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Date : 20120924

Dossier : IMM-9305-11

Référence : 2012 CF 1114

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

JOSE WALTER ESCAMILLA MARROQUIN, PATRICIA LISSETTE MURILLO GALVEZ DE ESCAMILLA, WALTER EDUARDO ESCAMILLA MURILLO, ANNGIE STEPHANIE ESCAMILLA MURILLO

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision datée du 17 novembre 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). Pour les motifs exposés ci-après, la demande est accueillie.

 

Les faits

 

[2]               Les demandeurs sont une famille du Salvador : Jose Walter Escamilla Marroquin (demandeur), son épouse, Patricia Lissette Murillo Galvez de Escamilla (demanderesse), et leurs enfants, Anngie Stephanie Escamilla Murillo et Walter Eduardo Escamilla Murillo (demandeurs mineurs).

 

[3]               Le demandeur travaillait comme conducteur de grand routier. En octobre 2005, à son retour d’un voyage, il a garé son camion sur la rue, près de son domicile. Le lendemain matin, il a constaté que le camion avait été volé. Il a été approché par des membres du gang Mara 13 qui l’ont vu alors qu’il cherchait son camion. Ils lui ont dit qu’ils contrôlaient le voisinage et que s’il allait voir la police, il se ferait tuer.

 

[4]               Le demandeur a téléphoné à son patron et l’a informé du vol. Son patron lui a dit de déposer un rapport de police aux fins de l’assurance, faute de quoi il serait financièrement responsable de la perte du camion. Le demandeur a déposé un rapport de police et le patron a conduit la police à l’endroit où le vol avait été commis. Le demandeur affirme que les membres du gang Mara 13 sont toujours dans les environs et qu’ils ont certainement vu la police sur les lieux du vol.

 

[5]               Les demandeurs se sont cachés dans leur maison pendant environ une semaine, redoutant les membres du gang. Le demandeur affirme qu’il sentait qu’ils étaient surveillés. Après une semaine, ils ont déménagé dans la maison de la mère du demandeur et ont décidé de quitter le Salvador. La demanderesse s’est rendue aux États-Unis à l’aide d’un visa de séjour en novembre 2005. Les autres demandeurs se sont rendus illégalement aux États-Unis en décembre 2005 et ont été détenus par la patrouille frontalière. Ils se sont fait dire de se présenter à une audience sur l’immigration, qui a eu lieu en juillet 2009 et au cours de laquelle ils ont reçu l’ordre de quitter le pays dans les huit mois suivants. Les demandeurs sont arrivés au Canada le 12 février 2010 et ont demandé l’asile le même jour.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[6]               La Commission a conclu que le témoignage du demandeur et de la demanderesse était crédible et a donc reconnu la véracité de leurs allégations. Elle a souligné que les demandeurs avaient admis que leurs demandes d’asile n’étaient pas visées par l’article 96. Souscrivant à cette admission, la Commission a donc évalué les demandes uniquement au regard de l’article 97 de la LIPR.

 

[7]               Dans le cadre de son analyse fondée sur l’article 97, la Commission a jugé que la question déterminante était de savoir si le risque était généralisé. Elle a souligné que le vol et l’extorsion sont des problèmes courants au Salvador. Elle a précisé qu’elle avait demandé au demandeur pourquoi sa situation était différente de celle de toute autre victime de criminalité au Salvador et a pris note de la réponse du demandeur selon laquelle sa vie était menacée par le gang Mara 13 et que ce gang mettait ses menaces à exécution. La Commission a également pris note de l’argument de l’avocat des demandeurs selon lequel le demandeur était directement visé par le gang. La Commission a formulé les remarques suivantes au paragraphe 44 de sa décision :

Selon la jurisprudence canadienne, notamment les décisions dans les affaires Acosta, Ventura De Parada et Perez, qui sont tous des cas dans lesquels les demandeurs d’asile craignent l’extorsion, la violence et les menaces de la part des gangs criminels, le risque auquel étaient personnellement exposés les demandeurs d’asile dans un pays où la violence prévalait dans divers secteurs du pays n’était pas différent d’un risque généralisé au pays.

 

 

[8]               La Commission a ensuite cité de longs passages de la décision que la Cour fédérale a rendue dans Paz Guifarro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 182, et s’est fondée sur cette décision pour affirmer qu’un risque peut encore être généralisé même si le demandeur d’asile fait partie d’un sous-groupe ciblé plus fréquemment dans un pays. La Commission a tiré la conclusion suivante : « Je ne peux admettre qu’il est différent de toute autre victime de criminalité au Salvador uniquement parce que sa vie a été menacée ». En conséquence, la demande d’asile du demandeur a été refusée.

