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Date : 20120925

Dossier : IMM‑5843‑11

Référence : 2012 CF 1126

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 septembre 2012

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

EMAN HANNA ALHAYEK

NIZAR H A ALHAYEK

HANNA ALHAYEK

MAJDI NIZAR ALHAYEK

FADI ALHAYEK

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, le 4 août 2011, que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugié au sens de la Convention selon l’article 96 de la Loi, ni celle de personne à protéger selon le paragraphe 97(1) de la Loi. Cette décision reposait sur la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs n’avaient présenté aucune preuve crédible et digne de foi permettant d’établir qu’ils craignaient avec raison d’être persécutés ou d’être exposés à des préjudices graves s’ils retournaient en Palestine.

 

[2]               Les demandeurs demandent l’annulation de la décision de la Commission et le renvoi de l’affaire à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

 

Le contexte

 

[3]               Le demandeur principal est Eman Hanna Alhayek. Les autres demandeurs sont son épouse, Nizar H A Alhayek, et trois de leurs quatre fils : Hanna, Majdi Nizar et Fadi. Tous les demandeurs sont des citoyens de la Cisjordanie. Avant de quitter la Palestine, ils résidaient dans la ville de Beit Sahour en Cisjordanie.

 

[4]               Le demandeur principal a étudié la sociologie à l’université de Bethléem. Au cours de ses études, il était membre du syndicat d’étudiants et en 1981, il a joint les rangs de l’Union démocratique, un parti politique axé sur la résistance pacifique à l’occupation israélienne.

 

[5]               En 1982, l’armée israélienne a arrêté le demandeur principal. Au cours de sa détention, il a été interrogé et torturé, et il a été libéré après 80 jours. L’année suivante, il a été élu comme représentant étudiant au conseil d’administration de l’Union démocratique. Le gouvernement israélien a invité les membres du conseil d’administration à une rencontre et les a par la suite arrêtés et détenus pendant 13 jours.

 

[6]               En 1984, le demandeur principal s’est marié. Il a obtenu son diplôme de l’université l’année suivante. Une nuit, l’armée israélienne s’est rendue à la résidence du couple, y a pénétré et a inspecté chaque pièce avant de partir. Elle y est retournée en septembre 1985. Le demandeur principal a alors été arrêté et torturé. Il a été détenu pendant quatre mois et demi. Après avoir embauché un avocat et payé une amende, il a été libéré. À sa libération, il a effectué des travaux de construction pour subvenir aux besoins de sa famille.

 

[7]               En 1987, l’armée israélienne s’est à nouveau présentée à la résidence des demandeurs. Après avoir fouillé la maison, elle a arrêté le demandeur principal et l’a placé en détention administrative pendant trente‑six jours. L’année suivante, l’armée israélienne a à nouveau arrêté le demandeur principal et l’a placé en détention administrative pendant six mois. Après sa libération, le demandeur principal a recommencé à travailler dans le domaine de la construction. En 1989, le demandeur principal a de nouveau été arrêté et détenu pendant six mois.

 

[8]               En 1990, l’armée israélienne s’est encore une fois rendue à la résidence des demandeurs. Elle a demandé à voir le demandeur principal et exigé qu’à son retour à la maison, il se rende au poste de police. Craignant d’être de nouveau séparé de sa famille, le demandeur principal n’est pas allé au poste de police. Il s’est plutôt caché. Environ trois ans plus tard, Israël et la Palestine ont signé un accord de paix. Croyant qu’il pouvait finalement retourner à la maison en sécurité, il est revenu auprès de sa famille.

 

[9]               Après la conclusion de l’accord de paix, le parti politique Union démocratique s’est divisé en deux factions : le FIDA, qui croyait en la paix, alors que le Hamas n’en était pas convaincu. Le demandeur principal soutenait le FIDA et refusait de lutter avec le Hamas. Or, le Hamas voulait qu’il joigne ses rangs. Des membres du Hamas sont allés chez lui à plusieurs reprises et ont attaqué sa maison pour tenter de le convaincre de se joindre à eux.

 

[10]           En 1997, voulant échapper aux pressions qu’il subissait à la maison, le demandeur principal s’est rendu chez son oncle aux États‑Unis, où il est resté pendant un an. À son retour en Palestine, il a commencé à travailler comme enseignant. Le Hamas et l’Union démocratique, qui avaient uni leurs efforts, car ils croyaient que la violence était nécessaire pour résoudre la situation en Palestine, ont commencé à faire pression sur le demandeur principal pour qu’il se joigne à eux et lutte à leurs côtés. Pour échapper à cette pression, le demandeur principal est retourné aux États‑Unis en 2000 et y est demeuré pendant dix mois. Les membres de sa famille ont obtenu des visas à la fin de l’année 2000, mais en raison de problèmes de logistique découlant de la deuxième intifada, ils n’ont pas été en mesure de partir et leurs visas ont expiré. Le demandeur principal a expliqué qu’il n’avait pas demandé l’asile au cours de ses deux premiers voyages aux États‑Unis parce qu’à cette époque, l’armée israélienne se contentait de détenir les gens sans les tuer.

