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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20120925

Dossier : IMM-677-12

Référence : 2012 CF 1122

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 septembre 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

ANDREW ALLEN LENNON SR.

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision, rendue le 29 décembre 2011, par laquelle la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour criminalité organisée en raison de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). Une mesure d’expulsion a été prise en conséquence.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

I.          Faits

 

[3]               Le demandeur est un résident permanent, venu au Canada en 1966 à l’âge de 6 ans. Il est citoyen du Royaume-Uni.

 

[4]               Le 17 novembre 2009, le demandeur a plaidé coupable à l’égard de deux infractions criminelles : possession de biens criminellement obtenus et possession en vue de faire le trafic d’oxycodone. Le demandeur transportait de la drogue et de l’argent entre l’Ontario et la Colombie‑Britannique pour une organisation que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) a estimé être une organisation criminelle composée de six personnes. Le demandeur a effectué de douze à quatorze voyages entre ces deux provinces en 2007, dont quelques-uns pour son propre compte.

 

[5]               Pour chaque infraction, le demandeur a été condamné à une peine de 18 mois d’emprisonnement avec sursis, peines qu’il a purgées de façon concurrente. Cinq autres personnes, dont le neveu du demandeur, ont été accusées de diverses infractions liées au trafic de substances réglementées et au blanchiment d’argent.

 

[6]               À la suite du prononcé de la sentence du demandeur, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a établi un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR concluant que le demandeur était interdit de territoire. Le rapport de l’ASFC indique que le demandeur était l’un des six membres d’un réseau de trafic de drogues basé à Windsor, en Ontario, citant l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. L’affaire a donc été déférée pour enquête, laquelle s’est tenue le 4 octobre 2011.

 

II.        Décision attaquée

 

[7]               La Commission a statué que le demandeur était un résident permanent du Canada interdit de territoire pour criminalité organisée. Elle a établi, sur le fondement de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, que la norme de preuve applicable en la matière était celle des « motifs raisonnables de croire », norme que la jurisprudence a définie comme étant « une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi ».

 

[8]               La Commission s’est appuyée sur les éléments de preuve soumis par le ministre, à qui incombait le fardeau de la preuve, ainsi que sur les témoignages du demandeur et du caporal Greg Connelly, un officier de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) faisant partie de l’équipe de la police des frontières de Windsor. La Commission a jugé le témoignage du caporal crédible et digne de foi compte tenu des circonstances.

 

[9]               La Commission a conclu que le réseau de trafic de drogues auquel était associé le demandeur était une organisation criminelle au sens de la LIPR. Malgré le manque de structure formelle de ce réseau, la Commission a estimé qu’il « exécut[ait] un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ».

[10]           Se référant à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Sittampalam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 326, [2006] ACF no 1512, la Commission a souligné que le terme « organisation » devait recevoir une interprétation libérale et sans restriction. Elle a précisé, de plus, que l’objectif de la LIPR exprime l’intention du législateur de donner priorité à la sécurité en « trait[ant] les criminels et les menaces à la sécurité avec moins de clémence que le permettait l’ancienne Loi ».

 

[11]           Enfin, la Commission a estimé ce qui suit :

Même si chaque membre de ce réseau de trafic de drogues exécutait diverses tâches au sein du groupe, ils ont tous joué un rôle important dans l’atteinte de la réussite financière de l’organisation. Ce groupe n’a pas été formé au hasard pour la perpétration immédiate d’une seule infraction; au contraire, le réseau a exercé ses activités pendant plus d’un an. L’échange de sommes importantes d’argent contre des drogues et leur distribution par le réseau se sont poursuivis régulièrement tout au long de l’existence du groupe. La nature des déclarations de culpabilité dont ont fait l’objet ceux impliqués dans ce réseau de trafic de drogues et leurs activités alors qu’ils commettaient divers crimes témoignent, à mon avis, de la nature clandestine caractérisant de nombreux groupes de crime organisé. Même si le groupe était peu organisé, je crois le témoignage du caporal Connelly selon lequel [trois des membres] ont joué un rôle important en tant que coordonnateurs, ce qui a permis à l’organisation d’exercer ses activités. La preuve documentaire et orale établit clairement que [le demandeur] faisait partie intégrante de l’organisation et était profondément impliqué dans les activités criminelles du groupe.

 

III.       Questions en litige

 

[12]           La seule question qui se pose en l’espèce est de savoir si la Commission a commis une erreur dans son interprétation et son application de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR.

 

IV.       Norme de contrôle

 

[13]           Il est bien établi que la conclusion d’interdiction de territoire pour criminalité organisée, que tire la Commission, repose essentiellement sur son appréciation des faits et que, par conséquent, cette conclusion appelle la norme de contrôle de la raisonnabilité (voir M’Bosso c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 302, [2011] ACF no 345 au paragraphe 53; Castelly c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 788, [2008] ACF n999 aux par 10 à12).

 

[14]           Pour l’analyse relative à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, la raisonnabilité tient à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] SCR 190 au par 47; Castelly, précitée, au par 12).

