Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 


Date : 20121105

Dossier: T-964-11

Référence : 2012 CF 1290

Ottawa (Ontario), le 5 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Scott 

 

ENTRE :

 

3563537 CANADA INC

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               3563537 Canada Inc. (la demanderesse) présente cette demande de révision judiciaire d’une décision prise par une déléguée du ministre du Revenu national (la déléguée), le 12 mai 2011, aux termes du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC (1985), c 1 (5e suppl.) [LIR].

 

[2]               Pour les raisons qui suivent, la Cour accueille cette demande de révision judiciaire de la demanderesse.

 

II.        Faits

 

[3]               La demanderesse est une société de portefeuille détenue par son président, monsieur Peter Ouimet (ci-après « M. Ouimet »), qui est propriétaire de la majorité des actions votantes.

 

[4]               Les actifs de la demanderesse étaient gérés par la Corporation de valeurs mobilières Dundee, une firme de courtage canadienne (ci-après « la firme Dundee ») en vertu d’un contrat de courtage.

 

[5]               La demanderesse, via M. Ouimet, traite directement avec monsieur Patrick David O’Neill (ci-après « M. O’Neill »), représentant inscrit à la succursale de Pointe-Claire de la firme Dundee, lequel négociait les titres et fournissait des conseils sur les valeurs mobilières appartenant à la demanderesse.

 

[6]               M. Ouimet connaît M. O’Neill depuis plusieurs années. Il lui fait entièrement confiance puisque ce sont de bons amis.

 

[7]               Au cours des années 2006 à 2008, la demanderesse est victime d’une fraude importante commise par M. O’Neill. Ce dernier convainc la demanderesse d’ouvrir un compte spécial. Il se voit attribuer ainsi tous les pouvoirs sur les actifs de la demanderesse.

 

[8]               O’Neill devient  également chargé de l’embauche de personnes-ressource pour compléter et transmettre les états financiers et les déclarations de revenus de M. Ouimet et de la demanderesse. M. Ouimet remet donc à M. O’Neill tous les documents non liés aux investissements à la firme Dundee, qui sont indispensables pour la préparation des états financiers de la demanderesse et la production des déclarations de revenus.

 

[9]               Au cours du mois de février 2008, O’Neill retient lui-même les services de la firme Andrews & Ass. (ci-après « la firme Andrews ») pour assurer la préparation des états financiers et des déclarations de revenus de l’année 2007 (ci-après « T2-2007 ») de la demanderesse. M. O’Neill ne fournit alors aucune information ou documentation à la firme Andrews.

 

[10]           Malgré les demandes constantes de la firme Andrews auprès de M. O’Neill, ce dernier s’esquive sans fournir la documentation indispensable qu’il détient pour compléter les états financiers de la demanderesse. Ces états financiers sont essentiels pour produire les déclarations de revenus.

 

[11]           Au cours des années 2007 et 2008, la demanderesse reçoit périodiquement des tableaux en format Excel préparés par M. O’Neill; lesquels représentent faussement sa situation financière réelle et les transactions effectuées en son nom.  

 

[12]           La demanderesse ne réussit donc pas à produire la déclaration T2-2007 avant la date butoir du 30 juin 2008.

 

[13]           La firme Andrews persiste et réclame toujours les documents nécessaires à la production des déclarations de revenus auprès de M. O’Neill.

 

[14]           Le 22 septembre 2008, M. Ouimet téléphone chez la firme Andrews et demande un relevé de compte pour le travail exécuté à ce jour. Au cours de cette conversation téléphonique, Mme Weilu Yu informe M. Ouimet que son dossier est incomplet et que la firme Andrews n’a toujours pas reçu les informations nécessaires de M. O’Neill.

 

[15]           Monsieur Richard W. Kennish, C.A. (ci-après « M. Kennish »), employé de la firme Andrews, découvre la fraude de M. O’Neill au cours du mois de décembre 2008.

 

[16]           Le 18 décembre 2008, M. Ouimet et M. Kennish font connaissance pour la première fois lors d’une rencontre au bureau de la firme Andrews. C’est alors que M. Kennish informe M. Ouimet des soupçons de fraude et d’escroquerie qui pèsent contre M. O’Neill. Ils comparent les relevés financiers qu’ils ont respectivement reçus de M. O’Neill et constatent des divergences importantes.