 

[11]           Le Hamas a commencé à exercer des pressions sur le fils aîné du demandeur principal pour qu’il joigne ses rangs, ce que le fils a refusé de faire. En 2001, le demandeur principal est retourné à la maison et a emmené son fils aîné aux États‑Unis. En 2001, le reste de la famille a rejoint le demandeur principal et le fils aîné aux États‑Unis. Au cours de la même année, toute la famille a demandé l’asile aux États‑Unis. L’année suivante, le demandeur principal a appris que l’armée israélienne avait tué son cousin en Palestine.

 

[12]           Le processus de demande d’asile aux États‑Unis a pris environ dix ans et a été marqué par deux appels rejetés. Après avoir échoué dans leurs tentatives d’obtenir l’asile et que l’on ait refusé de renouveler leurs permis de travail, les demandeurs ont décidé de venir au Canada en vue d’y demander l’asile. Le fils aîné du demandeur principal a épousé une citoyenne américaine et demeure aux États‑Unis.

 

[13]           Le 1er juillet 2010, les demandeurs ont présenté des demandes d’asile. Leurs demandes sont fondées sur la persécution qu’a subie le demandeur principal par le passé et sur leur crainte de l’armée israélienne et du Hamas. L’audience relative aux demandes d’asile des demandeurs a eu lieu le 21 juillet 2010 à Toronto. Les demandeurs sont venus de la Colombie‑Britannique pour y assister. La Commission n’a pas été en mesure d’obtenir les services d’un interprète de l’arabe, au besoin, et le demandeur principal a accepté de procéder en anglais.

 

La décision de la Commission

 

[14]           La Commission a rendu sa décision le 4 août 2011. Elle a conclu que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Selon elle, la question déterminante était l’absence de preuve crédible et digne de foi permettant d’établir l’existence d’une crainte bien fondée de persécution.

 

[15]           La Commission a considéré le témoignage du demandeur principal qui a affirmé que s’il retournait en Palestine, il serait persécuté parce qu’il a déjà été emprisonné à cause de ses opinions, et que ses fils et lui seraient forcés d’adhérer au Hamas. La Commission a toutefois conclu que rien dans les demandes d’asile des demandeurs ne corroborait ces allégations.

 

[16]           À l’appui de cette conclusion, la Commission a mentionné que le demandeur principal n’avait présenté aucun élément de preuve indiquant que les Israéliens lui avaient causé des difficultés après 1993, alors qu’il est retourné chez lui, après s’être caché pendant trois ans. La Commission a également souligné que le demandeur principal n’avait pas été importuné par l’armée israélienne de 1993 à 1997, année où il est allé aux États‑Unis, ou entre 1998 et 2001, alors qu’il est retourné occasionnellement en Palestine. La Commission a de plus mentionné qu’elle ne disposait d’aucun élément de preuve indiquant que le demandeur principal avait été lié à une organisation politique ni qu’il avait participé à des actions politiques depuis plus de vingt ans. La Commission a donc conclu qu’aucune preuve n’indiquait que le demandeur principal risquerait d’attirer l’attention des autorités israéliennes ou d’être la cible de l’armée israélienne s’il devait retourner en Palestine.

 

[17]           La Commission a aussi conclu que les demandeurs n’avaient présenté aucun élément de preuve crédible et digne de foi laissant croire que le demandeur principal s’était caché de l’armée israélienne entre 1990 et 1993. Elle a indiqué que le demandeur principal avait déclaré dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) que, pendant cette période, il avait continué à travailler dans le domaine de la construction. La Commission a cependant jugé invraisemblable que dans une ville aussi petite que Beit Sahour, qui compte seulement 12 000 personnes, l’armée israélienne, si elle avait été réellement déterminée à le tuer, ne l’ait pas trouvé alors qu’il s’exposait sans cesse à la menace en allant au travail, même s’il travaillait dans différents chantiers de construction et qu’il ne travaillait pas tous les jours. Ainsi, puisque le demandeur principal a continué de travailler, la Commission a conclu qu’il était peu probable qu’il se soit caché et, partant, que l’armée israélienne ne le recherchait pas entre 1990 et 1993.

 

[18]           La Commission a fait remarquer que le demandeur principal n’a pas témoigné de façon cohérente sur la question de savoir s’il avait été détenu à plusieurs reprises entre 1982 et 1989. Elle a souligné que bien que le demandeur principal ait déclaré dans son exposé circonstancié qu’il avait été arrêté à de nombreuses reprises et qu’il avait parfois été détenu pour des périodes aussi longues que six mois, il a déclaré dans sa demande d’asile qu’il n’avait jamais été recherché ou détenu par la police, l’armée ou toute autre autorité. Au cours d’une entrevue réalisée par une agente de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), le demandeur principal a déclaré qu’il avait été arrêté et libéré, mais non détenu. De plus, questionné au sujet de ces divergences, le demandeur principal a tout d’abord déclaré qu’il ne comprenait pas la signification du mot « détenu » et a ensuite attribué ces incohérences à l’absence d’un interprète professionnel. La Commission a conclu que ces explications n’étaient pas crédibles.

 

[19]           À l’appui de cette conclusion, la Commission a indiqué que le demandeur avait résidé et travaillé aux États‑Unis pendant plus de dix ans. Il parle l’anglais assez couramment et à l’audience, il a témoigné en anglais sans difficulté. Le demandeur principal a également demandé l’asile aux États‑Unis pour les mêmes raisons qu’il l’a fait au Canada. La Commission s’attendait donc à ce que le demandeur principal comprenne le sens du mot « détenu » et connaisse la différence entre « arrêté » et « détenu ». La Commission a également estimé qu’il était déraisonnable de blâmer les interprètes pour justifier les divergences dans son témoignage puisqu’un ami l’avait aidé à remplir sa demande d’asile et qu’un interprète de l’arabe nommé par l’ASFC était présent pour faciliter l’entrevue. En conséquence, la Commission a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité des allégations du demandeur principal.

