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Date : 20121102

Dossier: T-1979-11

Référence : 2012 CF 1285

Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2012

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer 

 

ENTRE :

 

CHRISTIANE MOUSSEAU

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 32(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, 1985 LRC c R-10 [la Loi] à l’encontre d’une décision négative d’une agente de la Gendarmerie royale du Canada [GRC] ayant été désignée comme arbitre de niveau II [l’arbitre] au nom du commissaire de la GRC dans le dossier de grief de la demanderesse.

 

[2]               Aux termes de cette décision datée du 3 novembre 2011, l’arbitre a conclu que la mutation latérale de la demanderesse n’était pas à l’encontre des dispositions 1.D.1 et 3.D.3 du chapitre 6 du Manuel de Gestion des Carrières [MGC] portant sur le réaménagement des effectifs. De plus, elle a conclu que la Directive sur le réaménagement des effectifs [DRE] ne s’appliquait pas à son cas.

 

LES FAITS

[3]               La demanderesse, maintenant retraitée, a été un membre régulier de la GRC d’octobre 1977 à juin 2007. De 1994 à 2004, elle occupait un poste d’enquêteur au détachement de Joliette, dans la province de Québec.

 

[4]                Le 22 septembre 2004, suite à une annonce d’une réorganisation des ressources de la GRC au Québec, le commissaire adjoint et commandant de la division C de la province de Québec a envoyé un avis aux employés selon lequel neuf détachements vont fermer, dont celui de Joliette. Il a également mentionné que les employés touchés seront réaffectés à des bureaux de la GRC ailleurs au Québec.

 

[5]               En octobre 2004, un représentant du bureau de Perfectionnement et renouvellement en ressources humaines [le représentant] s’est présenté à deux reprises au détachement de Joliette. Il a informé les membres de la GRC de leurs mutations éminentes et que leurs positions seront transférées à St-Jérôme. Les membres furent également avisés qu’ils pourront suivre leurs positions s’ils le désirent, mais que leurs choix d’affectation respectifs seront considérés et accordés dans la mesure du possible. Le représentant a précisé aux membres que les transferts occasionnés par la fermeture du détachement de Joliette seront des transferts réguliers et que la situation n’est pas différente des autres situations de transferts latéraux à savoir qu’il n’y aura pas de réaménagement des effectifs.

[6]               Le 10 novembre 2004, la demanderesse a reçu par télécopieur une autorisation de mutation l’avisant qu’elle sera transférée au poste de St-Jérôme à compter du 1er décembre 2004. À cette même date, la demanderesse a déposé un grief, soit le formulaire # 3081, au Bureau de coordination des griefs de la Région du Centre.

 

[7]               Dans le cadre de ce grief, trois décisions ont été rendues au niveau I. La première, rendue le 2 novembre 2005, a accordé en partie une demande de divulgation de documents pertinents en vertu de l’article 31.4 de la Loi. La seconde, rendue le 24 avril 2006, a reconnu que la demanderesse avait qualité pour agir, mais a rejeté le grief en raison du délai de prescription prévu à l’alinéa 32(2)a) de la Loi. Cette décision a été renversée le 22 mars 2007 par un arbitre de niveau II et le grief fut retourné au niveau I pour une décision sur le fond. Aux termes de la troisième décision au niveau I, en date du 12 décembre 2007, l’arbitre de niveau I a rejeté le grief sur le fond.

 

[8]               La demanderesse a reçu une copie de cette dernière décision le 18 décembre 2007 et a ensuite présenté son grief au niveau II le 21 décembre 2007. Ce grief a été rejeté sur le fond par l’arbitre de niveau II le 3 novembre 2011.

 

[9]               Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, la demanderesse s’oppose à une mutation latérale au motif que les dispositions sur le réaménagement des effectifs au chapitre 6 du MGC auraient dû être suivies. De plus, elle est d’avis que la DRE devait s’appliquer à son cas  étant donné que les employés de la Fonction publique ont pu en bénéficier suite à la fermeture du détachement de Joliette. Elle demande donc à cette Cour d’annuler la décision du 3 novembre 2011 et d’ordonner à la GRC d’appliquer la DRE.

LA DÉCISION DU TRIBUNAL 

[10]           Bien que l’arbitre reconnaisse les difficultés occasionnées par une mutation latérale avec réinstallation, elle note les deux options qui s’offraient à la demanderesse : soit de suivre le redéploiement de son poste à St-Jérôme, soit de proposer une affectation ailleurs. Les notes du représentant suite à une entrevue personnelle rapportent qu’une affectation ailleurs n’était pas envisageable et que la demanderesse a stipulé vouloir suivre son poste à St-Jérôme. Par conséquent, elle a conclu que la GRC a tenu compte des circonstances et des ambitions de la demanderesse, dans la mesure du possible, en conformité avec les dispositions 1.D.1 et 3.D.3 du Manuel de la Gestion des Carrières [MGC] lesquelles stipulent que : « [l]a mobilité d’emploi constitue une condition d’emploi » et que « [d]ans la planification des mutations latérales, on tiendra compte des circonstances et ambitions du membre, mais les besoins de la GRC ont préséance ».

