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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20121031

Dossier : IMM-1509-12

Référence : 2012 CF 1273

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2012

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

ISRAEL MORENO SANDOVAL

GABRIELA BALDERAS HERNANDEZ

ZURY YETLANEZY MORENO BALDERAS (mineur)

YITZHAK MISRAIM MORENO BALDERAS (mineur)

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), à l’égard d’une décision datée du 11 janvier 2012 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention selon l’article 96 de la Loi ou de personnes à protéger selon la définition énoncée au paragraphe 97(1) de la Loi.

 

[2]               Cette conclusion était fondée sur l’absence de lien avec les motifs prévus à la Convention, sur le manque de crédibilité des demandeurs, sur l’omission de réfuter la présomption de la protection de l’État et sur l’absence de risque personnel.

 

[3]               Les demandeurs demandent à la Cour d’annuler la décision de la Commission et de déclarer qu’ils ont qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger ou, subsidiairement, de renvoyer l’affaire pour nouvelle décision par un tribunal différemment constitué.

 

Les faits à l’origine du litige

 

[4]               Les demandeurs sont des citoyens du Mexique. Ils ont vécu à Irapuato, dans l’État du Guanajuato. La violence a augmenté de façon saisissante dans cette ville en raison des activités des cartels de la drogue, et des meurtres violents ont été annoncés tous les jours aux nouvelles.

 

[5]               Israel Moreno Sandoval (le demandeur principal) travaillait dans la vente de produits laitiers et soutient avoir été approché par un homme qui lui a proposé de faire affaires avec lui. Plus tard, son épouse et lui-même ont été attaqués par deux hommes qui lui ont dit qu’il devait vendre des drogues pour eux, faute de quoi ils le tueraient ainsi que sa femme et ses enfants. Ils lui ont également dit de ne pas prévenir la police, parce qu’ils seraient informés de ce signalement en raison de leurs contacts.

 

[6]               Après cet incident, les demandeurs ont reçu des appels téléphoniques de menaces de décapitation à leur domicile. Le demandeur principal a été attaqué à nouveau et, alors qu’il rentrait chez lui, il a reçu des menaces et s’est fait dire que sa famille serait torturée s’il n’acceptait pas de vendre des drogues.

 

[7]               Les demandeurs se sont enfuis dans la ville de Silao, où le demandeur principal soutient qu’il a à nouveau été attaqué et menacé par un groupe d’hommes masqués. Il s’est plaint aux autorités, mais on lui a répondu que, étant donné que l’attaque avait eu lieu dans la ville d’Irapuato, il devait se plaindre là-bas. Il a donc déposé une plainte le 26 juin 2009. Compte tenu de la réaction qui a suivi cette plainte, les demandeurs ne se sont pas sentis suffisamment protégés et se sont fait dire par la commission des droits de la personne qu’elle ne pouvait se mêler de cette question. Les demandeurs ont décidé qu’ils n’étaient pas protégés, car l’inertie des autorités démontrait un manque de volonté d’enquêter sur l’affaire. Ils ont quitté le Mexique pour venir au Canada.

 

[8]               Les demandeurs sont arrivés au Canada le 27 juin 2009 et leur audience devant la Commission a eu lieu le 22 décembre 2011.

 

La décision de la Commission

 

[9]               La Commission a rendu sa décision le 11 janvier 2012 et en a informé les demandeurs le 20 janvier 2012. Elle a d’abord résumé les allégations des demandeurs en se fondant sur l’exposé circonstancié de leur Formulaire de renseignements personnels (FRP).

 

[10]           La Commission a d’abord conclu que les demandeurs n’étaient pas visés par l’article 96 de la Loi, en raison de l’absence de lien entre leur situation et un motif prévu à la Convention. De l’avis de la Commission, la crainte des demandeurs de retourner au Mexique n’était pas liée à la race, à la religion, à la nationalité, à des opinions politiques ou à l’appartenance à un groupe social. La crainte de la criminalité n’a aucun lien avec ces motifs. La Commission a fait état de décisions où la Cour fédérale a conclu que les victimes d’actes criminels, de corruption ou de vendettas ne réussissent généralement pas à établir un lien entre la crainte de persécution qu’elles invoquent et l’un des motifs prévus à la Convention. En conséquence, la demande des demandeurs n’était pas visée par l’article 96.