 

[20]           La Commission a également pris en compte le témoignage du demandeur principal selon lequel depuis 1985, il n’était lié à aucune organisation politique. Aucun élément de preuve n’indiquait qu’il avait participé à des activités politiques ni exprimé des opinions politiques en public depuis 1985. La Commission a en conséquence conclu qu’il n’y avait aujourd’hui aucune raison qu’il attire l’attention des autorités israéliennes, pour des raisons politiques ni que l’armée israélienne le poursuive s’il retournait dans son pays.

 

[21]           En ce qui concerne la mort du cousin du demandeur principal en 2002, la Commission a indiqué qu’aucun élément de preuve ne permettait de conclure qu’il avait été tué par balle parce qu’on l’avait pris pour le demandeur principal, comme celui‑ci le croyait. Selon la Commission, il ne s’agissait que d’une pure conjecture. Elle a donc conclu que le demandeur principal ne serait pas ciblé par l’armée israélienne s’il retournait dans son pays.

 

[22]           La Commission a également conclu que le demandeur principal n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que le Hamas les forcerait, lui et ses fils, à se rallier à lui. Aucun élément de preuve de nature personnelle ou documentaire n’étayait ses allégations. La Commission a souligné que le demandeur principal n’avait pas témoigné de façon cohérente à propos des efforts du Hamas pour les recruter ses neveux et lui. Elle a indiqué que le demandeur principal n’avait pas mentionné que le Hamas s’intéressait à ses neveux dans son exposé circonstancié.

 

[23]           À l’audience, le demandeur principal a expliqué que dans l’exposé circonstancié de son FPR, il avait décrit sa propre situation et non celle de ses frères et sœurs. La Commission a jugé cette explication non satisfaisante. La Commission a souligné qu’il était indiqué dans le FPR d’énumérer les mesures prises contre le demandeur, les membres de sa famille et les personnes se trouvant dans une situation semblable, comme ses neveux, advenant que ceux‑ci aient également été recrutés par le Hamas. La Commission a donc tiré une conclusion défavorable en matière de crédibilité du fait que le demandeur principal n’ait fait nulle mention, dans son FRP, des menaces que le Hamas faisait peser sur ses neveux.

 

[24]           De même, la Commission a mentionné le témoignage du demandeur principal, qui a affirmé que le Hamas lui avait fait transmettre par son frère le message qu’il devrait retourner en Palestine pour lutter avec lui. Cette allégation ne figurait pas au FRP. La Commission a conclu que l’explication fournie par le demandeur principal au sujet de cette omission, à savoir qu’il craignait pour la sécurité de son frère en Palestine, n’était pas crédible. Rien ne permettait de croire que l’exposé circonstancié serait communiqué au Hamas, ce qui aurait pu compromettre la sécurité de son frère. La Commission a indiqué que le demandeur principal aurait pu fournir les écrits des menaces qui lui avaient été faites par le Hamas sans dire comment elles lui étaient parvenues. De plus, s’il avait vraiment craint pour la sécurité de son frère, il aurait passé ces faits sous silence à l’audience. La Commission a donc tiré une conclusion défavorable en matière de crédibilité du fait que le demandeur principal n’ait fait nulle mention de menaces du Hamas dans son exposé circonstancié.

 

[25]           La Commission a conclu que le demandeur principal avait fort probablement inventé les allégations à propos des efforts du Hamas pour les recruter, lui et ses neveux, et ce, afin d’embellir sa demande d’asile. Elle a ajouté que la preuve documentaire appuyait cette conclusion. La Commission a souligné que rien ne laissait croire que quelqu’un ait été recruté de force par un mouvement politique particulier, bien qu’il soit possible que des groupes politiques tentent de convaincre les étudiants universitaires palestiniens de se joindre à leur mouvement respectif. La Commission a donc jugé qu’il était peu probable que le Hamas tente de recruter de force le demandeur principal ou ses fils.

 

[26]           Enfin, la Commission a pris en compte le témoignage des demandeurs selon lequel, s’ils devaient retourner en Palestine, ils feraient l’objet, du fait de leur nationalité, d’actes de discrimination qui, considérés dans leur ensemble, pourraient équivaloir à de la persécution. Toutefois, la Commission a conclu que le demandeur principal n’avait fourni aucun élément de preuve crédible et digne de foi quant à la forme de discrimination dont sa famille et lui pourraient être victimes s’ils retournaient en Palestine aujourd’hui, à la façon dont cette discrimination pourrait équivaloir, par accumulation, à de la persécution ou à des préjudices graves, et au fait que les autres personnes qui se trouvent en Palestine ne sont généralement pas exposées au risque de discrimination qu’eux‑mêmes courraient dans ce pays. En conséquence, la Commission a conclu que l’allégation de persécution ou de préjudice grave par accumulation n’était pas un motif valable pour reconnaître au demandeur principal la qualité de réfugié.

 

[27]           La Commission a donc rejeté la demande d’asile du demandeur principal. Comme les demandes d’asile des autres demandeurs étaient fondées sur celle du demandeur principal, la Commission a conclu qu’elles devaient également être rejetées.

