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Date : 20121031

Dossier : IMM-8457-11

Référence : 2012 CF 1270

[traduction FRANÇAISE certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le  31 octobre 2012

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

entre :

 

DMYTRO AFANASYEV

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

                      

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée par Dmytro Afanasyev par laquelle il s’attaque à la décision d’un agent d’immigration (l’agent), décision statuant au rejet de la demande de visa de résidence permanente de M. Afanasyev. Le fondement de la décision était la conclusion de l’agent selon laquelle il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Afanasyev était interdit de territoire au Canada, car il était l’auteur d’actes d’espionnage contre une institution démocratique, selon les termes du paragraphe 34(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

 

[2]               Il s’agit de la deuxième demande de contrôle judiciaire présentée par M. Afanasyev relativement au rejet de sa demande de visa. Dans une décision précédente de la Cour, Afanasyev c Canada (MCI), 2010 CF 737, [2010] ACF no 848, le juge Yves de Montigny avait annulé la conclusion d’interdiction de territoire tirée le 2 octobre 2008 par une autre agente. La décision qui est maintenant soumise au contrôle a été rendue à la suite de l’ordonnance du juge de Montigny.

 

            Question préliminaire

[3]               Comme ce fut le cas dans la demande précédente, le défendeur a présenté une requête à la Cour, en vertu de l’article 87 de la LIPR, en vue de la protection par caviardage de certains renseignements de sécurité confidentiels contenus dans le dossier certifié du tribunal (le dossier). J’ai saisi l’occasion d’examiner les renseignements caviardés dans le cadre d’une audience à huis clos tenue à Ottawa le 5 septembre 2012, et, comme le juge de Montigny, j’ai conclu que les parties du dossier qui ont été caviardées par le défendeur ne sont pas importantes quant au bien‑fondé de la décision de l’agent. Rien de ce qui a été caché à M. Afanasyev n’entrave sa capacité à avoir une compréhension pleine et entière de la décision ou de s’y attaquer sur le fond.

 

Les faits

[4]               L’histoire personnelle de M. Afanasyev est très bien décrite aux paragraphes 2 à 5 de la décision du juge de Montigny, il est inutile de la répéter ici.

 

 

[5]               Le juge de Montigny s’est interrogé sur une contradiction non expliquée existante entre le mémoire du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et la description faite par M. Afanasyev de ses tâches. Le juge de Montigny a décidé qu’« il était impératif que l’agente explique les raisons pour lesquelles elle a rejeté les explications [de M. Afanasyev], remettant ainsi en cause sa crédibilité ». Le juge de Montigny a aussi souligné le fait que l’agente n’avait pas expliqué le fondement de sa conclusion selon laquelle M. Afanasyev s’était livré à « l’espionnage » dans le sens où ce terme est utilisé à l’alinéa 34(1)a) de la LIPR. Étant donné que les motifs fournis ne permettaient pas de régler les principales questions en litige, ils n’ont pas satisfait aux exigences en matière d’équité procédurale. Le juge de Montigny a aussi décidé que l’agente avait outrepassé sa compétence, lorsqu’elle a négligé de transmettre au ministre, pour examen, la demande d’exception de M. Afanasyev présentée en vertu du paragraphe 34(2) de la LIPR.

 

[6]               Comme suite à la décision du juge de Montigny, la demande de visa de M. Afanasyev a été renvoyée à un autre agent pour qu’il statue à nouveau sur le fond. Par une lettre datée du 11 août 2010, on a avisé M. Afanasyev que son dossier était rouvert pour nouvel examen. Le 5 octobre 2010, dans une lettre à M. Afanasyev, l’agent a énoncé les préoccupations suivantes, et il a invité M. Afanasyev à y répondre :

[Traduction]

Au vu de la décision de la Cour fédérale IMM‑213‑09, votre demande a été rouverte et elle est réexaminée. Après examen, il appert que vous êtes toujours un membre de la catégorie des personnes interdites de territoire décrite aux alinéas 34(1)a) et f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Pour que votre demande soit traitée de la façon la plus juste possible, je vais vous énoncer ci‑après mes préoccupations et je vous offre l’occasion d’y répondre.