 

[11]           Quant au réaménagement des effectifs, elle précise qu’aux termes du chapitre 6 du MGC intitulé Réaménagement des effectifs de la GRC sous l’onglet C.2, « [u]n réaménagement des effectifs ne s’effectue que lorsque les services d’un membre ne sont plus requis en raison d’une situation de réaménagement des effectifs ». Une telle situation de réaménagement des effectifs est définie aux alinéas a) à e) de l’onglet D.2. comme étant notamment : l’abolition d’un poste financé, un changement de catégorie ou de classification. Elle appuie la conclusion de l’arbitre de niveau I selon laquelle les circonstances de la requérante ne rencontraient aucune des ces dispositions. Elle appuie sa conclusion sur les preuves suivantes : le poste de la requérante n’a pas été aboli, mais redéployé sous un autre code d’interclassement au même rang et catégorie, ses services étaient toujours requis, elle n’a pas été retirée des effectifs, elle n’était pas excédentaire, et enfin, elle est demeurée associée à son poste. De plus, ni le commissaire, ni le directeur des ressources humaines n’ont autorisé des mesures de réaménagement des effectifs lors du processus d’harmonisation en question.

 

[12]           Elle concède qu’il est vrai que le poste de la demanderesse n’existait plus (et donc aboli dans un certain sens), mais que cet argument n’appuie aucunement sa prétention que son poste était retiré des effectifs de la GRC. Même si la demanderesse avait préféré une prime de départ en vertu des politiques de réaménagement des effectifs mentionnées au chapitre 6 du MGC, l’application de ces dernières se justifie par des besoins organisationnels et non par les circonstances personnelles d’un employé qui aimerait prendre une retraite anticipée. Il n’a jamais été question de réaménagement des effectifs dans son cas ; il ne s’agissait que d’un processus d’harmonisation qui avait pour objectif de répartir adéquatement les ressources de la GRC au Québec.

 

[13]           Celle-ci a fait siens les propos de l’arbitre de niveau I à savoir que la preuve démontre clairement qu’il « s’agissait d’un nombre important de membres de la GRC, d’une relocalisation de postes et de leurs titulaires et non d’un exercice financier voulant réaliser des économies financières par le biais d’une réduction de personnel, d’un changement de catégorie d’employés, d’un manque de travail et d’un déclassement ».

 

[14]           Enfin, elle a conclu que le fait que certains employés de la Fonction publique aient pu bénéficier de la DRE est peu pertinent et que cela ne démontre pas que la demanderesse avait le droit d’en bénéficier. L’arbitre rappelle que les membres de la GRC ne peuvent se prévaloir des lois, des conventions collectives ou des règles qui régissent les activités des employés de la Fonction publique, et vice-versa. Pour ces raisons, elle a rejeté le grief sur le fond.

Norme de contrôle

[15]           Dans le cas d’un contrôle judiciaire d'une décision d’un arbitre de la GRC, étant donné l’expertise spécialisée et les larges pouvoirs qu’il possède eut égard aux questions dont est sont saisi, « il y a lieu de faire preuve d'une grande retenue à l'égard des décisions de l'arbitre dans ce domaine » (Sansfaçon c canada (Procurer général), 2008 CF 110 citant Shephard c Canada (Gendarmerie royale), 2003 CF 1296 aux para 35-36 ; Smith c Canada (Procureur général), 2005 CF 868 au para 13 ; Gillis c Canada (Procureur général), 2006 CF 568 au para 27). D’autant plus qu’il s’agit d’un processus de grief et de politiques internes à la GRC.  La norme de contrôle applicable est donc celle de la décision raisonnable. Par conséquent, cette Cour doit déterminer si les conclusions sont justifiées, transparentes, intelligibles et appartiennent « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

 

La décision de l’arbitre de niveau II est-elle raisonnable?

 

[16]           La demanderesse prétend que la DRE devait s’appliquer en l’espèce étant donné que le détachement de Joliette a été fermé en ce sens qu’il a été « rayé de la carte », que les deux « collateurs » utilisés pour y désigner les employés n’existent plus, que la population de Lanaudière ne bénéficie plus des mêmes services et que de nouvelles positions ont été ajoutées à St-Jérôme; à 50 km du détachement de Joliette.

