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Date : 20121001

Dossier : T‑2112‑11

Référence : 2012 CF 1161

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er octobre 2012

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ACTION RÉELLE

ENTRE :

 

COMFACT CORPORATION

 

demanderesse

 

et

 

LE NAVIRE « HULL 717 »,
LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES

PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE

 

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               L’édiction de l’article 139 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime en 2010 a modifié le droit maritime canadien en créant un privilège maritime qui n’existait pas jusque‑là. Les fournisseurs bénéficient à présent, dans certaines circonstances, d’un privilège maritime alors que par le passé, ils ne pouvaient invoquer au mieux qu’un droit réel prévu par la loi et, dans le pire des cas, ils n’avaient aucun droit à l’égard du navire pour lequel ils avaient fourni des services.

 

[2]               Le détenteur d’un privilège maritime jouit de plusieurs avantages. Il se place au premier rang des créanciers et son droit réel subsiste malgré la vente du navire. La demanderesse est une sous‑traitante impayée de Davie Yards Inc., qui s’est mise sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies alors qu’elle construisait le navire défendeur. La question est de savoir si la demanderesse a un privilège maritime, car dans l’affirmative, elle prendrait rang avant Exportation et Développement Canada (la Banque), le créancier hypothécaire.

 

LES FAITS

 

[3]               Aux périodes pertinentes, le navire défendeur, Hull 717, était inscrit au Registre canadien d’immatriculation des bâtiments du Port de Québec en tant que navire construit au Canada au profit d’une corporation norvégienne, Cecon Shipping 2A/S. Exportation et Développement Canada figure comme créancier hypothécaire de premier rang relativement à un compte courant.

 

[4]               En 2009, Davie Yard Inc. a conclu, comme constructeur, un contrat de sous‑traitance avec Comfact Corporation pour que celle‑ci fournisse des services spécialisés de soudage sur le Hull 717.

 

[5]               Aux termes des ordonnances de la Cour supérieure du Québec rendues en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, les actifs de Davie ont été vendus à un consortium dirigé par Upper Lakes Group Inc.

 

[6]               Par la suite, Comfact, dont il faut reconnaître qu’elle n’a aucune créance personnelle `^a l’égard de Cecon, ou quiconque hormis Davie, a déposé une action réelle à l’encontre du navire défendeur uniquement. Les propriétaires n’ont pas comparu, mais conformément à l’article 480 des Règles des Cours fédérales, Exportation et Développement Canada, à titre de personne ayant manifestement un droit sur le navire, a comparu pour faire échouer la réclamation de la demanderesse.

 

[7]               Les parties se sont mises d’accord sur l’énoncé des faits et les questions de droit.

 

L’ÉTAT ANTÉRIEUR DU DROIT

 

[8]               Suivant le droit applicable antérieurement, l’action de Comfact aurait été rejetée. Parmi les nombreuses décisions pertinentes, il suffira de citer l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Mount Royal/Walsh Inc. c Jensen Star (The), [1990] 1 CF 199, 99 NR 42, [1989] ACF n450 (QL). Cette affaire concernait des travaux de réparation effectués sur l’ordre d’un affréteur en coque nue. La présomption voulant que les services aient été rendus pour le compte du navire n’a pas été réfutée puisque la personne ayant émis le bon de commande était un représentant de l’affréteur en coque nue ainsi que du propriétaire du navire. Si le réparateur du navire avait su qu’il faisait affaire avec l’affréteur en coque nue comme partie principale, plutôt qu’à titre de représentant, la réclamation aurait échoué. Comme le déclarait le juge Marceau au paragraphe 30 :

[...] Le fait de prétendre qu’une action in rem pourrait être accueillie même en l’absence de toute responsabilité personnelle du propriétaire serait contraire au principe qui sous‑tend le système, c’est‑à‑dire la protection du propriétaire. Une réclamation contre un navire ne peut être dissociée du propriétaire de ce navire; c’est avant tout une réclamation contre le propriétaire. [...] J’admets parfaitement que le propriétaire doit avoir engagé sa responsabilité par un comportement ou une attitude quelconque.

