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Date : 20120924

Dossier : IMM-577-12

Référence : 2012 CF 1115

Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2012

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

 

AHMJAD MEZBANI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], d’une décision rendue dans une lettre datée du 23 novembre 2011. Dans cette décision, un agent d’immigration (l’agent) du Haut-commissariat du Canada à Islamabad, au Pakistan, a refusé la demande de visa de résident permanent du demandeur au motif qu’il n’appartenait ni à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ni à la catégorie de personnes de pays d’accueil, visées aux articles 145 et 147 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement].

 

Contexte factuel

[2]               M. Ahmjad Mezbani (le demandeur) est un citoyen iranien qui vit actuellement sans statut juridique au Pakistan. Il a été placé dans un orphelinat en avril 2003 et en est sorti en janvier 2004 pour être confié aux soins de son frère aîné, Ohmeed Mezbani (Ohmeed).

 

[3]               Trois (3) sœurs du demandeur sont mariées et habitent actuellement en Iran. Selon lui, elles sont en sécurité parce qu’elles sont mariées. Sa quatrième sœur, Elham Mezbani (Elham), est divorcée et serait actuellement emprisonnée en Iran. Elle aurait été arrêtée en raison des activités de promotion de la démocratie d’Ohmeed (dossier du demandeur, p 46). Les deux (2) frères du demandeur, Ohmeed et Saeed Mezbani (Saeed), sont maintenant décédés.

 

[4]               Saeed a été emprisonné au début de juin 2000 pour avoir organisé une protestation à la suite de la pendaison publique de six jeunes. Saeed aurait été torturé et battu en prison. Il a été libéré en mars 2005 et est allé vivre avec Ohmeed et le demandeur à Ahwaz, en Iran. Après son divorce à l’automne 2005, leur sœur Elham s’est elle aussi installée chez Ohmeed.

 

[5]               En février 2006, Ohmeed a commencé à s’impliquer dans le parti démocratique arabe en assistant à des réunions et en distribuant des dépliants portant sur la démocratie et les droits de la personne. En mars 2006, le demandeur et sa sœur Elham ont participé à une manifestation. Ils ont été arrêtés par le Cepah (corps policier chargé d’assurer le respect des codes religieux et politiques) et amenés au centre d’interrogation. Le demandeur y est resté deux (2) jours et y a été interrogé et battu. Il soutient aussi qu’on s’est servi à trois (3) occasions de la méthode « joujeh-kabob » pour le battre : ses mains et pieds ont été attachés à une tige de métal fixée horizontalement entre deux (2) chaises, ce qui permettait aux policiers de le frapper avec un câble tout en faisant tourner la tige. Il affirme aussi avoir été battu à l’aide de câbles et de fouets dans sa cellule.

 

[6]               En mai 2006, le Cepah serait allé chez le demandeur et aurait exigé de voir Ohmeed. Ce dernier n’était pas à la maison et le Cepah a demandé qu’Olmeed se rende à leurs bureaux dès son retour. Craignant le Cepah, le demandeur est parti à la recherche d’Ohmeed et de Saeed pour les avertir. Ils ont emprunté de l’argent à leur sœur aînée, et le mari de celle‑ci les a conduits de Ahwaz à Shiraz. De là, ils ont pris l’autobus à destination de Zaheydan, près de la frontière pakistanaise, qu’ils planifiaient traverser. Deux (2) jours plus tard, comme ils étaient préoccupés du sort d’Elham qu’ils avaient laissée à Ahwaz, Saeed est retourné dans cette ville pour aller la chercher. Quatre (4) jours après le départ de Saeed, Ohmeed et le demandeur ont découvert que le Cepah avait déjà arrêté Elham et avait arrêté Saeed peu après son retour à Ahwaz. Ils ont alors décidé de traverser la frontière.

 

[7]               Le 28 mai 2006, le demandeur est entré au Pakistan avec son frère Ohmeed. Le lendemain, ils sont arrivés à Quetta, au Pakistan, et ils se sont inscrits le jour même auprès du HCNUR. En novembre de la même année, le demandeur et son frère Ohmeed se sont vu refuser par l’ONU le statut officiel de réfugiés. Par la suite, des membres d’une église canadienne (Église unie du Canada – Two Rivers Pastoral Charge) ont accepté de les parrainer. En avril 2007, le demandeur et son frère Ohmeed, qui souhaitaient se rapprocher de l’ambassade canadienne, ont quitté Quetta pour se rendre à Islamabad.

