqué avec une personne de l’Université au cours du traitement de sa demande de SOR.

 

[3]               En réponse à la plainte que le demandeur a formulée contre le CRSH, le CPVP a mené une enquête conjointement avec le Commissariat à l’information du Canada (CIC), étant donné que certains aspects de la plainte de M. Oleinik étaient visés par la Loi sur l’accès à l’information (LRC 1985, c A-1). Le CPVP a conclu que la plainte que le demandeur avait formulée contre le CRSH n’était pas bien fondée et que la question concernant sa participation à certains comités d’examen par les pairs du CRSH mentionnés dans le site Web de celui-ci avait été réglée. Insatisfait de l’enquête du CPVP ainsi que du rapport et des recommandations subséquents de celui-ci, le demandeur a engagé la présente demande de contrôle judiciaire sous le régime de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (LRC 1985, c F-7). Plus précisément, le demandeur sollicite un bref de certiorari annulant la « décision » du CPVP ainsi qu’un bref de mandamus enjoignant à celui-ci de mener une enquête conformément aux conditions qu’il précise dans sa demande de contrôle judiciaire.

 

[4]               Bien que le demandeur invoque un certain nombre de motifs pour affirmer que les conclusions et recommandations du CPVP devraient être annulées, il est possible de résumer ces motifs dans l’assertion selon laquelle le rapport du CPVP est incomplet. Le demandeur reproche également au CPVP d’avoir un parti-pris contre les personnes et de favoriser les organisations gouvernementales. Il ajoute que le CPVP a un préjugé personnel contre lui et que, par conséquent, les conclusions qu’il a tirées devraient être infirmées.

 

[5]               En résumé, en ce qui a trait à la contestation de l’enquête, je suis d’avis que le demandeur n’a pas réussi à relever des lacunes ou omissions précises ou encore des failles touchant la méthodologie qui pourraient appuyer sa cause. En ce qui concerne les recommandations du commissaire, la Cour n’a pas compétence en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales pour se prononcer sur le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire que le demandeur a présentée à l’égard de la décision du commissaire.

 

Examen des recommandations

[6]               La Loi sur la protection des renseignements personnels, (LRC 1985, c P-21), qui est la loi habilitante du CPVP, prévoit deux façons de procéder aux fins du contrôle judiciaire. D’abord, l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels est ainsi libellé :

41. L’individu qui s’est vu refuser communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à la protection de la vie privée peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 35(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l’expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation.

41. Any individual who has been refused access to personal information requested under subsection 12(1) may, if a complaint has been made to the Privacy Commissioner in respect of the refusal, apply to the Court for a review of the matter within forty-five days after the time the results of an investigation of the complaint by the Privacy Commissioner are reported to the complainant under subsection 35(2) or within such further time as the Court may, either before or after the expiration of those forty-five days, fix or allow.

 

 

[7]               Comme l’a souligné la juge Tremblay-Lamer dans Keita c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 626, au paragraphe 20 : « Le bien-fondé des recommandations du commissaire [à la protection de la vie privée] n’est pas sujet aux pouvoirs de révision de la Cour. La jurisprudence est claire et abondante sur ce point ». Pour en arriver à cette conclusion, la juge Tremblay-Lamer s’est fondée sur la décision que la Cour d’appel a rendue dans Canada (Procureur général) c Bellemare, [2000] ACF no 2077 (CAF), aux paragraphes 11 à 13, au sujet d’allégations visant le commissaire à l’information, lesquelles allégations étaient semblables à celles que le demandeur a formulées en l’espèce à l’encontre du commissaire à la protection de la vie privée. Le juge Noël s’est exprimé comme suit :

 

L’article 41 n’autorise pas un recours à l’encontre du Commissaire à l’information (Wells c Canada (Ministre des Transports et autres), T‑1729-92, 19 avril 1993.

 

[...]

 

En bref, l’article 41 n’accorde aucune compétence à la Cour pour procéder au contrôle judiciaire des conclusions et recommandations du Commissaire à l’information. Par conséquent, le juge des requêtes n’avait pas compétence pour autoriser la demande de contrôle judiciaire à procéder.

