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Date : 20121019

Dossier : IMM‑8603‑11

Référence : 2012 CF 1221

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

ANTONIO CAMILO AYONG ANGUE ONDO

 

 

 

demandeur

 

 

et

 

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur conteste la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés portant qu’il n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27. Pour les motifs qui suivent, sa demande est rejetée.

 

Contexte

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Guinée équatoriale. Il affirme que le gouvernement de la Guinée équatoriale essaie de l’arrêter ou de l’assassiner à cause de ses activités au sein d’un parti politique d’opposition, le Progress Party; le gouvernement a commencé en 1992 à le persécuter et il soutient avoir été détenu sans être inculpé pendant deux semaines et avoir été torturé parce qu’il avait participé à une manifestation étudiante. Au cours des années qui ont suivi, il a occupé des postes de plus en plus importants au sein de la direction de ce parti.

 

[3]               Le demandeur affirme que son père a été emprisonné, sans avoir droit à un procès équitable, de 1995 à 1998 parce qu’il avait critiqué publiquement les irrégularités électorales commises. La santé physique et psychologique de son père s’est détériorée en prison et il pense que le décès de son père en 2007 découle directement de son emprisonnement et de la façon dont il a été traité.

 

[4]               Le demandeur affirme également que sa mère est décédée au moment où sa maison a été incendiée à l’aide de bombes par des partisans du gouvernement en mars 2005. À l’audience, même si cela ne figure pas dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), il a déclaré qu’il croyait que les agresseurs pensaient qu’il était avec sa mère ce jour‑là et que c’était lui la véritable cible de l’attaque.

 

[5]               En avril 2005, le demandeur affirme avoir été arrêté et détenu sans accusation pendant trois jours au cours desquels il a été battu. Il affirme qu’il a été libéré après que des habitants de la ville eurent convaincu le chef militaire qu’il ne participait à aucune activité politique. Cette arrestation et ces coups ne sont pas mentionnés dans le FRP.

 

[6]               À l’audience, il a déclaré qu’entre 2006 et 2007, il avait commencé à travailler dans une banque, mais qu’il avait été congédié à cause de ses activités au sein du parti. Dans son FRP, il affirme avoir travaillé dans une banque de 1993 à 1995.

 

[7]               Le demandeur affirme également avoir été arrêté pendant une nuit en janvier 2007, mais qu’il a été libéré parce qu’il n’avait pas avec lui des documents liés au parti d’opposition. Cette arrestation n’est pas mentionnée dans son FRP.

 

[8]               Le demandeur affirme qu’au cours de la nuit du 21 mars 2008, un lieutenant‑colonel de la police est venu le voir chez lui et lui a remis ou montré une liste. Cette liste, datée du 20 mars 2008, portait l’en‑tête du Bureau du Président de la Nouvelle‑Guinée équatoriale (la liste de mars 2008). Elle se lit comme suit et mentionne qu’il est interdit aux personnes dont les noms y figurent de quitter le pays :

[traduction]

Aux termes du présent document, les membres du Progress Party de la Guinée équatoriale, dont les noms figurent ci‑dessous, sont accusés d’avoir tenu des réunions clandestines et de posséder des armes; il est donc interdit de leur délivrer des documents personnels : passeports, CIN de toutes les agences de police nationales. Le présent communiqué est transmis à toutes les forces de sécurité et institutions de l’État et il est interdit à ces personnes de quitter le pays, jusqu’à nouvel ordre.

 

« Antonio Camilo Esono Ayong Angue Ondo » était une des huit personnes qui figurait sur la liste de mars 2008.

 

[9]               À l’audience, le demandeur a déclaré qu’il a commencé à avoir peur lorsqu’il a vu la liste de mars 2008 parce qu’une personne qui figurait sur sa liste avait été tuée.

 

[10]           Le demandeur a présenté la liste de mars 2008 à titre de preuve documentaire, bien qu’on ne lui ait pas demandé comment il avait obtenu une copie de ce document et qu’il n’ait pas non plus témoigné à ce sujet. Des notes manuscrites suivaient chaque nom, sauf pour celui du demandeur. Chacun des noms était suivi du mot « prison », sauf pour l’un d’entre eux qui était suivi de la mention « assassiné 02/05/08 ».

