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Date : 20121001

Dossier : IMM-271-12

Référence : 2012 CF 1154

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er octobre 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

HONG BIN SUN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 16 décembre 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). Pour les motifs qui suivent, la présente demande est accueillie.

 

Contexte

 

[2]               Le demandeur est citoyen de la Chine. Il affirme s’être mis à la pratique du Falun Gong à la fin d’octobre 2008 pour gérer une blessure incapacitante et chronique au dos. Il a expliqué qu’il savait que le Falun Gong était illégal, mais son ami l’a assuré que l’on pouvait le pratiquer en secret sans problème. Le demandeur déclare qu’après avoir pratiqué le Falun Gong par lui-même, il s’est joint au groupe de son ami et a assisté à des séances dans différentes résidences. Il déclare que le 25 juillet 2009, le Bureau de la sécurité publique (BSP) a fait une descente au lieu où le groupe s’était réuni. Le demandeur s’est échappé et s’est caché dans une autre ville jusqu’au moment où il a pu quitter le pays. Le 16 novembre 2009, il a demandé l'asile au Canada.

 

[3]               Le demandeur déclare que le BSP s’est présenté à son domicile le 27 juillet 2009 pour l’appréhender et qu’il est toujours à sa recherche. Devant la Commission, il a affirmé que trois membres de son groupe avaient été arrêtés.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

 

[4]               La Commission a conclu que le demandeur manquait de crédibilité, en se fondant sur les considérations suivantes :

·         Interrogé sur les raisons qui l'avaient poussé à s'engager dans le Falun Gong malgré la répression qu’exerçait le gouvernement contre les adeptes du mouvement, le demandeur a répondu qu’il n’était pas conscient de l’étendue du risque. La Commission a estimé que cette réponse n’était pas crédible au motif que la campagne contre le Falun Gong est générale et publique.

·         Le demandeur a déclaré que lui et les autres adeptes n’avaient pas discuté du risque auquel ils s’exposaient. La Commission a estimé que cette déclaration était invraisemblable

·         Le demandeur a dit qu’après la descente de police, il était allé se cacher au domicile de la tante de son épouse, dans une autre ville. La Commission a mis en doute cette affirmation parce que le demandeur avait habité cette ville auparavant et que le BSP aurait donc pu le retracer là aussi en suivant la filière des membres de sa famille. Le demandeur a alors déclaré que cette femme était en fait une vieille amie de son épouse et non pas une parente.

·         Le Hukou (document d’enregistrement des ménages) du demandeur n’indiquait pas qu’il était recherché par les autorités, bien que le document ait été délivré après la descente de police alléguée. La preuve documentaire indique que ce renseignement aurait été consigné dans un Hukou. Le demandeur a expliqué à la Commission qu’il n’était pas officiellement recherché parce que les autorités évitent de rendre public le fait qu’ils poursuivent les adeptes du Falun Gong.

·         Le demandeur a affirmé que sa famille lui avait envoyé le Hukou au Canada par la poste, après deux tentatives infructueuses. Lors de ces tentatives, le bureau de poste avait retourné le Hukou à la fausse adresse que sa famille avait utilisée. La Commission n’a pas jugé ce récit vraisemblable.

·         Le demandeur d’asile a produit une lettre écrite, d’après ses dires, par son employeur pour l’informer de son congédiement au motif qu’il pratique le Falun Gong. La Commission n’a guère accordé de poids à la lettre parce qu’on avait écrit par-dessus l’estampille, ce qui indiquait que la lettre n’était pas authentique.

[5]               La Commission s’est alors demandé si le demandeur était devenu un réfugié sur place. Le demandeur a fourni des lettres d’adeptes du Falun Gong pour corroborer sa pratique actuelle. Il a aussi fourni des photos de lui-même pratiquant le Falun Gong. La Commission a déterminé qu’il s’était engagé dans le Falun Gong au Canada pour justifier sa demande d'asile frauduleuse. La Commission a conclu qu’il n’était pas un adepte véritable et qu’il ne serait pas perçu comme tel par les autorités chinoises.

 

 

Norme de contrôle et question en litige

 

[6]               La question en litige dans le présent contrôle judiciaire est de savoir si la Commission a raisonnablement décidé que le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190.

 

Analyse

 

[7]               La Commission a fondé sa conclusion défavorable quant à la crédibilité sur des contradictions et des invraisemblances qu’elle percevait dans la preuve du demandeur. Je suis d’avis que l’appréciation de cette preuve par la Commission était déraisonnable sur un certain nombre de points.

 

[8]               La Commission peut se fier au bon sens pour déterminer si le témoignage d’un demandeur est plausible. Toutefois, ses conclusions ne peuvent reposer sur des conjectures ou sur un défaut de preuve : Bains c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1144.

