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Date : 20120925

Dossier : IMM-2287-12

Référence : 2012 CF 1124

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 septembre 2012

En présence de madame la juge Kane

 

 

ENTRE :

 

LAMER KHAN, BIBI KHAMIDA,

SAEED LAMIR KHAN, AMIR KHAN

(alias AMIR LAMIR KHAN)

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire vise une décision défavorable rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] le 21 février 2012. La Commission a alors déterminé que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugié au sens de la Convention visée à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR ou la Loi], ni celle de personne à protéger visée à l’article 97 de la Loi.

 

[2]               Les demandeurs demandent à la Cour d’ordonner que cette décision soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

 

1. Le contexte factuel

 

[3]               Les demandeurs, Lamer Khan, son épouse, Bibi Khan, et deux fils, Amir Khan et Saeed Khan, sont entrés au Canada le 27 décembre 2010 et ont demandé l’asile parce qu’ils craignent d’être persécutés par les talibans en Afghanistan.

 

[4]               Le demandeur principal, Lamer Khan, est un citoyen afghan qui a fui son pays vers 1980 pour aller au Pakistan. C’est dans ce pays qu’il a épousé Bibi Khan, qui est également originaire de l’Afghanistan. En 1988, il a déménagé aux Émirats arabes unis [les Émirats], avec en main un visa de travail et un faux passeport pakistanais. Son épouse et ses enfants l’ont rejoint quelques années plus tard, grâce aussi à des faux passeports pakistanais. Ces passeports ont ensuite été renouvelés au fil des ans parce que les renseignements sur la famille se trouvaient dans la base de citoyenneté au Pakistan. Plusieurs enfants sont nés pendant que la famille vivait aux Émirats. Comme les parents sont des citoyens afghans, tous les enfants le sont également, bien qu’ils aient obtenu des passeports pakistanais. La famille compte maintenant 11 enfants. Seuls deux d’entre eux ont accompagné leurs parents au Canada. Le demandeur principal a indiqué qu’il avait demandé des visas pour tous les membres de la famille, mais que seulement quatre avaient été délivrés. Les autres enfants, dont l’âge varie de 10 à 25 ans, sont tous aux Émirats. L’un des fils aînés est marié, a trois enfants et travaille aux Émirats.

 

[5]               Le demandeur principal a été avisé en novembre 2010 que son permis de travail aux Émirats ne serait pas renouvelé à cause de son âge, de sorte que la famille ne pourrait pas demeurer dans ce pays. Confrontés au risque de devoir retourner au Pakistan ou en Afghanistan, les demandeurs ont demandé l’asile au Canada. Ils prévoyaient se voir reconnaître la qualité de réfugié ou de personne à protéger, puis demander le statut de résident permanent et faire venir les autres membres de la famille au Canada.

 

[6]               Les demandeurs ont utilisé leurs passeports pakistanais et les visas délivrés aux Émirats pour venir au Canada. Cependant, lors de leur première entrevue avec les agents d’immigration, ils ont donné de faux noms et ont indiqué qu’un passeur les avait aidés à venir au Canada et qu’ils n’avaient pas de pièces d’identité. Ils ont indiqué également qu’ils étaient originaires de l’Afghanistan, où ils possédaient une ferme, que certains de leurs enfants avaient été envoyés au Pakistan pour étudier vers 2005 et que, en conséquence, les talibans avaient menacé la famille de la renvoyer en Afghanistan. La famille s’est plutôt enfuie au Pakistan, où elle est restée jusqu’à ce qu’elle fasse des démarches pour venir au Canada.

 

[7]               Après avoir fait enquête, les agents d’immigration ont constaté qu’une famille similaire, avec des dates de naissance identiques, mais des noms différents, était arrivée à Toronto le 27 décembre 2010 avec en main des passeports pakistanais et des visas délivrés dans les Émirats. Après avoir été interrogés à ce sujet par les agents d’immigration, les demandeurs ont fourni des renseignements différents sur lesquels est fondée leur demande d’asile. Le récit fait lors de la première entrevue le 6 janvier 2011 et lors de la deuxième entrevue le 11 janvier 2011 est relaté de manière détaillée dans les notes prises au point d’entrée [PDE].