 

 

[8]               Le demandeur aurait dû présenter une demande sous le régime de l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et y nommer le CRSH à titre de défendeur. À tout le moins, il aurait dû étayer la présente demande au moyen d’éléments de preuve objectifs permettant de dire que des renseignements personnels n’étaient pas communiqués. Dans la présente affaire, même si le CPVP a informé clairement le demandeur, dans une lettre datée du 30 mars 2010, que le recours dont il disposait était prévu à l’article 41 et résidait dans le contrôle de novo de la réponse du CRSH, et que l’avocat du CPVP a subséquemment donné au demandeur un autre avis allant dans le même sens, celui-ci a poursuivi son recours fondé sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales afin de contester les recommandations du CPVP. En conséquence, le demandeur agit carrément à l’encontre des décisions rendues par la Cour d’appel fédérale et par la Cour fédérale.

 

[9]               Le demandeur ne peut solliciter le contrôle judiciaire du rapport non contraignant du CPVP afin, essentiellement, de s’opposer au CRSH. Il doit s’adresser directement à l’organe décisionnel lui-même, et non de manière collatérale ou indirecte par l’entremise du CPVP. C’est là la procédure que le législateur a prévue.

 

Le processus d’enquête

[10]           Je passe maintenant à l’aspect de la présente demande au sujet duquel la Cour a compétence, soit les allégations de manquement à l’équité procédurale découlant du processus d’enquête. Le commissaire à la protection des renseignements personnels est investi par la loi d’une grande marge de manoeuvre qui lui permet de déterminer ses procédures d’enquête comme bon lui semble et, pourvu que les exigences relatives à l’équité procédurale soient respectées, la Cour ne substituera pas une autre procédure à celle qu’a choisie le commissaire pour la seule raison que, de l’avis du demandeur, le processus aurait pu être plus équitable ou différent : Tahmourpour c Canada (Solliciteur général) 2005 CAF 113, au paragraphe 39, Slattery c Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 CF 574, au paragraphe 69, conf. par [1996] ACF 385 (CA). Ce n’est que lorsque l’enquêteur a commis une erreur en examinant tous les éléments de preuve disponibles et importants ou en tenant compte d’éléments non pertinents que la Cour interviendra.

 

[11]           En conséquence, l’enquête du CPVP elle-même est susceptible de contrôle judiciaire. Si le rapport comportait des omissions majeures, des conclusions déraisonnables ou non défendables, des erreurs d’interprétation du contexte factuel et juridique ou encore des commentaires démontrant un préjugé ou un parti-pris de la part de l’enquêteur, la Cour pourrait intervenir. Cependant, dans la présente affaire, le rapport en soi n’est nullement contesté. Effectivement, le demandeur n’a invoqué aucune erreur qui pourrait justifier une intervention, qu’il s’agisse d’une erreur touchant le raisonnement ou les faits. À prime abord, le rapport est équilibré et exhaustif. Le demandeur n’a pas relevé la moindre omission. Il sollicite simplement un résultat différent.

 

[12]           Le demandeur fait également valoir qu’il n’a pas eu la possibilité de commenter le projet de rapport. Cependant, il en va de même pour le CRSH. Le commissaire n’était nullement tenu par un principe de justice naturelle de fournir une ébauche; il appert plutôt du dossier que l’enquêteur est demeuré constamment en communication avec le demandeur tout au long du processus d’enquête. Le principe d’équité procédurale qui exige que le demandeur ait une possibilité significative de se faire entendre a été respecté.

 

[13]           Le demandeur a reconnu dans son affidavit supplémentaire et dans son mémoire que la question relative à l’affichage de renseignements personnels concernant son appartenance à différents comités du CRSH avait été réglée. Devant la Cour, il a tenté de soulever à nouveau cette question. Cependant, il n’a présenté aucun élément de preuve à l’appui de l’argument, se contentant simplement d’affirmer que certains « moteurs de recherche » génèrent encore des renseignements qui l’associent au CRSH. De plus, la plainte du demandeur est nouvelle, puisqu’elle est née en mai 2010, bien après les événements en question qui sous-tendent la présente demande, et ne peut être examinée dans le cadre de celle-ci.

 

Partialité

[14]           Le demandeur reproche au CPVP d’être partial, qu’il s’agisse d’une partialité systémique en ce qu’il favorise des organes publics de préférence à des parties privées, ou d’un préjugé personnel à son endroit du fait de son ethnicité. Il incombe à la personne qui allègue la partialité d’en faire la preuve. La partialité doit être établie et un simple soupçon ne suffira pas.