 

[11]           La Commission a mené une analyse distincte de la demande des demandeurs fondée sur l’alinéa 97(1)b) de la Loi. Elle a décidé que le risque auquel les demandeurs étaient exposés n’était pas devenu un risque personnel du fait que le demandeur principal avait refusé d’obtempérer aux demandes des criminels ou qu’ils avaient été poursuivis après ce refus. La Commission a souligné la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle le risque d’être victime d’actes ou de menaces de violence est un risque auquel sont généralement exposées d’autres personnes et n’est pas un risque spécifique au demandeur d’asile. La Commission s’est fondée sur des documents montrant que des milliers de citoyens du Mexique avaient été victimes de violence de la part de criminels et de cartels de la drogue au Mexique.

 

[12]           La Commission a passé en revue plusieurs décisions dans lesquelles elle a rejeté les demandes d’asile de personnes fuyant la violence criminelle et que la Cour fédérale a subséquemment confirmées. La Commission a constaté qu’au Mexique, l’extorsion auprès des propriétaires d’entreprises est un modus operandi du cartel Los Zetas. Les propriétaires d’entreprises et les vendeurs sont davantage exposés à ce risque, mais il s’agit encore d’un risque généralisé auquel fait face l’ensemble de la population au Mexique. En conséquence, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas prouvé qu’ils étaient exposés à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou encore au risque d’être soumis à la torture et qu’ils n’avaient pas qualité de personnes à protéger au sens de l’alinéa 97(1)b).

 

[13]           La Commission a ensuite examiné la question de la crédibilité. Elle a jugé que le demandeur principal n’était pas crédible, en raison d’omissions et d’incohérences importantes entre son témoignage et la preuve documentaire, lesquelles omissions et incohérences n’ont pas été expliquées de façon satisfaisante. La Commission était également préoccupée par la crédibilité des allégations du demandeur principal en ce qui a trait aux personnes qu’il craignait spécifiquement.

 

[14]           La Commission a accepté les allégations concernant l’augmentation remarquable de la violence dans les villes mexicaines et s’est demandé si les demandeurs avaient quitté le Mexique en raison de ces dangers inhérents et étaient en quête d’une vie meilleure et d’une société plus productive.

 

[15]           De l’avis de la Commission, les plaintes à la police que le demandeur principal a déposées ne corroboraient pas les affirmations de celui-ci. Le demandeur principal avait en effet soutenu que, lorsqu’il est allé voir la police d’Irapuato le 26 juin 2009, il l’a informée des demandes et des menaces dont il avait fait l’objet et la police lui a dit de se tenir loin du cartel. Pendant son témoignage, le demandeur principal a déclaré que, dans la première plainte qu’il a déposée, il a nommé La Familia Michoacana. Les documents montrés à la Commission n’appuyaient pas cette affirmation et aucun document ou élément de preuve visant à expliquer l’incohérence n’a été présenté.

 

[16]           La plainte à la police que le demandeur principal a déposée est un court document qui comporte uniquement le nom et l’adresse de celui-ci et la mention de sa plainte de menace de la part du « QNN ». Le demandeur principal n’a nullement mentionné, dans ce document, qu’il s’était fait demander de vendre de la drogue et il n’a pu expliquer ce que signifiait « QNN ». Au cours de son témoignage, il n’a pas réussi à expliquer cette incohérence. La Commission a conclu que le demandeur principal n’avait pas dit à la police qu’il s’était fait demander de vendre des drogues pour les Michoacana et qu’il ne lui avait pas donné suffisamment de temps ou de renseignements pour lui permettre de mener une enquête.