[9]               Le demandeur a expliqué que lorsqu’il avait commencé à pratiquer le Falun Gong, il n’était pas conscient de l’étendue du risque auquel il s’exposait. Il a de plus déclaré que lui et les membres de son groupe n’avaient pas discuté de ce risque. Le commissaire a estimé qu’il était « raisonnable de présumer que la plupart des citoyens chinois sont au courant des dangers associés au Falun Gong ».

 

[10]           La Commission a mal interprété le témoignage du demandeur. Celui-ci n’a pas prétendu qu’il était inconscient des dangers. Dans son témoignage, il a plutôt déclaré qu’il ignorait l’étendue du danger jusqu’à l’épisode de la descente de police du BSP. Il a ajouté que lui et son groupe pratiquaient en secret pendant qu’une personne faisait le guet. De telles précautions révèlent une conscience du risque qu’il y avait. Il a déclaré : [traduction] « Je savais que c’était comme un rassemblement illégal; je savais aussi que le nombre des adeptes du Falun Gong devenait de plus en plus important et que le gouvernement s’en inquiétait… » Il a expliqué que les médias chinois ne couvraient pas la persécution dont les membres du Falun Gong faisaient l’objet. Son témoignage sur ce point est plausible.

 

[11]           La Commission a conclu que le demandeur avait livré un témoignage incohérent concernant l'endroit où il demeurait pendant qu’il se cachait. Il a déclaré s’être caché du BSP chez la tante de son épouse. Plus tard, il a expliqué qu’elle était en fait une amie de sa femme et que la famille avait l’habitude de l’appeler « tante ». Il a déclaré : [traduction] « en Chine, les gens appellent parfois “tante” une femme âgée, de la même génération que leur mère, même si elle n’est pas leur tante et n’a pas de lien du sang avec eux ».

 

[12]           La Commission s’attendait à ce qu’il ait éclairci son lien avec cette femme avant d’être interrogé. Cependant, on ne pouvait s’attendre à ce que le demandeur prévoie que ce détail secondaire deviendrait pertinent. La Commission a aussi fait erreur en négligeant de considérer l’explication du demandeur, à savoir que « tante », en chinois, peut désigner une personne sans lien de parenté. La Commission doit se garder de tirer des conclusions négatives quant à la crédibilité qui découleraient d’a priori ou de malentendus culturels.

 

[13]           Durant l’audience, le demandeur a indiqué spontanément qu’il avait fallu trois tentatives à sa famille pour expédier son Hukou. Il a dit que le bureau de poste l’avait refusé les deux premières fois. Il a aussi précisé que pour envoyer le Hukou, les membres de sa famille avaient indiqué comme adresse de retour non pas l’adresse de leur résidence, mais plutôt celles d’autres personnes. Le demandeur a déclaré dans son témoignage que, lorsque les envois ont été refusés, le bureau de poste les a retournés à ces adresses.

 

[14]           La Commission a jugé que ce témoignage nuisait à la crédibilité du demandeur. En particulier, la Commission a estimé que le bureau de poste aurait retourné le Hukou à la résidence inscrite ou directement au BSP. Cette affirmation n’est que pure conjecture. Il est tout aussi plausible que le bureau de poste ait retourné l’envoi à l’adresse fournie. La Commission a aussi affirmé qu’aucun élément de preuve n’avait été présenté quant au motif du refus par le bureau de poste d’acheminer le Hukou. Cette préoccupation n’a aucune incidence sur la revendication du demandeur. Il est déraisonnable de fonder une conclusion défavorable quant à la crédibilité sur une question si peu pertinente.

 

[15]           La Commission s’est aussi demandé si le demandeur était devenu un réfugié sur place. Elle a fondé sa conclusion, à savoir que le demandeur n’était pas un véritable adepte du Falun Gong au Canada, sur la conclusion défavorable à laquelle elle était arrivée auparavant au sujet de la crédibilité du demandeur. Pour les motifs que j’ai exposés, ces conclusions étaient fondées sur des conjectures et sur un examen déraisonnable de questions non pertinentes. En conséquence, compte tenu des conclusions sur la revendication principale, la conclusion de la Commission sur la revendication sur place doit être rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour nouvel examen par un autre membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission. Aucune question n’a été proposée à des fins de certification et la Cour estime que l’affaire ne soulève aucune question à certifier.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-271-12

 

INTITULÉ :                                      HONG BIN SUN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 6 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 1er octobre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mme Lindsey Weppler

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Mme Jane Stewart

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blanshay & Lewis
Barristers & Solicitors

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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