 

[17]           M. Ouimet entreprend immédiatement des démarches auprès de la firme Dundee afin d’obtenir l’information et les documents nécessaires à la préparation des états financiers et des déclarations de revenus de la demanderesse, dont la T2-2007.

 

[18]           Le 27 décembre 2008, M. Ouimet demande à la firme Andrews de cesser tout travail sur son dossier jusqu’à ce qu’il reçoive directement de la firme Dundee les informations et documents nécessaires afférents aux années fiscales 2006 et 2007.

 

[19]           Le 30 janvier 2009, la firme Andrews reçoit les documents nécessaires de la firme Dundee.

 

[20]           Le 4 février 2009, la défenderesse, l’Agence de Revenu du Canada [ARC] transmet à la demanderesse une demande formelle de production de la T2-2007 et ce, au plus tard pour le 6 mars 2009. L’ARC accorde subséquemment une prorogation de délai au 30 avril 2009.

 

[21]           La lettre de demande de l’ARC du 4 février 2009 précise que la demanderesse s’expose à une pénalité aux termes de l’article 162 de la LIR (voir dossier de la défenderesse, pièce B, page 26).

 

[22]           Le 31 mars 2009, la demanderesse reçoit ses états financiers et reconfirme à la firme Andrews la teneur de son mandat de préparer les déclarations de revenus pour l’année financière se terminant le 31 décembre 2007.

 

[23]           Le 30 avril 2009, M. Kennish transmet la T2-2007 de la demanderesse à l’ARC.

 

[24]           Le 20 mai 2009, l’ARC cotise la demanderesse et lui impose une pénalité au montant de 73,689.56 $ et des intérêts de 27,094.15 $ pour le défaut de produire la T2-2007 dans le délai imparti pour l’exercice se terminant le 31 décembre 2007, tel que prévu au paragraphe 162(2) de la LIR.

 

[25]           Le 5 juin 2009, M. Ouimet paie la totalité des sommes dues par la demanderesse, incluant la pénalité et les intérêts.

 

[26]           Le 15 octobre 2009, le 16 septembre 2010 et le 7 janvier 2011, la demanderesse dépose des demandes d’allègement aux termes du paragraphe 220(3.1) de la LIR.

 

[27]           Le 22 juillet 2010, l’ARC accepte d’annuler le montant des intérêts cumulés entre le 29 février 2008 et le 30 janvier 2009, soit la date où la demanderesse reçoit la documentation de la firme Dundee.

 

[28]           Dans ses décisions du 22 juillet 2010, du 24 novembre2010 et du 12 mai 2011, l’ARC refuse d’accorder l’annulation des intérêts courus du 30 janvier 2009 au 30 avril 2009 et de la pénalité de 73,689.56 $ pour production tardive.

 

[29]           Le 11 novembre 2010, l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières [OCRCVM] rend sa décision sur la fraude commise par M. O’Neill (cf O’Neill (Re), 2010 OCRCVM 51). L’Organisme constate que M. O’Neill a commis une fraude à l’endroit de la demanderesse et de M. Ouimet, pour un montant pour lequel la firme Dundee a versé 7,000,000.00 $.en compensation.

 

 

 

 

III.       Législation

 

[30]           Les dispositions applicables de la Loi de l'impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl.) [LIR] et de la Circulaire d'information en matière d'impôt sur le revenu, IC07-1, sont reproduites en annexe à la présente décision.

 

IV.       Question en litige et norme de contrôle

 

A.                Question en litige

 

[31]           Cette demande de révision judiciaire soulève une seule question en litige :

 

La décision de la déléguée de refuser la demande d’allègement est-elle raisonnable?