 

Les questions en litige

 

[28]           Les demandeurs soulèvent les points litigieux suivants :

            1.         Les conclusions de la Commission concernant la crédibilité des demandeurs étaient‑elles raisonnables?

            2.         La conclusion de la Commission selon laquelle les motifs cumulés ne justifiaient pas d’accorder la demande reposait‑elle sur une analyse appropriée?

 

[29]           Je reformulerais les questions en litige dans les termes suivants :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse de la crédibilité?

            3.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son examen de la discrimination cumulative?

 

Les observations écrites des demandeurs

 

[30]           Les demandeurs soutiennent que les conclusions de la Commission en matière de crédibilité étaient déraisonnables et que l’examen de celle‑ci quant à la question de savoir si les actes de discrimination auxquels les demandeurs seraient exposés pourraient, par accumulation, équivaloir à de la persécution.

 

[31]           En ce qui concerne sa conclusion défavorable en matière de crédibilité, les demandeurs soutiennent que la Commission a tiré trois inférences déraisonnables.

 

[32]           Premièrement, la Commission a souligné les incohérences dans les déclarations faites par le demandeur principal au point d’entrée quant à savoir s’il avait été arrêté et libéré ou s’il avait été détenu par les autorités israéliennes. Les demandeurs ont expliqué que dans la demande d’asile qu’il a remplie au point d’entrée le demandeur principal a déclaré qu’il avait été arrêté par les autorités israéliennes, mais qu’elles ne l’avaient pas détenu. Dans les notes [du dossier], l’agente de l’ASFC a indiqué que le demandeur principal avait eu de la difficulté à répondre à plusieurs questions, notamment s’il avait commis une infraction ou un crime dans un pays quelconque et s’il avait été arrêté par les autorités d’un pays. L’agente a noté que le demandeur principal ne voulait pas déclarer qu’il avait été arrêté ou accusé d’une infraction, car il estimait n’avoir commis aucun crime. Les demandeurs soulignent qu’il n’y a pas de transcription de cette entrevue et que l’agente a simplement résumé ce qui s’était passé. De plus, comme l’entrevue a eu lieu tard dans la journée, l’agente était pressée de partir.

 

[33]           À l’audience, le demandeur principal a expliqué qu’en indiquant qu’il avait été arrêté et non détenu, il voulait dire qu’il n’avait pas été traduit en justice. Il ne comprenait pas non plus la notion de détention et l’interprète auquel on a recouru lors de l’interrogatoire au point d’entrée n’était pas un interprète agréé mais plutôt un membre de la famille, ce qui a posé problème puisque les notions d’arrestation, d’accusation et de détention peuvent avoir des significations différentes dans différents contextes. Les demandeurs indiquent que la Commission elle‑même semblait embêtée par la définition de détention, faisant une distinction dans ses questions entre être en prison et être détenu.

 

[34]           Les demandeurs indiquent qu’ils ont fourni des éléments de preuve à l’appui de la détention du demandeur principal. Dans son exposé circonstancié, le demandeur principal a clairement déclaré qu’il avait été détenu à six reprises. C’est ce qu’il a également déclaré dans sa demande d’asile aux États‑Unis. Les demandeurs ont également fourni des certificats du Comité international de la Croix‑Rouge ainsi qu’une lettre du maire de Beit Sahour confirmant les détentions. Les demandeurs font valoir que la Commission n’a pas examiné ces éléments de preuve, mais qu’elle s’est plutôt concentrée sur la déclaration faite par le demandeur principal dans sa demande d’asile à savoir qu’il avait été [traduction] « arrêté et ensuite libéré ». La Commission a estimé qu’il y avait une divergence entre cette déclaration et l’exposé circonstancié, et elle a de ce fait tiré une conclusion défavorable en matière de crédibilité.

 

[35]           Les demandeurs soutiennent que ce faisant, la Commission a exagérément cherché une contradiction et qu’elle a scruté la preuve à la loupe, omettant ainsi de prendre en compte le contexte général de la demande d’asile. De plus, la Commission était tenue de mentionner les éléments de preuve, tels que les certificats de la Croix‑Rouge et la lettre du maire de Beit Sahour, qui contredisaient expressément sa conclusion en matière de crédibilité.

 

[36]           Deuxièmement, la Commission a jugé qu’il était peu plausible que le demandeur principal ait pu travailler alors qu’il vivait dans la clandestinité entre 1990 et 1993. Cependant, à l’audience, demandeur principal a expliqué qu’il ne travaillait pas à temps plein mais plutôt de façon sporadique : [traduction] « [q]uelques fois c’était une journée par semaine, parfois deux jours par semaine ». Il travaillait également pour différentes familles. Les demandeurs soulignent que des conclusions d’invraisemblance ne devraient être tirées que dans les cas les plus clairs. En l’espèce, la Commission ne s’est appuyée sur aucun élément de preuve documentaire pour affirmer que la version des événements du demandeur principal était inventée. De plus, la Commission n’a pas pris en compte le contexte dans lequel le demandeur principal travaillait et n’a pas expliqué en quoi le fait pour une personne de gagner un revenu en travaillant sporadiquement dans le domaine de la construction tout en résidant à différents endroits pour éviter d’être repéré par les autorités [traduction] « déborderait le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ».