 

[17]           La Commission a fait part de sa préoccupation au sujet de l’ajout tardif de renseignements concernant les Michoacana dans l’exposé narratif du FRP. Selon une déclaration faite le 27 avril 2011 auprès du ministère public par la sœur de l’épouse du demandeur principal, l’oncle de celle-ci a été enlevé après la venue d’un homme qui était à la recherche du demandeur principal. D’après la déclaration d’un avocat, la belle-sœur lui a dit que cette disparition avait eu lieu trois mois après le départ des demandeurs. Or, ce n’est qu’en mai 2011 que la disparition remontant à 2009 a été ajoutée dans l’exposé narratif du FRP des demandeurs. Il n’est pas fait mention des Michoacana dans l’un ou l’autre des documents.

 

[18]           La Commission a conclu que le demandeur principal n’avait pas réussi à expliquer de façon satisfaisante les raisons pour lesquelles il avait omis de fournir ces renseignements importants dans l’exposé narratif de son FRP et dans les réponses qu’il avait données à un agent d’immigration. La Commission a pris note des réponses hésitantes que le demandeur principal a données aux questions qu’elle lui avait posées au sujet des propos des hommes qui l’avaient menacé. La Commission a tiré une conclusion défavorable en se fondant sur ces omissions et sur l’inclusion tardive de ces renseignements et a souligné que le demandeur avait ajouté ces renseignements plus tard afin de renforcer la demande de protection.

 

[19]           Subsidiairement, la Commission a rejeté la demande des demandeurs parce qu’ils n’avaient pas réussi à réfuter la présomption de la protection de l’État. La Commission a passé en revue la jurisprudence concernant la protection de l’État et a souligné que le Mexique était un pays démocratique où les systèmes politique et judiciaire fonctionnaient et où l’appareil étatique  était en mesure d’assurer une certaine protection à ses citoyens. En conséquence, le fardeau qui incombe aux demandeurs sollicitant une protection est élevé. La Commission a reconnu que les sources documentaires comportaient des incohérences, mais elle a décidé que la prépondérance de la preuve objective concernant la situation actuelle du Mexique laissait croire que, même si elle n’était pas parfaite, la protection offerte dans ce pays aux victimes de crimes était adéquate.

 

[20]           La Commission a souligné que, lorsqu’un demandeur jure que certains faits sont vrais, cela crée une présomption qu’ils le sont, à moins qu’il n’existe des raisons de douter de leur véracité. Elle était d’avis qu’en raison des incohérences relevées dans les éléments de preuve ayant une importance vitale pour les demandes des demandeurs, le demandeur principal n’était pas crédible en ce qui a trait aux allégations visant les auteurs des actes répréhensibles. Le demandeur principal n’a pas nommé la famille Michoacana comme source de la crainte qu’il disait ressentir lors de son entrevue au point d’entrée ou d’une entrevue subséquente ou encore sur son FRP initial. Les renseignements fournis lors d’une entrevue contredisaient ceux qu’il avait donnés au cours de son témoignage de vive voix et dans l’exposé circonstancié de son FRP. De l’avis de la Commission, le fait que les Michoacana étaient à l’origine des menaces que le demandeur principal a reçues constituait un embellissement.

 

[21]           La Commission a jugé que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État, parce qu’ils avaient choisi de ne pas dévoiler l’identité des personnes qu’ils craignaient, qu’ils n’avaient pas fourni d’indices raisonnables aux autorités et ne leur avaient pas donné une véritable possibilité de les protéger qu’ils ne s’étaient prévalus d’aucun des recours dont ils disposaient au Mexique. La Commission a décidé qu’il n’était pas raisonnable de la part des demandeurs de s’attendre à ce que la police recherche et arrête leurs persécuteurs alors qu’ils ne lui avaient pas dévoilé l’identité de ceux-ci. En conséquence, la Commission a conclu qu’il n’existait aucun fondement objectif au soutien de la demande des demandeurs fondée sur l’article 97 de la Loi, étant donné qu’il était possible d’obtenir la protection de l’État au Mexique.

 

Les questions en litige

 

[22]           Les demandeurs soulèvent la question suivante à trancher :

            La Commission a-t-elle porté atteinte au droit à l’équité procédurale des demandeurs?

 

[23]           Je reformulerais les questions en litige comme suit :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         La Commission a-t-elle commis un manquement à l’équité procédurale?

