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Date : 20120926

Dossier : IMM-8697-11

Référence : 2012 CF 1132

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 septembre 2012

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

ISTVAN HORVATH

NARANTUYA OYUNTSETSEG

CATHERINA NARA HORVATH (une mineure) ISTVAN ENRIQUE HORVATH (un mineur)

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), d’une décision datée du 27 octobre 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la Loi, ni des personnes à protéger aux termes du paragraphe 97(1) de la Loi. La Commission a déterminé que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État en Hongrie, et que la demanderesse ne craignait pas avec raison d’être persécutée dans l’éventualité d’un retour en Mongolie.

 

[2]               Les demandeurs demandent l’annulation de la décision de la Commission et le renvoi de l’affaire à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

 

Contexte

 

[3]               Istvan Horvath, le demandeur principal, est un citoyen rom de la Hongrie. Narantuya Oyuntsetseg, la demanderesse, est l’épouse du demandeur principal. Elle est citoyenne de la Mongolie et résidente permanente de la Hongrie. Les enfants du couple, Catherina Nara Horvath et Istvan Enrique Horvath, citoyens de la Hongrie, sont les demandeurs mineurs.

 

[4]               La demanderesse est née en Mongolie. Ses parents ont divorcé lorsqu’elle était très jeune. Après le divorce, la mère a pris ses deux enfants et s’est cachée de leur père pour fuir la violence familiale et les agressions sexuelles. Toutefois, le père les a retrouvés et les a agressés encore. Pour échapper à d’autres agressions, la mère de la demanderesse a immigré en Hongrie avec ses deux enfants. La demanderesse avait neuf ans à son arrivée en Hongrie. Là-bas, elle a été victime d’agressions et de discrimination en raison de son origine ethnique.

 

[5]               La demanderesse a rencontré le demandeur principal en 1999. Ils ont emménagé ensemble peu après. Comme ils formaient un couple de nationalité mixte, ils ont fait l’objet de graves formes de discrimination et de harcèlement de la part de skinheads et de la Garde hongroise. De surcroît, leurs parents s’opposaient à leur relation.

 

[6]               En 2000, la demanderesse est tombée enceinte. Son fils, le demandeur mineur Istvan, est né en novembre de cette année‑là. L’année suivante, la demanderesse est encore tombée enceinte. Au quatrième mois de sa grossesse, deux jeunes garçons ont lâché leur chien sur elle pendant qu’elle marchait dans la rue. Elle a trouvé refuge dans un magasin, mais le stress de l’incident a provoqué une fausse couche.

 

[7]               En 2004, la famille a déménagé dans un autre district dans l’espoir d’y être plus en sécurité. Toutefois, en 2005, deux policiers ont un jour arrêté le demandeur principal alors qu’il rentrait chez lui après le travail. Les policiers lui ont demandé de donner son identité et lui ont aussi demandé s’il était rom. Quand le demandeur principal a répondu par l’affirmative, les policiers l’ont battu. Le demandeur principal a demandé aux policiers de lui indiquer leurs matricules afin de pouvoir signaler l’incident, mais ils ont refusé et l’ont menacé de représailles. Apeuré, le couple a déménagé encore en septembre 2005.

 

[8]               En 2007, un soir d’été, le couple et leur fils mineur marchaient dehors quand un groupe de skinheads les ont remarqués et ont commencé à crier après eux. Les membres de la famille ont tenté de s’échapper, mais les skinheads les ont poursuivis. Ils ont empoigné le demandeur principal et commencé à le battre. Quand le demandeur principal s’est évanoui, les agresseurs se sont enfuis. En raison de ce qui s’était passé avec la police en 2005, le demandeur principal n’a pas signalé l’incident. Le couple a plutôt commencé à chercher une nouvelle demeure et, trois mois plus tard, il a emménagé dans une maison en rangée, à environ 40 kilomètres plus loin.

 

[9]               Un soir de novembre 2008, la demanderesse rentrait seule à la maison quand elle a été attaquée par deux skinheads, qui l’ont agressée sexuellement et qui lui ont proféré des insultes racistes. Elle a pu s’échapper et se rendre à un arrêt d’autobus, où elle s’est plainte à un policier. Le policier s’est toutefois contenté de lui demander ses pièces d’identité, et n’a pas voulu recevoir la plainte de la demanderesse ni la raccompagner chez elle. Les demandeurs n’ont pas signalé cet incident à la police.

 

[10]           Afin de protéger leur famille contre d’autres attaques aux mains des skinheads et de la Garde hongroise, les demandeurs ont décidé de quitter la Hongrie. Le couple ne voulait pas aller en Mongolie, de peur d’être là‑bas la cible du père de la demanderesse. Quand l’année scolaire du fils mineur a pris fin, le couple s’est donc organisé pour partir au Canada. Les membres de la famille sont arrivés ici le 29 juillet 2009. Le jour d’après, ils ont présenté des demandes d’asile fondées sur leur appartenance aux minorités ethniques en Hongrie.

 

[11]           Les demandes d’asile des demandeurs ont été instruites le 4 octobre 2011.

