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Date : 20120926

Dossier : IMM‑7113‑11

Référence : 2012 CF 1130

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 septembre 2012

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

DOMINGO ANTONIO CABREJA SANCHEZ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision, en date du 23 septembre 2011, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la Loi ou celle de personne à protéger aux termes du paragraphe 97(1) de la Loi. La Commission fondait sa décision sur sa conclusion que le demandeur était exclu de la protection accordée aux réfugiés par application de l’article 98 de la Loi et de l’alinéa 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention sur les réfugiés).

 

[2]               Le demandeur sollicite l’annulation de la décision de la Commission et le renvoi de l’affaire à un tribunal différemment constitué pour que celui‑ci rende une nouvelle décision. Il réclame également le droit de présenter des observations complémentaires actualisées.

 

Contexte

 

[3]               Le demandeur, Domingo Antonio Cabreja Sanchez, est un citoyen de la République dominicaine.

 

[4]               En avril 1992, le demandeur a déménagé aux États-Unis. Il y a rencontré Anna Reyes, avec qui il a commencé à faire vie commune en 1997. Deux fils et une fille sont nés de leur union. Le demandeur a également deux filles d’une relation antérieure et un fils d’une relation plus récente.

 

[5]               En 1998, le demandeur a été reconnu coupable de voie de fait armée. Il a plaidé coupable à l’accusation de voie de fait avec intention de causer des lésions corporelles et a été condamné à trois ans de probation. En 2004, il a été reconnu coupable de possession d’une substance avec l’intention d’en faire le trafic et a été condamné à cinq ans de probation. En raison de cette sentence, le demandeur a fait l’objet d’une mesure d’expulsion en République dominicaine en mai 2008.

 

[6]               À son retour en République dominicaine, le demandeur a commencé à fréquenter dans sa ville natale une femme qui, sans qu’il le sache, était la maîtresse d’un général de l’armée. Le 15 mars 2009, le général a surpris le demandeur et sa maîtresse dans le lit de cette dernière. Le demandeur a pris la fuite par la fenêtre et s’est caché chez un ami.

 

[7]               Le lendemain de l’incident, trois hommes cagoulés se sont présentés au domicile du père du demandeur, à la recherche de ce dernier. Après leur départ, le père du demandeur a appelé son fils pour l’avertir et lui demander de ne pas rentrer à la maison. Le même jour, des personnes se sont introduites par effraction au domicile du demandeur et ont causé des dommages. Des voisins ont par la suite raconté au père du demandeur que des personnes se trouvant à bord d’une voiture étaient passées à vitesse réduite devant la maison et avaient regardé à l’intérieur trois ou quatre fois par jour. Le demandeur n’a donc pas pu rentrer chez lui pour récupérer son passeport.

 

[8]               Le 18 mars 2009, avec l’aide d’un ami, le demandeur a pris un vol à destination de Toronto muni d’une carte d’identité dominicaine. À son arrivée au Canada sans passeport, le demandeur a été détenu et interrogé. Le demandeur a ensuite été envoyé au centre de détention Metro West.

 

[9]               Le 24 mars 2009, le demandeur a fait l’objet d’un contrôle des motifs de sa détention. Les autorités ont ordonné son maintien en détention pour s’assurer qu’il comparaîtrait à son enquête. L’ex‑épouse du demandeur l’a aidé à se trouver un avocat, qui lui a rendu visite le 25 mars 2009.

 

[10]           Le 13 avril 2009, le demandeur a fait l’objet d’une mesure d’exclusion. Le 27 avril 2009, le demandeur a reçu pour instruction de se présenter en vue de son renvoi le 2 mai 2009. Le 28 avril 2009, le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision du délégué du ministre de prendre une mesure d’exclusion contre lui.

 

[11]           Le 29 avril 2009, le demandeur a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Le lendemain, il a déposé une requête visant à obtenir un sursis à l’exécution de son renvoi. Le 1er mai 2009, j’ai prononcé une ordonnance sursoyant à l’exécution du renvoi du demandeur.

 

[12]           Le 29 juin 2009, le demandeur a été informé que le défendeur ne s’opposerait pas à sa requête en autorisation. Le demandeur a été remis en liberté le 2 juillet 2009.

 

[13]           Le 17 août 2009, le demandeur a déposé un avis de désistement de sa demande d’autorisation après avoir conclu une entente avec le défendeur. En échange, la mesure d’exclusion a été annulée et le demandeur a été autorisé à présenter une demande d’asile.

 

[14]           L’audience relative à la demande d’asile du demandeur a eu lieu le 14 juillet 2011.

 

Décision de la Commission

 

[15]           La Commission a rendu sa décision le 23 septembre 2011. Elle a refusé de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger. La Commission fondait sa décision sur sa conclusion que le demandeur était une personne visée à l’alinéa 1Fb) de la Convention sur les réfugiés et qu’il était par conséquent exclu de la protection accordée aux réfugiés.