 

 

Les observations écrites des demandeurs

 

[24]           Les demandeurs soutiennent que la norme de contrôle applicable aux allégations de manquement à l’équité procédurale est la norme de la décision correcte. Selon les demandeurs, la Commission a commis un manquement à l’équité procédurale en décidant de tenir l’audience malgré le fait qu’ils avaient contesté la qualité de l’interprétation. La Commission a également commis une erreur en omettant d’examiner la demande écrite que l’avocat a formulée après l’audience; l’avocat avait alors demandé à la Commission d’enquêter sur l’allégation relative à la mauvaise qualité de l’interprétation et d’ordonner une nouvelle audience.

 

[25]           Une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, aurait conclu qu’il y avait eu atteinte au droit à l’équité procédurale des demandeurs. Les demandeurs ont soulevé la question dès qu’ils ont constaté le problème, de sorte que la renonciation ne s’applique pas. Les demandeurs ont rempli leur obligation en soulevant la question, mais la Commission ne s’est pas acquittée de son devoir, parce que la question a été écartée à l’audience et ignorée après celle-ci.

 

[26]           La réparation à accorder en cas de refus du droit à une audience équitable consiste à déclarer la décision invalide, indépendamment de la question de savoir si le respect de ce droit aurait vraisemblablement donné lieu à une décision différente. En conséquence, la décision de la Commission doit être annulée.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[27]           Le défendeur soutient qu’il n’est pas nécessaire que l’interprétation soit parfaite et que les erreurs relevées par les demandeurs ne satisfaisaient pas au critère établi dans la jurisprudence à l’égard de la traduction insatisfaisante.

 

[28]           Le défendeur ajoute que les lacunes touchant l’interprétation, le cas échéant, ne sont pas pertinentes, parce qu’elles concernent uniquement la conclusion de la Commission au sujet de la crédibilité. Les erreurs de traduction, s’il en est, n’ont rien à voir avec la décision de la Commission concernant l’absence de lien, le risque généralisé et la présomption de la protection de l’État.

 

[29]           Le défendeur fait valoir que les décisions de la Commission sont susceptibles de contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable, sauf lorsqu’elles concernent des questions de droit pur. L’existence de contradictions ou d’incohérences dans la preuve d’un demandeur d’asile est une raison bien reconnue qui permet de conclure à l’absence de crédibilité. La Commission a le droit de rejeter même une preuve non contredite si cette preuve ne s’accorde pas avec les probabilités applicables à l’affaire dans son ensemble et de tirer une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité en se fondant uniquement sur le caractère invraisemblable du récit du demandeur.

 

[30]           Dans la présente affaire, la Commission a donné de nombreuses raisons qui l’incitaient à douter de la crédibilité de la preuve des demandeurs, y compris le fait que le demandeur principal avait omis de fournir certains renseignements aux autorités de l’immigration et sur son FRP initial. Des incohérences ont été relevées entre la preuve du demandeur principal et la copie du rapport de police qu’il a présentée à la Commission. Il n’y a aucune raison de modifier les conclusions relatives à la crédibilité que la Commission a tirées en l’espèce, puisque les demandeurs n’ont pas réussi à établir un lien entre les erreurs que comporteraient l’interprétation et les conclusions en question.

 

[31]           De plus, il n’y a aucune raison de modifier la conclusion relative à l’absence de lien. Ni la crainte de criminels, ni celle d’être victime d’une activité criminelle ne sont des motifs prévus à la Convention.

 

[32]           Qui plus est, la Commission a analysé correctement la demande des demandeurs au titre de l’article 97 de la Loi. Selon le sous-alinéa 97(1)b)(ii), le risque en question doit exister en tout lieu du pays et ne doit pas être un risque auquel sont généralement exposées d’autres personnes originaires de ce pays. La richesse ne constitue pas un risque personnel. Un risque élevé auquel est exposé un sous-groupe de la population n’est pas personnalisé si l’ensemble de la population est généralement exposé au même risque, quoique moins fréquemment.