 

Décision de la Commission

 

[12]           La Commission a rendu sa décision le 27 octobre 2011. L’avis de décision a été envoyé aux demandeurs le 8 novembre 2011. La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. La Commission a évalué les demandes d’asile conjointes du demandeur principal et des enfants mineurs eu égard à la Hongrie, et a évalué la demande d’asile de la demanderesse eu égard à la Mongolie. La Commission a indiqué qu’elle avait lu et examiné les observations écrites de l’avocat.

 

[13]           La Commission a tout d’abord résumé les allégations des demandeurs. Elle a noté que le demandeur principal avait perdu confiance dans les forces policières après l’incident de 2005, et que cet incident avait été suivi en 2007 par une agression commise par des skinheads. La Commission a aussi pris note des raisons qui avaient poussé la demanderesse à quitter la Mongolie, de l’attaque de 2001 à l’origine de la fausse couche de la demanderesse et de l’attaque subséquente perpétrée par des skinheads en 2008.

 

[14]           La Commission a par la suite examiné la question de la protection offerte par l’État. Elle a passé en revue la preuve documentaire montrant la discrimination généralisée pratiquée contre les Roms en Hongrie et a fait remarquer que, dans ce contexte, elle devait déterminer si le demandeur principal avait accès à une protection adéquate de l’État en Hongrie. La Commission a estimé que la question déterminante concernait la présomption voulant qu’un État est capable de protéger ses citoyens. La Commission a indiqué qu’elle n’avait pas l’obligation de prouver que la Hongrie pouvait offrir aux demandeurs une protection adéquate de l’État. Les demandeurs avaient plutôt le fardeau de réfuter la présomption de protection adéquate de l’État en présentant des éléments de preuve clairs et convaincants, qui permettraient à la Commission de trancher selon la prépondérance des probabilité.

 

[15]           Après avoir fait mention des principes juridiques pertinents, la Commission a conclu que le demandeur principal ne s’était pas acquitté de ce fardeau. Le demandeur principal a témoigné n’avoir jamais cherché à obtenir la protection de la police en Hongrie parce qu’il avait perdu confiance dans les forces policières après l’incident de 2005, a noté la Commission. La Commission a estimé que le demandeur principal avait été déraisonnable en ne portant pas plainte contre ces policiers. Elle a aussi relevé le fait que le demandeur principal n’avait pas signalé l’attaque de 2007. Étant donné que cet incident n’avait pas été signalé, la Commission a conclu que la présomption de protection adéquate de l’État n’avait pas été réfutée.

 

[16]           De même, étant donné que la demanderesse n’avait pas signalé l’attaque de 2001, incident à l’origine de sa fausse couche, la Commission a aussi conclu que la présomption de protection de l’État n’avait pas été réfutée. Selon la Commission, si la demanderesse n’avait pas été traitée de manière satisfaisante par le policier à qui elle s’était adressée après l’attaque de 2008, elle aurait dû se rendre au poste de police pour signaler l’incident. Comme la demanderesse n’avait pas déployé tous les efforts raisonnables pour se réclamer de la protection de l’État, la Commission a conclu que la présomption de protection adéquate de l’État n’avait pas été réfutée.

 

[17]           La Commission a également estimé que le témoignage du demandeur principal concernant l’efficacité de la protection de l’État n’était pas convaincant parce que ce témoignage n’était pas crédible, qu’il était en grande partie non corroboré et qu’il ne correspondait pas à la preuve documentaire. La Commission a privilégié la preuve documentaire, car elle avait été établie à même une vaste gamme de documents publics, provenant d’organisations fiables, tant gouvernementales que non gouvernementales.

 

[18]           La Commission a fait remarquer que la preuve documentaire était mitigée quant au caractère adéquat de la protection de l’État accordée aux Roms en Hongrie. Elle a reconnu que des incidents répandus d’intolérance, de discrimination et de persécution à l’encontre des Roms en Hongrie étaient signalés. En revanche, des éléments de preuve convaincants indiquaient que la Hongrie reconnaissait avoir eu des problèmes par le passé, mais qu’elle faisait de sérieux efforts pour corriger la façon dont les minorités ethniques étaient traitées au pays.

 

[19]           De l’avis de la Commission, la prépondérance des éléments de preuve objectifs laissait croire que, même si elle n’était pas parfaite, la protection offerte par la Hongrie aux Roms qui étaient victimes de criminalité, d’abus de pouvoir de la part des policiers, de discrimination et de persécution était adéquate, que la Hongrie faisait des efforts sérieux pour régler ces problèmes, et que la police et les représentants du gouvernement voulaient et pouvaient protéger les victimes.