 

[16]           La Commission a tout d’abord relevé les déclarations de culpabilité antérieures du demandeur prononcées aux États‑Unis. En ce qui concerne la première déclaration de culpabilité, la Commission a conclu que le témoignage du demandeur comportait de nombreuses contradictions et divergences. Par exemple, le témoignage du demandeur était contradictoire quant au moment où il avait lancé le tube de plastique à la victime et à la question de savoir si la victime avait donné des coups de pied dans une fenêtre ou dans une porte. La Commission a conclu qu’il n’avait pas été démontré, selon la prépondérance de probabilités, que l’incident s’était produit de la manière relatée par le demandeur ni qu’il a été provoqué par le comportement de la victime.

 

[17]           En ce qui concerne l’arrestation de 2004, la Commission a pris acte du témoignage du demandeur suivant lequel il n’avait vendu des stupéfiants que temporairement lorsqu’il était en chômage, et ce, pour aider sa famille à payer les médicaments de sa mère malade. La Commission a toutefois fait observer qu’aucune source indépendante n’avait encore corroboré, à la date de l’audience, la situation d’emploi du demandeur ou l’état de santé des membres de sa famille à l’époque en cause. Le demandeur a expliqué qu’il n’avait pas cru nécessaire de fournir ces renseignements. La Commission a écarté cette explication et estimé qu’elle était nettement insuffisante compte tenu de la grande importance que revêtent les circonstances dans les cas d’une demande d’asile.

 

[18]           Malgré le fait que l’avocat du demandeur a demandé un délai d’une semaine pour soumettre des documents corroborants, la Commission a jugé qu’il n’avait pas été démontré que le demandeur avait expliqué de façon suffisante les raisons pour lesquelles il n’avait pas soumis ces éléments de preuve en temps utile avant l’audience. À l’appui de cette conclusion, la Commission a fait observer que le demandeur était représenté à l’époque en cause par un avocat expérimenté en matière d’immigration et de demandes d’asile. Qui plus est, des documents corroborants détaillés avaient été présentés à l’égard des allégations relatives au droit d’asile. La Commission a estimé qu’on pouvait en conclure que le demandeur était conscient de l’importance de déposer les documents à l’avance. Enfin, la Commission a également relevé plusieurs divergences entre le témoignage du demandeur et ce qu’il avait écrit dans la section de son Formulaire de renseignements personnels (FRP) relative à ses antécédents professionnels. La Commission a indiqué qu’il n’avait pas été démontré que la capacité du demandeur de se souvenir de ces délais et faits importants était diminuée ou compromise pour quelque raison que ce soit.

 

[19]           La Commission a conclu que, même si le demandeur avait fini de purger ses peines, il ne pouvait bénéficier du droit d’asile aux termes de l’alinéa 1Fb) de la Convention sur les réfugiés. La Commission a également estimé qu’il n’avait pas été démontré qu’il existait des circonstances atténuantes suffisantes pour pouvoir conclure que les antécédents criminels du demandeur aux États‑Unis n’équivalaient pas à des crimes graves de droit commun, eu égard à l’ensemble des circonstances de l’espèce. La Commission a conclu que les crimes commis par le demandeur étaient des crimes graves en droit canadien et que le fait qu’il a pu purger une ou plusieurs peines ne le soustrayait pas à la conclusion qu’il était exclu de la protection accordée aux réfugiés.

 

Questions en litige

 

[20]           Le demandeur soumet les questions suivantes :

            1.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en n’appréciant pas l’équivalent canadien des déclarations de culpabilité au criminel du demandeur aux États‑Unis?

            2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en n’appréciant pas les facteurs énoncés dans Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, [2008] ACF no 1740?

            3.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en refusant d’accepter que des éléments soient communiqués après l’audience?

 

[21]           Je reformulerais comme suit les questions en litige :

            1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne procédant pas à l’analyse de l’équivalence canadienne des déclarations de culpabilité du demandeur aux É.‑U.?

            3.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en évaluant la gravité, en droit canadien, des déclarations de culpabilité du demandeur?

 

Observations écrites du demandeur

 

[22]           Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en n’évaluant pas l’équivalent canadien de ses déclarations de culpabilité au criminel aux É.‑U., en n’évaluant pas des facteurs pertinents et en refusant d’accepter les documents qu’il voulait communiquer après la clôture de l’audience. Le demandeur affirme que toutes ces questions ont trait à l’équité procédurale et qu’elles sont donc assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte. Il ajoute qu’en cas de manquement aux principes de justice naturelle ou d’équité procédurale au cours du processus de prise d’une mesure d’exclusion visant un ressortissant étranger, la mesure d’exclusion est invalide et doit être annulée.

 

[23]           Sur la première question, le demandeur soutient que la Commission n’a pas correctement énoncé ses déclarations de culpabilité. Les documents communiqués par le ministre sur lesquels la Commission s’est fiée n’indiquent pas clairement si le demandeur a été déclaré coupable de voie de fait armée, de voie de fait causant des lésions corporelles ou de voie de fait causant des blessures corporelles par négligence. Ainsi, la conclusion de la Commission suivant laquelle le demandeur avait été reconnu coupable de voie de fait armée est inexacte. Pour déterminer si les déclarations de culpabilité du demandeur visaient des crimes graves de droit commun, il était impératif que la Commission fonde sa décision sur des faits exacts. Comme la Commission a négligé de le faire et qu’elle n’a pas non plus analysé les équivalences de ses déclarations de culpabilité américaines en droit criminel canadien, sa décision est viciée.