 

[8]               Dans les renseignements fournis par les demandeurs, qui figurent dans chaque Formulaire de renseignements personnels [FRP] original daté de février 2011 et dans les FRP modifiés en décembre 2011 et qui ont été pris en compte de manière exhaustive par la Commission, il est allégué que le demandeur principal a commencé à recevoir des appels des talibans qui lui réclamaient de l’argent vers 1996, alors qu’il vivait aux Émirats. Son oncle, resté en Afghanistan, l’a informé de menaces semblables qu’il aurait reçues, notamment dans une lettre envoyée vers 2008 (dont une copie numérisée a été produite), où il était indiqué que la famille devait retourner en Afghanistan et se joindre au jihad, sinon ses membres seraient décapités.

 

[9]               Le demandeur principal avait écrit dans son premier FRP qu’il avait commencé à recevoir des menaces des talibans en 1996. Lorsqu’il a été interrogé au sujet de la date à laquelle les menaces avaient commencé, il a indiqué qu’il n’avait pas reçu de menaces directement en 1996, mais que d’autres personnes lui avaient dit que les talibans savaient où il se trouvait et qu’ils ne voulaient pas qu’il fasse instruire ses enfants. À l’audience devant la Commission, il a indiqué qu’il avait commencé à recevoir des demandes directes d’argent des talibans et des menaces de mort visant sa famille vers 2006. Selon ces menaces, ses filles devaient être brûlées parce qu’elles allaient à l’école et ses fils étaient des agents américains parce qu’ils parlaient anglais.

 

[10]           Les demandeurs n’ont pas informé les autorités des Émirats de ces menaces parce que, ont‑ils dit, ils se sentaient toujours en sécurité dans ce pays et ils ne voulaient pas attirer l’attention sur le fait qu’ils détenaient de faux passeports pakistanais.

 

[11]           Le demandeur principal a expliqué qu’il n’avait pas demandé l’asile lorsqu’il s’était rendu au Royaume-Uni en 2003 et au Canada en 2006 parce qu’il avait un statut aux Émirats et qu’il espérait que les talibans seraient défaits en Afghanistan et qu’il pourrait un jour retourner dans ce pays en tout sécurité.

 

2.  La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[12]           La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention visée à l’article 96 car ils ne craignaient pas avec raison d’être persécutés en Afghanistan pour l’un des cinq motifs prévus par la Convention. Elle a conclu également qu’ils n’avaient pas la qualité de personne à protéger visée à l’article 97 car, selon la prépondérance des probabilités, leur renvoi en Afghanistan ne les exposerait pas personnellement à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture.

 

[13]           En résumé, la Commission a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles et que leur demande d’asile n’était pas étayée par une preuve crédible. Elle a affirmé clairement qu’ils mentaient lorsqu’ils alléguaient avoir été menacés par les talibans aux Émirats.

 

[14]           La Commission a examiné la question de savoir si les demandeurs avaient la qualité de personne à protéger visée à l’article 97, sans tenir compte des conclusions relatives à la crédibilité qui avaient mené à sa décision défavorable concernant l’article 96 de la Loi. Elle s’est demandé si, à cause de leur profil, les demandeurs seraient susceptibles de subir un préjudice en Afghanistan. Elle a conclu qu’il n’existait « même pas une possibilité sérieuse que tel soit le cas ».

 

[15]           La Commission a souligné qu’elle regrettait que la conclusion défavorable fasse en sorte que les autres membres de la famille des demandeurs ne puissent pas les rejoindre au Canada, mais, en tant que citoyens afghans, les quatre demandeurs pourraient demeurer au Canada indéfiniment puisque les renvois en Afghanistan étaient suspendus. Elle a indiqué que, si elle avait eu compétence pour examiner des motifs d’ordre humanitaire, elle l’aurait assurément exercée, mais, pour reprendre ses termes, elle « a les mains liées ».