 

[8]               Vers la fin d’octobre 2007, lors d’un court séjour à l’hôpital en raison d’une douleur au rein, Olmeed, le frère du demandeur, est décédé subitement. Des funérailles ont été organisées dans leur ville d’origine, Ahwaz. Saeed, qui était alors emprisonné, a été en mesure d’obtenir une libération de trois (3) jours et a ainsi pu être présent. Avec l’aide de parents, il s’est enfui et a réussi à traverser la frontière pakistanaise. Saeed a rejoint le demandeur à Islamabad, où ils ont habité ensemble. Par la suite, le 7 février 2008, Saeed s’est inscrit auprès du HCNUR.

 

[9]               Le demandeur soutient que, le 10 mars 2008, en rentrant chez lui, il a trouvé le corps de Saeed dans leur appartement. La porte de l’appartement avait été verrouillée, et l’autopsie a révélé une intoxication par des médicaments. Saeed s’était probablement suicidé.

 

[10]           Le demandeur fait valoir que la situation des réfugiés comme lui est précaire au Pakistan. Il soutient qu’il serait dangereux pour lui de retourner en Iran : il pourrait être arrêté pour avoir quitté le pays sans autorisation et être accusé d’espionnage et de vente de secrets iraniens au Pakistan. Il déclare aussi que les risques pour lui pourraient être encore plus importants si le Cepah apprenait qu’il avait déjà été arrêté et détenu en raison de sa participation à une manifestation. Il ajoute que le Cepah considérerait alors qu’il partageait les activités politiques d’Ohmeed (distribution de dépliants portant sur la démocratie) et qu’il avait aidé Saeed a fuir la prison parce qu’ils étaient de la même famille.

 

[11]           Le demandeur a été interrogé par un agent au Haut-commissariat du Canada à Islamabad, au Pakistan, le 29 septembre 2011.

 

La décision contestée

[12]           L’agent a rendu sa décision dans une lettre datée du 23 novembre 2011. Les notes du STIDI appuient aussi sa décision. Selon l’agent, l’identité et la crédibilité du demandeur n’étaient pas clairement établies, et il a donc conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux conditions requises pour immigrer au Canada. L’agent a déclaré dès le début que le demandeur n’avait pas indiqué qu’il avait de la difficulté à comprendre l’interprète qui était présent à l’entrevue.

 

[13]           L’agent a indiqué que le demandeur n’avait pas été en mesure, à l’entrevue, d’établir son âge ou la chronologie des faits. Il a ensuite souligné que le demandeur a d’abord dit qu’il était trop jeune pour se souvenir quels étaient exactement les problèmes de son frère, mais les a ensuite attribués à ses activités politiques. L’agent a conclu que ces déclarations étaient contradictoires. Il a aussi estimé que la crainte d’être perçu comme une personne qui participait aux activités politiques de son frère, qu’a fait valoir le demandeur, ne reposait pas sur des motifs valables.

 

[14]           Après avoir énoncé les critères auxquels il faut satisfaire pour appartenir à la catégorie de personnes de pays d’accueil et à celle des réfugiés au sens de la Convention, l’agent a estimé que le demandeur n’appartenait ni à l’une ni à l’autre catégorie. Il a conclu qu’il n’était pas convaincu qu’il existait une possibilité raisonnable que le demandeur soit persécuté ni que [traduction] « [sa] crainte d’être persécuté, advenant le retour de tous dans [leur] pays d’origine, repos[ait] sur des motifs valables ».

 

Les questions en litige

[15]           Les questions soulevées dans le cadre de la présente demande sont les suivantes :

a.      Le demandeur a‑t‑il été traité équitablement, particulièrement au regard des services d’interprétation reçus?

b.      L’appréciation de la crédibilité par l’agent était‑elle raisonnable?

 

Cadre législatif

[16]           Plusieurs dispositions de la Loi et du Règlement sont applicables dans la présente affaire. Elles sont reproduites en annexe.