 

[24]           Le demandeur fait valoir qu’à l’audience, son avocat a consacré beaucoup de temps à comparer les déclarations de culpabilité américaines et canadiennes. Les observations formulées par son avocat ont permis de douter que les déclarations de culpabilité américaines équivalaient à des crimes graves de droit commun au Canada. Le demandeur affirme également que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve qu’il avait soumis pour déterminer s’il existait des motifs sérieux justifiant ses déclarations de culpabilité antérieures.

 

[25]           Sur la deuxième question, le demandeur soutient que la Commission n’a pas procédé à une analyse appropriée conformément aux consignes données dans l’arrêt Jayasekara, précité. Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale a expliqué que les décideurs devaient tenir compte de cinq facteurs qui étaient susceptibles de réfuter la présomption de l’existence d’un crime grave de droit commun, à savoir : l’évaluation des éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et, enfin, les circonstances atténuantes et aggravantes sous‑jacentes à la déclaration de culpabilité.

 

[26]           Dans le cas qui nous occupe, le demandeur affirme que la Commission n’a pas évalué le mode de poursuite ni les éléments constitutifs du crime et qu’elle a commis une erreur dans son appréciation des circonstances atténuantes. En ce qui concerne la gravité de l’infraction, le demandeur affirme qu’il a expliqué les présumées contradictions que comportait sa version des faits en ce qui concerne sa première déclaration de culpabilité à l’audience, lorsqu’il a corrigé l’interprète. La Commission a commis une erreur en ignorant le fait que l’arme en question était un tube en plastique et que le demandeur avait écopé d’une peine peu sévère et n’avait pas été condamné à une peine d’emprisonnement.

 

[27]           Enfin, sur la troisième question, la Commission a demandé à l’audience au demandeur s’il avait des éléments de preuve pour corroborer la raison qu’il avait donnée pour expliquer sa déclaration de culpabilité de 2004 pour trafic de stupéfiants. L’avocat du demandeur a demandé un ajournement d’une semaine pour obtenir ces éléments de preuve. Bien que la Commission ait refusé d’acquiescer à cette demande, l’avocat du demandeur a quand même soumis les documents en question une semaine après l’audience.

 

[28]           Le demandeur affirme que le refus de la Commission d’accepter les éléments de preuve qui ont été produits après l’audience était déraisonnable compte tenu des retards importants déjà accumulés dans ce dossier et du temps que la Commission avait mis avant de rendre sa décision (75 jours). Qui plus est, la Commission n’a pas tenu compte de la valeur probante des documents avant de décider de les rejeter. Le demandeur soutient qu’en agissant de la sorte, la Commission a commis une erreur.

 

Observations écrites du défendeur

 

[29]           Selon le défendeur, l’interprétation de l’article 98 de l’alinéa 1Fb) de la Convention sur les réfugiés est une question de droit dont le contrôle doit se faire selon la norme de la décision correcte. En revanche, la conclusion de la Commission suivant laquelle le demandeur est visé à l’alinéa 1Fb) est une question mixte de fait et de droit assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

 

[30]           Suivant le défendeur, il est de jurisprudence constante qu’une audience portant sur l’exclusion prévue à l’alinéa 1Fb) implique une charge de preuve différente de celle de la preuve hors de tout doute raisonnable qui s’applique dans le cas d’un procès criminel. Dans le cas d’une audience portant sur l’alinéa 1Fb), la Commission n’a besoin que d’être convaincue qu’il existe des raisons sérieuses de considérer que l’intéressé a commis un crime grave de droit commun. Cette norme est plus exigeante que celle du simple soupçon, mais moins stricte que celle de la prépondérance des probabilités.

 

[31]           Le défendeur soutient qu’à la différence des enquêtes visant à déterminer si l’intéressé est interdit de territoire au sens de la Loi, la SPR n’a pas besoin de procéder à une analyse de l’équivalence en ce qui concerne l’exclusion. Le demandeur peut tenter de réfuter la présomption selon laquelle un crime est grave en invoquant les facteurs énumérés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Jayasekara, précité. Toutefois, la jurisprudence n’exige pas que la Commission procède à un nouvel examen de la preuve qui a été présentée au tribunal compétent pour vérifier si l’intéressé a été légitimement reconnu coupable.

 

[32]           Le défendeur affirme que le demandeur n’a pas réfuté la présomption de la gravité de ses crimes parce que son récit n’était pas crédible et qu’il n’a fourni aucun élément de preuve corroborant.

 

[33]           En résumé, le défendeur fait valoir que la décision de la Commission était raisonnable. La Commission a évalué et apprécié la preuve présentée par le demandeur et estimé qu’elle n’était ni crédible ni digne de foi. Par conséquent, la Commission a conclu qu’il existait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun.