 

[16]           Il faut noter également que la Commission a tiré des conclusions relativement à la citoyenneté des demandeurs que ces derniers jugent illogiques. La Commission a indiqué que les demandeurs étaient des citoyens afghans de naissance et que de nouveaux passeports afghans leur avaient été délivrés depuis leur arrivée au Canada. Elle a toutefois ajouté que, selon l’information contenue dans la base de citoyenneté du Pakistan, ils étaient des citoyens de ce pays. Bien que ces remarques semblent contradictoires, la Commission a mentionné clairement – en reconnaissant que les demandeurs n’étaient pas d’accord avec elle – que la décision relative aux demandes d’asile était fondée sur la question de savoir si les demandeurs seraient en danger en Afghanistan. Les conclusions relatives à la citoyenneté n’ont eu aucune incidence sur l’appréciation que la Commission a faite de la demande d’asile sous le régime des articles 96 et 97.

 

3.  La norme de contrôle

 

[17]           La Cour suprême du Canada a décidé, dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], au paragraphe 57, que l’analyse de la norme de contrôle n’a pas besoin d’être effectuée dans tous les cas. Lorsque la norme de contrôle applicable à la question particulière soumise à la cour a déjà été établie par les tribunaux, la cour de révision peut l’adopter.

 

[18]           Les décisions rendues après Dunsmuir confirment que la norme de contrôle qui s’applique aux conclusions relatives à la crédibilité et à la vraisemblance est celle de la raisonnabilité : Saleem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 389, au paragraphe 13; Malveda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 447, aux paragraphes 17 à 20; Khokhar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 449, aux paragraphes 17 à 20); Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1052, aux paragraphes 13 et 14 [Lin].

 

[19]           L’analyse de la crédibilité et de la vraisemblance par la Commission est un élément essentiel de son rôle de juge des faits et ses conclusions en la matière devraient bénéficier d’une retenue appréciable : Lin, au paragraphe 13.

 

[20]           Comme le juge O’Keefe l’a souligné dans Fatih c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 857, au paragraphe 65 [Fatih], « [i]l est bien établi que les conclusions relatives à la crédibilité commandent un degré élevé de déférence judiciaire et qu’elles ne doivent être infirmées que dans les cas les plus évidents (voir Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1330, [2011] ACF no 1633, au paragraphe 30). Cela étant, la Cour ne doit généralement pas substituer son opinion à celle du décideur, à moins qu’elle conclue que la décision a été fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait (voir Bobic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1488, [2004] ACF no 1869, au paragraphe 3) ».

 

[21]           Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, le rôle de la Cour ne consiste pas à substituer la décision qu’elle aurait prise à celle faisant l’objet du contrôle judiciaire, mais plutôt à déterminer si la décision « fait partie des “issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit” (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12.

 

4. L’analyse

 

[22]           Les demandeurs soutenaient que les conclusions relatives à la crédibilité n’étaient pas raisonnables parce que la Commission avait accordé une trop grande importance au mensonge fait à leur arrivée au Canada, lequel a ensuite influé sur son appréciation de la crédibilité au regard de toutes les autres questions.

 

[23]           Les demandeurs soutenaient que leurs explications concernant les modifications apportées aux FRP n’étaient pas incohérentes, mais qu’il s’agissait plutôt de renseignements additionnels. Ils soutenaient également que la Commission avait mal compris les réponses données à la lettre qui aurait été envoyée à l’oncle du demandeur principal par les talibans en 2008. L’oncle a indiqué qu’il avait reçu cette lettre en 2008, mais les demandeurs n’étaient pas nécessairement au courant de celle‑ci en 2008. C’est pour cette raison que les conclusions tirées par la Commission relativement à l’omission de cette lettre dans les FRP modifiés ne sont pas appropriées et ne devraient pas avoir une incidence sur la question de la crédibilité.

 

[24]           Les demandeurs ont fait valoir que la Commission avait déraisonnablement choisi d’accepter certains des renseignements fournis, tout en en rejetant d’autres au motif qu’ils n’étaient pas crédibles. Ils soutenaient que, lorsque la crédibilité est en cause, la Commission a l’obligation fondamentale de conclure clairement et sans équivoque que le demandeur est ou n’est pas crédible et d’exposer les motifs réels de sa conclusion. Les demandeurs soutenaient également que le fait que la Commission avait des doutes au sujet de la crédibilité d’au moins certains de leurs témoignages ne la libérait pas de l’obligation de déterminer, en se fondant sur la preuve, s’ils étaient des réfugiés.