 

[37]           Troisièmement, la Commission a mentionné que ce que le demandeur principal avait dit à l’audience à propos du recrutement de ses neveux par le Hamas ne figurait pas dans l’exposé circonstancié. Les demandeurs soutiennent que, ce faisant, la Commission n’a pas tenu compte de la lettre du neveu du demandeur principal qui faisait partie des documents soumis. Dans cette lettre, le neveu du demandeur principal confirmait que des groupes extrémistes les harcelaient, lui et Majd, le fils du demandeur principal. Les demandeurs prétendent qu’il ne ressort pas clairement de la décision de la Commission si celle‑ci a tenu compte de cette lettre. La Commission n’a pas examiné cette lettre lorsqu’elle s’est demandé si l’omission dans l’exposé circonstancié était importante.

 

[38]           S’agissant de la conclusion sur cette question, les demandeurs indiquent que la Commission s’est appuyée sur la preuve documentaire provenant de la Direction des recherches de la Commission au sujet du recrutement forcé par le Hamas, le Fatah et d’autres organisations en Cisjordanie. Or, ce faisant, la Commission n’a pas tenu compte du fait qu’il était également indiqué dans la preuve documentaire que, faute de temps, l’on ne disposait d’aucun renseignement sur les conséquences d’un refus pour les personnes recrutées par ces groupes. Les demandeurs soutiennent qu’il était donc impossible de savoir si le recrutement forcé existait ou non à partir de cette preuve documentaire. Ils prétendent qu’il s’agit d’une forme de recrutement forcé lorsque la personne recrutée, ou sa famille, subit un préjudice parce qu’elle a refusé de se joindre à une organisation. Ainsi, les demandeurs font valoir que la Commission a commis une erreur en s’appuyant sur cette preuve documentaire sans reconnaître les limites de cette recherche. Il est de jurisprudence constante que les décideurs commettent une erreur lorsqu’ils s’appuient de façon sélective sur certains passages des documents qui leur sont soumis.

 

[39]           Enfin, les demandeurs soutiennent que la Commission n’a pas effectué une analyse adéquate afin de déterminer si la discrimination équivalait à de la persécution. La Commission n’a examiné aucun des documents sur la situation du pays inclus dans les cartables nationaux de documentation. Elle n’a mentionné aucun des nombreux rapports sur la discrimination que subissent les Palestiniens vivant en Cisjordanie. Elle n’a pas non plus indiqué pourquoi l’expérience récente des Palestiniens vivant en Cisjordanie n’était pas pertinente pour déterminer si les demandeurs seraient exposés à une discrimination cumulative s’ils étaient renvoyés en Palestine. Les demandeurs soutiennent que malgré l’existence d’une situation d’oppression généralisée, la Commission peut accueillir une demande d’asile qui est fondée sur l’état civil ou les opinions politiques.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[40]           Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour la Commission de tirer ses conclusions en matière de crédibilité compte tenu du témoignage des demandeurs et après examen de la preuve. Il fait de plus valoir que la Commission a raisonnablement analysé et apprécié l’aspect cumulatif de la demande des demandeurs et qu’elle a conclu que ces derniers ne s’étaient pas acquittés du fardeau qui leur incombait de présenter une preuve suffisante pour démontrer l’existence d’un réseau de persécution sur une base cumulative ou d’un risque personnel de préjudice.

 

[41]           Le défendeur soutient que les conclusions relatives à la crédibilité et à l’examen de la preuve sont des conclusions de fait qui appellent une norme de contrôle commandant une très grande déférence. La norme de contrôle applicable est la norme de la raisonnabilité. De même, la conclusion de la Commission quant à savoir si les incidents passés peuvent équivaloir de façon cumulative à de la persécution au sens de l’article 96 de la Loi est une question mixte de fait et de droit qui appelle également la norme de la raisonnabilité.

 

[42]           Le défendeur fait valoir que la Commission a conclu à l’existence d’incohérences dans la preuve des demandeurs en ce qui a trait à la détention après avoir procédé à un examen approfondi de la preuve, y compris l’explication qui lui a été présentée. Il précise que lors de l’interrogatoire au point d’entrée des demandeurs, il y avait en fait deux interprètes : le premier était un interprète de l’arabe nommé par l’ASFC, et le deuxième, un membre de la famille. Le défendeur fait valoir que la Commission a raisonnablement conclu que, compte tenu de la longueur du processus de demande d’asile aux États‑Unis, le demandeur principal aurait su la différence entre une arrestation et une détention au moment où il est arrivé au Canada.

 

[43]           Le défendeur souligne également que le demandeur principal a résidé et travaillé aux États‑Unis pendant plus de dix ans, et que selon la Commission, il parle l’anglais relativement bien et a aisément témoigné en anglais à l’audience. Enfin, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient présenté aucun élément de preuve indiquant que le demandeur principal avait été importuné par l’armée israélienne après 1993 ou qu’il attirerait son attention ou en deviendrait la cible s’il devait retourner en Palestine.

 

[44]           Le défendeur fait valoir que lorsqu’il est question de crédibilité et de vraisemblance, la Commission peut, dans son examen, tenir compte de l’omission de présenter une preuve corroborante. Le défendeur ajoute que la Commission n’est pas tenue de mentionner dans sa décision tous les éléments de preuve soumis. L’omission de mentionner un élément de preuve ne saurait étayer la conclusion qu’il n’a pas été pris en compte.