 

Norme de contrôle

[17]           Les parties conviennent que la norme de contrôle quant aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 RCS 339). Pour ces questions, la Cour ne fera preuve d’aucune déférence à l’égard de la décision, mais elle entreprendra sa propre analyse de la question (arrêt Dunsmuir, précité, aux paragraphes 50 et 129). Par contre, en ce qui concerne la question de savoir si le demandeur appartient à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières, la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de la décision de l’agent, puisqu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, et doit donc appliquer la norme de la décision raisonnable (Kamara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 785, 168 ACWS (3d) 372; Sivakumaran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 590, [2011] ACF no 788 (QL); arrêt Dunsmuir, précité).

 

[18]           Ainsi, en l’espèce, la question touchant le caractère adéquat des services d’interprétation reçus sera contrôlée selon la norme de la décision correcte étant donné qu’elle a trait à l’équité procédurale. Toutes les autres questions relatives aux appréciations de la crédibilité et de la preuve seront quant à elles contrôlées selon la norme de la décision raisonnable.

 

Analyse

a.         Le demandeur a‑t‑il été traité de manière équitable, particulièrement au regard des services d’interprétation reçus?

[19]           Le demandeur soutient que l’interprétation en dari qu’on lui a fournie lors de l’entrevue constituait un manquement au devoir d’équité procédurale parce qu’il avait demandé une interprétation en persan et qu’il ne s’exprime pas bien lui‑même en dari. Selon le défendeur, le demandeur aurait dû soulever la question au cours de l’entrevue et, comme il ne l’a pas fait, il n’a pas maintenant le droit d’invoquer ce point devant la Cour.

 

[20]           Les documents présentés par le demandeur démontrent qu’il avait indiqué, comme langue de communication souhaitée, le farsi (persan) pour l’entrevue concernant sa demande de résidence permanente au Canada (dossier du demandeur, p 32). Au paragraphe 6 de son affidavit, l’agent indique que, lorsque des demandeurs se présentent au Haut‑Commissariat du Canada et remettent leurs documents, le réceptionniste leur demande normalement dans quelle langue ils aimeraient que l’entrevue ait lieu (dossier du défendeur, p 4). À la pièce A jointe à son affidavit, l’agent présente une copie numérisée de la lettre du demandeur sur laquelle il est écrit à la main « SJV – Dari » (dossier du défendeur, p 6).

 

[21]           Il est indiqué dans les notes du STIDI de l’agent : [traduction] « Interprète : FMG – DARI » et « préférence en matière de langue confirmée et entente entre l’interprète et le demandeur » (dossier du demandeur, p 79). L’affidavit de l’agent indique quant à lui que [traduction] « M. Mezbani a confirmé son souhait que l’entrevue se déroule en dari » (dossier du défendeur, p 4, au para 10). La Cour fait observer que l’agent n’a pas été contre‑interrogé sur son affidavit et qu’aucune preuve contraire n’a été présentée pour réfuter la déclaration de l’agent.

 

[22]           Le demandeur invoque l’affaire Xu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 274, 155 ACWS (3d) 930, dans laquelle, comme en l’espèce, l’entrevue n’avait pas été enregistrée dans sa version originale et des notes avaient simplement été prises par l’agent à partir de l’interprétation en anglais. Toutefois, dans cette affaire, la première possibilité qu’avait eue la demanderesse de faire valoir que ce qui avait été dit ne correspondait pas à ce qui avait été écrit a été lorsqu’elle a pu voir les notes en question, qui étaient erronées en raison de la mauvaise traduction. On doit faire une distinction entre la présente affaire et l’affaire Xu, précitée, étant donné qu’il était question dans Xu d’une pure question de mauvaise traduction – l’interprète parlait la langue du demandeur. En l’espèce, le demandeur savait dès le départ que l’interprète ne parlait pas persan, mais dari (dossier du demandeur, affidavit du demandeur p 8, para 10).