 

[9]               Ainsi, à l’époque, un fournisseur ne bénéficiait au mieux que d’un droit réel prévu par la loi, qu’il ne pouvait faire valoir que si le propriétaire avait fait preuve d’un comportement ou d’une attitude quelconque. Ce droit réel ne subsiste pas en cas de transfert de la propriété. Par contre, un privilège maritime peut exister même sans engager la responsabilité personnelle du propriétaire, et subsiste en cas de changement de propriétaire.

 

L’ÉTAT ACTUEL DU DROIT

 

[10]           L’article 139 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, entré en vigueur avant que Comfact ne fournisse ses services, prévoit :

139. (1) Au présent article, « bâtiment étranger » s’entend au sens de l’article 2 de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada.

 

         (2) La personne qui exploite une entreprise au Canada a un privilège maritime à l’égard du bâtiment étranger sur lequel elle a l’une ou l’autre des créances suivantes :

 

a) celle résultant de la fourniture — au Canada ou à l’étranger — au bâtiment étranger de marchandises, de matériel ou de services pour son fonctionnement ou son entretien, notamment en ce qui concerne l’acconage et le gabarage;

 

b) celle fondée sur un contrat de réparation ou d’équipement du bâtiment étranger.

 

         (2.1) Sous réserve de l’article 251 de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada et pour l’application de l’alinéa (2)a), dans le cas de l’acconage et du gabarage, le service doit avoir été fourni à la demande du propriétaire du bâtiment étranger ou de la personne agissant en son nom.

 

         (3) Le privilège maritime peut être exercé en matière réelle à l’égard du bâtiment étranger qui n’est pas :

 

a) un navire de guerre, un garde‑côte ou un bateau de police;

 

b) un navire accomplissant exclusivement une mission non commerciale au moment où a été formulée la demande ou a été intentée l’action le concernant.

 

(4) Le paragraphe 43(3) de la Loi sur les Cours fédérales ne s’applique pas aux créances garanties par un privilège maritime au titre du présent article.

 

139. (1) In this section, “foreign vessel” has the same meaning as in section 2 of the Canada Shipping Act, 2001.

 

 

         (2) A person, carrying on business in Canada, has a maritime lien against a foreign vessel for claims that arise

 

 

 

(a) in respect of goods, materials or services wherever supplied to the foreign vessel for its operation or maintenance, including, without restricting the generality of the foregoing, stevedoring and lighterage; or

 

 

(b) out of a contract relating to the repair or equipping of the foreign vessel.

 

         (2.1) Subject to section 251 of the Canada Shipping Act, 2001, for the purposes of paragraph (2)(a), with respect to stevedoring or lighterage, the services must have been provided at the request of the owner of the foreign vessel or a person acting on the owner’s behalf.

 

         (3) A maritime lien against a foreign vessel may be enforced by an action in rem against a foreign vessel unless

 

(a) the vessel is a warship, coast guard ship or police vessel; or

 

(b) at the time the claim arises or the action is commenced, the vessel is being used exclusively for non‑commercial governmental purposes.

 

 

      (4) Subsection 43(3) of the Federal Courts Act does not apply to a claim secured by a maritime lien under this section.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[11]           La première question n’a rien de contentieux. Pour se prévaloir de l’article 139, le créancier doit exploiter une entreprise au Canada. Il n’est pas nécessaire d’envisager les limites externes de cette exigence. Comfact est une société canadienne, qui non seulement exploite une entreprise au Canada, mais a également fourni dans ce pays des services pour lesquels elle n’a toujours pas été payée.

 

[12]           La deuxième question est de savoir si un navire en construction dans un chantier naval canadien, à la demande et au profit d’une société étrangère, est un « navire étranger » au sens de l’article 139 de la Loi.

 

[13]           La troisième question est de savoir si les services de soudage de la demanderesse, rendus à la demande de Davie relativement à la construction du Hull 717, se rapportaient au fonctionnement et à l’entretien de ce navire.