 

[20]           La Commission a souligné les réformes juridiques et politiques amorcées par la Hongrie en 1993. Elle a noté que les tribunaux avaient récemment ordonné la dissolution de la Garde hongroise, une organisation nationaliste extrémiste. La Commission indépendante des plaintes contre la police (la Commission des plaintes) a été mise en œuvre en 2008 pour examiner les plaintes visant des actions policières. Le Centre européen de défense des droits des Roms, une organisation non gouvernementale, a décrit la Commission des plaintes comme étant crédible et indépendante. Toutefois, la Commission a reconnu que, selon certaines critiques, la police n’avait donné suite qu’à un petit nombre des recommandations formulées par la Commission des plaintes. La Commission a en outre fait remarquer que le gouvernement de la Hongrie avait mis en œuvre plusieurs initiatives afin de régler les problèmes de corruption au sein de la police et de mettre en place des mécanismes pour traiter les plaintes déposées par le public.

 

[21]           La Commission a fait observer que le Bureau national des enquêtes s’était penché sur une série d’agressions physiques commises contre les Roms en 2008 et en 2009, et que des accusations criminelles avaient été portées au terme de cette enquête. Il était également possible d’avoir recours à l’Autorité pour l’égalité de traitement, aux commissaires parlementaires, à l’association des policiers roms et aux tribunaux. De plus, la Commission a noté que le gouvernement de la Hongrie avait pris un certain nombre de mesures d’ordre juridique et institutionnel afin d’améliorer la situation de la minorité rom au pays.

 

[22]           De plus, a fait observer la Commission, la Hongrie avait été critiquée pour la façon dont elle avait mis en œuvre ses lois pour lutter contre la discrimination et la persécution des minorités. Si la Commission a reconnu que ces critiques étaient peut‑être méritées, elle a noté que la Hongrie faisait partie de l’Union européenne (UE) et qu’elle devait donc appliquer certaines normes pour maintenir son appartenance à l’UE. Dans un rapport publié en 2009, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance a félicité la Hongrie pour ses réalisations, souligné certaines préoccupations et formulé des recommandations concernant des mesures à prendre.

 

[23]           Après avoir examiné « l’ensemble des éléments de preuve », la Commission a déterminé que, dans les circonstances de l’espèce, le demandeur principal n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants. La Commission a donc conclu que les demandes conjointes présentées par le demandeur principal et les demandeurs mineurs devaient être rejetées au titre des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[24]           La Commission a ensuite examiné la demande d’asile de la demanderesse eu égard à la Mongolie. La Commission a déclaré qu’elle avait examiné et appliqué les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe pour rendre sa décision. La question déterminante à trancher dans le cadre de l’analyse au titre de l’article 96, selon la Commission, concernait l’existence d’un lien et d’une crainte fondée de persécution.

 

[25]           La Commission a estimé que la demanderesse ne craignait pas avec raison d’être persécutée dans l’éventualité d’un retour en Mongolie aujourd’hui. La définition de réfugié au sens de la Convention est de nature prospective, a mentionné la Commission, et la crainte doit être raisonnablement justifiée compte tenu de la situation objective. La Commission a conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour établir que la demanderesse risquerait sérieusement d’être persécutée si elle devait retourner en Mongolie.

 

[26]           La Commission a pris note du témoignage de la demanderesse concernant l’agression sexuelle qu’elle avait subie aux mains de son père avant d’immigrer en Hongrie. La Commission a remarqué que ce fait n’était pas relaté dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) de la demanderesse. Toutefois, au vu des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, la Commission a accepté l’explication de la demanderesse, qui affirmait que la honte l’avait empêchée de relater ce fait parce que son mari n’était pas au courant de l’agression.

 

[27]           La demanderesse a aussi témoigné qu’elle ne connaissait pas le nom ni les allées et venues de son père. Elle supposait simplement qu’il se trouvait en Mongolie. Par contre, elle a aussi affirmé que des membres de la famille de sa mère avaient vu son père en état d’ébriété. Quand elle a été priée de dire pourquoi elle n’avait pas relaté ce fait dans son FRP, la demanderesse a expliqué qu’elle n’avait pas jugé nécessaire de le mentionner. La Commission a estimé que cette explication était déraisonnable, était donné que le fait portait sur un élément central de ses prétentions, à savoir que son persécuteur serait toujours enclin à la persécuter aujourd’hui. De l’avis de la Commission, cette omission minait la crédibilité de la demanderesse. Elle a conclu ce qui suit :

Comme celle-ci vit à l’extérieur de la Mongolie depuis environ 20 ans, qu’elle ignore même le nom de son père, et que ce dernier, à supposer qu’il soit encore en vie, ne la reconnaîtrait pas, ou ne serait pas quant à cela motivé ou enclin à la persécuter, j’estime que l’épouse du demandeur d’asile n’a pas réussi à établir un fondement objectif à une crainte justifiée de persécution dans l’éventualité d’un retour en Mongolie.

 

 

Par conséquent, la Commission a conclu que la demande d’asile de la demanderesse devait être rejetée au titre de l’article 96 de la Loi.

 

[28]           La Commission a par la suite examiné la demande d’asile présentée par la demanderesse au titre de l’article 97 de la Loi. La Commission a déterminé que la demanderesse n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était plus probable que le contraire qu’elle soit exposée à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumise à la torture si elle devait retourner en Mongolie. La Commission a donc conclu que la demande d’asile présentée par la demanderesse au titre de l’article 97 de la Loi devait aussi être rejetée.