 

[11]           Immédiatement après avoir pris connaissance de cette liste, le demandeur a quitté la Guinée équatoriale pendant une semaine, et il s’est rendu au Cameroun où il a voyagé. Par la suite, il est revenu en Guinée équatoriale. Il n’est pas retourné chez lui, mais est demeuré sur une ferme près de Malabo pendant huit mois en attendant d’obtenir les documents dont il avait besoin pour quitter le pays.

 

[12]           Le 30 novembre 2008, après qu’il eut obtenu des titres de voyage, le demandeur est parti pour l’Espagne où il est resté deux mois pendant lesquels il a pu prendre d’autres arrangements et se procurer l’argent dont il avait besoin pour quitter l’Espagne. Dans son FRP, le demandeur déclare qu’il [traduction] « savait qu’il ne pouvait pas rester [en Espagne] parce que les citoyens de la Guinée équatoriale vivant en Europe étaient de plus en plus en danger ». Il a fourni une explication semblable à l’audience.

 

[13]           Le demandeur a également présenté une note de service émanant apparemment du ministère de la Sécurité nationale, datée du 27 novembre 2008, qui ordonnait que le demandeur soit éliminé (la note de service ordonnant son assassinat). Elle est libellée comme suit :

[traduction] Il est ordonné à toutes les forces de sécurité et aux institutions de l’État situées aux frontières de la Guinée équatoriale d’éliminer physiquement le coordonnateur général du secteur subsaharien du Progress Party de la Guinée équatoriale, D. Antonio Camilo Esono Ayong Angue Ondo. S’il s’enfuit, l’abattre.

 

Une note manuscrite adressée au demandeur figurait à la fin de la note de service ordonnant son assassinat. Cette note est libellée comme suit :

[traduction] Mon frère : Si tu peux, quitte l’Espagne le plus tôt possible parce que ces salauds vont aller te chercher là‑bas, en France et en Espagne. Fais tout ce que tu peux pour quitter l’Espagne.

 

[14]           Le 1er février 2009, le demandeur a quitté l’Espagne pour se rendre en Italie, en route vers le Canada où il est arrivé le 3 février 2009.

 

[15]           La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur parce qu’elle a conclu qu’il n’était pas crédible, qu’il n’avait pas une crainte subjective de persécution et qu’il n’était pas exposé à un risque personnalisé.

 

Crédibilité

[16]           La Commission a fait état de plusieurs problèmes de crédibilité.

 

[17]           Premièrement, le demandeur a témoigné que son père avait été libéré de prison à Evinayong vers 1998, mais le certificat de décès indique que son père est décédé à la prison publique de Evinayong, en 2007.

 

[18]           Deuxièmement, la Commission a estimé que le témoignage du demandeur ne concordait pas avec le mandat d’arrestation qu’il avait fourni. Le mandat d’arrestation, daté du 27 août 2004, ordonnait aux forces de sécurité nationales de capturer le demandeur ainsi que d’autres personnes. Il a toutefois témoigné qu’il avait été détenu pendant deux brèves périodes après la délivrance de ce mandat, mais qu’il avait été rapidement relâché les deux fois. La Commission a jugé que cela ne concordait pas avec le mandat ni avec l’idée que le demandeur était recherché en raison de ses activités politiques.

 

[19]           Troisièmement, la Commission n’a pas non plus estimé vraisemblable que le demandeur ait pu travailler à la vue de tous dans deux entreprises familiales jusqu’en mars 2008 s’il était recherché par le gouvernement.

 

[20]           Quatrièmement, la Commission a estimé que le témoignage du demandeur au sujet du fait qu’il avait été congédié de la banque en 2007 était tout à fait incompatible avec son FRP dans lequel il a déclaré avoir travaillé dans cette banque entre 1993 et 1995 environ. La Commission n’a pas accepté l’explication qu’il a fournie à l’audience selon laquelle il était tout simplement « confus ».

 

[21]           Cinquièmement, la Commission met également en doute la liste de mars 2008, qui aurait incité le demandeur a quitté la Guinée équatoriale. La Commission a tenu pour acquis que la note manuscrite « 02/05/08 » figurant près du nom de la personne « assassinée » était le 2 mai 2008 et elle a estimé « invraisemblable que la liste [datée du 20 mars 2008] ait pu prédire un meurtre qui aurait lieu plus de cinq semaines plus tard. En conséquence, le tribunal accorde peu de valeur probante à cet élément ».