 

[14]           La quatrième question est de savoir si les services de soudage, rendus à la demande de Davie, se rapportaient à la réparation ou à l’équipement du navire.

 

[15]           La dernière question, point culminant des questions en litige, est de savoir si Comfact bénéficie d’un privilège maritime en vertu de l’article 139 de la Loi. Comfact fait valoir, pour reprendre la formule de l’arrêt Jensen Star, qu’il n’est plus nécessaire d’établir « un comportement ou une attitude quelconque de la part du propriétaire ». Exportation et Développement Canada soutient que le droit, tel qu’il existait, demeure inchangé, à ceci près que, si les autres conditions de l’article 139 sont remplies, les fournisseurs jouissent à présent d’un privilège maritime, plutôt que d’un simple droit réel prévu par la loi.

 

ANALYSE

 

A. Nationalité du navire Hull 717

 

[16]           À propos de la nationalité du Hull 717, la demanderesse soumet deux observations, l’une simple, l’autre complexe. Bien qu’il soit construit au Canada, le navire est inscrit dans le Registre canadien d’immatriculation des bâtiments comme appartenant à une entreprise norvégienne. Il s’agit donc d’un navire étranger.

 

[17]           L’argument plus complexe repose sur la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, dont l’article 2 précise qu’un « bâtiment étranger » s’entend d’un « [b]âtiment qui n’est ni un bâtiment canadien ni une embarcation de plaisance ». Le Hull 717 n’est certainement pas une embarcation de plaisance. Ce n’est pas non plus un bâtiment canadien. Il doit donc être étranger. La partie II de cette loi est intitulée Immatriculation, enregistrement et inscription. Il n’est pas nécessaire qu’une embarcation de plaisance soit immatriculée. L’article 46 impose l’immatriculation sous le régime de la Loi de tout bâtiment qui n’est pas une embarcation de plaisance et qui n’est pas immatriculé, enregistré ou autrement inscrit dans un État étranger, à condition qu’il appartienne uniquement à des personnes qualifiées. Aucune preuve ne m’a été présentée pour établir que le propriétaire norvégien était qualifié. Un navire étranger immatriculé et visé par un contrat d’affrètement en coque nue conclu avec une personne qualifiée peut être « inscrit » au Registre canadien. Cependant, il n’y a pas de pareil contrat en l’espèce.

 

[18]           La disposition applicable est l’article 49, qui prévoit :

49. Un bâtiment sur le point d’être construit ou en construction au Canada peut être inscrit provisoirement sur le Registre à titre de bâtiment en construction au Canada.

49. A vessel that is about to be built or that is under construction in Canada may be temporarily recorded in the Register as a vessel being built in Canada.

 

[19]           La Banque conteste le caractère absolu de cet argument. Une embarcation de plaisance peut être construite au Canada et appartenir à des personnes qualifiées qui choisissent de ne pas l’immatriculer. Bien entendu, il ne s’ensuit pas que cette embarcation est étrangère. Par ailleurs, supposons que le Hull 717 était construit pour une entreprise canadienne. Il ne peut être immatriculé qu’une fois achevé. Cela en fait‑il un bâtiment étranger?

 

B. Fourniture de services, de réparations ou d’équipement

 

[20]           Les alinéas 139(2)a) et b) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime peuvent être considérés conjointement. Comfact a fourni des services qui ne concernaient ni l’acconage ni le gabarage, mais plutôt, d’après elle, le fonctionnement, l’entretien, la réparation ou l’équipement du Hull 717. La Banque fait valoir que les services en question ne concernaient pas ces aspects, mais qu’ils se rapportaient plutôt à la construction du navire. Les constructeurs de navire et leurs sous‑traitants ne peuvent se prévaloir de l’article 139. Par ailleurs, le droit antérieur n’a pas subi de modifications aussi considérables que le laisse entendre la demanderesse. Il doit encore exister un lien personnel entre les fournisseurs et le propriétaire du navire. Le cas échéant, plutôt que de jouir d’un simple droit réel prévu par la loi, les fournisseurs bénéficient à présent d’un privilège maritime. Suivant le droit antérieurement applicable, il n’existait aucun lien et il n’y a donc aucune créance à l’égard du navire; voir l’arrêt Jensen Star, précité.