 

[33]           Enfin, les demandeurs ayant déposé une simple plainte à la police qui ne comportait pas suffisamment de renseignements pour permettre la tenue d’une enquête, la présomption de la protection de l’État n’a pas été réfutée, eu égard, notamment, au nombre d’organismes disponibles au Mexique.

 

Analyse et décision

 

[34]           Première question en litige

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la jurisprudence a déterminé la norme de contrôle applicable à une question donnée, la cour de révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[35]           Il est bien reconnu en droit que la norme de contrôle judiciaire applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (voir Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 798, au paragraphe 13, [2008] ACF n° 995, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43). Il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence à l’égard du décideur quant à ces questions (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 50).

 

[36]           Deuxième question en litige

            La Commission a-t-elle commis un manquement à l’équité procédurale?

            L’interprétation fournie lors des audiences de la Commission doit être « continue, fidèle, impartiale et concomitante », mais il n’est pas nécessaire qu’elle soit parfaite (Mohammadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 191, aux paragraphes 4 à 6, [2001] ACF n° 916).

 

[37]           Lorsque l’avocat des demandeurs a contesté la traduction, l’échange suivant a eu lieu (pages 652 et 653 du dossier certifié du tribunal) :

[traduction]

CONSEIL DES DEMANDEURS D’ASILE : J’ignore ce qui s’est dit et je crois que vous ne parlez pas l’espagnol. Cependant, Mme McNamee parle l’anglais et l’espagnol.

 

COMMISSAIRE : Je sais qu’elle le parle, parce qu’elle l’a dit au début et je me rappelle lui avoir demandé si elle était ici en qualité d’interprète, et elle a répondu qu’elle ne l’était pas.

 

CONSEIL DES DEMANDEURS D’ASILE : Oui.

 

COMMISSAIRE : D’accord. Une réparation existe pour ce problème et vous pouvez solliciter cette réparation à la fin de l’audience. Vous pouvez demander une vérification et vous pouvez donner des exemples, comme ce que vous venez de faire devant moi.

 

CONSEIL DES DEMANDEURS D’ASILE : D’accord.

 

COMMISSAIRE : Ça se fait habituellement par écrit.

 

CONSEIL DES DEMANDEURS D’ASILE : D’accord.

 

. . .

 

COMMISSAIRE : Et ils ont un service pour ça. Il suffit de dire que vous voulez une vérification, si c’est ce que vous…

 

CONSEIL DES DEMANDEURS D’ASILE : D’accord.

 

COMMISSAIRE : – ce que vous demandez.

 

CONSEIL DES DEMANDEURS D’ASILE : D’accord. Je vous remercie.

 

 

[38]           Selon le document de la Commission intitulé « Plaintes concernant l’interprétation », il incombe aux commissaires eux-mêmes de régler ce type de plainte :

Les parties doivent faire part de leurs préoccupations relatives à l’interprétation à la première occasion au cours de l’audience, à moins que des circonstances exceptionnelles ne l’empêchent. Le commissaire qui entend le cas décidera quelle ligne de conduite il convient d’adopter, conformément aux règles de la justice naturelle.

 

 

 

[39]           Dans la présente affaire, l’avocat des demandeurs a soulevé la plainte à l’audience conformément à cette politique. La Commission a répondu que l’avocat devrait transmettre sa plainte par écrit au greffier après l’audience. C’est ce que les demandeurs ont fait. Aucun élément du dossier n’indique que la Commission ou le greffier a examiné cette plainte.

 

[40]           Le défendeur a raison de dire que les demandeurs ont présenté une preuve dérisoire au sujet des erreurs que comporterait la traduction. Cependant, il s’agit ici d’une affaire où les demandeurs ont formulé une plainte de manquement à l’équité procédurale que le décideur n’a pas examinée, que ce soit pendant ou après l’audience, et qui n’est donc toujours pas tranchée, d’après la preuve au dossier.

 

[41]           La question de savoir si les demandeurs avaient le droit d’exiger une réponse à cette plainte est une question d’équité procédurale qui devrait être examinée dans le cadre des paramètres de l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 23 à 27.