 

[29]           Enfin, la Commission a examiné les observations de l’avocat selon lesquelles la demande d’asile de la demanderesse était visée par l’exception à la perte de l’asile prévue au paragraphe 108(4) de la Loi. La Commission a constaté que cette question avait été soulevée pour la première fois dans les observations de l’avocat, et non pas à l’audience. La Commission a quand même traité de cette question.

 

[30]           La Commission a estimé que la demanderesse n’avait pas établi l’existence de raisons impérieuses au titre du paragraphe 108(4) de la Loi. Pour arriver à cette conclusion, la Commission a considéré le degré d’atrocité des actes infligés à la demanderesse ainsi que leurs répercussions sur son état physique et mental, et évalué si cette expérience en soi constituait ou non une raison impérieuse pour la demanderesse de ne pas retourner en Mongolie.

 

[31]           La Commission a rappelé sa conclusion précédente voulant que les éléments de preuve dont elle disposait n’étaient pas suffisants pour établir que les expériences vécues par la demanderesse avaient été atroces et épouvantables. La Commission a signalé l’absence de documentation à l’appui, comme un rapport psychologique, qui lui aurait permis de déterminer l’existence ou l’absence de répercussions sur l’état physique ou mental de la demanderesse. Par conséquent, la Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas établi que sa demande d’asile était visée par l’exception prévue au paragraphe 108(4) de la Loi.

 

Questions en litige

[32]           Selon les demandeurs, les questions en litige sont les suivantes :

            1.         La Commission a‑t‑elle fait une analyse déraisonnable de la protection de l’État :

                        a) en concluant que les demandeurs n’avaient pas réussi à établir que la police hongroise ne pourrait pas ou ne voudrait pas les protéger?

                        b) en se fondant sur les mesures prises par le gouvernement hongrois pour protéger les Roms plutôt que sur l’efficacité de ces mesures?

            2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant à l’absence de raisons impérieuses pour lesquelles la demanderesse ne devrait pas retourner en Mongolie?

 

[33]           Je reformulerais les questions comme suit :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État?

            3.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la demande d’asile de la demanderesse n’était pas visée par l’exception prévue au paragraphe 108(4) de la Loi?

 

Observations écrites des demandeurs

 

[34]           Les demandeurs affirment que les questions soulevées par la présente demande sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

[35]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis deux erreurs dans son analyse de la protection de l’État.

 

[36]           Tout d’abord, les demandeurs affirment que la Commission a déterminé de manière déraisonnable qu’ils n’avaient pas produit d’éléments de preuve clairs et convaincants établissant que la police hongroise ne pourrait pas ou ne voudrait pas les protéger. Les demandeurs soutiennent que la Commission a omis de tenir dûment compte des raisons pour lesquelles ils ne s’étaient pas tournés vers la police, à savoir les expériences passées qui leur avaient fait perdre confiance dans la capacité et la volonté de la police hongroise de les protéger.

 

[37]           Les demandeurs soulignent que la Commission n’avait pas mis en doute le témoignage du demandeur principal concernant l’incident de 2005 avec la police. Par conséquent, en concluant qu’il était déraisonnable pour le demandeur principal de ne pas avoir dénoncé la conduite de la police et de ne pas avoir signalé un incident ultérieur à la police, la Commission a omis d’attribuer le poids qui convenait à l’expérience passée du demandeur principal avec la police hongroise.

 

[38]           Les demandeurs affirment en outre que la Commission a commis une erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas déployé tous les efforts raisonnables pour obtenir la protection de l’État après avoir été agressée en 2008. Les demandeurs rappellent que la demanderesse a bien abordé un policier, qui lui a demandé ses papiers d’identité au lieu de l’aider. De l’avis des demandeurs, la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse avait omis de signaler l’incident était abusive et déraisonnable. Les demandeurs ajoutent que la Commission n’avait pas remis en question la crédibilité du récit de la demanderesse.

 

[39]           Selon les demandeurs, compte tenu de leur expérience passée avec la police et du fait que les citoyens roms ont généralement le sentiment que la police ne les aidera pas, ils avaient de bonnes raisons de ne pas faire confiance à la police et de croire qu’il était inutile de s’adresser à elle. Pour l’ensemble de ces raisons, les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en concluant qu’ils n’avaient pas réussi à établir que la police ne pourrait pas et ne voudrait pas les protéger.

 

[40]           Deuxièmement, les demandeurs soutiennent que la Commission a conclu de manière déraisonnable, à la suite de son examen de la preuve sur la situation au pays, que le gouvernement de la Hongrie avait récemment adopté une gamme de mesures suffisantes pour protéger les droits des citoyens roms.

 

[41]           D’après les demandeurs, la Commission a commis une erreur en se fondant sur les mesures prises et les efforts déployés par la Hongrie pour édicter des lois et des politiques malgré la preuve montrant l’inefficacité de ces lois et de ces politiques. Par exemple :

            – La Commission a fait abstraction du fait qu’un tribunal hongrois avait jugé inconstitutionnelles les tentatives entreprises par le gouvernement pour criminaliser les discours haineux.