 

[45]           Le défendeur soutient également que la conclusion de la Commission selon laquelle il était invraisemblable que le demandeur principal ait vécu dans la clandestinité pendant trois ans était raisonnable, étant donné que cette prétention n’était étayée par aucune preuve crédible et digne de foi. Le défendeur fait valoir que les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau d’établir que les conclusions de la Commission n’étaient pas raisonnables.

 

[46]           En ce qui concerne le recrutement forcé auquel se serait livré le Hamas à l’égard du fils et des neveux du demandeur principal, le défendeur soutient que la Commission a tiré une conclusion raisonnable étant donné que cette allégation ne figurait pas dans l’exposé circonstancié et que l’explication fournie par les demandeurs était insatisfaisante. De plus, en ce qui concerne la mention par la Commission de la preuve sur le Hamas, le défendeur fait valoir que les demandeurs sont simplement insatisfaits du poids qui lui a été accordé, ce qui ne saurait justifier un contrôle judiciaire.

 

[47]           En ce qui a trait à l’analyse de la Commission concernant l’effet cumulatif, le défendeur soutient que la Commission s’est penchée expressément sur les effets cumulatifs des allégations de préjudice des demandeurs, mais a conclu que la preuve n’était pas suffisamment crédible et digne de foi pour étayer l’allégation de discrimination équivalant à de la persécution ou de risque personnel. Dans son analyse, la Commission a examiné l’allégation de mauvais traitements qu’aurait fait subir l’armée israélienne aux demandeurs en regard de l’absence de preuve selon laquelle l’armée israélienne avait causé des difficultés au demandeur principal après 1993, de l’absence de preuve de participation à des activités politiques au cours des cinq dernières années, du témoignage incohérent concernant le nombre de fois où le demandeur principal a été détenu entre 1982 et 1989 et de sa conclusion défavorable en matière de crédibilité concernant le fait que le demandeur principal avait vécu dans la clandestinité entre 1990 et 1993. Ainsi, le défendeur soutient que les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau de démontrer que leur situation personnelle équivalait à de la persécution. Cette omission ne peut être attribuée à la Commission.

 

L’analyse et la décision

 

[48]           Question 1

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la norme de contrôle applicable à une question dont la cour est saisie a été établie dans des décisions antérieures, la cour siégeant en révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, par. 57, [2008] 1 RCS 190).

 

[49]           Il est établi en jurisprudence que les conclusions relatives à la crédibilité, décrites comme constituant « l’essentiel de la compétence de la Commission », sont essentiellement de pures conclusions de fait susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable (voir Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, par. 7, [2003] ACF no 162; Canada (Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, par. 46, [2011] 1 RCS 339; Demirtas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 584, par. 23, [2003] ACF no 786). De même, la pondération de la preuve ainsi que son interprétation et son appréciation sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Oluwafemi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1045, par. 38, [2009] ACF no 1286).

 

[50]           Lorsqu’elle procède au contrôle de la décision de la Commission selon la norme de la décision raisonnable, la Cour ne doit intervenir que si la conclusion de la Commission n’est pas transparente, justifiée et intelligible et n’appartient pas aux issues acceptables compte tenu des éléments de preuve présents (voir Dunsmuir, au paragraphe 47, et Khosa, au paragraphe 59, précités). Il n’appartient pas à la cour de révision de substituer la solution qu’elle juge appropriée à celle qui a été retenue, et il n’entre pas dans ses attributions de soupeser à nouveau les éléments de preuve (voir Khosa, précité, par. 59 et 61).

 

[51]           Question 2

            La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse de la crédibilité?

            Il est bien établi que les conclusions en matière de crédibilité appellent un haut niveau de déférence et qu’elles ne devraient être infirmées que dans les cas les plus évidents (Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1330, par. 30, [2011] ACF no 1633).

 

[52]           Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour ne doit pas examiner les sections d’une décision d’une façon isolée; elle doit plutôt se demander si, dans son ensemble, la décision étaye la conclusion défavorable sur la crédibilité (voir Guarin Caicedo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1092, par. 30, [2010] ACF no 1365). La Cour ne doit généralement pas substituer son opinion à celle du décideur, à moins qu’elle conclue que la décision repose sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait (voir Bobic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1488, par. 3, [2004] ACF no 1869).

 

[53]           En l’espèce, la Commission a tiré des conclusions défavorables en matière de crédibilité à partir du témoignage du demandeur principal concernant sa détention entre 1982 et 1989, du fait qu’il a travaillé entre 1990 et 1993 tout en se cachant de l’armée israélienne, et de l’omission de mentionner dans son FPR les menaces faites par le Hamas à ses neveux et plus récemment, à lui‑même.

 

[54]           Dès le départ, il convient de mentionner que la Commission a déclaré dans sa décision que le demandeur principal parlait relativement bien l’anglais et qu’il avait aisément témoigné en anglais à l’audience. Compte tenu de son apparente aisance en anglais et du fait qu’il avait présenté une demande d’asile aux États‑Unis pour des motifs semblables à ceux de sa demande d’asile au Canada, la Commission a conclu que le demandeur principal connaîtrait la signification du mot « détenu ». Un examen de la transcription de l’audience montre clairement que ce n’est pas le cas.