 

 

[42]           Dans la présente affaire, la question de la traduction est cruciale pour les demandeurs, eu égard à la grande importance que revêt la crédibilité au cours du processus d’examen des demandes d’asile (le troisième facteur). La politique de la Commission et les instructions que celle-ci a données à l’audience ont créé ensemble une attente légitime selon laquelle la plainte serait examinée (le quatrième facteur). Ces mêmes faits donnent à penser que, eu égard au choix des procédures de l’organisme lui-même, une réponse était nécessaire, la Commission ayant elle‑même proposé aux demandeurs de faire cette plainte (le cinquième facteur). La Loi ne prévoit aucun mécanisme d’appel à l’égard des plaintes concernant la traduction (le deuxième facteur). Bien que l’examen par la Commission des plaintes concernant la traduction ne ressemble pas à une instruction et sous-entend donc une attente moins élevée en matière d’équité procédurale (le premier facteur), eu égard au poids important des quatre autres facteurs, je suis d’avis que le droit des demandeurs à l’équité procédurale comprenait celui de recevoir une réponse à la plainte. Aucune réponse n’ayant été portée à mon attention, un manquement à l’équité procédurale a été commis. De toute évidence, ce manquement touche la conclusion de la Commission au sujet de la crédibilité, car cette conclusion repose d’abord et avant tout sur les témoignages de vive voix.

 

[43]           Le défendeur fait valoir que, même si la traduction était insatisfaisante, la décision en cause devrait être confirmée, parce que la conclusion relative à la crédibilité n’a eu aucune incidence importante sur le résultat (Neginskay c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1072, au paragraphe 11, [2009] ACF n° 1328). Pour que la crédibilité n’ait eu aucune incidence sur le résultat, il aurait fallu que la Commission accepte l’ensemble de la preuve des demandeurs et rejette malgré tout la demande d’asile. Il ne peut en être ainsi dans le cas de la conclusion de la Commission au sujet de la protection de l’État, la Commission ayant jugé dans le cadre de cette analyse que les demandeurs n’avaient pas pris toutes les mesures raisonnables pour se prévaloir de la protection, probablement parce qu’elle a rejeté leur preuve concernant la plainte qu’ils avaient faite auprès de la police, estimant cette preuve non crédible.

 

 

[44]           La conclusion de la Commission au sujet du risque généralisé ne permet pas vraiment de savoir si elle repose sur l’acceptation ou sur le rejet de la preuve des demandeurs. La question du risque généralisé est liée de près à la crédibilité du témoignage du demandeur d’asile, parce que la conclusion à ce sujet dépend des faits que la Commission accepte (Henriquez de Umana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 326, au paragraphe 26, [2012] ACF n° 371). La Commission a conclu que les demandeurs étaient exposés à un risque généralisé de violence de la part de criminels et de cartels de la drogue, tandis que le demandeur principal a soutenu qu’il avait été attaqué et menacé par un cartel dans deux villes différentes et que son beau-frère avait disparu après la venue de deux hommes inconnus qui étaient à la recherche du demandeur principal. Il est difficile de comprendre comment la Commission aurait pu en arriver à sa conclusion concernant le risque généralisé tout en acceptant cette dernière preuve et les motifs de la décision de la Commission ne sont pas clairs à ce sujet.

 

[45]           Même si la crédibilité n’a peut-être pas touché la conclusion de la Commission au sujet du lien avec un motif prévu à la Convention, la pertinence de la crédibilité quant à la conclusion visée à l’article 97 justifie à elle seule une nouvelle décision. En conséquence, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire et j’infirmerais la décision de la Commission.

 

[46]           Aucune partie n’a souhaité présenter une question grave de portée générale à des fins de certification.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un agent différent pour nouvelle décision.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7

 

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

 

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

 

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themselves of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-1509-12

 

INTITULÉ :                                      ISRAEL MORENO SANDOVAL

                                                            GABRIELA BALDERAS HERNANDEZ

                                                            ZURY YETLANEZY MORENO BALDERAS (mineur)

                                                            YITZHAK MISRAIM MORENO BALDERAS (mineur)

 

                                                            - et -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
                                                            DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 15 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 31 octobre 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Odeleye

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Suran Bhattacharyya

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Babalola, Odeleye

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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