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Date : 20121017

Dossier : IMM-37-12

Référence : 2012 CF 1196

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 octobre 2012

En présence de monsieur le juge Pinard

Entre :

NAGENRAM SANTHEESAN,

SUGANTHINI SANTHEESAN,

NIRUSSIA SANTHEESAN

 

demandeurs

et

 

Le ministre de la citoyenneté

et de l’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

Motifs du jugement et jugement

 

 

[1]               Les demandeurs ont présenté une demande en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), sollicitant le contrôle judiciaire de la décision de L. Ly, une agente d'immigration (l'agente). L'agente a rejeté la demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR) des demandeurs.

[2]               Nagenram Santheesan (le demandeur principal), son épouse Suganthini Santheesan et leur fille Nirussia Santheesan (collectivement, les demandeurs) sont des citoyens du Sri Lanka. Le demandeur principal est arrivé au Canada le 27 décembre 2007, alors que son épouse et sa fille sont arrivées le 19 août 2008.

 

[3]               Les demandeurs ont présenté une demande d'asile que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a finalement rejetée le 20 septembre 2010 et leur demande d'autorisation et de contrôle judiciaire a également été rejetée le 10 janvier 2011.

 

[4]               Dans sa demande d'asile, le demandeur principal a expliqué qu'il a été forcé de travailler pour les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (les TLET). En raison de ses liens avec les TLET, les autorités sri‑lankaises l’ont harcelé, croyant qu'il était un partisan des TLET. Du fait de ce harcèlement, il a allégué avoir quitté le Sri Lanka pour l'Italie en 1997, où il a obtenu un permis de travail. Ensuite en 2003, il est retourné au Sri Lanka pour épouser celle qui est maintenant son épouse et est retourné en Italie. Le demandeur principal a alors parrainé son épouse pour qu'elle puisse le rejoindre en Italie. Leur fille est née en Italie en 2005. Toutefois, la famille a finalement quitté l'Italie en 2007, lorsque le permis de travail ne pouvait plus être renouvelé. Le demandeur principal allègue avoir détruit son avis de renouvellement provenant des autorités italiennes avant de quitter l'Italie. Il a cependant autorisé l'Agence des services frontaliers du Canada à se renseigner et à avoir accès à son dossier d'immigration auprès du gouvernement italien.

 

[5]               Dans sa décision défavorable datée du 20 septembre 2010, la Commission a conclu que la section E de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention) excluait les demandeurs du statut de réfugiés compte tenu de la preuve documentaire, plus particulièrement un document de [traduction] « permission de résidence » et une [traduction] « carte de résidence ». La Commission a donc conclu que les demandeurs n'avaient pas de statut en Italie en fonction d'un permis de travail, mais qu'ils étaient plutôt des résidents permanents. En conséquence, les demandeurs ont des droits juridiques en Italie et la section E de l’article premier de la Convention les empêche de présenter une demande d'asile au Canada. La section E de l’article premier dispose :

  E. Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

  E. This Convention shall not apply to a person who is recognized by the competent authorities of the country in which he has taken residence as having the rights and obligations which are attached to the possession of the nationality of that country.

 

 

 

[6]               Le 9 juin 2011, les demandeurs sont devenus admissibles à un ERAR et leur demande a été reçue le 23 juin 2011. Dans leur demande d’ERAR, les demandeurs ont invoqué les mêmes risques que ceux énoncés dans leur demande d'asile, notamment la situation générale du pays au Sri Lanka pour un Tamoul de la région du Nord du pays. Le demandeur principal s’est également opposé aux conclusions de la Commission relativement à son statut en Italie, soutenant qu'il n'a aucun statut juridique valide.

 

* * * * * * * *

 

[7]               Il est possible de résumer comme suit les questions que soulève la présente demande de contrôle judiciaire :

                          i.            L'agente a-t-elle commis une erreur de droit en se fondant sur les conclusions de la Commission, plus précisément en concluant que les demandeurs avaient un statut en Italie? 

 

                        ii.            L'agente a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la situation du pays au Sri Lanka, tirant des conclusions de fait de manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait?

 

 

[8]               La première question soulevée par les demandeurs étant une erreur de droit alléguée, celle‑ci doit être examinée selon la norme de la décision correcte (Raza c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CAF 385, 370 NR 344, au paragraphe 3 [Raza]; Canada (Citoyenneté et Immigrationc Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 44).

 

[9]               La deuxième question soulevée étant une question de fait, celle-ci doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable; les conclusions de fait de l'agente et son appréciation de la preuve commandent la retenue en raison de son expertise (Figurado c Canada (Procureur général), 2005 CF 347, au paragraphe 51, [2005] 4 RCF 387 [Figurado]; Ampong c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 35, au paragraphe 17; Selliah c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 872, 256 FTR 53, au paragraphe 16). Par conséquent, la Cour doit se prononcer sur la question de savoir si la décision de l'agente appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

* * * * * * * *

 

I.                   L'agente a-t-elle commis une erreur de droit en se fondant sur les conclusions de la Commission, plus précisément en concluant que les demandeurs avaient un statut en Italie?

 

[10]           L'agente n'a pas commis d'erreur en s'appuyant sur la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs avaient un statut juridique en Italie en vertu de la section E de l’article premier de la Convention. Si les demandeurs allèguent que l'agente a commis une erreur de droit en se fondant sur les conclusions de la Commission, ils ne fournissent aucune jurisprudence à l'appui de leur argument. Comme l’ont expliqué le défendeur et la Cour, le processus d’ERAR n'est pas un appel contre la décision de la Commission (Figurado, précité, au paragraphe 52). Cependant, la plupart des arguments que soulèvent les demandeurs contestent la conclusion de la Commission selon laquelle ils sont exclus en raison de la section E de l’article premier de la Convention, arguments qu'ils ont soulevés dans leur demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission dans le dossier IMM‑6170‑10 et qui a finalement été rejetée. Par conséquent, l'argument des demandeurs selon lequel l'agente a commis une erreur en s'appuyant sur la conclusion de la Commission est dénué de tout fondement.