 

[23]           Dans Zaree c Canada (MCI), 2011 CF 889, [2011] ACF no 1097 (QL), aux paragraphes 8 et 9, le juge Martineau a fait les observations suivantes, avec lesquelles la Cour est d’accord :

[8]        Aux termes de l'arrêt Mohammadian, si les problèmes d'interprétation peuvent raisonnablement être soulevés par le demandeur d'asile à l'audience, il existe une obligation de le faire plutôt que de réserver la question pour une procédure de contrôle judiciaire. […]

 

[9]        En pratique, les problèmes de traduction peuvent être apparents et facilement détectables lors de l'audience; c'est le cas où les erreurs commises surviennent en amont, c'est-à-dire lorsqu'ils se manifestent dans la langue maternelle du demandeur d'asile, ce qu'il est à même de déceler lorsqu'il communique avec l'interprète. Par contre, des problèmes de traduction peuvent se produire en aval : l’interprète peut très bien comprendre et parler la langue maternelle du demandeur d’asile, mais mal traduire son histoire dans la langue de l’audience. Une telle situation est plus pernicieuse et les problèmes de traduction ne peuvent pas être détectés à l’audience par un demandeur d’asile qui ne parle pas ou comprend très peu la langue de l’audience (anglais ou français). En pareil cas, il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il se plaigne à l’audience d’une traduction déficiente.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[24]           Compte tenu de la preuve en l’espèce, la Cour est d’avis qu’il n’était pas déraisonnable d’estimer que le demandeur aurait pu soulever le problème concernant l’interprétation au début de l’entrevue, voire quand l’agent lui a demandé s’il pouvait comprendre l’anglais parce que le demandeur répondait aux questions avant que celles‑ci ne soient traduites (dossier du demandeur, p 82). Il incombait au demandeur de formuler au besoin des objections concernant l’interprétation pendant l’entrevue (Mohammadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 CF 371, 96 ACWS (3d) 116, conf par 2001 CAF 191 [Mohammadian], et décision Zaree, précitée), mais il ne l’a pas fait. La Cour est sensible au fait que le demandeur avait peur, mais il devait malgré tout soulever le problème le plus tôt possible. Comme il ne l’a pas fait, et qu’il a en fait poursuivi l’entrevue, il ne peut soulever l’argument devant la Cour au stade du contrôle judiciaire. Compte tenu de sa conclusion sur cette question, la Cour n’e pas besoin d’examiner l’argument du demandeur fondé sur la Charte.

 

b.         L’appréciation de la crédibilité par l’agent était‑elle raisonnable?

[25]           L’agent a tiré une conclusion défavorable à l’égard de la crédibilité du demandeur, notamment en raison de ses réponses concernant sa date de naissance et la façon générale dont il a relaté la chronologie des faits.

 

[26]           Pour les raisons qui suivent, la Cour estime que les conclusions quant à la crédibilité ne sont pas raisonnables. Il est vrai que l’appréciation de la crédibilité relève de l’expertise de l’agent (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), (1993), 160 NR 315, 42 ACWS (3d) 886 [Aguebor]), notamment parce que l’agent se trouve physiquement en présence du demandeur lorsque celui‑ci répond aux questions, mais les conclusions défavorables doivent néanmoins être appuyées par la preuve (voir Mboudu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 881, [2012] ACF no 973 (QL)).

 

[27]           L’agent a affirmé que le demandeur avait fait des déclarations contradictoires en ce qui concerne son âge. Selon les formulaires que le demandeur a présentés, son année de naissance est 1990 (dossier du demandeur, p 32). Le demandeur a répété deux fois au cours de l’entrevue qu’il avait vingt et un (21) ans, ce qui correspond avec l’année de naissance, 1990, parce que l’entrevue a eu lieu en 2011 (dossier du demandeur, p 82). Il a aussi fait des déclarations compatibles au sujet de son âge en disant qu’il avait dix‑sept (17) ans lors du décès de son frère en 2007 (ce qui, encore une fois, correspond avec l’année de naissance,1990; dossier du demandeur, p 84) et qu’il a eu dix‑huit (18) ans [traduction] « ce mois‑là », déclaration figurant à l’annexe 2, datée du 12 mars 2008, qui contenait des renseignements additionnels fournis par le demandeur (aussi compatible avec l’année de naissance, 1990, dossier du demandeur, p 47 et 57).