 

[9]               La Commission a conclu de même que le vol à main armée dont la demanderesse avait été victime était un crime violent commis au hasard et qu’aucun élément de preuve n’établissait qu’elle avait été prise pour cible. En conséquence, la demanderesse n’avait pas établi l’existence d’un risque auquel les autres citoyens du Salvador n’étaient pas généralement exposés. Les autres allégations de la demanderesse (et des demandeurs mineurs) étaient les mêmes que celles du demandeur et, en conséquence, tous ont vu leurs demandes refusées.

 

La norme de contrôle et la question en litige

 

[10]           La question que soulève la présente demande est de savoir si la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs étaient exposés à un risque généralisé était raisonnable : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9.

 

Analyse

 

[11]           Je suis d’avis que la Commission a fait une analyse déraisonnable de la question de savoir si les demandeurs étaient exposés à un risque généralisé et que la décision doit être infirmée. La Cour fédérale a constamment décidé, notamment dans Portillo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 678; Vaquerano Lovato c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 143; Guerrero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1210, Alvarez Castaneda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 724, Barrios Pineda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 403, et Aguilar Zacarias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 62, que le simple fait que la persécution est aussi une conduite criminelle fréquemment observée dans un pays donné ne met pas fin à l’analyse d’une demande d’asile fondée sur l’article 97. La Commission doit se demander si les demandeurs étaient exposés à un risque plus élevé que celui auquel faisaient face d’autres personnes au Salvador.

 

[12]           Le témoignage des demandeurs a été jugé crédible et, par conséquent, toutes les allégations ont été acceptées. La Commission a donc admis que le demandeur avait signalé le vol de son camion à la police, que le gang Mara 13 a été mis au courant de ce signalement et que les demandeurs ont fui le Salvador parce qu’ils craignaient des représailles de la part du gang. Il s’agit précisément du type de scénario factuel qui peut présenter un risque dépassant un risque généralisé, comme c’était le cas dans les décisions susmentionnées.

 

[13]           La Commission a insisté sur le fait que le vol est un problème courant au Salvador; cependant, comme les demandeurs le soulignent, ce n’est pas le vol lui-même qui a donné lieu au risque qu’ils ont invoqué. Le demandeur était plutôt exposé à un risque parce qu’il avait signalé le vol à la police et est donc devenu une cible du gang Mara 13. En conséquence, la décision sera annulée, la Commission n’ayant pas évalué la demande d’asile conformément au principe de droit applicable.

 

[14]           Il y a une deuxième raison qui justifie l’annulation de la décision, soit l’omission de la part de la Commission de tenir compte d’éléments de preuve très pertinents. Il a été mis en preuve devant la Commission qu’un autre homme du nom de Walter Escamilla, qui travaillait aussi pour l’entreprise de camionnage qui employait le demandeur, a été exécuté le 18 janvier 2011 parce qu’il a été confondu avec le demandeur.

 

[15]           L’omission d’examiner cette preuve importante rend la décision déraisonnable. Cependant, j’ajouterais qu’il s’agit aussi d’un élément de preuve qui aurait dû être examiné dans le cadre de l’analyse fondée sur l’article 97, si l’allégation avait été formulée de la bonne façon. Il s’agissait d’un élément de preuve établissant qu’effectivement, le demandeur faisait face à un risque très différent du risque auquel était exposé le Salvadorien ordinaire et qu’il est une cible personnelle du gang.

 

[16]           Le défendeur soutient que la décision de la Commission commande la retenue, parce qu’il appartient à celle-ci et non à la Cour de décider si un risque donné est général à la lumière des faits. Le défendeur ajoute que, dans les décisions citées par le demandeur, la preuve relative au risque était beaucoup plus forte, les demandeurs d’asile faisant dans bien des cas l’objet de menaces continues pendant un certain temps.

 

[17]           L’argument du défendeur ne peut être retenu, parce que la Commission n’a pas tiré sa conclusion en se fondant sur la valeur probante de la preuve; elle a plutôt reconnu que la preuve des demandeurs était crédible et admis que le demandeur avait été pris pour cible et le serait à l’avenir. En conséquence, la décision de la Commission n’était pas fondée sur l’évaluation de la preuve, mais plutôt sur la présomption erronée selon laquelle le demandeur était exposé à un risque généralisé, même s’il avait été personnellement pris pour cible d’une façon manifestement différente des autres citoyens du Salvador. La décision de la Commission n’est pas conforme au droit et est déraisonnable, la Commission ayant omis de tenir compte d’éléments de preuve importants, et la demande doit être accueillie.

 

 


JUGEMENT

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour réexamen par un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés. Aucune question à certifier n’a été proposée et la Cour estime qu’aucune ne se pose.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-9305-11

 

INTITULÉ :                                      JOSE WALTER ESCAMILLA MARROQUIN, PATRICIA LISSETTE MURILLO GALVEZ DE ESCAMILLA, WALTER EDUARDO ESCAMILLA MURILLO, ANNGIE STEPHANIE ESCAMILLA MURILLO c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Saskatoon (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 22 août 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 24 septembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher G. Veeman

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Michael Brannen

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Veeman Law

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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