 

Analyse et décision

 

[34]           Question 1

            Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            Lorsque la jurisprudence a déjà arrêté la norme de contrôle applicable à une question particulière soumise au tribunal, la cour de révision peut adopter cette norme (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[35]           Il est bien établi que la norme de contrôle appropriée dans le cas des questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 798, [2008] ACF no 995, au paragraphe 13; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43). Il est également bien établi que l’interprétation de l’article 98 de la Loi et que l’alinéa 1Fb) de la Convention sur les réfugiés est une question de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Pineda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 454, [2010] ACF no 538, au paragraphe 18). Il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence envers les décideurs à l’égard e telles questions (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 50).

 

[36]           En revanche, l’application de l’article 98 et de l’alinéa 1Fb) aux faits d’une affaire déterminée est une question mixte de fait et de droit qui est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (voir la décision Pineda, précitée, au paragraphe 18; et Jawad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 232, [2012] ACF no 232, au paragraphe 21).

 

[37]           Lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision de la Commission en appliquant la norme de la décision raisonnable, la Cour ne devrait intervenir que si la Commission a tiré une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable et intelligible et que cette conclusion n’appartient pas aux issues raisonnables pouvant se justifier au vu de la preuve dont elle disposait (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59). Il n’appartient pas à la cour de révision d’imposer sa propre conception du résultat préférable ni de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve (arrêt Khosa, précité, aux paragraphes 59 et 61).

 

[38]           Question 2

            La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne procédant pas à l’analyse de l’équivalence canadienne des déclarations de culpabilité du demandeur aux É.‑U.?

            Cette question découle du libellé de l’alinéa 1Fb) de la Convention sur les réfugiés, qui dispose :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

 

. . .

 

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

 

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

 

. . .

 

(b) He has committed a serious non‑political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

 

 

 

[39]           Le demandeur affirme que la Commission n’a pas procédé à une analyse des équivalents en droit criminel canadien de ses déclarations de culpabilité aux États‑Unis pour déterminer si les crimes qu’il avait commis étaient des crimes graves au sens de l’alinéa 1Fb). Selon le demandeur, cette omission constitue une erreur de droit. À l’appui de cet argument, il cite deux décisions. Dans Raina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 19, [2011] ACF no 247, la juge Elizabeth Heneghan a conclu que « [l]’omission d’appliquer correctement le critère pour déterminer l’équivalence des infractions criminelles dans le cadre de l’alinéa 1(F)b) de la Convention constitue une erreur susceptible de contrôle » (au paragraphe 7). Au paragraphe 8, la juge Heneghan a renvoyé à une décision antérieure, Hill c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1987), 73 NR 315, [1987] ACF no 47 (CA) dans laquelle étaient énoncés les critères servant à déterminer l’équivalence des infractions :

Il me semble que, étant donné la présence des termes « qui constitue [...] une infraction [...] au Canada », l’équivalence peut être établie de trois manières : tout d’abord, en comparant le libellé précis des dispositions de chacune des lois par un examen documentaire et, s’il s’en trouve de disponible, par le témoignage d’un expert ou d’experts du droit étranger pour dégager, à partir de cette preuve, les éléments essentiels des infractions respectives; en second lieu, par l’examen de la preuve présentée devant l’arbitre, aussi bien orale que documentaire, afin d’établir si elle démontrait de façon suffisante que les éléments essentiels de l’infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères, que les mêmes termes soient ou non utilisés pour énoncer ces éléments dans les actes introductifs d’instance ou dans les dispositions légales; en troisième lieu, au moyen d’une combinaison de cette première et de cette seconde démarches.

 

 

[40]           Ainsi, contrairement à ce que prétend le demandeur, la décision Raina, précitée, n’indique pas que le défaut de procéder à une analyse constitue une erreur susceptible de révision, mais plutôt que c’est l’application incorrecte de ce critère, si tant est qu’il est appliqué, qui constitue une erreur susceptible de révision. Il y a également lieu de signaler que, dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Pulido Diaz, 2011 CF 738, [2011] ACF no 926, au paragraphe 13, le juge Michael Phelan a fait observer que, dans l’arrêt Hill, précité, la Cour d’appel fédérale n’avait pas traité de l’alinéa 1Fb), ce qui semble donner à penser que l’analyse de l’équivalence n’est pas exigée lorsqu’il s’agit de rendre une décision fondée sur l’alinéa 1Fb) (comme nous le verrons plus loin).

 

[41]           L’autre décision invoquée par le demandeur est Iliev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 395, [2005] ACF no 493. Là encore, contrairement à ce que prétend le demandeur, l’erreur susceptible de révision dans l’affaire Iliev, précitée, n’était pas celle de ne pas avoir procédé à l’analyse des équivalences. La juge Heneghan a plutôt conclu que « [l]e problème que soulève la conclusion de la Commission à cet égard est que cette conclusion a été tirée sans quaucune preuve nait été présentée au sujet de l’équivalence entre le droit criminel bulgare et le droit criminel canadien » (au paragraphe 6). Ainsi, l’erreur susceptible de révision mentionnée dans la décision Iliev, précitée, était le fait que la décision avait été rendue sans qu’aucune preuve ne soit présentée.