 

Dans votre demande, vous avez fourni les renseignements suivants :

 

— de juin 1985 à mai 1987, vous avez servi dans l’armée soviétique,

— vous avez passé six mois dans un centre d’entraînement pour traducteurs militaires pour pouvoir travailler dans les renseignements radio,

— vous étiez affecté au [Traduction] premier peloton de la 11e compagnie de la 82e brigade spéciale de communications,

— pendant ce temps, votre unité était située à Torgau, en République démocratique allemande,

— vos tâches comprenaient l’écoute des communications en anglais provenant des bases des États‑Unis en République fédérale allemande, et la rédaction/préparation de rapports sur diverses fréquences et codes télégraphiques,

— vous avez donné d’autres précisions selon lesquelles vous écoutiez avec des écouteurs, vous décriviez des fréquences radios, votre unité était responsable de l’interception de chaînes de codes, de lettres et de dessins. Par la suite, vous avez déclaré que vous prépariez un rapport et que vous l’envoyiez à l’agent de service, mais que vous ne saviez pas quelle suite était donnée à ce rapport,

—pendant vos deux années au sein de [Traduction] la 82e brigade spéciale de communications, environ 1 000 militaires y travaillaient et l’interception était la fonction principale de l’unité,

— votre unité n’était pas subordonnée à [Traduction] la Direction principale du renseignement du Service du renseignement militaire russe (GRU).

 

J’ai joint à la présente lettre un document de recherche qui établit que [Traduction] la 82e brigade de communications faisait partie du GRU.

 

Par conséquent, cela établit que vous agissiez directement pour le compte du GRU.

 

Il est reconnu depuis bien longtemps au Canada que le GRU est une organisation qui se livre ou s’est livrée à de l’espionnage contre des institutions démocratiques. Par exemple, je vous renvoie à la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Viatcheslav Gariev.

 

Je vous renvoie aussi à la décision récente de la Cour fédérale dans l’affaire Danish Haroon Peer pour un examen du gendre d’activité qui constitue de l’espionnage.

 

Je vous invite à examiner ces renseignements et à répondre à mes préoccupations. J’établirai un délai de 120 jours pour votre réponse.

 

 

[7]               S’opposant vivement à la qualité des recherches, l’avocat de M. Afanasyev a répondu à l’agent, et il a décrit les préoccupations énoncées par l’agent comme étant [Traduction] « un étrange argument à posteriori conçu pour contrecarrer la décision judiciaire ». Selon l’avocat, l’agent devait s’en tenir au contenu du dossier initial, et il ne pouvait pas l’étoffer par d’autres recherches – que l’avocat a décrites comme étant [Traduction] « du clavardage en ligne ».

 

[8]               Le 15 avril 2011, l’agent a répondu au moyen d’une lettre relative à l’équité. Il a admis la faiblesse de l’une de ses sources Internet, il a corrigé certaines des adresses Internet précédentes, et il a fait référence à deux  textes historiques supplémentaires, à l’appui du maintien de sa position selon laquelle l’unité dans laquelle M. Afanasyev travaillait dans l’armée [Traduction] « faisait partie du GRU ».

 

[9]               L’avocat de M. Afanasyev a répondu de la façon suivante :

[Traduction]

J’ai reçu votre lettre datée du 15 avril 2011, et j’ai peu de choses à ajouter à ce que je vous ai écrit dans ma réponse du 26 janvier 2011.