 

B.        Norme de contrôle

 

[32]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 62 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada décrit les deux étapes à suivre pour déterminer la norme de contrôle applicable dans une demande de révision judiciaire :

[62]      Bref, le processus de contrôle judiciaire se déroule en deux étapes.  Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier.  En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

 

[33]           La norme de contrôle applicable à une décision du ministre du revenu national aux termes du paragraphe 220(3.1) de la LIR est déjà bien établie par la jurisprudence. Dans l’arrêt Leonard Asper Holdings Inc c Canada (Procureur général), 2010 CF 894 au para 20, le juge Mandamin réfère à l’arrêt Lanno c Canada (Agence des Douanes et du Revenu), 2005 CAF 153, qui précise que la norme de contrôle qui s’applique normalement à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre du revenu national est la norme de la décision raisonnable (voir également Telfer c Canada (Agence du Revenu), 2009 CAF 23, au para 2 et Hoffman c Canada (Procureur général), 2010 CAF 310 au para 5).

 

V.        La position des parties

 

A.        Position de la demanderesse

 

[34]           La demanderesse soutient que la décision de l’ARC du 12 mai 2011 n’est pas raisonnable. Elle soulève trois erreurs commises par la déléguée du ministre qui devraient, selon elle, amener la Cour à conclure que : 1) la déléguée du ministre commet une erreur de droit; 2) la déléguée du ministre manque à son devoir de respecter un des principes de justice naturelle puisque la décision n’est pas suffisamment motivée; et 3) la déléguée du ministre fonde sa décision sur des conclusions de fait erronées, sans tenir compte des éléments de preuve présentés par la demanderesse.

 

[35]           La demanderesse souligne le passage suivant qui se retrouve dans la décision de l’ARC du 24 novembre 2010 et plus particulièrement celle du 12 mai 2011 (voir dossier de la demanderesse, onglet Q et dossier de la défenderesse, pièce L, page 92) :

« Your account has been thoroughly reviewed and your submission carefully considered in relation to the applicable legislation. »

 

[36]           La demanderesse prétend que la déléguée du ministre commet une erreur dans sa décision du 12 mai 2011 lorsqu’elle soutient avoir considéré les arguments de la demanderesse et « la législation applicable ». L’expression « la législation applicable » peut laisser entendre que la déléguée accorde une portée « obligatoire » au contenu de la circulaire d’information IC07-1, alors que celle-ci ne constitue que de simples lignes directrices. La demanderesse s’appuie sur le paragraphe 23 de la décision du juge O’Keefe dans Spence c Canada (Agence du revenu), 2010 CF 52 au para 23 [Spence], qui analyse une décision dans laquelle la déléguée du ministre avait utilisé la même expression :

[23]      L’erreur réside dans le fait que la décideure a apparemment cru que les dispositions d’allégement pour les contribuables, énoncées dans la circulaire d’information en matière d’impôt sur le revenu numéro IC07-1, étaient des règles contraignantes. L’expression que la déléguée a utilisée à leur égard, soit « Taxpayer Relief Legislation » (dispositions législatives d’allégement pour les contribuables) montre également qu’elle croyait apparemment que les lignes directrices étaient des règles de droit impératives.

 

[37]           La demanderesse souligne que le juge O’Keefe a accueilli la demande de révision judiciaire au motif que la déléguée avait commis une erreur de droit en assimilant les lignes directrices à un texte de loi. La demanderesse soutient que la déléguée du ministre, Mme Dessureault, commet la même erreur dans sa décision du 12 mai 2011.

 

[38]           La demanderesse prétend que la décision de la déléguée du ministre n’est pas motivée et ne réfère aucunement aux arguments présentés par la demanderesse. Conséquemment, cette décision ne respecte pas un des principes fondamentaux de justice naturelle, soit la justification de la décision.

 

[39]           La demanderesse cite la décision dans l’affaire Robertson c Canada (Ministre du revenu national), 2003 CFPI 16, [2002] ACF no 1828 au para 15 [Robertson], où l’honorable juge Layden-Stevenson conclut que la décision du délégué du ministre était « manifestement déraisonnable » puisqu’elle n’expliquait pas adéquatement la position du directeur, particulièrement à l’égard des motifs se rapportant à la production tardive des déclarations. Voici l’extrait pertinent de la décision du délégué du ministre :

“[TRADUCTION]

