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Date : 20120926

Dossier : IMM-5531-11

Référence : 2012 CF 1137

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 septembre 2012

En présence de monsieur le juge Lemieux

 

 

ENTRE :

 

PASCAL ÉRIC PATCHELLI GATALI BOUKAKA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction et contexte factuel

[1]               Le demandeur, M. Pascal Boukaka, est un citoyen de la République démocratique du Congo (RDC) dont la demande d'asile a été rejetée le 21 juillet 2011 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la SPR ou le tribunal).

 

[2]               Le présent contrôle judiciaire attaque cette décision. Le tribunal a conclu que le demandeur avait présenté pour l’essentiel des éléments de preuve crédibles, mais que compte tenu des événements survenus après sa fuite de la RDC le 18 juillet 2008 et son arrivée au Canada un mois plus tard, son agent de persécution, le gouvernement de la RDC, n’aurait plus intérêt à le persécuter en raison de ses opinions politiques.

 

[3]               La question centrale dans ce contrôle judiciaire est de déterminer si la SPR a ignoré la preuve que le demandeur a présentée ou s’en est fait une fausse image. Selon cette preuve, après que le demandeur se fut évadé de prison, le ministre de la Justice de la RDC a déclaré en décembre 2008 que tous les individus qui avaient été arrêtés à la suite de la manifestation du 7 juillet 2008 seraient remis en liberté sans subir de procès. La preuve documentaire indique que le 18 décembre 2008, au moins 35 détenus ont été ainsi libérés.

 

II. Les faits

[4]               Le 7 juillet 2008, le demandeur ainsi que plusieurs autres jeunes ont été arrêtés durant une manifestation antigouvernementale spontanée qui s’est déclenchée à l’occasion des funérailles du fondateur du parti politique connu sous le nom de Rassemblement pour la démocratie et le progrès social (RDPS).

 

[5]               Le demandeur a déclaré au tribunal qu’il n’avait pas participé à des activités politiques en RDC avant cette manifestation. Dans son témoignage, il a déclaré avoir été interrogé et violenté par la police, puis relâché le 18 juillet 2008 après que son oncle eut soudoyé un agent de police, lequel a dit à M. Boukaka que sa vie était menacée puisque près de 30 détenus avaient été emmenés et exécutés. Aidé financièrement par son oncle, il a pris la fuite le lendemain et est arrivé au Canada le 5 août 2008 après avoir transité par l’Angola, l’Afrique du Sud et le Royaume-Uni.

 

III. La décision du tribunal

[6]               En se fondant sur un rapport d’Amnistie internationale, le tribunal a conclu que la manifestation avait bien eu lieu et que le demandeur avait été arrêté. Pour ce qui est du nombre de jeunes arrêtés, de leur traitement pendant leur incarcération et du nombre de personnes tuées, le tribunal a préféré s’en remettre au rapport d’Amnistie plutôt qu’au témoignage du demandeur.

 

[7]               Le facteur déterminant dans la décision du tribunal est le fait qu’Amnistie Internationale a rapporté que tous les émeutiers avaient été libérés en décembre 2008 à la suite de protestations des partis d’opposition et des activistes en droits de la personne. Le ministre a de plus déclaré que les personnes remises en liberté ne feraient pas l’objet de poursuites.

 

[8]               Selon le tribunal, la preuve matérielle confirme que le demandeur ne serait pas accusé et inculpé dans l’éventualité où il retournerait en RDC et qu’il n’a établi ni l’existence d’un risque sérieux qu’il soit persécuté pour l’un ou l’autre des motifs prévus à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, ni qu’il s’exposerait à un risque aux termes de l’article 97 de la même loi.

 

IV. La thèse des parties

[9]               Le procureur du demandeur prétend que le tribunal a ignoré une preuve essentielle mise de l’avant par le demandeur.

[10]           Premièrement, le tribunal a ignoré les éléments de preuve suivants dans le témoignage du demandeur (transcription, p. 33):

Donc, ce que vous me dites c’est que vous ne savez pas si la police vous rechercher toujours.

 

Mais, la police me recherche toujours parce que d’abord 1), moi je me suis sauvé; et de 2), le problème n’est pas encore fini. Donc, je me dis que si je repartais aujourd’hui, mais je serais arrêté, vous voyez?

 

Donc, c’est la raison pour laquelle que j’étais parti de là parce que j’ai fui de la prison et pour eux, une personne qui est en prison, vu les tortures, vu tout ce que j’ai vécu, je suis parti de là mais je suis un élément dangereux. Je peux aller n’importe où et publié. Dans un plan, vous avez lu les lettres que le ONG on écrit. Moi aussi, je pouvais aller voir un ONG pour dire la vérité, ce que moi j’avais vécu.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[11]           Deuxièmement, le tribunal a ignoré deux lettres qui ont été versées au dossier : une de l’épouse du demandeur, l’autre de l’oncle du demandeur. Ces deux personnes affirment qu’après que le demandeur se fut évadé de prison, la police, pendant plusieurs semaines, s’est présentée à leur domicile (les deux domiciles étant situés dans des villes différentes) pour chercher à savoir où se trouvait le demandeur.

 

[12]           Troisièmement, le demandeur a aussi affirmé dans son témoignage que la police était à sa recherche et s’était présentée à son domicile (transcription, p. 139 à 142), et il a insisté sur le fait que son épouse s’était enfuie de la capitale Brazzaville, où ils habitaient, pour se cacher chez son oncle.

 

[13]           Quatrièmement, la crainte du demandeur doit être analysée au regard du dossier de la RDC au chapitre des droits de la personne (voir le Country Report on Human Rights Practices de 2009 du HCR – République du Congo, dossier du demandeur, p. 28 à 43).

 

[14]           Le procureur du défendeur fait voir ce qui suit :

a)      Aucune preuve au dossier n'étaye l’allégation selon laquelle le demandeur serait persécuté en tant qu’« évadé » s’il retournait en RDC.

b)      Rien au dossier n'indique que le demandeur a soutenu devant le tribunal qu’il serait persécuté pour cette raison.

 

V. Conclusions

[15]           La présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie pour les motifs suivants.

 

[16]           Premièrement, bien que les parties n’aient pas présenté d’arguments à cet égard, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte vu l’alinéa 18.1(4)d), qui dispose que la Cour peut intervenir si le tribunal a rendu une décision fondée sur une conclusion tirée sans tenir compte des éléments dont il dispose. À mon avis, c’est le cas en l’espèce. Il était en preuve devant le tribunal que le demandeur s’était évadé grâce à un pot-de-vin payé par son oncle. La suspicion dont le demandeur était l’objet de la part de la police est documentée par les lettres de son épouse et de son oncle. De plus, la question a été débattue devant le tribunal.

 

[17]           Le tribunal n’a manifestement pas tenu compte d'éléments de preuve pertinents, lesquels, s’ils avaient été retenus, auraient influé de manière notable sur la décision.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour nouvel examen par un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et la Cour estime que l’affaire n'en soulève aucune.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5531-11

 

INTITULÉ :                                      Pascal ÉRIC Patchelli Gatali Boukaka c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 19 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 26 septembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sharon Stewart Guthrie

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Crane
Barrister & Solicitor

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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