 

Ma position demeure que le ministre tente de produire des preuves supplémentaires et des arguments relatifs aux mêmes questions en litige qui ont été tranchées par la Cour fédérale du Canada le 8 juillet 2010. La Cour a en particulier rendu sa décision sur des questions relatives au paragraphe 34(1) de la LIPR, en ce qui a trait à la question de savoir si M. Afanasyev s’était livré à une forme « d’espionnage », et à la question de savoir s’il appartenait à une organisation qui s’était livrée à de l’espionnage. Veuillez vous rappeler que « l’organisation » examinée par la Cour, à savoir [Traduction] la 82e brigade de l’armée soviétique dans laquelle M. Afanasyev était un soldat, était la même organisation dont le ministre parlait lorsqu’il a décidé de l’interdiction du territoire en application de l’alinéa 34(1)f). En l’espèce, le ministre n’est ni en position de présenter de nouveaux arguments ni en position de présenter de preuves supplémentaires à posteriori, en particulier vu que la preuve sur laquelle il se fonde maintenant existait au moment du premier rejet de la demande.

 

L’« élément de preuve » qui est maintenant présenté n’aurait pas aidé le ministre même s’il l’avait produit à temps. La nouvelle thèse donne à penser que M. Afanasyev pouvait être tenu pour responsable d’avoir « appartenu » au GRU parce que (selon certains commentateurs de blogues sur l’Internet), l’unité de l’armée soviétique dont il faisait partie avait été subordonnée au GRU. Le GRU, l’agence de renseignements militaires soviétique a prétendument, à son tour, eu un rôle dans certaines des activités d’espionnage bien antérieures, en particulier dans [Traduction] l’« affaire Gouzenko », en 1946. Pourtant, par divers degrés distincts, le soldat Afanasyev est maintenant défini de nouveau comme ayant été un « membre » du GRU, une organisation qui se livrait à de l’« espionnage ». Ce serait un euphémisme que de qualifier cette logique de déroutante.

 

Humblement, je recommanderais que vous ayez recours à des conseils juridiques quant aux conséquences du défaut de respecter une décision et des directives précises du juge de Montigny de la Cour fédérale du Canada. Ce faisant, je vous demande d’émettre immédiatement le visa de résident permanent à M. Afanasyev qui a déposé sa présente demande il y a onze ans.

 

 

Questions en litige

[10]           L’argument principal de M. Afanasyev est que la décision soumise au contrôle est presque la même que la décision précédemment annulée par le juge de Montigny, et elle devrait donc être annulée à nouveau pour les mêmes raisons. De plus, le demandeur avance qu’en raison de l’autorité du principe de la chose jugée, l’agent était tenu d’appliquer le point de vue du juge de Montigny sur ce qui constitue de « l’espionnage », et lui était interdit d’appliquer un critère juridique différent. Une autre des inquiétudes de M. Afanasyev était la similitude entre les deux décisions, en ce qu’elles ont souligné avec moult détails le travail de M. Afanasyev dans l’armée. M. Afanasyev avance aussi que la décision était déraisonnable parce qu’elle était fondée sur des éléments de preuve peu fiables – un aspect que l’agent aurait admis, du moins dans le passé.

 

Analyse

[11]           L’agent a tenu compte de la preuve documentaire décrivant un lien entre les unités de l’armée qui interceptaient les communications militaires étrangères et le Glavnoye Razvedyvatel’noye Upravleniye, ou le GRU. En réponse à la première lettre de l’agent relative à l’équité, l’avocat de M. Afanasyev avait vivement critiqué la fiabilité de la preuve sur laquelle l’agent s’était basé. À son tour, l’agent a reconnu qu’il y avait des préoccupations légitimes quant à certaines sources Internet qu’il avait citées. Dans une deuxième lettre relative à l’équité, en réponse à l’avocat, l’agent a fourni deux références Internet supplémentaires, et il a réitéré sa position selon laquelle l’unité de l’armée à laquelle appartenait M. Afanasyev [Traduction] « faisait partie du GRU ».