 

[55]           À titre d’exemple, s’agissant des réponses aux questions concernant l’entrevue avec l’agente de l’ASFC au point d’entrée, la transcription indique clairement que le demandeur principal confondait les termes « arrestation pour un crime » et « arrestation fondée sur des opinions politiques » :

[traduction]

 

président de l’audience : D’accord, à la page 9 [du formulaire Demande d’asile au Canada]. On demande : Avez‑vous déjà fait l’objet de recherches par la police, l’armée ou toute autre autorité? Vous avez inscrit « Non ». Avez‑vous déjà fait l’objet d’une arrestation par la police, l’armée ou toute autre autorité? Vous avez répondu « Oui ». Mais il y a des notes. Vous avez écrit : « Arrêté par la police israélienne, non détenu. »

 

Demandeur principal : Oui, monsieur.

 

président de l’audience : Autre question : Avez‑vous déjà fait l’objet d’une mise en détention par la police, l’armée ou toute autre autorité? Vous avez coché « Non ». Alors vous n’avez pas été détenu?

 

Demandeur principal : Oui, monsieur.

 

président de l’audience : Vous avez simplement été arrêté et libéré, avez‑vous dit.

 

Demandeur principal : Elle voulait dire, l’agente, que – j’ai parlé avec elle. Elle a dit vous avez fait un crime? Je n’ai jamais été un criminel. Je n’ai jamais été arrêté parce que je suis un criminel ou quelque chose. C’est ce qui est arrivé. J’ai tenté d’expliquer à l’agente à ce moment‑là, je lui ai dit : « Je n’ai jamais été arrêté comme un criminel, madame. J’ai été arrêté en raison de mes opinions. Si vous voulez dire cela, dites‑le, mais je ne dirai jamais (inaudible) je suis arrêté parce que je suis un criminel. » C’est ce qui est arrivé. J’ai discuté avec elle pendant plus de 20 minutes. Elle ne voulait pas comprendre ce que j’ai tenté d’expliquer à elle. Je lui ai dit : « Je n’ai jamais été arrêté comme un criminel ou un crime. Je ne suis pas un voleur, je n’ai fait rien de mal. J’ai été arrêté parce que je protège mes opinions, parce que je veux dire mes opinions. » C’est ce qui est arrivé, monsieur.

 

[…]

 

président de l’audience : et elle a dit qu’elle avait discuté avec vous et finalement vous avez dit que vous aviez été arrêté par la police israélienne, arrêté et relâché, et non détenu.

 

Demandeur principal : Voyez, c’est ce que je veux dire, parce que je veux lui dire – elle insiste, vous un crime. Non, je ne suis pas un crime. Elle veut toujours que je dise crime. Je ne suis pas un crime. J’ai été arrêté par des soldats à cause de mes opinions. Pour moi ce n’est pas un criminel. Ce n’est pas un crime pour moi d’être en prison. Si je suis un voleur je serais gêné d’être en prison, mais je n’ai pas fait un crime pour cela. Nous discutons avec elle jusqu’à ce qu’elle dit, d’accord, parce qu’elle veut finir, elle veut partir, parce qu’il est trop tard.

 

 

[56]           Tel que cela a été mentionné, même si la Commission a continué d’insister auprès du demandeur principal afin de savoir s’il avait été détenu ou arrêté et relâché, le demandeur principal a continué d’affirmer qu’il n’avait pas été arrêté en tant que criminel, mais qu’il avait plutôt été arrêté en raison de ses opinions politiques. De toute évidence, le demandeur principal ne comprenait pas les questions de la Commission. Plus loin, la transcription met en lumière la confusion du demandeur principal à propos du terme « détenu » :

[traduction]

 

Demandeur principal : Que veut dire « détenu »?

 

président de l’audience : Vous avez dit arrêté et relâché. Alors, si vous avez été détenu six ou sept fois, et à une occasion pendant six mois, il ne fait aucun doute que vous avez été détenu. Vous avez dit que vous n’avez pas été détenu.

 

Demandeur principal : Je ne connais pas la signification de « détenu » jusqu’à maintenant. Que veut dire « détenu », dites‑moi.

 

président de l’audience : Vous avez vous‑même coché la case. Vous avez dit : « Arrêté par la police israélienne, mais non détenu. »

 

Demandeur principal : Oui, sans la cour. C’est ce que ça veut dire.

 

président de l’audience : Avez‑vous dit à l’agente que vous aviez été détenu pendant six mois, six mois, 30 jours, 36 jours – avez‑vous déjà dit cela à l’agente d’immigration, que l’agente ait eu dix minutes ou quel que soit le temps qu’elle a discuté avec vous?

 

Demandeur principal : Je comprends toujours pas la question, s’il vous plaît, monsieur.

 

président de l’audience : Non, je pose tout simplement une autre question. Avez‑vous jamais dit à l’agente d’immigration, qui a discuté avec vous de toutes ces questions, que vous avez été détenu pendant six mois? Avez‑vous dit cela à l’agente à la frontière?

 

Demandeur principal : Oui, je leur ai dit que j’ai été emprisonné par les soldats.

 

président de l’audience : Je ne parle pas de la prison. Répondez à ma question maintenant. Avez‑vous dit à l’agente que vous avez été détenu ou emprisonné pendant six mois à plusieurs reprises? Avez‑vous dit cela à l’agente?

 

Demandeur principal : Je ne pense pas qu’ils m’ont demandé cela.

 

président de l’audience : Ils ne vous l’ont pas demandé, mais vous ne le leur avez pas dit non plus?