 

[28]           Dans les notes du STIDI, l’agent déclare que le demandeur a dit qu’il avait quatorze (14) ans quand il est entré au Pakistan (dossier du demandeur, p 84). En fait, le demandeur a déclaré qu’il avait 14 ou 16 ans (dossier du demandeur, p 82). L’âge de seize (16) ans est compatible avec l’année de naissance, 1990, étant donné qu’il a traversé la frontière en mai 2006, comme le montrent les documents du HCNUR. La seule déclaration contradictoire du demandeur se trouve dans la réponse à la question de l’agent concernant son année de naissance. Il aurait répondu que c’était 1368 selon le calendrier perse, et l’agent a ajouté entre parenthèses [traduction] « (1989) (22 ANS) » (dossier du demandeur, p 82). Il est vrai que la carte délivrée par le NARA (autorité nationale chargée de l’enregistrement des étrangers) fournie par le demandeur semble contenir des erreurs, mais le demandeur a demandé qu’on la lui montre pour qu’il fournisse des explications (dossier du demandeur, p 83), mais l’agent ne lui a pas donné la possibilité de le faire.

 

[29]           Une autre contradiction relevée par l’agent est que le demandeur aurait d’abord dit qu’il [traduction] « était trop jeune pour se souvenir quels étaient exactement les problèmes son frère », et ce n’est qu’après qu’il les a attribués aux activités politiques de celui‑ci (dossier du demandeur, p 84). La Cour estime aussi que cette conclusion est dénuée de fondement. L’agent a demandé au demandeur [traduction] « POURQUOI ÊTES‑VOUS PARTI? », et non pas quels étaient les problèmes de son frère (dossier du demandeur, p 83). La réponse donnée, [traduction] « J’étais trop jeune. Je ne sais pas, je suis venu avec mon frère », fait suite à la demande visant à savoir pourquoi il était parti.

 

[30]           Une autre contradiction encore aurait pesé dans la balance pour la conclusion défavorable quant à la crédibilité à laquelle est parvenu l’agent. Elle a trait à l’année où le demandeur est entré au Pakistan. L’agent déclare : [traduction] « MONSIEUR, VOUS AVEZ DIT QUE VOUS ÊTES VENU EN 2007 » (dossier du demandeur, p 83), alors que le demandeur n’aurait en fait jamais fait une telle affirmation. Tout au long de l’entrevue, il a constamment déclaré qu’il était arrivé au Pakistan en 2006.

 

[31]           L’agent a déclaré que le frère et les sœurs du demandeur étaient restés en Iran sans subir de préjudice ou faire l’objet de menaces, ce qui démontrerait que le demandeur n’avait pas de [traduction] « motifs valables » de craindre de retourner en Iran. La Cour estime que cette conclusion est déraisonnable au vu de la preuve fournie par le demandeur, selon laquelle ses deux seuls frères étaient décédés au moment de l’entrevue (l’agent ne pouvait par conséquent pas parler de « frère » en Iran) et sa seule sœur non mariée était emprisonnée. Le demandeur a clairement indiqué que ses autres sœurs étaient en sécurité parce qu’elles étaient mariées et n’étaient donc plus « liées » à lui et à ses frères. L’agent a conclu qu’il n’était pas convaincu que [traduction] « [sa] crainte d’être persécuté, advenant le retour de tous dans [leur] pays d’origine, repos[ait] sur des motifs valables » (dossier du demandeur, p 5 [non souligné dans l’original]) jette un doute important sur la question de savoir si l’agent a consulté le récit fourni par le demandeur, qui fait clairement état du décès de ses deux frères.

 

[32]           En discutant de la possibilité de retourner dans une autre partie de l’Iran, le demandeur a exprimé sa crainte d’être accusé d’être un espion en raison de son séjour au Pakistan. Lorsque l’agent l’a provoqué en lui disant qu’il y avait [traduction] « DES MILLIERS D’AFGHANS QUI ALLAIENT DU PAKISTAN À L’IRAN TOUT LE TEMPS », le demandeur lui a fait remarquer qu’il était, lui, iranien et non afghan.

 

[33]           Enfin, l’agent a semblé ne pas avoir tenu compte du fait que le demandeur lui a dit que sa sœur avait été arrêtée uniquement à cause de son lien avec Ohmeed et qu’elle a ensuite été emprisonnée. Ce renseignement est pertinent, car il ajoute foi aux craintes du demandeur advenant son retour en Iran.