 

[15]           La preuve ne renferme aucun élément permettant de dire qu’une personne renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, conclurait que le décideur était partial, selon le critère énoncé dans Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, à la page 394.

 

[16]           Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve admissible à l’appui de son argument relatif au parti-pris institutionnel à l’endroit des intérêts des organismes publics. Le demandeur a tenté de présenter des données statistiques découlant des rapports annuels du CPVP et indiquant, à son avis, ce parti-pris institutionnel. Le défendeur s’est opposé avec raison à l’utilisation de ces données, qui étaient présentées en preuve pour la première fois.

 

[17]           Quant à l’allégation de partialité à son endroit, le demandeur n’a pu mentionner que de simples incidents démontrant ce qu’il a considéré à juste titre comme une conduite impolie et un manque de collaboration de la part du personnel du CPVP. Dans un courriel que le demandeur a présenté en preuve, un fonctionnaire du CPVP a mentionné de façon inappropriée l’ethnicité présumée du demandeur et le CPVP a présenté des excuses à cet égard. Bien que ce courriel soit admissible en preuve, il ne suffit pas à établir la partialité, étant donné que le rapport lui-même de l’organisme semble comporter une analyse exacte, approfondie et équilibrée du traitement de la plainte par le CRSH.

 

Mandamus

[18]           Le demandeur sollicite également un bref de mandamus enjoignant au CPVP de mener une nouvelle enquête sur les plaintes afin de tenir compte de ses préoccupations liées au manque de rigueur du processus d’enquête. Cette réparation ne peut être accordée. Le CPVP a rempli toutes les obligations qui lui incombent en vertu de la loi; il a reçu la plainte, mené une enquête au sujet de celle-ci et tiré des conclusions qu’il a fait connaître au demandeur. Encore là, le demandeur cherche essentiellement à obtenir un résultat différent. Aucune ordonnance de mandamus ne sera rendue lorsque le devoir public a été accompli (comme il l’a été en l’espèce) ou lorsque la demande vise à contraindre la partie défenderesse à exercer une fonction d’une certaine manière, comme ce que recherche le demandeur : Apotex Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 3 RCS 1100.

 

Dépens

[19]           Le défendeur sollicite des dépens conformément au sous-alinéa 400(1)(i) des Règles. L’avocate souligne que le demandeur a présenté dix requêtes, qui ont toutes été rejetées. Le défendeur n’a commencé à solliciter des dépens qu’après la cinquième requête. Dans la décision que la Cour d’appel fédérale a rendue le 19 mai 2011, le juge Mainville a décrit la requête en prorogation de délai du demandeur comme une requête [traduction] « futile qui n’a aucune chance de succès ». Dans l’ordonnance que le protonotaire Moreau a rendue le 18 février 2011, la requête et le recours du demandeur ont été décrits comme [traduction] « des mesures vexatoires qui ne sont pas nécessaires et qui constituent un abus de procédure ».

 

[20]           Tel qu’il est mentionné plus haut, le demandeur a poursuivi la présente demande même après avoir été informé que certaines parties de celle-ci ne relevaient pas de la compétence de la Cour fédérale. Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve crédible au soutien de son argument relatif à la partialité; de plus, il a tenté de présenter de nouveaux éléments de preuve à ce stade-ci et de soulever à nouveau une question qui avait déjà été réglée de manière satisfaisante et n’a apporté aucune précision au sujet de ses plaintes concernant l’enquête. Qui plus est, il n’a relevé aucun intérêt public qui justifie la poursuite du présent litige. Bien que l’adjudication de dépens soit exceptionnelle dans les demandes de contrôle judiciaire, dans les circonstances de la présente affaire, après avoir examiné les projets de mémoire de frais et les observations écrites à l’appui, la Cour accorde au défendeur une somme de 5 000 $ à titre de dépens.


JUGEMENT

La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Des dépens fixés à 5 000 $ sont adjugés au défendeur.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-555-10

 

INTITULÉ :                                      ANTON OLEINIK c. LE COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 6 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                            LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 7 novembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Anton Oleinik

 

LE DEMANDEUR

 

Louisa Garib

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

s/o

POUR LE DEMANDEUR

Commissariat à la protection de la vie privée du Canada

Direction des services juridiques, des politiques et de la recherche

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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