 

[42]           Pour revenir au cas qui nous occupe, la Commission a clairement énoncé les motifs sur lesquels elle s’était fondée pour conclure que le demandeur avait été déclaré coupable de crimes graves (au paragraphe 18) :

Pour parvenir à cette conclusion, je me suis appuyé dans une large mesure sur les observations et la réponse de la conseil du ministre. J’ai notamment été guidé par son analyse de ce qui constitue un crime grave au Canada, et je souscris à son opinion. Je conclus que les crimes commis par le demandeur d’asile sont des crimes graves au sens du droit canadien [...] [Non souligné dans l’original.]

 

 

[43]           Ainsi, même si elle n’a pas procédé à une analyse de l’équivalence comme telle, la Commission s’est fondée sur les observations formulées par le défendeur pour conclure que les déclarations de culpabilité dont le demandeur avait fait l’objet aux États‑Unis se rapportaient à des crimes graves. Dans ses observations, le ministre a mentionné les antécédents criminels du demandeur aux États‑Unis dont il était fait état dans un relevé provenant des services de renseignements criminels américains. Ce relevé était joint à l’avis présenté par le ministre le 19 mai 2011 pour signifier son intention d’intervenir. Sur ce relevé, il était indiqué que le demandeur avait été accusé en 1998 de l’infraction visée à l’article « PL 120.05 SUB 02 » et, en 2004, de celle prévue à l’article « PL 220.39 SUB 01 ».

 

[44]           Dans ses observations, le ministre a expliqué que, si elle avait été commise au Canada, l’infraction visée à l’article PL 120.05 SUB 02 des lois de l’État de New York équivaudrait à l’infraction prévue à l’article 267 du Code criminel, en l’occurrence agression armée ou infliction de lésions corporelles. Il s’agit au Canada d’un acte criminel dont l’auteur est passible d’un emprisonnement maximal de dix ans. De plus, si elle avait été commise au Canada l’infraction prévue à l’article PL 220.39 SUB 01 des lois de l’État de New York équivaudrait à celle prévue au paragraphe 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, en l’occurrence trafic d’une substance prévue à l’annexe 1 (cocaïne). Il s’agit au Canada d’un acte criminel dont l’auteur est passible d’un emprisonnement à perpétuité.

 

[45]           Dans ses observations, le ministre affirme également que la Cour d’appel fédérale a laissé entendre, sans se prononcer de façon explicite sur la question, qu’un crime grave de droit commun doit être assimilé à un crime pour lequel la peine maximale serait une peine d’emprisonnement d’au moins dix ans si le crime avait été commis au Canada (Chan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 CF 390, [2000] ACF no 1180 (CA) au paragraphe 9; et Xie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1023, [2003] ACF no 1372, conf. par 2004 CAF 250, [2004] ACF no 1142, au paragraphe 27).

 

[46]           Dans le même ordre d’idées, dans l’arrêt Jayasekara, précité, la Cour d’appel fédérale a fait observer :

40        Pour déterminer si une demande d’asile est irrecevable devant la Section de la protection des réfugiés pour cause de « grande criminalité », l’alinéa 101(2)b) de la LIPR exige que l’intéressé ait fait l’objet d’une déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada, pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins 10 ans. Il faut y voir une forte indication de la part du législateur que le Canada, en tant que pays d’accueil, considère les crimes entraînant ce type de sanction comme des crimes graves. Dans le cas d’un crime commis à l’extérieur du Canada, l’alinéa 101(2)b) ne tient pas compte de la durée de la peine effectivement infligée. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[47]           Ainsi, selon la jurisprudence actuelle, l’infraction punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins 10 ans en droit canadien constituerait probablement un crime grave au sens de l’alinéa 1Fb). Il semble que s’ils avaient été commis au Canada, les deux crimes pour lesquels le demandeur a été reconnu coupable répondraient à cette définition.

 

[48]           En résumé, la Commission a explicitement déclaré qu’elle se fiait aux observations du défendeur, et notamment sur celles du ministre, pour conclure que les crimes pour lesquels le demandeur avait été condamné aux États‑Unis constituaient des crimes graves de droit commun au Canada. Les observations du ministre étaient fondées sur les antécédents judiciaires du demandeur aux États‑Unis ainsi que sur une analyse comparative des dispositions législatives de l’État de New York et de celles de la législation canadienne. Le premier volet de l’analyse de l’équivalence prévue dans l’arrêt Hill, précité, était donc respecté, et ce, même si, au moment où ce critère a été expliqué dans l’arrêt Hill, il ne concernait pas une conclusion relative à l’alinéa 1Fb) (bien qu’il ait été cité dans la décision Raina, précitée, qui, elle, portait sur l’alinéa 1Fb)). De plus, les antécédents judiciaires du demandeur et les dispositions législatives de l’État de New York étaient joints à l’avis d’intention d’intervenir du ministre. Ainsi, contrairement à la situation qui existait dans l’affaire Iliev, précitée, la Commission disposait en l’espèce d’éléments de preuve lorsqu’elle a accepté l’analyse de l’équivalence présentée par le ministre dans ses observations.