            – Comme l’a reconnu la Commission, la Commission des plaintes a été durement critiquée, la police n’ayant donné suite qu’à un petit nombre des recommandations formulées.

            – L’ombudsman des minorités a été critiqué pour la portée limitée de ses mesures correctives.

            – Les recours légaux devant les tribunaux demandent beaucoup de temps, et les tribunaux sont très peu disposés à reconnaître les dommages non matériels.

            – La preuve sur la situation au pays révèle que les services d’aide juridique offerts gratuitement aux clients roms sont soumis à des restrictions qui limitent leur efficacité.

            – Comme l’a reconnu la Commission, les initiatives lancées par le gouvernement de la Hongrie en ce qui concerne l’éducation, l’emploi, le logement, la santé et la participation politique des Roms ont été qualifiées d’inefficaces.

 

[42]           Bien que la Commission ait accepté les éléments de preuve clairs montrant l’inefficacité des efforts déployés par le gouvernement, elle a conclu que la Hongrie, en sa qualité de membre de l’UE, devait maintenir certaines normes. Les demandeurs affirment que cette conclusion ne répondait pas à la question de savoir si une protection adéquate de l’État leur était offerte.

 

[43]           Selon la preuve, affirment les demandeurs, il reste à prouver que les changements adoptés par le gouvernement de la Hongrie ont été efficacement mis en pratique. Il était donc déraisonnable pour la Commission de se fonder sur les efforts déployés par la Hongrie en vue de protéger ses citoyens roms, à la lumière de la preuve montrant l’inefficacité de ces efforts.

 

[44]           Les demandeurs ajoutent que la Commission a aussi commis une erreur en déterminant qu’il n’y avait pas de raisons impérieuses, au sens du paragraphe 108(4) de la Loi, pour lesquelles la demanderesse ne devrait pas retourner en Mongolie. En rendant sa décision, la Commission n’a pas examiné la situation dans sa totalité. Les demandeurs signalent que la Commission a accepté le fait que la demanderesse avait été victime de violence familiale et d’agression sexuelle de la part de son père. Selon les demandeurs, il était donc déraisonnable pour la Commission de se fonder sur l’absence de preuve psychologique concernant l’état mental de la demanderesse pour déterminer que les éléments de preuve ne permettaient pas d’établir que ces agressions étaient suffisamment atroces et épouvantables.

 

Observations écrites du défendeur

 

[45]           Le défendeur soutient que la Commission n’a ni ignoré, ni mal interprété la preuve, et qu’elle n’a pas non plus tiré de conclusions de fait abusives ou arbitraires dans son appréciation de la protection de l’État et des raisons impérieuses au titre du paragraphe 108(4) de la Loi.

 

[46]           Le défendeur affirme que la conclusion de la Commission sur la protection de l’État était raisonnable. Il souligne que les demandeurs n’ont pas cherché à obtenir la protection de l’État et qu’ils ont reconnu que la Commission avait examiné les éléments de preuve concernant les incidents particuliers sur lesquels ils s’étaient fondés pour appuyer leurs demandes d’asile. Les demandeurs sont simplement en désaccord avec la Commission sur son appréciation de la preuve.

 

[47]           Le défendeur soutient que la Commission a évalué l’absence d’efforts déployés par les demandeurs en vue d’obtenir la protection de l’État conformément à la jurisprudence de la Cour. Selon cette jurisprudence, une répugnance subjective à demander la protection de l’État ne suffit généralement pas à réfuter la présomption de protection de l’État. D’après la preuve documentaire, la Commission a estimé que les croyances du demandeur principal à propos de l’efficacité de la protection de l’État n’étaient pas convaincantes.

 

[48]           Le défendeur ajoute que la Commission n’a pas commis d’erreur dans son évaluation de la disponibilité de la protection de l’État en Hongrie. Il est bien établi en droit qu’il s’agit d’une question de fait, appréciée au cas par cas. Il est présumé que la Commission a apprécié et examiné l’ensemble de la preuve, à moins que le contraire ne soit établi. En l’espèce, la Commission a déclaré avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve avant de rejeter les demandes d’asile des demandeurs. La décision révèle que la Commission a fait un examen minutieux et détaillé de la preuve et du dossier documentaire. La Commission a tenu compte des observations écrites de l’avocat. Elle a reconnu que le dossier documentaire comportait des incohérences et a aussi reconnu l’existence de pratiques inefficaces, de discrimination et de corruption en Hongrie. En procédant de la sorte, la Commission a conclu raisonnablement que la protection de l’État était adéquate en Hongrie.

 

[49]           De plus, le défendeur affirme que l’affaire Bors c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1004, [2010] ACF no 1242, sur laquelle se fondent les demandeurs, se distingue de la présente espèce. Le défendeur souligne que dans Bors, précitée, les demandeurs avaient d’abord été reconnus à titre de réfugiés au sens de la Convention, décision qui avait été annulée quand ils sont retournés en Hongrie. Quand ils sont revenus plus tard au Canada et ont déposé une nouvelle demande d’asile, monsieur le juge Michel Shore a conclu que l’agente d’ERAR n’avait pas évalué adéquatement la situation personnelle des demandeurs dans le contexte de la preuve documentaire. En revanche, dans la présente affaire, le défendeur soutient que les demandeurs n’ont pas démontré que la Commission avait fait abstraction de la preuve ou tiré des conclusions erronées à propos de la protection de l’État, au vu de la preuve au dossier.