 

Crainte subjective

[22]           La Commission a conclu que les voyages que le demandeur avait effectués après mars 2008 étaient incompatibles avec une crainte subjective de persécution. Pour ce qui est de son séjour d’une semaine au Cameroun, la Commission a déclaré que le Cameroun « a un solide programme de protection des réfugiés, qui accorde l’asile à des dizaines de milliers de personnes » et a fait remarquer que le demandeur avait pu librement s’y déplacer entre les grands centres pendant qu’il s’y trouvait. De même, la Commission a estimé que le fait qu’il soit revenu en Guinée équatoriale et y soit resté pendant huit mois, dans un endroit proche de la capitale, était incompatible avec une crainte subjective de persécution.

 

[23]           Pour ce qui est du temps qu’il a passé en Espagne, la Commission a estimé que, si le demandeur était vraiment exposé à un danger, il aurait demandé l’asile dans ce pays, faisant référence à la preuve documentaire relative à l’Espagne et à l’absence de preuve objective susceptible d’étayer l’affirmation du demandeur selon laquelle l’Espagne n’était pas un pays sûr pour demander l’asile. La Commission a pris note de l’explication fournie à l’audience selon laquelle il n’était pas demeuré en Espagne parce que ce n’était pas un pays sûr pour les ressortissants de la Guinée équatoriale, mais elle a fait remarquer ensuite que l’Italie était également une destination sûre et elle a considéré que le fait qu’il n’y ait pas demandé l’asile était un autre élément indiquant que le demandeur n’avait pas une crainte subjective de persécution.

 

Risque personnalisé

[24]           La Commission a jugé que le demandeur n’avait pas démontré qu’il était exposé à un risque personnalisé. Les preuves relatives à son traitement et à ses activités en Guinée équatoriale ne permettaient pas, d’après la Commission, de conclure à l’existence d’un risque personnalisé :

Même s’il participait prétendument et depuis longtemps aux activités d’un parti politique réprimé et que la police le recherchait depuis 2004 pour le mettre en détention pour cette raison, le demandeur d’asile a continué de mener sa vie pratiquement sans contrainte jusqu’en mars 2008, puis pendant une période supplémentaire de huit mois, tout près, dans la capitale nationale, de mars à novembre 2008.

 

Questions

[25]           Le demandeur soulève quatre questions :

1.                  La Commission a‑t‑elle violé l’obligation d’équité à laquelle elle est tenue en ne donnant pas au demandeur la possibilité de répondre aux questions que soulevaient la liste de mars 2008 et le certificat de décès de son père?

2.                  Les conclusions de la Commission en matière de crédibilité étaient‑elles déraisonnables compte tenu de la preuve?

3.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que l’omission de demander l’asile au Cameroun, en Espagne ou en Italie et de présenter une nouvelle demande indiquait une absence de crainte subjective?

4.                  La Commission a‑t‑elle évalué le risque auquel était exposé le demandeur sans tenir compte de la preuve?

 

1. Obligation d’équité

[26]           Le demandeur soutient que l’équité imposait à la Commission l’obligation de lui donner la possibilité de répondre aux questions qu’elle se posait au sujet de la liste de mars 2008 et du certificat de décès de son père.

 

[27]           Il affirme que la Commission a tenu pour acquis que la mention « 02/05/08 » figurant sur la liste de mars 2008 faisait référence au 2 mai 2008, ce qui l’a amené à conclure à l’invraisemblance de ses déclarations, mais il affirme que l’inscription aurait pu faire référence au 5 février 2008, une date antérieure à la préparation de la liste de mars 2008. Il affirme que, s’il avait eu la possibilité de répondre à cette préoccupation, [traduction] « il aurait été en mesure d’expliquer au commissaire la convention utilisée en Guinée équatoriale pour indiquer une date, ce qui aurait [résolu] ce problème ». Il poursuit en disant que :

[traduction]