 

[49]           Néanmoins, ainsi que le ministre l’a fait observer, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse de l’équivalence dans le cas d’une décision d’exclusion rendue en vertu de l’article 98 de la Loi. À l’appui de son argument, le défendeur fait valoir que l’article 36 de la Loi exige explicitement que l’on procède à une analyse de l’équivalence alors qu’il n’existe pas d’obligation semblable à l’article 98 de la Loi. Il se fonde également sur la décision Vlad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 172, [2007] ACF no 241, dans laquelle la juge Judith Snider fait observer ce qui suit sur cette question :

21     […] Bien que la Commission ait discuté des éléments de l’infraction canadienne, elle n’a pas procédé expressément à une analyse équivalente du droit de la Roumanie et de l’alinéa 120a) du Code criminel, comme la Commission doit le faire, de l’avis du demandeur.

 

[22] Cet argument passe à côté de l’objectif de l’analyse effectuée par la Commission. Il n’est pas nécessaire que le droit étranger soit tout à fait équivalent à celui qui régit l’infraction canadienne pertinente. Les textes législatifs étrangers ne permettent pas d’établir, aux fins de l’immigration canadienne, si un crime grave de droit commun a été perpétré, quoiqu’ils puissent être utiles pour évaluer le crime. Il faut d’abord et avant tout s’employer à établir si les gestes du demandeur peuvent être considérés comme des crimes en vertu du droit canadien. Le libellé d’une loi étrangère pertinente peut être utile, mais ne doit pas nécessairement être identique. En l’espèce, je suis convaincue que la Commission a effectué l’analyse nécessaire.

 

[23] La Commission n’a pas commis d’erreur dans l’approche utilisée pour évaluer l’exclusion.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[50]           Ainsi, j’estime que la Commission n’a pas commis d’erreur en ne procédant pas à sa propre analyse ou en se fondant sur les observations formulées par le ministre sur la façon dont les déclarations de culpabilité du demandeur aux É.‑U. seraient considérées en droit canadien. Il convient de signaler que ces dernières observations reposaient sur des éléments de preuve non contestés portant sur les antécédents judiciaires du demandeur ainsi que sur les dispositions législatives de l’État de New York.

 

[51]           Question 3

            La Commission a‑t‑elle commis une erreur en évaluant la gravité, en droit canadien, des déclarations de culpabilité du demandeur?

            Dans sa décision, la Commission a décrit comme suit les déclarations de culpabilité du demandeur (au paragraphe 4) :

En 1998, le demandeur d’asile a été reconnu coupable de voies de fait armées aux États-Unis, ce qui lui a valu une probation de trois ans. Il a plaidé coupable à l’accusation de voies de fait avec intention de causer un préjudice physique. En 2004, toujours aux États‑Unis, il a été reconnu coupable de possession d’une substance en vue d’en faire le trafic, et il a été en probation pendant cinq ans. Il semble avoir négocié le plaidoyer de culpabilité pour ces deux infractions.

 

 

[52]           Comme nous l’avons déjà mentionné, la Commission s’est fondée sur la qualification que le ministre avait donnée des déclarations de culpabilité du demandeur (articles PL 120.05 SUB 02 et PL 220.39 SUB 01 des lois de New York). Ce sont les accusations de voies de fait que l’on trouvait sur le relevé des services de renseignements judiciaires américains. En revanche, les déclarations de culpabilité qui ont effectivement été inscrites concernaient des infractions prévues aux articles PL 120.00 NO SUB et PL 220.06 NO SUB. La Commission a reconnu en partie les différences qui existaient entre les accusations et les déclarations de culpabilité en déclarant (au paragraphe 4) : [le demandeur] semble avoir négocié le plaidoyer de culpabilité pour ces deux infractions ». Cette conclusion correspond au témoignage que le demandeur a donné à l’audience suivant lequel son avocat américain avait réussi à négocier des peines plus légères pour les deux infractions en question.

 

[53]           Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte des peines pour lesquelles il avait effectivement été condamné plutôt que les accusations dont il avait fait l’objet.

 

[54]           Les différences qui existent entre les accusations et les peines effectivement infligées ont été abondamment analysées dans la jurisprudence. Dans l’arrêt Jayasekara, la Cour d’appel fédérale a fait observer ce qui suit :

41        Je suis d’accord avec l’avocate de l’intimé pour dire que, si aux termes de la section Fb) de l’article premier de la Convention, il faut tenir compte de la durée de la peine infligée ou du fait qu’elle a été purgée, il ne faut pas considérer ces facteurs isolément. Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles une peine clémente peut effectivement être prononcée même pour un crime grave, ce qui ne diminue en rien la gravité du crime commis. […]

 

[42] [...] un examen isolé d’une peine clémente par une autorité chargée de la révision donnerait une image déformée de la gravité du crime dont le contrevenant a été reconnu coupable.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[55]           Plus récemment, dans la décision Pineda, précitée, la juge Johanne Gauthier a déclaré :