 

[21]           Les parties ont présenté des observations dignes d’intérêt en ce qui concerne la portée du paragraphe 139(2.1). D’après Comfact, comme la disposition exige l’existence d’un lien personnel avec le propriétaire du navire à l’égard de l’acconage et du gabarage, il en résulte nécessairement que celui‑ci n’est pas requis au titre des alinéas 139(2)a) et b). Elle avance que le paragraphe 139(2.1) couvre un cas de « franco chargement et déchargement ». Il existe certainement des contrats d’affrètement en vertu desquels les chargeurs, plutôt que le transporteur, sont responsables de l’acconage et doivent en supporter les frais. La disposition précise simplement que le transporteur doit participer dans une certaine mesure à l’embauche des chargeurs ou des gabariers.

 

[22]           La Banque, quant à elle, fait remarquer que l’édiction de l’article 251 de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada a modifié l’effet de l’arrêt Jensen Star. L’article 251 prévoit qu’un affréteur en coque nue peut maintenant, en cette qualité, grever un navire à l’égard des services d’acconage et de gabarage, et que le navire peut être saisi pendant la durée du contrat d’affrètement. Le paragraphe 139(2.1) maintient simplement l’exception restreinte selon laquelle un affréteur en coque nue peut, dans certaines circonstances, grever le navire, même si l’autre partie contractante sait très bien qu’il n’agit pas pour le compte du propriétaire, mais pour le sien propre.

 

[23]           L’alinéa 22(2)n) de la Loi sur les Cours fédérales confirme la compétence de la Cour à l’égard des demandes fondées sur un contrat de construction, de réparation ou d’équipement d’un navire. Or le terme « construction » ne figure pas à l’article 139. Comfact fait valoir que cette omission tient simplement à une économie de langage. La Banque soutient pour sa part que l’absence du mot « construction » est fatale pour la réclamation de Comfact; le législateur souhaitait manifestement exclure les constructeurs de navire et leurs sous‑traitants du champ d’application de l’article 139.

 

[24]           Comfact avance que le but de l’article 139 était d’établir pour les réclamations contre des navires un régime analogue à celui qui s’applique dans le cas des aéronefs. Pour paraphraser le juge Binnie dans l’arrêt Canada 3000 Inc., Re; Inter‑Canadien (1991) Inc (Syndic de), 2006 CSC 24 [2006] 1 RCS 865, [2006] ACS no 24 (QL), il s’agit de savoir qui a « laissé des plumes » lorsque le transporteur est devenu insolvable : le propriétaire du navire ou le fournisseur de services? Ce devrait être le propriétaire du navire puisqu’il est plus à même de se protéger. Cependant, la Banque soutient que la situation à réformer découlait de ce que les fournisseurs américains bénéficiaient d’un privilège maritime auquel on donnait effet au Canada, alors que les fournisseurs canadiens n’obtenaient rien, sauf si la responsabilité personnelle du propriétaire était engagée, et que le navire n’avait pas été vendu. Voir, par exemple, Todd Shipyards Corp c Altema Compania Maritima SA, [1974] RCS 1248 (QL), Marlex Petroleum Inc c The “Har Rai”, [1984] 2 CF 345, [1984] ACF no 158 (QL), confirmé sans motifs additionnels par la Cour suprême dans [1987] 1 RCS 57, [1987] ACS no 3 (QL), Holt Cargo Systems Inc c ABC Containerline NV (Syndics de), 2001 CSC 90, [2001] 3 RCS 907, [2001] ACS no 89 (QL), et World Fuel Services Corp c Nordems (The), 2010 CF 332, 366 FTR 118, [2010] ACF no 391 (QL), confirmé par la Cour d’appel fédérale, 2011 CAF 73, [2011] ACF no 293 (QL).