 

[12]           On a vivement avancé devant la Cour que toutes les sources Internet que l’agent a citées à l’appui de cette conclusion n’étaient pas fiables, y compris les deux références qui étaient mentionnées dans la deuxième lettre relative à l’équité. Le problème relativement à cet argument c’est que dans sa réponse à la deuxième lettre relative à l’équité, l’avocat a omis de s’attaquer à la fiabilité du nouvel élément de preuve que l’agent avait présenté. Le seul point qui a été soulevé était qu’il n’était pas loisible au ministre de suppléer au dossier initial en se fondant sur des preuves documentaires supplémentaires qui n’existaient pas au moment de la première décision relative à l’interdiction de territoire. Bien entendu, cela n’est pas une déclaration correcte. Après que la première décision eut été annulée, il était loisible à chacune des parties de se fonder sur des éléments de preuve supplémentaires, et de créer un nouveau dossier. Ce qui est interdit dans le cadre d’un contrôle judiciaire, c’est qu’un demandeur se plaigne à la Cour du fait qu’on se fonde sur une preuve lorsqu’une telle plainte n’a pas été faite au décideur.

 

[13]           L’agent s’est fondé sur la preuve documentaire selon laquelle l’unité de communications de l’armée soviétique était subordonnée au GRU. L’une de ces sources décrivait le lien de la manière suivante :

[Traduction]

Avant la chute de l’Union soviétique, les Unités OSNAZ étaient subordonnées à la première section de surveillance radio du [Traduction] 6e département du GRU. Ce département était à la tête des divisions OSNAZ, lesquelles faisaient partie des unités militaires et des troupes soviétiques en Hongrie, en Allemagne de l’Est, en Pologne et en Tchécoslovaquie. Sous la supervision du département des renseignements radio, OSNAZ servait comme capteur de renseignements des réseaux de communications des États étrangers – soumis au service de renseignements radio surveillés par le GRU.

 

[…]

 

Les tâches opérationnelles telles que l’écoute des fréquences des ennemis méritent une description séparée. Imaginez un large couloir avec deux rangées d’environ trente récepteurs radio les plus puissants, et environ quinze enregistreurs radio. Pour chaque poste, il y avait deux ou trois soldats en service qui effectuaient des rotations, il y avait deux radios et un enregistreur. Les officiers étaient situés dans [Traduction] l’« aquarium » (la salle vitrée), et supervisés par les soldats de l’extérieur. Que faisaient les soldats en service? Bien entendu, ils écoutaient les fréquences radios en vue d’intercepter les conversations entre les avions de l’OTAN, et leur base ou de la station de diffusion de l’OTAN à partir des quartiers généraux à Bruxelles.

 

[…]

 

[14]           Bien que M. Afanasyev ait dit à l’agent que son unité n’était pas subordonnée au GRU, il a aussi admis qu’il n’avait aucune idée de la façon dont ses rapports étaient utilisés, une fois que ceux‑ci avaient quitté son bureau. Cette allégation de méconnaissance opérationnelle était le fondement sur lequel l’agent a rejeté la preuve qui disculpait M. Afanasyev.

 

[15]           La Cour fait droit à l’argument selon lequel les sources ouvertes ou les sites Internet de style wiki sont, comme les blogues, notoirement peu fiables et ne devraient presque jamais être utilisés comme étant des sources probantes. Toutefois, dans la présente affaire, deux des principales sources documentaires sur lesquelles l’agent s’était fondé n’avaient pas été contestées devant lui. Dans la lettre de décision, l’agent a souligné que l’une de ces sources avait été rédigée par deux historiens très réputés spécialisés dans l’étude des services de renseignements soviétiques, et l’autre source avait été acclamée par plusieurs publications de référence, notamment le New York Times. Cet élément n’avait jamais été soulevé devant l’agent, et il ne peut pas être utilisé pour s’attaquer à la décision, à l’étape du contrôle judiciaire.