 

[25]           En ce qui concerne la demande fondée sur l’article 97, le demandeur principal a souligné qu’il soutenait que sa famille serait en danger si elle retournait en Afghanistan, non qu’il serait exposé à un risque personnel, et que sa famille serait une famille déplacée étant donné que les enfants n’avaient jamais vécu en Afghanistan et qu’ils pourraient être stigmatisés parce qu’ils sont instruits (même les filles) et parlent anglais.

 

[26]           Les demandeurs soutenaient également que la conclusion de la Commission selon laquelle ils n’avaient pas la qualité de personne à protéger était illogique puisque la Commission a fait observer qu’ils ne seraient probablement pas renvoyés en Afghanistan en raison de risque général existant dans ce pays.

 

[27]           Le défendeur a fait valoir que la décision de la Commission était raisonnable. La Commission a eu la possibilité d’apprécier la qualité de la preuve et la crédibilité des demandeurs dans les documents écrits et à l’audience, et elle a conclu, en se fondant sur plusieurs facteurs, que les demandeurs n’étaient pas crédibles.

 

[28]           Le défendeur a souligné que la Commission avait exposé ses conclusions relatives à la crédibilité en termes clairs et sans équivoque et avait donné de nombreux exemples des aspects sur lesquels la preuve des demandeurs n’était pas crédible, notamment les faux passeports pakistanais, le fait qu’ils avaient dit que les appels de menaces des talibans remontaient à 1996, puis à 2006, le fait que le demandeur principal avait donné deux versions des raisons pour lesquelles il n’avait pas demandé l’asile lors de voyages au Royaume-Uni et au Canada en 2003 et en 2006 respectivement, le fait que les demandeurs n’avaient pas signalé au gouvernement des Émirats les menaces qu’ils auraient reçues même si ce gouvernement était lui‑même opposé aux talibans, la mention et la production tardives d’une copie d’une lettre des talibans qu’un oncle au Pakistan aurait reçue vers 2008 et dont l’authenticité ne pouvait pas être vérifiée, et le défaut de faire état des allégations concernant l’instruction des filles dans les FRP originaux et les FRP modifiés.

 

[29]           S’appuyant sur l’ensemble de la preuve, le défendeur soutenait qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau de produire une preuve crédible à l’appui de leur demande d’asile – une preuve démontrant qu’ils avaient reçu des menaces de la part des talibans – ou une explication raisonnable de l’absence d’une telle preuve.

 

[30]           En ce qui concerne la demande fondée sur l’article 97, le défendeur soutenait que la Commission avait écarté les problèmes de crédibilité pour déterminer objectivement si les demandeurs avaient la qualité de personne à protéger. La Commission a raisonnablement conclu que ce n’était pas le cas.

 

[31]           À mon avis, la Commission a tiré des conclusions claires et sans équivoque quant à la crédibilité des demandeurs.

 

[32]           En ce qui concerne les modifications apportées aux FRP, la jurisprudence indique que la Commission peut tirer des conclusions défavorables relativement à la crédibilité quand des faits ou des renseignements importants qui avaient été omis sont révélés ultérieurement et que leur omission n’est pas expliquée de manière raisonnable : Fatih, au paragraphe 66; Adewoyin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 905, [2004] ACF no 1112, au paragraphe 18; Guzun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1324, [2011] ACF no 1615, au paragraphe 18.

 

[33]           En l’espèce, la Commission n’a pas jugé satisfaisantes les raisons données par le demandeur principal pour expliquer pourquoi il n’avait pas demandé l’asile en 2003 ou en 2006, les incohérences concernant les dates et la nature des menaces et le fait qu’il avait mentionné très tardivement les menaces des talibans visant directement ses enfants – il en avait parlé seulement à l’audience. De plus, elle a jugé « nettement insatisfaisante » l’explication qu’il avait donnée au sujet des raisons pour lesquelles il avait « ment[i] systématiquement » et avait inventé une histoire à son arrivée au Canada parce qu’il tenait absolument à venir ici afin d’assurer la protection et la liberté de sa famille. Le demandeur principal avait indiqué que des personnes aux Émirats lui avaient conseillé de raconter une fausse histoire.