 

[11]           Il y a lieu de rappeler, comme l'a expliqué le juge Luc J. Martineau dans Figurado, précité, au paragraphe 52, que « la demande ERAR n'a pas pour objet un nouvel examen des faits qui avaient été soumis à la Commission ou de faire indirectement ce qui ne peut être fait directement, à savoir contester les conclusions de la Commission ». En conséquence, l'agente avait le droit de s'appuyer sur les conclusions de la Commission et n'était pas tenue d'entreprendre sa propre analyse concernant l'applicabilité de l'exclusion fondée sur la section E de l’article premier de la Convention. De plus, les demandeurs ne fournissent aucune décision à l'appui de leur argument portant que l'obligation d’obtenir des éléments de preuve incombe à l’agent.

 

[12]           Cette prétention est clairement mal fondée, car la Cour a répété à de nombreuses reprises qu’à l’occasion d’un ERAR, le fardeau de preuve incombait au demandeur et que celui‑ci avait l'obligation de fournir tous les renseignements à l'appui de sa demande.

 

[13]           Pour ces motifs, la prétention des demandeurs est non fondée et l'intervention de la Cour n'est pas justifiée.

 

II.                L'agente a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la situation du pays au Sri Lanka, tirant des conclusions de fait de manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait?

 

[14]           Là encore, les demandeurs n’ont fourni aucun élément de preuve ni aucune décision au soutien de leur prétention selon laquelle l'agente a commis une erreur dans son appréciation de la situation du pays au Sri Lanka. Comme l'a expliqué le défendeur, compte tenu du fait que la demande d’ERAR des demandeurs était fondée sur des allégations de risques au Sri Lanka, il était raisonnable que l'agente examine ces risques. L’agent chargé de l’ERAR a l'obligation de prendre en compte tous les nouveaux éléments de preuve qui sont survenus depuis la décision relative à leur demande d'asile (article 113 de la Loi). L'agente n'a pas commis d'erreur en mentionnant l'Italie, compte tenu que la Commission a conclu que les demandeurs avaient un statut en Italie et que cette conclusion était déterminante quant à leur demande d'asile.

 

[15]           L'agente s’est appuyée sur les éléments de preuve les plus récents qui étaient disponibles. Contrairement à ce qu’allèguent les demandeurs, rien n'indique que l'agente se soit fondée sur des éléments de preuve périmés. En outre, une grande partie de la preuve documentaire sur laquelle s'appuient les demandeurs dans leur demande d’ERAR est fondée sur des éléments de preuve remontant à 2009.

 

[16]           Les demandeurs n’ont pas établi que l'agente avait ignoré la preuve dont elle disposait. Elle a plutôt clairement reconnu que la situation au Sri Lanka était loin d'être parfaite. Essentiellement, les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau de preuve.

 

[17]           Après avoir examiné la preuve documentaire, la preuve d'un risque généralisé au Sri Lanka et l'absence d'un risque personnalisé, l'agente a rejeté la demande d’ERAR des demandeurs. Il était raisonnablement loisible à l'agente de tirer une telle conclusion, compte tenu du fait que l'appréciation de la preuve et, en conséquence, l'examen des risques au Sri Lanka, relevaient de son expertise.

 

[18]           Contrairement au raisonnement des demandeurs, l’agent n'a aucunement l'obligation de mentionner tous les documents ou tous les extraits de la preuve documentaire sur lesquels il s'appuie. Bien que l'agente n'ait pas nécessairement mentionné les parties exactes des rapports sur les pays de 2011 que les demandeurs avaient soulignées, l'agente n'a pas ignoré les éléments de preuve concernant les conditions défavorables au Sri Lanka et elle a expressément reconnu que la situation était loin d'être parfaite. Or, ce que les demandeurs recherchent véritablement est une nouvelle appréciation de la preuve et la remise en cause de leur demande d'asile déboutée, ce qui n'était pas le rôle de l'agente, pas plus que celui de la Cour.

 

[19]           De plus, les demandeurs allèguent que l'agente s'est appuyée sur des sources périmées, mais ils n’indiquent pas les sources [traduction] « plus récentes » qu'elle aurait dû prendre en compte. La preuve documentaire sur laquelle s'est appuyée l'agente est postérieure à la date de dépôt de la demande d’ERAR des demandeurs, constituant ainsi « des éléments de preuve survenus depuis le rejet [de la demande] » comme l'exige l'article 113 de la Loi (voir Raza, précité, au paragraphe 13).

 

[20]           Par conséquent, l'appréciation de la preuve de l'agente et ses conclusions sont raisonnables, et elles appartiennent aux issues possibles.

 

* * * * * * * *

 

[21]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[22]           Je suis d'accord avec les avocats des parties pour dire qu'il n'y a aucune question à certifier.

 

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle L. Ly, agente d'immigration, a rejeté la demande d'examen des risques avant renvoi des demandeurs, est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-37-12

 

Intitulé :                                      NAGENRAM SANTHEESAN, SUGANTHINI SANTHEESAN, NIRUSSIA SANTHEESAN c le ministre de la citoyenneté et de l’IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :             Le 5 septembre 2012

 

Motifs du jugement

et jugement :                            le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 17 octobre 2012

 

 

 

Comparutions :

 

Robert I. Blanshay                                          pour les demandeurs

 

Angela Marinos                                               pour le défendeur

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blanshay & Lewis                                           pour les demandeurs

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan                                               pour le défendeur

Sous‑procureur général du Canada

 

 

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