 

[34]           Vu tout ce qui précède, et bien que la Cour convienne avec le défendeur qu’il faut, en règle générale, faire preuve de beaucoup de retenue à l’égard des décisions de l’agent, en l’espèce, la Cour ne peut que conclure qu’eu égard à l’ensemble des erreurs et incohérences de l’agent, sa décision est déraisonnable et ne peut se justifier au regard des faits et du droit. La demande de contrôle judiciaire sera accueillie.


JUGEMENT

 

            LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agente est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il effectue un nouvel examen.

 

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


Annexe

 

 

Les dispositions applicables de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés sont les suivantes :

 

 

Partie 1

Immigration au Canada

 

Section 1

Formalités préalables à l’entrée et sélection

 

Formalités préalables à l’entrée

 

Visa et documents

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite

d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

[…]

 

 

Partie 2

Protection des réfugiés

 

Section 1

Notions d’asile, de réfugié et de personne à protéger

 

 

[…]

 

 

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses

opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Part 1

Immigration to Canada

 

Division 1

Requirements Before Entering Canada and Selection

 

Requirements Before Entering Canada

 

Application before entering Canada

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

 

 

Part 2

Refugee Protection

 

Division 1

Refugee Protection, Convention Refugees and Persons in Need of Protection

 

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

 

 

Certaines dispositions du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés sont également applicables en l'espèce :

 

Partie 8

Catégories de réfugiés

 

Section 1

Réfugiés au sens de la Convention outre-frontières, personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières et résidents temporaires protégés

 

Dispositions générales

 

Exigences générales

 

139. (1) Un visa de résident permanent est délivré à l’étranger qui a besoin de protection et aux membres de sa famille qui l’accompagnent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

a) l’étranger se trouve hors du Canada;

 

b) il a présenté une demande conformément à l’article 150;

 

c) il cherche à entrer au Canada pour s’y établir en permanence;

 

d) aucune possibilité raisonnable de solution durable n’est, à son égard, réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada, à savoir :

 

 

(i) soit le rapatriement volontaire ou la réinstallation dans le pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle,

 

(ii) soit la réinstallation ou une offre de réinstallation dans un autre pays;

 

e) il fait partie d’une catégorie établie dans la présente section;

 

f) selon le cas :

 

(i) la demande de parrainage du répondant à l’égard de l’étranger et des membres de sa famille visés par la demande de protection a été accueillie au titre du présent règlement,

 

(ii) s’agissant de l’étranger qui appartient à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières, une aide financière publique est disponible au Canada, au titre d’un programme d’aide, pour la réinstallation de l’étranger et des membres de sa famille visés par la demande de protection,

 

(iii) il possède les ressources financières nécessaires pour subvenir à ses besoins et à ceux des membres de sa famille visés par la demande de protection, y compris leur logement et leur réinstallation au Canada;

 

g) dans le cas où l’étranger cherche à s’établir dans une province autre que la province de Québec, lui et les membres de sa famille visés par la demande de protection pourront réussir leur établissement au Canada, compte tenu des facteurs suivants :

 

 

(i) leur ingéniosité et autres qualités semblables pouvant les aider à s’intégrer à une nouvelle société,

 

(ii) la présence, dans la collectivité de réinstallation prévue, de membres de leur parenté, y compris celle de l’époux ou du conjoint de fait de l’étranger, ou de leur répondant,

 

(iii) leurs perspectives d’emploi au Canada vu leur niveau de scolarité, leurs antécédents professionnels et leurs compétences,

 

(iv) leur aptitude à apprendre à communiquer dans l’une des deux langues officielles du Canada;

 

h) dans le cas où l’étranger cherche à s’établir dans la province de Québec, les autorités compétentes de cette province sont d’avis que celui-ci et les membres de sa famille visés par la demande de protection satisfont aux critères de sélection de cette province;

 

(i) sous réserve du paragraphe (3), ni lui ni les membres de sa famille visés par la demande de protection ne sont interdits de territoire.

 

[…]

 

 

Réfugiés au sens de la Convention outre-frontières

 

Qualité

 

 

145. Est un réfugié au sens de la

Convention outre-frontières et appartient à la catégorie des réfugiés au sens de cette convention l’étranger à qui un agent a reconnu la qualité de réfugié alors qu’il se trouvait hors du Canada.