 

[34]           La Commission peut tenir compte des omissions, des divergences et des incohérences contenues dans les FRP, les notes prises au PDE et les témoignages et tirer des conclusions défavorables concernant la crédibilité : Lin, au paragraphe 17.

 

[35]           La Cour a affirmé à plusieurs reprises que le fait d’accorder une trop grande importance aux notes prises au PDE dans le cadre de l’appréciation de la crédibilité d’un demandeur peut constituer une erreur susceptible de contrôle : Cetinkaya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 8, au paragraphe 51; Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1102, au paragraphe 16. Les notes prises au PDE ne devraient pas reprendre tous les détails de la demande d’asile. En l’espèce, la Commission s’est appuyée sur tous les éléments de preuve, dont les notes prises au PDE, qui relataient le premier récit qui a été fait par les demandeurs et que la Commission a jugé entièrement inventé. Bien que la Commission n’ait pas fondé sa décision sur ces notes, elle devait prendre en considération l’information fournie pour apprécier la crédibilité, ce qu’elle a fait.

 

[36]           Les conclusions défavorables relatives à la crédibilité peuvent être déterminantes dans le cas d’une demande fondée sur l’article 96, mais pas nécessairement en ce qui concerne une demande fondée sur l’article 97. Cette disposition exige que la Commission détermine objectivement si le renvoi des demandeurs les exposerait personnellement à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités : Jarada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 409, au paragraphe 26). 

 

[37]           La Commission a procédé à une appréciation distincte et objective de la demande fondée sur l’article 97, sans tenir compte des problèmes de crédibilité, et elle a conclu, sur la foi des renseignements dont elle disposait, qu’il n’existait même pas une possibilité raisonnable que, à cause de leur profil, les demandeurs risquent davantage que tout autre Afghan de subir un préjudice de la part des talibans s’ils sont renvoyés en Afghanistan.

 

5. Conclusion

 

[38]           Comme il a été mentionné précédemment, les conclusions de la Commission concernant la crédibilité doivent faire l’objet d’une grande retenue. Il n’appartient pas à la Cour de substituer son opinion à la décision de la Commission.

 

[39]           La décision de la Commission est raisonnable car elle fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir, au paragraphe 47. La décision rendue relativement à la demande fondée sur l’article 96 reposait sur des conclusions concernant la crédibilité qui étaient justifiées, transparentes et intelligibles.

 

[40]           La Commission a tiré, au sujet de la crédibilité, des conclusions importantes qui ont été énoncées de la façon la plus claire possible. Elle a mentionné qu’elle n’aurait peut‑être pas conclu que le demandeur principal n’était pas crédible s’il n’y avait eu que les diverses incohérences et omissions, mais, comme le demandeur avait raconté une version « totalement inventée » de son histoire à son arrivée au Canada, « une telle conclusion n’a pas été difficile à prendre en raison d’un grand mensonge ». Le demandeur avait « choisi de poser son premier geste significatif au Canada en mentant systématiquement au gouvernement de ce pays » et son explication selon laquelle on lui avait conseillé de le faire afin d’augmenter ses chances de demeurer au Canada et d’y faire venir les autres membres de sa famille était « nettement insatisfaisante ».

 

[41]           La Commission a souligné que « parce que le demandeur d’asile a menti sur bien des choses, le tribunal ne peut pas accepter qu’il dise maintenant la vérité sur la question essentielle, qui consiste à déterminer s’il a bien été menacé par les talibans aux Émirats arabes unis, comme il l’a soutenu. Le demandeur d’asile avait très peu d’éléments de preuve corroborants prouvant ses affirmations, mais de nombreuses préoccupations quant à la crédibilité ont fait douter de ses affirmations. Par conséquent, le tribunal ne croit tout simplement pas que le demandeur d’asile a été menacé comme il l’a allégué. »

 

[42]           En ce qui concerne la demande fondée sur l’article 97, la Commission l’a appréciée objectivement, sans tenir compte des problèmes de crédibilité, et elle a conclu qu’il n’existait même pas une possibilité raisonnable que, à cause de leur profil, les demandeurs risquent davantage que les autres Afghans de subir un préjudice de la part des talibans s’ils sont renvoyés en Afghanistan.