 

[17]           Elle souligne également que la DRE a été appliquée dans le cas d’employés de la Fonction publique qui se trouvait en poste dans des détachements qui ont fermé et qu’il est injuste que cette politique ne peut s’appliquer aux membres de la GRC dans la même situation. Il s’agit d’une situation de « deux poids, deux mesures ». Peu importe le « jeu de mots possible », il demeure que le poste qu’elle occupait au détachement de Joliette a été aboli. Elle aurait donc dû pouvoir se prévaloir de la DRE.

 

[18]           Enfin, la demanderesse argumente que le délai de sept ans entre son premier grief et la décision de l’arbitre est « questionnable, voire déraisonnable ». Une réponse plus tôt aurait pu changer sa situation en ce sens qu’elle aurait pu bénéficier de fonds pour obtenir les services d’un avocat suivant le programme de fonds légal d’aide aux membres. Elle fait ressortir que deux griefs déposés par ses collègues ont été tranchés dans un délai de deux et trois ans, respectivement.

 

[19]           Pour sa part, le défendeur soumet que l’arbitre a conclu à juste titre que les dispositions de la GRC sur le réaménagement des effectifs de la GRC figurant au chapitre 6 du MGC ne s’appliquaient pas aux circonstances du présent dossier. Ces dernières s’appliquent uniquement lorsque les services d’un membre ne sont plus requis; ce qui n’est pas le cas de la demanderesse. Lorsque le détachement de Joliette a fermé, les services de la demanderesse étaient toujours requis et le poste de gendarme qu’elle occupait n’a pas été aboli. Son poste est demeuré au même niveau et elle a conservé la même description de tâche. Il s’agit donc d’une simple mutation latérale aux termes des dispositions 1.D.1 et 3.D.3 du MGC. En fait, chacun des postes du département de Joliette a fait l’objet d’un transfert latéral. Tous les services des membres étaient requis et la gestion était en mesure d’offrir un poste à tous les membres. La réorganisation n’avait aucunement pour but d’abolir les postes en place, mais bien d’harmoniser les services de la GRC avec ceux des partenaires provinciaux. Je suis de cet avis.

 

[20]           Il était raisonnable pour l’arbitre de conclure que le poste de la demanderesse n’a pas été aboli en ce sens qu’elle ne pouvait se prévaloir des dispositions relatives au réaménagement des effectifs de la GRC mentionnées au chapitre 6 du MGC. Je suis d’avis que la preuve témoigne également du fait que la demanderesse a été redéployée sous un autre code d’interclassement tout en gardant le même rang et la même catégorie d’emploi. Ses services étaient toujours requis, d’autant plus qu’aucun autre membre de la GRC ayant fait l’objet d’un transfert suivant la fermeture du détachement de Joliette n’a pu se prévaloir de mesures de réaménagement des effectifs.

 

[21]           C’est à bon droit que l’arbitre a conclu que la DRE n’est pas applicable à la demanderesse. Il faut faire attention de ne pas confondre les différentes notions en l’espèce. Les politiques contenues au chapitre 6 du MGC sur le réaménagement des effectifs de la GRC s’appliquent exclusivement aux agents de la GRC et ont été traitées dans les deux paragraphes ci-haut. La DRE, quant à elle, a été développée par le Conseil du Trésor (et est actuellement gérée par le Conseil National Mixte). Il figure à l’annexe B de la DRE la liste de tous les agents négociateurs assujettis à cette directive. Le syndicat des employés de la GRC (soit l’ACPMP) ne figure pas sur cette liste.

 

[22]           Je reconnais qu’être employé à titre de membre régulier de la GRC est différent de tout autre poste au sein de la Fonction publique. La GRC possède sa propre loi constitutive, règlements internes, politiques et manuels de référence qui ne s’appliquent pas aux employés de la Fonction publique. La DRE est un exemple inverse, à savoir qu’il s’agit d’une politique applicable qu’aux fonctionnaires publics. Il est donc raisonnable que le cas de la demanderesse a été traité différemment des employés de la Fonction publique.

 

[23]           En ce qui concerne le « délai de sept ans » invoqué par la demanderesse, il est utile de mettre cette prétention en perspective. Une panoplie de décisions a été rendue dans son cas, soit le 2 novembre 2005, le 26 avril 2006, le 22 mars 2007 ainsi que le 12 décembre 2007. La demanderesse a alors présenté son grief au niveau II le 21 décembre 2007, dont la décision sur le fond a été rendue le 3 novembre 2011. Le délai était donc justifié compte tenu des nombreux recours dont s’est prévalue la demanderesse.

 

[24]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1979-11

 

INTITULÉ :                                      Christiane Mousseau et Procureur Général du Canada

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             25 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                     2 novembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christiane Mousseau

 

POUR LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Patricia Gravel

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Christiane Mousseau

St-Jacques (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

 

Myles J. Kirvan, Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 

 

 

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