 

 

Personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières

 

Personne dans une situation semblable à celle d’un réfugié au sens de la Convention

 

146. (1) Pour l’application du paragraphe 12(3) de la Loi, la personne dans une situation semblable à celle d’un réfugié au sens de la Convention appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil.

 

Personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières

 

(2) La catégorie de personnes de pays d’accueil est une catégorie réglementaire de personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières qui peuvent obtenir un visa de résident permanent sur le fondement des exigences prévues à la présente section.

 

Catégorie de personnes de pays d’accueil

 

147. Appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes :

 

a) il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

 

b) une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui.

Part 8

Refugee Classes

 

Division 1

Convention Refugees Abroad, Humanitarian-Protected Persons Abroad and Protected Temporary Residents

 

General

 

General Requirements

 

139. (1) A permanent resident visa shall be issued to a foreign national in need of refugee protection, and their accompanying family members, if following an examination it is established that

 

(a) the foreign national is outside Canada;

 

(b) the foreign national has submitted an application in accordance with section 150;

 

(c) the foreign national is seeking to come to Canada to establish permanent residence;

 

(d) the foreign national is a person in respect of whom there is no reasonable prospect, within a reasonable period, of a durable solution in a country other than Canada, namely

 

(i) voluntary repatriation or resettlement in their country of nationality or habitual residence, or

 

 

(ii) resettlement or an offer of resettlement in another country;

 

(e) the foreign national is a member of one of the classes prescribed by this Division;

 

(f) one of the following is the case, namely

 

(i) the sponsor's sponsorship application for the foreign national and their family members included in the application for protection has been approved under these Regulations,

 

(ii) in the case of a member of the Convention refugee abroad class, financial assistance in the form of funds from a governmental resettlement assistance program is available in Canada for the foreign national and their family members included in the application for protection, or

 

(iii) the foreign national has sufficient financial resources to provide for the lodging, care and maintenance, and for the resettlement in Canada, of themself and their family members included in the application for protection;

 

(g) if the foreign national intends to reside in a province other than the Province of Quebec, the foreign national and their family members included in the application for protection will be able to become successfully established in Canada, taking into account the following factors:

 

(i) their resourcefulness and other similar qualities that assist in integration in a new society,

 

(ii) the presence of their relatives, including the relatives of a spouse or a common-law partner, or their sponsor in the expected community of resettlement,

 

 

(iii) their potential for employment in Canada, given their education, work experience and skills, and

 

 

(iv) their ability to learn to communicate in one of the official languages of Canada;

 

 

(h) if the foreign national intends to reside in the Province of Quebec, the competent authority of that Province is of the opinion that the foreign national and their family members included in the application for protection meet the selection criteria of the Province; and

 

(i) subject to subsection (3), the foreign national and their family members included in the application for protection are not inadmissible.

 

 

Convention Refugee Abroad

 

 

Member of Convention Refugees Abroad Class

 

145. A foreign national is a Convention refugee abroad and a member of the Convention refugees abroad class if the foreign national has been determined, outside Canada, by an officer to be a Convention refugee.

 

 

Humanitarian-protected Persons Abroad

 

 

Person in similar circumstances to those of a Convention refugee

 

146. (1) For the purposes of subsection 12(3) of the Act, a person in similar circumstances to those of a Convention refugee is a member of the country of asylum class.

 

 

Humanitarian-protected persons abroad

 

 

(2) The country of asylum class is prescribed as a humanitarian-protected persons abroad class of persons who may be issued permanent resident visas on the basis of the requirements of this Division.

 

 

Member of country of asylum class

 

147. A foreign national is a member of the country of asylum class if they have been determined by an officer to be in need of resettlement because

 

(a) they are outside all of their countries of nationality and habitual residence; and

 

 

(b) they have been, and continue to be, seriously and personally affected by civil war, armed conflict or massive violation of human rights in each of those countries.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-577-12

 

INTITULÉ :                                      Ahmjad Mezbani c MCI

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :               Fredericton (Nouveau-Brunswick)

 

DATE DE L'AUDIENCE :             Le 10 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           Le juge Boivin

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 24 septembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Janet M. Thompson-Price

Maggie Coffin-Prowse

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Melissa Chan

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Coffin & Thompson

Rothesay (Nouveau-Brunswick)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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