Il aurait également été en mesure de dissiper les doutes en matière de crédibilité que le commissaire aurait pu avoir au sujet du document en question, notamment sur la façon dont il avait obtenu une copie du document au Canada, sur l’auteur des annotations manuscrites qui y figuraient et sur le moment où cela avait été fait, ainsi que sur d’autres questions que l’on pose habituellement au sujet de la preuve documentaire présentée par un demandeur. (Il est possible que cette série de questions ait pu jouer un rôle particulièrement important étant donné que le demandeur a déclaré à la fois à l’audience et dans son FRP qu’on ne lui avait montré la liste qu’en mars 2008 et qu’elle ne lui avait pas en réalité été remise, et qu’il s’était procuré par la suite une copie qu’il a présentée en preuve). [italiques ajoutés]

 

[28]           J’estime que ces arguments ne sont guère convaincants. Premièrement, je constate que le demandeur n’a pas déclaré ou établi que les conventions utilisées en Guinée équatoriale au sujet des dates étaient différentes. En fait, il est remarquable qu’il n’ait pas fait de déclaration en ce sens. Deuxièmement, le demandeur soutient que la Commission aurait dû l’interroger longuement au sujet de la façon dont il s’était procuré la liste, de l’auteur des inscriptions qui y figuraient, etc., mais il ne tient pas compte du fait que la Commission n’était pas tenue de le faire. C’était à lui qu’il incombait de présenter une preuve à l’appui de sa demande d’asile. Son avocat ne lui a posé aucune question sur la façon dont il avait obtenu la liste, ni même sur de nombreux autres aspects importants, pas plus qu’il ne nous fournit maintenant de réponses à ces questions. Troisièmement, l’affirmation selon laquelle la date mentionnée pouvait être le 5 février 2008 soulève également des questions parce que la liste a été préparée le 20 mars 2008 et que l’on peut s’interroger sur l’authenticité d’une liste préparée par l’État sur laquelle figure le nom d’un individu qui avait été assassiné un mois et demi auparavant. Quatrièmement, malgré l’affirmation selon laquelle le demandeur [traduction] « a déclaré tant à l’audience que dans son FRP qu’on lui avait seulement montré la liste en mars 2008 », ce qui peut donner à penser que les annotations manuscrites auraient pu être faites par la suite, il est évident que les annotations avaient dû figurer sur la liste au moment où celle‑ci lui a été montrée. La raison en est qu’il a témoigné à l’audience qu’il avait pris peur lorsqu’il s’était rendu compte qu’une des personnes figurant sur la liste avait déjà été assassinée. Son affirmation actuelle selon laquelle l’annotation manuscrite relative à cet assassinat ne figurait peut‑être pas sur la lite au moment où elle lui a été montrée en mars 2008 est tout à fait contraire au témoignage qu’il a livré à l’audience.

 

[29]           Même si la Commission a conclu à tort que la date mentionnée était le 2 mai 2008 – et il n’est pas allégué ici que la Commission a, en réalité, commis une erreur sur ce point, mais simplement qu’elle a pu commettre une erreur – sa conclusion appartient néanmoins aux issues possibles acceptables, compte tenu de la preuve dont elle disposait, étant donné que la liste de mars 2008 n’aurait pas été plus fiable si la date avait été le 5 février 2008.

 

[30]           Le demandeur affirme également qu’on aurait dû lui donner la possibilité de répondre aux questions que la Commission se posait au sujet du lieu de décès figurant sur le certificat de décès de son père, la prison d’Evinayong, compte tenu du témoignage présenté à l’audience selon lequel son père avait été libéré de cette prison neuf ans auparavant. Il a déclaré que son père [traduction] « aurait fort bien pu, par exemple, être un visiteur, un aumônier ou un employé de la prison » au moment de son décès et que son témoignage n’était donc pas nécessairement contradictoire. Le demandeur n’affirme pas réellement que son père était un « visiteur, un aumônier ou un employé » de cette prison. Il a en outre déclaré à l’audience que son père avait été toute sa vie un employé du service des postes et, par conséquent, son affirmation actuelle selon laquelle son père « aurait pu » être un employé de la prison au moment de son décès va directement à l’encontre de son propre témoignage devant la Commission.