24     Enfin, il est bon de citer le passage suivant des motifs du juge Décary dans Zrig au paragraphe 129 :

 

[…] Il s’ensuit que l’article 1Fb) permet d’exclure tout autant les auteurs de crimes graves de droit commun qui cherchent à utiliser la Convention pour échapper à la justice locale, que les auteurs de crimes graves de droit commun qu’un État juge indésirable d’accueillir sur son territoire, qu’ils cherchent ou non à fuir une justice locale, qu’ils aient ou non été poursuivis pour leurs crimes, qu’ils aient ou non été reconnus coupables de ces crimes ou qu’ils aient ou non purgé la sentence qui leur aurait été imposée relativement à ces crimes. [Souligné dans l’original.]

 

[25] Cela paraît logique étant donné que les inculpations peuvent être rejetées pour diverses raisons, notamment des questions de procédure, le rejet de preuves essentielles pour des raisons procédurales ou simplement parce que l’accusé a soulevé un doute raisonnable. La Convention n’a pas adopté la norme stricte applicable aux poursuites pénales et la SPR peut fort bien estimer que les preuves présentées par le ministre, qui ne seraient peut‑être pas admissibles devant une cour de justice, sont suffisantes pour donner de sérieuses raisons de penser que le demandeur a effectivement commis un crime grave.

 

 

[56]           Il est également bien établi que le critère préliminaire de preuve à respecter pour décider s’il existe des raisons sérieuses de considérer qu’un demandeur d’asile a, avant de demander l’asile au Canada, commis un crime grave de droit commun est peu exigeant (décision Pineda, précitée, au paragraphe 27). Ainsi que le juge Richard Mosley l’explique dans la décision Jawad, précitée, au paragraphe 27 :

Le critère des raisons sérieuses de penser que le demandeur d’asile a commis un crime grave de droit commun au sens de l’alinéa b) de la section F de l’article premier s’apparente à la norme de preuve des motifs raisonnables de croire. Cette norme exige davantage que de simples soupçons, mais est moins stricte que celle de la prépondérance des probabilités en matière civile (Ramirez c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 CF 306 (CAF), aux paragraphes 4 à 6). Pour satisfaire à ce critère, il faut soumettre des renseignements concluants et dignes de foi (Mugeresa c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2005 CSC 40, au paragraphe 114). [Non souligné dans l’original.]

 

 

[57]           Ainsi, en me fondant sur la norme peu exigeante qui s’applique dans le cas des audiences relatives à l’exclusion et en tenant compte de la déférence dont il convient de faire preuve envers la Commission à cet égard, je conclus que la Commission a tiré une conclusion raisonnable quant à la gravité des crimes commis aux États‑Unis par le demandeur eu égard à l’ensemble de la preuve dont elle disposait.

 

[58]           Dès lors qu’un crime est considéré comme étant grave au sens de l’alinéa 1Fb), le demandeur peut chercher à écarter cette conclusion en abordant les facteurs énumérés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Jayasekara, précité, au paragraphe 44 :

Je crois que les tribunaux s’entendent pour dire que l’interprétation de la clause d’exclusion de la section Fb) de l’article premier de la Convention exige, en ce qui concerne la gravité du crime, que l’on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous‑jacentes à la déclaration de culpabilité. […] [Non souligné dans l’original.]

 

 

[59]           Dans le cas qui nous occupe, le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur dans son analyse en n’évaluant pas le mode de poursuite et les éléments constitutifs du crime et qu’elle a également commis une erreur dans son évaluation des circonstances atténuantes. Il rappelle qu’il a expliqué les présumées contradictions que contenait son récit au sujet de sa déclaration de culpabilité de 1998. Le demandeur affirme également que la Commission n’a pas tenu compte du fait que l’arme qu’il avait utilisée pour commettre l’infraction pour laquelle il a été déclaré coupable en 1998 était un tube en plastique et qu’il avait écopé d’une peine clémente et n’avait pas été condamné à une peine d’emprisonnement pour ce crime. En revanche, le défendeur fait valoir que le demandeur n’a pas réussi à réfuter la présomption de la gravité de ses crimes, étant donné que son récit n’était pas crédible et qu’il n’a fourni aucune preuve corroborante.

 

[60]           Dans son analyse, la Commission a examiné le témoignage du demandeur au sujet des deux incidents et a conclu qu’il était contradictoire dans les deux cas. Cette analyse se rattachait principalement au facteur des circonstances atténuantes énoncé dans l’arrêt Jayasekara, précité.