 

[25]           La Banque ajoute que les constructeurs de navire bénéficient d’un privilège possessoire et qu’ils ont d’autres moyens pour se protéger, comme de ne pas émettre de certificat de construction. Ils pourraient même d’ailleurs conserver leur titre durant la construction (F.C. Yachts Ltd c Splash Holdings Ltd, 2007 CF 1257, 289 DLR (4th) 167, [2007] ACF no 1636 (QL)). Qui plus est, aux États‑Unis, les contrats de construction navale ne relèvent même pas du droit maritime. L’arrêt Canada 3000 se distingue de la présente affaire. Dans cet arrêt, les services en cause devaient être exécutés en vertu d’une loi qui rendait les propriétaires et les transporteurs conjointement et individuellement responsables. En l’espèce, Comfact a fourni des services de son plein gré et en vertu d’un contrat, et l’exigence relative à « un comportement ou une attitude quelconque de la part du propriétaire du navire » mise en jeu dans des décisions comme Jensen Star vise à protéger ce dernier.

 

DÉCISION

 

[26]           Rien ne me ferait plus plaisir que d’offrir mon opinion sur toutes sur ces questions. Je me sens comme l’avocat qui, envisageant l’application des Règles de La Haye‑Visby, a été décrit en ces termes par lord Devlon dans Pyrene Company Ltd v Scindia Steam Navigation Company Ltd, [1954] 1 Lloyd’s Rep 321, à la page 329 :

[traduction] Seul l’avocat le plus zélé peut assister avec satisfaction au spectacle du déplacement épineux des responsabilités tandis que la cargaison oscille à l’extrémité d’un mât de charge de part et d’autre de la perpendiculaire imaginaire du bastingage du navire.

 

[27]           Cependant, je suis parvenu à la conclusion que l’article 139 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime ne s’applique pas à ceux qui ont fourni des services ayant trait à la construction d’un navire. Par conséquent, une fois établi que la demanderesse ne bénéficie pas d’un privilège maritime, il n’y a pas lieu de se demander si le Hull 717 est un bâtiment étranger, et si la responsabilité personnelle du propriétaire du navire doit être engagée pour que ce nouveau privilège puisse exister.

 

[28]           Dans la décision Nordems, précitée, qui concernait l’approvisionnement en combustible de soute, et qui est antérieure à l’édiction de l’article 139, j’ai formulé au paragraphe 15 cette remarque incidente qui va de soi :

[traduction] Le droit interne canadien a été modifié l’année dernière pour conférer aux fournisseurs exploitant une entreprise au Canada un privilège maritime à l’encontre d’un navire étranger. Les services doivent avoir été rendus à la demande du propriétaire ou d’une personne agissant en son nom. Rien n’indique que l’on a écarté la jurisprudence ayant trait à la présomption réfutable d’autorité. (Loi modifiant la Loi sur la responsabilité en matière maritime, la Loi sur les Cours fédérales et d’autres lois en conséquence, L.C. 2009, ch. 21, art. 139))

 

La question de savoir si les remarques du juge Marceau dans l’arrêt Jensen Star resteront valables au regard du libellé de l’article 139 devra être tranchée une autre fois, lorsqu’un fournisseur, en combustible de soute par exemple, ou l’exploiteur d’un bateau‑remorqueur, fournira des services en sachant pertinemment qu’il fait affaire avec un affréteur comme partie principale, plutôt qu’avec le propriétaire du navire.

 

[29]           À mon avis, la clé de cette affaire est que le mot « construction » figure dans l’alinéa 22(2)n) de la Loi sur les Cours fédérales, et non dans l’alinéa 139(2)b) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime.