 

[16]           La Cour est d’accord avec l’avocat du défendeur lorsqu’il déclare que cet aspect de la plainte est simplement une invitation à la Cour pour qu’elle soupèse de nouveau la preuve. Bien entendu, ce n’est pas une tâche appropriée de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

 

[17]           M. Afanasyev affirme aussi que la décision de l’agent n’est pas raisonnable parce qu’elle ne permet pas d’expliquer comment le lien décrit entre l’unité militaire de M. Afanasyev et le GRU équivalait à une appartenance au GRU. Il s’agit pour l’essentiel de la même préoccupation qui a été évaluée par la juge Anne Mactavish dans la décision Vukic c Canada, 2012 CF 370, [2012] ACF no 407. Dans cette décision, la juge Mactavish a présenté la question en litige de la façon suivante :

38        En ce qui concerne le critère qui permet d’établir le statut de membre, il est clair que l’adhésion effective ou formelle à une organisation n’est pas requise, mais que ce terme est compris au sens large : voir Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 2 C.F. 642, par. 34. De plus, il y aura toujours des facteurs qui confirmeront une conclusion établissant l’existence d’un statut de membre et d’autres qui s’y opposeront : voir Poshteh, ci-dessus, par. 36.

 

 

[18]           Il ne fait aucun doute que le travail de M. Afanasyev en tant qu’officier de surveillance radio au sein de [Traduction] la 82brigade spéciale de communications de l’armée soviétique constituait une forme d’espionnage, bien que ce soit à un niveau fonctionnel bas. Selon les propres déclarations de M. Afanasyev, son travail incluait la collecte de renseignements militaires provenant de l’OTAN et des Forces américaines en Allemagne de l’Ouest. L’avocat de M. Afanasyev a décrit la nature de ses tâches de la façon suivante :

[Traduction]

Les faits relatifs aux tâches de M. Afanasyev en tant que soldat (détective) qui faisait partie d’une unité de renseignements militaires de ce qui était alors l’armée soviétique, et qui était posté en Allemagne de l’Est ne sont pas contestés, et sont admis par les deux parties.

 

[…]

 

Les activités de M. Afanasyev il y a plus de 20 ans en tant que soldat enrôlé dans l’armée soviétique faisaient partie des exercices de renseignements militaires légitimes et routiniers ordonnés par ses superviseurs dans ce qui était alors le pays dont il avait la citoyenneté.

 

Le refus d’obéir aux tâches assignées en tant que soldat enrôlé aurait constitué un crime en Union soviétique, comme cela aurait été le cas dans la plupart des autres pays. Le fait de commettre une telle infraction aurait pu en elle‑même rendre M. Afanasyev interdit de territoire au Canada pour ces motifs.

 

Les tâches de M. Afanasyev comprenaient la traduction de termes anglais provenant des communications de l’OTAN sans une compréhension ou une connaissance des codes liés à ces termes. Quoi qu’il en soi, les codes militaires de l’OTAN utilisés au milieu des 80 ne seraient pertinents aujourd’hui ni au Canada ni dans un aucun autre pays.

 

Il n’y a ni allégation ni question selon lesquelles les activités de M. Afanasyev dans une unité de renseignements de l’armée soviétique pendant un an, au milieu des années 80, ait jamais eu quelque effet que ce soit sur le Canada ou les Canadiens ou même que ces activités aient été dirigées contre le Canada. Les communications militaires interceptées provenaient d’un pays allié du Canada.

 

[…]

 

Bien que les tâches accomplies par M. Afanasyev aient été des tâches générales d’un soldat dans les forces armées, ces tâches au sein de l’unité dont il est question consistaient principalement à s’asseoir à côté d’un récepteur radio et à écouter les transmissions militaires en anglais sur diverses fréquences radios. Les messages étaient en anglais, mais ils étaient cryptés, et M. Afanasyev les transmettait simplement à d’autres dans une forme cryptée, sans aucune connaissance de leur encodage. Pourtant, M. Afanasyev n’était pas étranger à quelque secret que ce soit, si en fait il y en avait qui étaient transmis. En 1987, M. Afanasyev a été affecté à la réserve et il est retourné à l’université à Kiev.