 

[61]           Concernant la déclaration de culpabilité de 1998, le demandeur a expliqué que l’incident avait été précipité par les agissements de la victime. La Commission a toutefois écarté cette explication en grande partie à cause d’incohérences mineures. Elle a fait observer qu’à un moment donné, le demandeur avait dit que la victime avait donné des coups dans une porte alors qu’à un autre moment il avait dit qu’elle avait donné des coups dans une fenêtre. Il s’agit d’une contradiction extrêmement mineure, compte tenu notamment du fait que, partout ailleurs dans son témoignage, le demandeur parle d’une fenêtre et qu’il ne mentionne la porte qu’une seule fois. La Commission a également conclu que le témoignage du demandeur était contradictoire en ce qui concerne l’identité de la personne qui sortait au moment où il a lancé le tube en plastique. Il ressort toutefois d’un examen de la transcription de l’audience que cette contradiction était également mineure et qu’il est plus probable que le contraire que le demandeur et sa victime quittaient tous les deux la pièce au moment où il a lancé le tube en plastique.

 

[62]           Bien qu’il ne s’agisse que de contradictions mineures, il est bien établi qu’il y a lieu de faire preuve d’une grande retenue envers les conclusions tirées sur des questions de crédibilité. Les conclusions tirées au sujet de la crédibilité ne devraient être infirmées que dans les cas les plus flagrants (Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1330, [2011] ACF no 1633, au paragraphe 30). Ainsi, bien que ces contradictions soient mineures, la décision de la Commission ne peut être qualifiée de déraisonnable en raison de cette seule conclusion.

 

[63]           En ce qui concerne la déclaration de culpabilité de 2004, le demandeur a expliqué que, comme il avait perdu son emploi et qu’il était le seul soutien de sa famille en République dominicaine et devait notamment payer les frais médicaux de sa mère, il n’avait pas d’autre choix que de vendre des stupéfiants pour faire un peu d’argent. La Commission a fait observer qu’aucune preuve ne lui avait été présentée pour corroborer les allégations du demandeur au sujet de sa perte temporaire d’emploi et du fait qu’il devait subvenir aux besoins de sa famille et s’occuper de sa mère malade. Elle a rejeté les explications du demandeur suivant lesquelles il estimait qu’il n’était pas nécessaire de présenter ces éléments de preuve.

 

[64]           J’estime à cet égard que la Commission est arrivée à une décision tout à fait raisonnable. La question du chômage temporaire du demandeur contredisait clairement les renseignements qu’il avait inscrits dans la section de son FPR relative à ses antécédents professionnels. Il n’y avait indiqué aucune période de chômage pour la période en cause. De plus, le demandeur a expliqué dans son témoignage que David Auto Shop avait fermé ses portes en 2003, ce qui avait provoqué son chômage et l’avait contraint à vendre des stupéfiants. Or, dans son FPR, il avait affirmé qu’il avait travaillé pour David Auto Body Shop de 2001 à 2005. Il s’agit là d’une contradiction flagrante importante.

 

[65]           Il vaut également la peine de signaler que l’audience relative au demandeur s’est ouverte le 31 mai 2011. Toutefois, comme la question de l’exclusion ne faisait pas partie du formulaire d’examen initial, l’audience a été reportée pour permettre au ministre de formuler des observations sur cette question. Avant le report de l’audience, l’avocat du demandeur a reconnu que [traduction] « le demandeur d’asile est au courant de la question de l’exclusion et de ses répercussions ou des éventuelles répercussions pour lui ». Je conclus donc que la Commission a tiré une conclusion raisonnable en rejetant l’explication du demandeur suivant laquelle il n’était pas au courant. Le demandeur a de toute évidence reconnu l’importance de cette question et, par conséquent, l’importance de déposer des éléments de preuve suffisants à ce sujet longtemps avant l’ouverture de l’audience.

 

[66]           J’estime donc que la Commission a tiré une conclusion raisonnable en ce qui concerne le facteur des circonstances atténuantes lorsqu’elle a évalué la gravité des crimes du demandeur. L’absence de crédibilité s’applique également à la conclusion tirée par la Commission au sujet des facteurs des éléments constitutifs du crime et des faits, dont il est question dans l’arrêt Jayasekara, précité. Enfin, en ce qui concerne les facteurs du mode de poursuite et de la peine prévue, la Commission a précisé les infractions canadiennes équivalentes aux inculpations si les crimes avaient été commis au Canada. Comme nous l’avons déjà mentionné, la Commission a pris acte du fait que les peines étaient clémentes, mais a souligné qu’elles avaient été réduites par suite des négociations entamées par le demandeur. Il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer cette conclusion vu l’ensemble de la preuve dont elle disposait. Je conclus donc que la Commission a correctement évalué les facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara et qu’elle a rendu une décision raisonnable en estimant qu’en l’espèce, ces facteurs ne permettaient pas d’écarter sa conclusion suivant laquelle les crimes du demandeur étaient graves. Pour tous ces motifs, je suis d’avis de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[67]           Aucune des parties n’a souhaité me soumettre une question grave de portée générale en vue de sa certification.


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives applicables

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] RT Can no 6, article 1

 

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

 

. . .

 

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

 

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

 

. . .

 

(b) He has committed a serious non‑political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑7113‑11

 

INTITULÉ :                                                  DOMINGO ANTONIO CABREJA SANCHEZ

 

                                                                        ‑ et ‑

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 9 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 26 septembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Wazana

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Khatidja Moloo‑Alam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Wazana Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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