 

[50]           Le défendeur ajoute que la présente affaire n’est pas centrée sur une conclusion de persécution passée, la Commission n’ayant pas tiré une telle conclusion. En outre, les paragraphes 108(1) et 108(4) de la Loi ne changent rien au critère établi au titre des articles 96 et 97 de la Loi. La seule question que devait trancher la Commission consistait à déterminer, en se fondant sur la preuve au dossier, la mesure dans laquelle les demandeurs craignaient avec raison d’être persécutés. Selon le défendeur, la Commission a fait remarquer à juste titre que l’asile est de nature prospective et a raisonnablement conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour établir que la demanderesse craignait avec raison d’être persécutée dans l’éventualité d’un retour en Mongolie aujourd’hui.

 

[51]           Le défendeur affirme que le paragraphe 108(4) de la Loi s’applique seulement quand il a été déterminé que, si ce n’était du changement de situation survenu dans le pays, les demandeurs d’asile auraient été déclarés personnes à protéger. De plus, comme l’a noté la Commission, le critère est rigoureux lorsqu’il s’agit d’établir l’existence de raisons impérieuses au sens du paragraphe 108(4), et l’exception prévue par cette disposition ne s’applique qu’à une petite minorité de demandeurs. Le défendeur soutient qu’il était tout à fait loisible à la Commission de rendre une telle décision compte tenu de l’absence de preuve au dossier.

 

Analyse et décision

 

[52]           Première question

            Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont elle est saisie est déjà établie dans la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[53]           Il est bien établi en droit que les questions touchant la protection de l’État ainsi que la pondération, l’interprétation et l’appréciation de la preuve sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Giovani Ipina Ipina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 733, [2011] ACF no 924, au paragraphe 5; et Oluwafemi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1045, [2009] ACF no 1286, au paragraphe 38). L’évaluation faite par la Commission au titre de l’article 108 de la Loi est également susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Garcia Rivadeneyra c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 845, [2010] ACF no 1042, au paragraphe 20).

 

[54]           Lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision de la Commission en appliquant la norme de la raisonnabilité, la Cour ne doit intervenir que si la Commission a tiré une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable et intelligible et qui n’appartient pas aux issues acceptables, vu la preuve qui lui avait été présentée (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59). Il n’appartient pas à la cour siégeant en révision de substituer sa propre opinion d’une issue préférable à celle qui a été retenue, ni n’entre-t-il dans ses attributions de soupeser à nouveau les éléments de preuve (voir Khosa, précité, aux paragraphes 59 et 61).

 

[55]           Deuxième question

            La Commission a-t-elle commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État?

            Il est bien établi qu’il incombe aux demandeurs de démontrer, selon la prépondérance des probabilités et en s’appuyant sur une preuve pertinente, digne de foi et convaincante, que la protection accordée par leur pays d’origine est inadéquate (voir Ipina, précitée, au paragraphe 10; et Bors, précitée, au paragraphe 52). En outre, à défaut d’effondrement complet de l’appareil étatique, les demandeurs ont l’obligation de mettre à l’épreuve l’efficacité de la protection avant de douter de son existence (voir Ipina, précitée, au paragraphe 12; et Valerio Cueto c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 805, [2009] ACF no 917, aux paragraphes 25 et 26).

[56]           Dans sa décision, la Commission a mentionné l’expérience vécue par le demandeur principal en 2005 quand deux policiers l’ont battu et menacé, l’attaque de 2007 non signalée par le demandeur principal, l’attaque de 2001 non signalée par la demanderesse, incident à l’origine de sa fausse couche, et l’incident subséquent de 2008 quand deux skinheads ont attaqué la demanderesse, qui n’a pas obtenu d’aide de la part du policier à qui elle s’était adressée. La Commission a passé ces incidents en revue et conclu que les demandeurs n’avaient pas fait tous les efforts raisonnables pour obtenir la protection de l’État.

 

[57]           Ce faisant, la Commission a reconnu la croyance des demandeurs selon laquelle la police hongroise ne les aiderait pas en raison de leur origine ethnique. Toutefois, elle a estimé que le témoignage du demandeur principal sur l’efficacité de la protection de l’État en Hongrie n’était pas convaincant parce qu’il n’était pas crédible, qu’il était en grande partie non corroboré et qu’il ne correspondait pas à la preuve documentaire. Ainsi, contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, la Commission a bel et bien examiné les raisons qu’ils avaient données afin d’expliquer pourquoi ils ne s’étaient pas tournés vers la police.

 

[58]           De surcroît, en examinant la preuve documentaire, la Commission a explicitement indiqué qu’elle était mitigée. Toutefois, après avoir longuement examiné la preuve, la Commission a conclu que la Hongrie avait adopté plusieurs mesures et initiatives pour corriger le problème de la discrimination exercée contre les minorités au pays et que les demandeurs disposaient de certains recours, dont ils ne s’étaient pas servis.