 

[31]           Dans Kumarasekaram c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1311, au paragraphe 14, la Cour a déclaré qu’« [u]n agent des visas n’est pas tenu d’attirer l’attention du demandeur sur chaque conclusion défavorable qu’il peut tirer de la preuve présentée par le demandeur. Un tel devoir pourrait naître si les inférences défavorables étaient tirées de faits ou de renseignements par ailleurs inconnus du demandeur, ou auxquels il n’a pas accès ». Le contexte de cette décision était différent, mais le même raisonnement est applicable ici. Le demandeur connaissait ou aurait dû connaître la coïncidence frappante qui existait entre la peine d’emprisonnement et le moment et le lieu du décès. Il a présenté en preuve le certificat de décès de son père et il devait savoir que son père était décédé dans cette même prison. Si la Commission avait constaté cette contradiction apparente au moment de l’audience, il aurait été bien sûr préférable que cette question soit soulevée. Il paraît toutefois évident et raisonnable que la Commission ait tiré cette déduction négative.

 

2. Caractère déraisonnable des conclusions relatives à la crédibilité

[32]           Le demandeur soutient que les conclusions de la Commission en matière de crédibilité sont déraisonnables. Il s’attache principalement à la conclusion négative de la Commission concernant le comportement incohérent de l’État à l’égard de son arrestation (qu’il affirme être fondée sur la vraisemblance) et aux éléments de preuve non pris en compte. Il affirme qu’« [un tribunal administratif] ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est‑à‑dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend » : Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2001] ACF no 1131, par. 7.

 

[33]           Il affirme que les documents présentés à la Commission démontrent qu’il n’est pas inhabituel en Guinée équatoriale que les opposants politiques fassent l’objet de mesures de harcèlement relativement mineures pendant un certain temps, combinées occasionnellement à des actes graves de persécution. Il fait remarquer qu’[traduction] « il est évident que ce qui peut paraître invraisemblable ici [au Canada] peut ne pas l’être en Guinée équatoriale » et que la Commission a commis une erreur en se fondant sur ses propres notions occidentales lorsqu’elle a apprécié le caractère vraisemblable des déclarations.

 

[34]           Je ne suis pas convaincu par ces arguments. Je conviens avec le demandeur que la preuve documentaire démontre effectivement que les opposants politiques peuvent faire l’objet de mesures de harcèlement relativement mineures pendant certaines périodes, et subir de façon occasionnelle des actes graves de persécution. Or, rien ne prouve que les opposants politiques visés par un mandat sont arrêtés à de multiples reprises, qu’ils sont détenus brièvement et sont ensuite relâchés. Si cette preuve avait figuré au dossier, on aurait pu accorder un certain poids à l’argument du demandeur selon lequel la Commission s’était fondée sur des notions occidentales pour apprécier la preuve.

 

[35]           De plus, la Commission a tiré plusieurs autres conclusions négatives raisonnables au sujet de la crédibilité. Comme je l’ai mentionné, la Commission a tiré une conclusion négative en matière de crédibilité au sujet de la liste de mars 2008, qui était, avec le certificat de décès du père, les éléments centraux de preuve présentés par le demandeur. Elle a également tiré une conclusion négative en matière de crédibilité au sujet de l’écart important entre les dates qu’a fournies le demandeur au sujet de son emploi à la banque, un écart qu’il qualifie maintenant de « mineur ». Ce n’était pas un écart mineur. Le demandeur s’est fondé sur son congédiement de la banque à la fois dans son FRP et à l’audience pour établir le fait que l’État lui était hostile. Cette contradiction était donc très importante.

 

[36]           Le demandeur soutient également que la Commission n’a pas tenu compte de la note de service ordonnant son assassinat dans sa décision. Comme je l’ai mentionné, la note manuscrite visant le demandeur qui se trouvait à la fin de la note de service ordonnant son assassinat énonçait :

[traduction] Mon frère : Si tu peux, quitte l’Espagne le plus tôt possible parce que ces salauds vont aller te chercher là‑bas, en France et en Espagne. Fais tout ce que tu peux pour quitter l’Espagne.

[37]           Lorsque la Commission l’a interrogé sur les raisons pour lesquelles il avait quitté l’Espagne, le demandeur n’a aucunement fait référence à la note de service ordonnant son assassinat comme on aurait pu s’y attendre. Il a en fait affirmé qu’il avait agi de cette façon parce que le gouvernement espagnol s’intéressait davantage au pétrole qui se trouve en Guinée équatoriale qu’aux droits de la personne. Lorsqu’on lui a demandé par la suite s’il avait des preuves indiquant que le gouvernement s’intéressait encore à lui en 2011, il a déclaré :

[traduction]

Oui, il y a un document qui m’a été envoyé d’Espagne qui me disait ceci. Ceux qui veulent me retrouver, vous savez, retrouver qui que ce soit, viennent en Espagne ou en France. Et dans mon cas, ils pourraient fort bien venir en Espagne ou en France pour me tuer.