 

 

[19]           L’avocat de M. Afanasyev a décrit son travail comme une forme de collecte de renseignements militaires, et non pas de l’espionnage; mais, il s’agit d’une distinction sémantique rejetée par le juge Russel Zinn dans la décision Peer c Canada, 2010 CF 752, [2010] ACF no 916, confirmée par l’arrêt Peer c Canada, 2011 CAF 91, [2011] ACF n338. Dans cette décision, le juge Zinn a décidé que l’espionnage était simplement une façon cachée ou détournée de recueillir des renseignements. L’espionnage ne requiert aucun élément d’intention hostile, et il peut subvenir même lorsqu’il est effectué de façon licite pour le compte d’un gouvernement ou d’une agence étrangère. J’ajouterais à cela que l’espionnage ne requiert pas une connaissance précise de la façon dont les renseignements pourront être utilisés plus tard par des personnes plus haut placées. La tâche qui consiste à écouter les signaux radio militaires de l’Occident pendant qu’on est employé de l’armée soviétique est, par cette définition, un acte d’espionnage. La Cour est d’avis que l’acquisition de renseignements militaires de façon incidente peut ne pas équivaloir à de l’espionnage, mais en l’espèce, M. Afanasyev était directement employé dans la collecte de renseignements de télécommunication militaires de l’Occident, de façon cachée, pour le compte de son unité de renseignements militaires – ou, comme l’avocat du défendeur l’a dit [Traduction], « sa tâche principale était d’écouter » les communications de l’OTAN. Le fait que M. Afanasyev était un soldat enrôlé travaillant au rang de détective, et que son emploi dans l’armée date d’il y a plus de vingt ans, n’est pas pertinent sauf dans une demande d’exemption ministérielle vue d’une exclusion à une conclusion d’interdiction du territoire.

 

[20]           La Cour n’est pas d’accord avec l’argument de l’avocat selon lequel l’agent aurait dû énoncer une définition juridique précise du terme « espionnage ». Il suffit que les activités décrites équivaillent à une forme d’espionnage, et en l’espèce c’est le cas. La Cour n’interprète pas la décision du juge de Montigny comme admettant une obligation très large. Cette décision était fondée sur une conclusion selon laquelle les motifs de l’agente étaient inadéquats sur le plan de la procédure, et qu’il y avait eu un manquement à l’équité. Depuis lors, la Cour suprême du Canada a décidé dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor) 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, que le caractère adéquat des motifs n’est pas un fondement isolé sur lequel on peut se baser pour annuler une décision pour des motifs d’équité. Il suffit, à la lecture de la preuve et des questions en litige, que les motifs expliquent de façon adéquate les fondements de la décision et en l’espèce ils le font.

 

[21]           Peu importe aussi que les deux décisions lettres contiennent beaucoup de similitudes. En fait, il serait surprenant qu’elles ne le fassent pas. Les extraits du récit sur lesquels on s’est fondé dans les deux affaires, et qui se chevauchent, sont simplement le récit du passé non contesté de M. Afanasyev dans l’armée. La principale question en litige était relative à la conclusion d’interdiction de territoire, à savoir si l’agent avait des motifs raisonnables de croire que, selon l’aveu même du rôle de M. Afanasyev dans l’écoute des communications radio de l’OTAN, il était membre d’une organisation qui s’était livrée à de l’espionnage. La décision de l’agent était fondée sur la preuve, et la déférence requiert que la Cour respecte cette conclusion.

 

[22]           La plainte supplémentaire de M. Afanasyev relativement au fait que l’agent avait l’obligation de traduire toutes les références en russe vers l’anglais est sans fondement. M. Afanasyev parle couramment le russe et l’anglais, et il est tout à fait en mesure de comprendre l’ensemble du dossier.

 

[23]           Les parties ont demandé que la Cour ait l’occasion d’examiner une question certifiée. Le demandeur aura sept jours pour présenter sa position par écrit. Le défendeur aura trois jours pour répondre. Aucune des observations ne pourra dépasser cinq pages.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE EN CES TERMES : la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

« R.L. Barnes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LLM., M.A.Trad.jur

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                              IMM-8457-11

 

INTITULÉ :                                            AFANASYEV

c

MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                   Le 1er octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                  Le juge Barnes

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                           Le 31 octobre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gary Segal

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Gregory George

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rekai LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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