 

[59]           Les demandeurs attirent l’attention sur certaines parties de la décision de la Commission et soutiennent que celle‑ci a commis une erreur en se fondant sur les efforts déployés par la Hongrie, malgré la preuve montrant l’inefficacité de ces efforts. Toutefois, après examen de la décision de la Commission et de la preuve au dossier, j’estime que la Commission a mené une analyse transparente, justifiable et intelligible de la preuve et qu’elle est parvenue en définitive à une conclusion qui appartenait bien aux issues acceptables, au vu de la preuve qui lui avait été présentée. Il est bien établi en droit qu’il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, et qu’il est de la compétence de la Commission d’accorder plus de poids à certains éléments de preuve qu’à d’autres (voir Bors, précitée, au paragraphe 54).

 

[60]           Je constate aussi que les demandeurs se fondent sur la décision Bors, précitée, rendue par la Cour. Cette affaire concernait aussi des demandeurs d’asile roms de la Hongrie. Monsieur le juge Shore avait examiné la décision rendue par l’agente d’ERAR sur la protection de l’État offerte à ces demandeurs et conclu que l’agente s’était sélectivement fondée sur une partie limitée de la preuve documentaire pour déterminer que la protection de l’État était offerte (au paragraphe 55). Monsieur le juge Shore a conclu ceci (au paragraphe 58) :

L’agente d’ERAR doit au moins évaluer la preuve significative portant sur la détérioration des conditions de vie du peuple rom. Il était déraisonnable pour l’agente d’ERAR de conclure que les agressions envers les Roms ont cessé en Hongrie, en n’expliquant pas comment elle en est arrivée à cette conclusion. Cette constatation est centrale dans la prise de décision, car une décision d’ERAR sert à déterminer s’il existe un risque à renvoyer la personne dans son pays de nationalité, et non s’il y avait un risque au moment de son départ vers le Canada. [Souligné dans l’original.]

 

 

 

[61]           Pour les motifs susmentionnés, je conclus que la Commission n’a pas fait en l’espèce la même erreur que l’agente d’ERAR dans Bors, précitée, et que, par conséquent, la décision Bors, précitée, n’appuie pas les observations des demandeurs.

 

[62]           En résumé, compte tenu des efforts limités déployés par les demandeurs pour obtenir la protection de l’État et de l’examen attentif de la preuve documentaire fait par la Commission, j’estime que la conclusion voulant que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État dont ils pouvaient se réclamer en Hongrie appartenait aux issues acceptables, au vu de la preuve qui avait été présentée à la Commission.

 

[63]           Troisième question

            La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la demande d’asile de la demanderesse n’était pas visée par l’exception prévue au paragraphe 108(4) de la Loi?

            Bien que les demandeurs aient invoqué le paragraphe 108(4) après l’audience seulement, la Commission a analysé cette question dans sa décision. L’objet de cette disposition a été expliqué par monsieur le juge Richard Boivin dans Adel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 344, [2010] ACF no 398, au paragraphe 37 :

Le paragraphe 108(4) de la Loi permet d’accorder l’asile pour des motifs d’ordre humanitaire à la catégorie spéciale et limitée de personnes « qui ont souffert d’une persécution tellement épouvantable que leur seule expérience constitue une raison impérieuse pour ne pas les renvoyer, lors même qu’ils n’auraient plus aucune raison de craindre une nouvelle persécution ». […]

 

 

 

[64]           Une analyse au titre du paragraphe 108(4) s’applique seulement lorsqu’il a été établi qu’un demandeur avait qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger au moment de la persécution, mais qu’il n’a plus cette qualité parce que les raisons pour lesquelles elle lui avait été reconnue n’existent plus (voir Sow c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1313, [2011] ACF no 1603, au paragraphe 62; Adel, précitée, aux paragraphes 37 à 39; et Salazar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 777, [2011] ACF no 976, au paragraphe 31). Le changement doit être survenu dans les conditions observées au pays, et non dans la situation personnelle du demandeur (voir Sow, précitée, au paragraphe 68; et Kozyreva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1013, [2010] ACF no 1253, au paragraphe 19).

 

[65]           Il incombait aux demandeurs d’établir que « des raisons impérieuses [les] empêchaient de retourner dans le pays où [ils avaient] été persécuté[s] dans le passé » (voir Sow, précitée, au paragraphe 64). De plus, il ne suffit pas que les demandeurs affirment avoir subi des gestes qui pourraient constituer de la persécution. La Commission doit en fait conclure que ces gestes ont bel et bien eu lieu et qu’ils constituaient de la persécution (voir Sow, précitée, au paragraphe 66).