 

[30]           L’édiction de la Loi sur les Cours fédérales en 1971 abolissait la Loi sur l’Amirauté alors en vigueur, d’abord édictée sous le nom de Loi d’Amirauté, 1934, 24‑25 George V, ch 31. Cette dernière Loi incorporait, avec les modifications qui s’imposaient, l’article 22 de la Supreme Court of Judicature (Consolidation) Act 1925 du Royaume‑Uni, et confirmait que la Haute Cour avait compétence pour statuer sur les « (vii) Réclamations pour approvisionnements fournis à un navire étranger [...] (x) Réclamations pour construction, équipement ou radoub d'un navire [...]. »

 

[31]           Nonobstant le fait que la situation maintes fois dénoncée tenait à ce que les fournisseurs canadiens étaient désavantagés par rapport à leurs homologues américains ayant saisi un navire au Canada, le principe de la « présomption de cohérence » des lois trouve application (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, Ottawa : LexisNexis Canada, 2008, page 325).

 

[32]           Dans l’arrêt MacKeigan c Hickman, [1989] 2 RCS 796, [1989] ACS no 99 (QL), la juge McLachlin, tel était alors son titre, a résumé le principe en ces termes au paragraphe 77 :

Je pars du principe fondamental d’interprétation que les dispositions d’une loi traitant du même sujet doivent être interprétées ensemble, si cela est possible, de manière à éviter tout conflit [...]. Ainsi, il y a plus de chance de dégager l’intention véritable du législateur.

 

La Cour suprême a approfondi la question dans l’arrêt Pointe‑Claire (Ville) c Québec (Tribunal du travail), [1997] 1 RCS 1015, [1997] ACS no 41 (QL), au paragraphe 61 :

Certes, selon le principe de la présomption de cohérence des lois qui portent sur des sujets analogues, l’interprète doit chercher l’harmonisation entre ces lois plutôt que leur contradiction.

 

[33]           Quant à l’argument de Comfact voulant que le législateur ait simplement fait une économie de langage en omettant le mot « construction », dont on devrait considérer qu’il figure dans l’article 139, il existe une présomption selon laquelle le législateur a inclus dans la loi les éléments qu’il entendait inclure. Par conséquent [traduction« [l]orsqu’une disposition fait expressément état d’un ou de plusieurs éléments, mais qu’elle ne dit rien d’autres éléments qui sont comparables, on présume que son silence est délibéré et reflète son intention d’exclure les éléments qui ne sont pas mentionnés » (Sullivan, précité, page 244). En matière d’amirauté, la Cour de l’échiquier avait compétence à l’égard de toute réclamation « pour construction, équipement ou radoub d’un navire ».  En 1971, ce libellé a été remplacé dans la Loi sur les Cours fédérales pour donner compétence à l’égard de toute demande née d’un contrat relatif « à la construction, à la réparation ou à l’équipement d’un navire ». De plus, le libellé de l’alinéa 22(2)m) de la Loi sur les Cours fédérales est identique à celui de l’alinéa 139(2)a) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime. Je ne puis admettre que l’omission du terme « construction » à l’alinéa 139(2)b) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime était involontaire. Le législateur ne peut avoir eu pour intention d’accorder un privilège maritime à ceux qui prennent part à la construction d’un navire, comme la demanderesse en l’espèce.

 

DÉPENS

 

[34]           La Banque a droit à ses dépens. Les deux parties ont réclamé les dépens, mais ont demandé l’autorisation de présenter des observations à ce sujet dans l’éventualité où elles ne parviendraient pas à s’entendre. Elles peuvent le faire dans les 30 jours suivant la présente décision, conformément à l’article 403 des Règles des Cours fédérales.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  L’action de la demanderesse est rejetée avec dépens.

2.                  La demanderesse ne bénéficie pas d’un privilège maritime à l’égard du navire Hull 717.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑2112‑11

 

INTITULÉ :                                                  COMFACT CORPORATION c
LE NAVIRE « HULL 717 », LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 18 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 1er octobre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

David G. Colford

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

John O’Connor

 

POUR LA DÉFENDERESSE EXPORTATION ET DÉVELOPPEMENT Canada

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Brisset Bishop

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Langlois Kronström Desjardins

Avocats

Québec (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE EXPORTATION ET DÉVELOPPEMENT CANADA

 

 

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