 

[43]           Bien que l’avocate du demandeur ait laissé entendre qu’une telle conclusion est illogique puisque la Commission a dit que les demandeurs ne seraient probablement pas renvoyés en Afghanistan à cause du risque général existant dans ce pays, le rôle de la Commission consistait à statuer sur la demande fondée sur l’article 97, ce qu’elle a fait, en tenant compte de tous les renseignements dont elle disposait.

 

[44]           La Commission a souligné que les documents qu’elle avait examinés n’indiquaient pas que le fils risquait d’être persécuté par les talibans parce qu’il parlait anglais ou que la famille courait ce risque pour la même raison. Elle a mentionné que la famille ne serait pas perçue comme partageant les valeurs de l’Occident étant donné qu’elle avait vécu aux Émirats, un pays islamique. Elle ne serait pas perçue non plus comme étant riche, malgré le fait qu’elle avait vécu aux Émirats, parce que, selon la preuve, le demandeur principal était camionneur, gagnait un revenu modeste et avait une famille nombreuse à faire vivre.

 

[45]           La Commission a conclu qu’il était possible en théorie que les talibans s’en prennent à n’importe qui en Afghanistan, mais qu’aucune preuve convaincante démontrant que le demandeur constituait davantage une cible hypothétique que tout autre Afghan n’a été produite. Le demandeur n’avait pas exprimé publiquement son opposition aux talibans. Selon la Commission, il n’avait pas été menacé par les talibans après avoir refusé de les soutenir pendant qu’il vivait aux Émirats. Les talibans ne se rappelleraient probablement pas ce fait et n’exerceraient probablement pas de représailles. Il était possible en théorie que les fils du demandeur soient forcés de fréquenter une madrasa (école islamique) ou qu’il soit interdit à ses filles d’aller à l’école, mais la preuve ne démontrait pas que cela arrivait à toutes les familles afghanes, ni même à la plupart d’entre elles, et qu’il existait « même une possibilité raisonnable » que cela arrive à la famille du demandeur si elle retournait en Afghanistan.

 

[46]           La décision de la Commission était fondée sur la demande du demandeur principal, de son épouse et de deux fils. La Commission était cependant pleinement consciente de l’effet de sa décision défavorable sur toute la famille. Elle a reconnu que, si les demandeurs n’étaient pas renvoyés en Afghanistan – ce qui serait le cas selon elle, peu importait qu’elle rejette leur demande d’asile – la famille ne pourrait pas facilement être réunie et il y aurait une incidence sur les enfants restés aux Émirats. La Commission a bien compris que sa décision aurait des répercussions sur tous les membres de la famille, sur ceux demeurés aux Émirats comme sur les quatre demandeurs. Elle a indiqué qu’elle regrettait l’issue de l’affaire et qu’elle n’avait pas le pouvoir discrétionnaire de tenir compte de motifs d’ordre humanitaire. Il semble qu’elle a compris le désir sincère des demandeurs d’obtenir l’asile au Canada et leur motivation à cet égard, mais elle ne pouvait pas faire abstraction des différents problèmes importants de crédibilité qui l’ont amenée à conclure que la demande d’asile des demandeurs n’était pas étayée par une preuve crédible et qu’il n’avait pas été démontré qu’ils seraient exposés au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’ils retournaient en Afghanistan. Les conclusions de la Commission appellent une grande retenue et ne devraient être infirmées que dans les cas les plus évidents. Or, il ne s’agit pas d’un de ces cas en l’espèce. La décision de la Commission appartient aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Catherine M. Kane »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2287-12

 

INTITULÉ :                                      LAMER KHAN ET AL c

                                                            MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 12 septembre 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 25 septembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alla Kikinova

 

                            POUR LES DEMANDEURS

 

Aleksandra Lipska

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Loebach Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

                            POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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