 

[66]           En l’espèce, selon la conclusion de la Commission, la demanderesse n’avait pas établi qu’elle avait des raisons impérieuses, tenant à des incidents de persécution antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’elle avait quitté en raison de cette persécution antérieure. Pour tirer cette conclusion, la Commission a considéré le degré d’atrocité des actes infligés à la demanderesse ainsi que leurs répercussions sur son état physique et mental, et évalué si cette expérience constituait ou non une raison impérieuse pour la demanderesse de ne pas retourner en Mongolie. La Commission a finalement déterminé qu’elle ne disposait pas d’éléments de preuve suffisants pour établir que les expériences vécues par la demanderesse étaient atroces et épouvantables. Par conséquent, la Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas établi que sa demande d’asile était visée par l’exception prévue au paragraphe 108(4).

 

[67]           Compte tenu du nombre limité d’éléments de preuve au dossier, j’estime que la Commission a rendu une décision raisonnable quant à l’applicabilité du paragraphe 108(4) dans le cas de la demanderesse. La Commission a souligné l’absence d’éléments de preuve, tel qu’un rapport psychologique, qui lui auraient permis de déterminer l’existence ou l’absence de répercussions sur l’état physique ou mental de la demanderesse. Ces éléments de preuve étaient particulièrement importants pour que la demanderesse puisse établir le bien‑fondé de sa demande, comme en font foi les considérations soulignées par monsieur le juge Luc Martineau dans Suleiman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1125, [2004] ACF no 1354, au paragraphe 19 :

Le degré d’anxiété que vit un demandeur d’asile lorsqu’il pense qu’il sera forcé de retourner d’où il vient dépend de l’état de sa santé (force) mentale. La question à poser à l’égard des « raisons impérieuses » est la suivante : Le demandeur devrait-il être exposé à la toile de fond qu’il a quittée même si les acteurs principaux peuvent ne plus être présents ou ne plus jouer les mêmes rôles? La réponse ne réside pas tellement dans un fait concluant, déterminant et établi, mais plutôt plus dans l’étendue de la douleur intérieure ou de la douleur de l’âme à laquelle un demandeur serait assujetti. La décision, comme toutes les décisions de nature impérieuse, doit s’appuyer sur l’opinion selon laquelle c’est l’état d’esprit du demandeur qui crée le précédent – pas nécessairement le pays, les conditions, ni l’attitude de la population, même si ces facteurs peuvent jouer un rôle. En outre, cette opinion ne comprend pas l’imposition de concepts occidentaux à un phénomène subtil qui trouve sa source dans l’individualité de la nature humaine, une individualité qui est unique et qui s’est développée dans un environnement social et culturel tout à fait différent. Par conséquent, il devrait également être tenu compte de l’âge du demandeur, de ses antécédents culturels et de ses expériences sociales antérieures. La capacité de résister à des conditions défavorables dépendra d’un nombre de facteurs qui diffèrent d’un individu à un autre. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[68]           En l’espèce, la Commission a noté que la demanderesse était jeune quand elle a quitté la Mongolie et qu’environ 20 ans s’étaient écoulés depuis son départ. La transcription de l’audience révèle que la demanderesse sait peu de choses sur son père (dont elle ignore même le nom) et sur ses allées et venues. La Commission ne disposait d’aucun élément de preuve sur l’état psychologique de la demanderesse qui lui aurait permis d’apprécier « l’étendue de la douleur intérieure ou de la douleur de l’âme à laquelle un demandeur serait assujetti » (voir Suleiman, précitée, au paragraphe 19).

 

[69]           En outre, la demanderesse a déclaré à l’audience que des membres de la famille de sa mère avaient vu son père en état d’ébriété. La Commission a cependant accordé peu de poids à cette allégation parce qu’elle ne figurait pas dans le FRP original ou modifié de la demanderesse, même si elle portait sur un élément central de ses prétentions. Je constate aussi que l’allégation n’a été corroborée par aucun élément de preuve, par exemple un affidavit de la mère ou d’un autre membre de la famille de la demanderesse en Mongolie.

 

[70]           Par conséquent, parce qu’il incombait à la demanderesse d’établir qu’elle avait des raisons impérieuses de ne pas retourner en Mongolie et compte tenu de l’absence d’élément de preuve concernant son état psychologique, j’estime que la Commission a tiré une conclusion raisonnable sur cette question. Je fais remarquer en parallèle que la Commission n’avait pas conféré la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger à la demanderesse, et qu’elle n’était donc pas tenue d’effectuer une analyse des raisons impérieuses.

 

[71]           Pour ces motifs, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[72]           Aucune des parties n’a souhaité me soumettre une question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


ANNEXE

 

Dispositions législatives applicables

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

 

 

. . .

 

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

 

. . .

 

(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances :

 

. . .

 

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

 

. . .

 

(4) Paragraph (1)(e) does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment.

 

 


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                        IMM-8697-11

 

INTITULÉ :                                      ISTVAN HORVATH

                                                            NARANTUYA OYUNTSETSEG

                                                            CATHERINA NARA HORVATH (une mineure)

                                                            ISTVAN ENRIQUE HORVATH (un mineur)

 

                                                            - et -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 4 juillet 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 26 septembre 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Korman

 

POUR LES DEMANDEURS

 

A. Leena Jaakkimainen

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Otis & Korman

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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