 

V.        Analyse

 

[15]           L’alinéa 37(1)a) de la LIPR dispose :

Activités de criminalité organisée

 

37. (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants :

 

a) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d’un tel plan;

Organized criminality

 

 

37. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of organized criminality for

 

(a) being a member of an organization that is believed on reasonable grounds to be or to have been engaged in activity that is part of a pattern of criminal activity planned and organized by a number of persons acting in concert in furtherance of the commission of an offence punishable under an Act of Parliament by way of indictment, or in furtherance of the commission of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute such an offence, or engaging in activity that is part of such a pattern;

 

 

[16]           Le demandeur conteste la conclusion de la Commission selon laquelle il était membre d’une organisation criminelle. Il souligne le fait qu’aucune accusation de criminalité organisée n’a été déposée contre lui et il plaide l’absence des divers facteurs que notre Cour a censément reconnus comme indices, tant de l’existence d’une organisation criminelle que de l’appartenance d’un individu à celle-ci.

 

[17]           Le demandeur invoque plus particulièrement l’arrêt Sittampalam, précité, et les décisions Thanaratnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 349, [2004] ACF no 395, et Amaya c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 549, [2007] ACF no 743, pour soutenir qu’il n’existe pas d’organisation criminelle en l’espèce parce que, notamment, aucune identité ni leadership n’est lié au réseau de trafic de drogues, qu’aucune structure organisationnelle ou lien hiérarchique ne compte trois individus ou plus, et enfin, qu’il n’y a aucune marque de reconnaissance des membres ni aucun avantage pour le groupe.

[18]           Pourtant, cette même jurisprudence citée par le demandeur fait aussi ressortir que les organisations criminelles « sont habituellement peu structurées et [que] leur organisation varie énormément » (Sittampalam, précité, au par 39), et qu’« elles doivent être organisées, mais sans la nécessité de se doter d’un attribut minimum ou obligatoire » pour être considérées comme des organisations criminelles au sens de la LIPR (Thanaratnam, précitée, au par 30). Bien que certains indices mentionnés par le demandeur puissent être utiles pour déterminer l’existence d’une organisation criminelle, aucun de ces éléments n’est essentiel.

 

[19]           Notre Cour a en outre précisé que l’intention du législateur n’était pas d’adopter la définition d’« organisation criminelle » au sens pénal. Au contraire, les objectifs de la LIPR dénotent une volonté d’accorder la priorité à la sécurité des Canadiens, et à ce titre, le terme « organisation » employé à l’alinéa 37(1)a) doit recevoir une interprétation « libérale, sans restriction aucune » (Sittampalam, précité, au par 36). Ainsi, notre Cour a-t-elle préconisé la souplesse, de sorte que l’absence de structure et le caractère informel d’un groupe n’aient pas pour effet de « contrecarrer l’objet de la LIPR » (Sittampalam, précité, au par 39).

 

[20]           Or c’est exactement l’approche qu’a adoptée la Commission en l’espèce. Après avoir apprécié les éléments de preuve, elle a conclu que le réseau de trafic de drogues, malgré son absence de structure formelle, était dirigé par trois coordonnateurs. Le groupe n’a « pas été formé au hasard pour la perpétration immédiate d’une seule infraction », mais a au contraire exercé ses activités pendant une bonne année. La Commission a conclu que la preuve, notamment l’admission du demandeur selon laquelle il a agi à titre de passeur pour le groupe, était suffisante pour démontrer que le demandeur était membre de l’organisation. Je suis d’avis que la décision de la Commission s’inscrit dans la gamme des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et qu’elle est donc raisonnable.

 

[21]           En outre, comme l’a souligné le défendeur, je note que l’économie de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR est distincte de celle du Code criminel, LRC 1985, c C-46, notamment en ce qui concerne le fardeau de la preuve. Il ne serait absolument pas déraisonnable pour la Commission de conclure qu’un individu était membre d’une organisation criminelle au sens de la LIPR lors même qu’aucune accusation d’organisation criminelle n’avait été déposée contre lui en vertu du Code criminel. La Commission a néanmoins pris en considération le fait que la police n’avait pas déposé d’accusation d’organisation criminelle en l’espèce, question sur laquelle elle s’est spécifiquement penchée à l’audience, et est arrivée à une conclusion raisonnable fondée sur les éléments de preuve qui lui étaient soumis.

 

VI.       Conclusion

 

[22]           Pour déterminer si le demandeur était membre d’une organisation criminelle au sens de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, la Commission a adopté l’approche libérale et sans restriction que notre Cour a préconisée à maintes reprises, et est arrivée à une conclusion raisonnable fondée sur son appréciation de la preuve.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 « D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-677-12

 

INTITULÉ :                                      ANDREW ALLEN LENNON SR. c MSPPC

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 19 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NEAR

 

DATE :                                              Le 25 septembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Rokakis

 

POUR LE DEMANDEUR

Stephen Jarvis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John Rokakis

Avocat et procureur

Windsor (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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