 

[38]           Cette référence apparemment indirecte à la note de service ordonnant son assassinat n’est pas convaincante. Premièrement, elle ne concerne aucunement l’année 2011, mais plutôt 2008. Deuxièmement, l’appelant affirme que le document lui a été envoyé depuis l’Espagne, mais il semble que le document ait été envoyé d’un autre pays que l’Espagne, par exemple, de la Guinée équatoriale parce que la partie pertinente de la note manuscrite énonce : [traduction] « […] quitte l’Espagne le plus tôt possible parce que ces salauds vont aller te chercher là‑bas […] » [Italiques ajoutés].

 

[39]           Le demandeur n’a pas témoigné à l’audience au sujet de la façon dont il a pris connaissance de la note de service ordonnant son assassinat, ou à quel moment il en a eu connaissance, ni de la personne qui la lui a envoyée, que ce soit en réponse aux questions de la Commission, ou volontairement. Il n’a pas non plus mentionné dans son FRP avoir reçu des avertissements aussi inquiétants. Au contraire, son FRP fait seulement état de « l’insécurité croissante » des citoyens de la Guinée équatoriale vivant en Europe. Cependant, si la note de service ordonnant son assassinat était authentique, elle aurait constitué un élément inquiétant dont il aurait certainement dû se souvenir : elle semblait être une directive demandant que le demandeur soit exécuté et elle lui a été apparemment envoyée pendant qu’il se trouvait en Espagne. Or, il n’a jamais mentionné ce document inquiétant parmi les motifs qui l’ont poussé à quitter l’Espagne. Il était loisible à la Commission de n’accorder que peu de poids, voire aucun, à la note de service ordonnant son assassinat.

 

3. Absence de crainte subjective

[40]           La Commission a estimé que les voyages que le demandeur a effectués après avoir reçu la liste de mars 2008 ne laissaient pas croire à une crainte subjective. Le demandeur affirme que les explications qu’il a fournies au sujet de ses voyages après mars 2008 n’ont pas été prises en compte ou ont été rejetées de façon déraisonnable et qu’ainsi la conclusion relative à sa crainte subjective a été tirée de façon déraisonnable.

 

[41]           Les parties ne contestent pas le fait que l’omission de la part du demandeur de demander asile au Cameroun, en Espagne et en Italie puisse être pertinente. La Commission a toutefois fondé sa conclusion relative à l’absence de crainte subjective à la fois sur les voyages du demandeur dans ces pays et sur son omission de demander l’asile et sur les questions qu’elle se posait au sujet de la crédibilité de son témoignage, notamment au sujet du caractère authentique de la liste de mars 2008. Le demandeur a expliqué pourquoi il n’avait demandé l’asile dans aucun de ces trois pays; il était toutefois loisible à la Commission d’apprécier ces explications à la lumière de la preuve présentée au départ au sujet de l’existence d’une certaine persécution ou d’un risque, laquelle a été jugée non crédible.

 

4. Absence de risque personnalisé

[42]           Le demandeur soutient qu’il a fourni des éléments de preuve au sujet du risque auquel il était exposé, à savoir la liste de mars 2008 et les arrestations effectuées en 2005 et 2007. Il est raisonnable que la Commission ait estimé que ses allégations au sujet du risque auquel il était exposé depuis au moins 2004, en particulier la liste de mars 2008, n’étaient pas crédibles. Elle pouvait donc conclure qu’il n’était pas exposé à un risque personnalisé et futur et qu’il n’était pas nécessaire qu’elle reprenne son raisonnement au sujet de la crédibilité de son témoignage.

 

Conclusion

[43]           La décision de la Commission était raisonnable et conforme à l’équité procédurale. La demande doit donc être rejetée.

 

[44]           Aucune des parties n’a demandé qu’une question soit certifiée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑8603‑11

 

INTITULÉ :                                                  ANTONIO CAMILO AYONG ANGUE ONDO c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 26 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 19 octobre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patricia Wells

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Alex C. Kam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

PATRICIA WELLS

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

MYLES J. KIRVAN

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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