 

Demandeur principal : Non, je ne pense pas.

 

 

[57]           Même si le demandeur principal a finalement déclaré qu’il n’avait pas dit à l’agente de l’ASFC qu’il avait été détenu, la transcription indique clairement un niveau élevé de confusion à propos de ces questions. Le demandeur principal ne comprenait ce que signifiait être détenu et la Commission alternait entre être détenu et être en prison, ce qui ajoutait à la confusion. Plus tard au cours de l’audience, le demandeur principal a expliqué différents termes qu’il jugeait pertinents pour sa compréhension de la détention :

[traduction]

 

président de l’audience : Mais le conseil vous a demandé comment vous appeliez cela? Ils vous jettent en prison pendant six mois, comment appelez‑vous cela?

 

CONSEIL : En anglais, pouvez‑vous traduire en anglais ce que vous prétendez qu’il vous est arrivé?

 

Demandeur principal : Nous appelons cela arrestation administrative. Quelqu’un comme vous – je m’excuse, je ne veux pas dire vous. Un agent chargé d’arrêter n’importe qui sans un jugement. Et l’agent chargé d’arrêter n’importe qui, les met en prison pendant six mois.

 

CONSEIL : Alors pour vous, cela constitue toujours une arrestation?

 

Demandeur principal : Oui.

 

CONSEIL : Cela ne signifie pas le temps passé en prison?

 

Demandeur principal : Oui.

 

CONSEIL : C’est toujours une arrestation?

 

Demandeur principal : Oui, ils m’ont arrêté, c’est ce que nous disons.

 

 

[58]           Comme je l’ai mentionné, la transcription de l’audience n’étaye pas vraiment la conclusion défavorable tirée par la Commission sur la crédibilité du demandeur principal quant à savoir s’il avait été détenu ou non. Ce problème est d’autant plus grave que la Commission n’a pas tenu compte des certificats du Comité international de la Croix‑Rouge et de la lettre du maire de Beit Sahour qui appuyaient les prétentions du demandeur principal.

 

[59]           Il convient également de mentionner que la Commission a fait plus tard une autre erreur dans son traitement de la preuve documentaire, plus précisément lorsqu’elle s’est fondée sur celle‑ci pour conclure qu’il n’existait aucune preuve que le Hamas pratiquait le recrutement forcé. Comme l’ont souligné les demandeurs, la recherche dont il est question dans ces documents était limitée et ne traitait pas des conséquences d’un refus de joindre le Hamas. Par conséquent, contrairement à la conclusion de la Commission, cette preuve n’indique pas clairement que le Hamas ne se livrait pas au recrutement forcé. En fait, on reconnaissait expressément qu’il aurait fallu davantage de temps pour évaluer les conséquences d’un refus de joindre le Hamas.

 

[60]           Il est bien établi que lorsque la crédibilité d’un demandeur suscite des réserves, le décideur peut tirer une conclusion défavorable en cette matière en se fondant sur le fait que ce demandeur n’a présenté aucune preuve documentaire corroborant ses allégations (voir Richards c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1391, par. 23, [2011] ACF no 1697). Cependant, dans les cas où certains éléments contredisent cette conclusion, le décideur doit les prendre en compte. Comme l’a expliqué la juge Judith Snider dans Abdul c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 260, par. 15, [2003] ACF no 352 :

La Commission peut tirer des conclusions raisonnables en se fondant sur les invraisemblances, le bon sens et la rationalité et elle peut rejeter des éléments de preuve non contestés s’ils ne sont pas compatibles avec les probabilités qui touchent l’affaire dans son ensemble (voir les arrêts Aguebor, précité, et Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.) (QL)). Bien que la Commission puisse même rejeter des éléments de preuve non contestés, elle ne peut pas omettre de prendre en compte des éléments de preuve qui expliquent les incohérences apparentes et tirer alors une conclusion défavorable quant à la crédibilité (voir l’arrêt Owusu‑Ansah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 442 (C.A.) (QL)). […]

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[61]           Ainsi, étant donné que la Commission n’a pas tenu compte de la preuve documentaire étayant les prétentions du demandeur principal, et compte tenu de la transcription de l’audience susmentionnée, j’estime que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable sur la crédibilité des déclarations du demandeur principal à propos de la différence entre « être détenu » et « être arrêté ». Comme dans Karayel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1305, [2010] ACF no 1624, je conclus que cette « preuve qui n’a pas été mentionnée est d’une telle importance que le défaut par la Commission d’en tenir compte dans ses motifs justifie l’intervention de la Cour. La décision de la Commission doit donc être annulée » (par. 18). Je suis donc d’avis d’accueillir le présent contrôle judiciaire et de renvoyer l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

 

[62]           En raison de ma conclusion sur cette question, il est inutile que j’examine la dernière question.

 

[63]           Aucune des parties n’a souhaité me soumettre une question grave de portée générale aux fins de certification.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


ANNEXE

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) À qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5843‑11

 

INTITULÉ :                                                  EMAN HANNA ALHAYEK

                                                                        NIZAR H A ALHAYEK

                                                                        HANNA ALHAYEK

                                                                        MAJDI NIZAR ALHAYEK

                                                                        FADI ALHAYEK

 

                                                                        ‑ et ‑

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 29 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 25 septembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lobat Sadrehashemi

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Helen Park

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Elgin, Cannon & Associates

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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