J'ai examiné à fond tous les renseignements soumis dans votre lettre. J'ai également examiné les renseignements contenus dans la première demande. L'Agence des douanes et du revenu du Canada, l'ADRC, possède le pouvoir discrétionnaire de renoncer en tout ou en partie à des intérêts et à des pénalités validement imposés. Ce pouvoir discrétionnaire sera en général exercé si le client ne s'est pas conformé à la Loi de l'impôt sur le revenu en raison de circonstances extraordinaires échappant à sa volonté. Font partie des circonstances extraordinaires les désastres naturels ou ceux causés par l'homme, les troubles civils ou les interruptions de service, une maladie ou un accident grave ou encore un trouble émotionnel ou une souffrance morale grave découlant d'erreurs ou de retards de la part de l'ADRC ou encore l'incapacité de payer les montants dus. Comme votre correspondance ne précise pas que vous avez été empêché de produire les déclarations à temps, j'ai le regret de vous informer qu'il ne s'agit pas d'un cas pour lequel il serait approprié de renoncer aux pénalités pour production tardive. De plus, nos dossiers font état que vous avez accumulé une autre dette à la consommation en décembre 2000. La renonciation aux frais d'intérêts n'est généralement pas accordée dans de telles situations." (voir la décision Robertson au para 1)

 

[40]           La demanderesse s’appuie également sur ce passage de la décision Leonard Asper Holdings Inc c Canada (Procureur général), 2010 CF 894 au para 37, où le juge Mandamin souligne que :

[37]      Le pouvoir discrétionnaire du ministre prévu au paragraphe 220(3.1) doit mener à une décision raisonnable, dont les motifs sont justifiés, transparents et intelligibles et qui appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », au sens de l’arrêt Dunsmuir.

 

[41]           La demanderesse considère que les circonstances particulières survenues au moment de produire sa T2-2007 n’ont pas été comprises ou que la déléguée n’en tient pas compte. Par conséquent, la décision n’est pas raisonnable.

 

[42]           La demanderesse fait référence, en particulier, au passage suivant dans la décision initiale du 22 juillet 2010 :

« […] You should have filed the 2007 Tax Return with the available information and then should have requested an adjustment once the information from “Dundee Securities” had been received […] »

 

[43]           La demanderesse prétend que cette mention démontre clairement que la déléguée n’a pas compris les faits qui lui ont été présentés par la demanderesse dans sa lettre du 15 octobre 2009.

 

[44]           Or, le 30 juin 2008, toute l’information nécessaire pour compléter la déclaration de la demanderesse est dans les mains de M. O’Neill. La déléguée ignore donc des faits fondamentaux en l’espèce. La demanderesse considère que la conclusion de la déléguée devient manifestement déraisonnable puisqu’elle repose sur une certaine incompréhension des éléments de preuve factuels.

 

[45]           La demanderesse souligne que l’affirmation voulant que la demanderesse aurait dû déposer ses déclarations sur la foi de documents incomplets est répétée dans les trois décisions prises par les déléguées du ministre et plus particulièrement dans la décision du 12 mai 2011. Cette exigence de l’ARC, malgré une description détaillée des fraudes commises par M. O’Neill et de l’impact qui en découle pour la demanderesse, particulièrement sur sa capacité de produire ses déclarations de revenus dans le délai imparti par la Loi est déraisonnable, selon la demanderesse.

 

[46]           La demanderesse souligne d’ailleurs que cette exigence de déposer constitue une invitation à faire un faux énoncé ou une omission, en toute connaissance de cause, acte prescrit par la LIR et sujet à une pénalité aux termes du paragraphe 163(2) de ladite Loi. La demanderesse cite également l’honorable juge Zinn qui, dans Nedza Enterprises Ltd c Canada (Agence du revenu), 2010 CF 435 au para 27 [Nedza], énonce que :

« La déclaration du ministre selon laquelle la demanderesse avait omis de produire une déclaration de revenus estimative et non certifiée soulève un doute, car il ne semble y avoir aucune disposition légale concernant une telle procédure […] ».

 

[47]           Quant à la décision finale du 12 mai 2011, la demanderesse soulève deux erreurs commises par l’ARC. La première porte sur le passage où la déléguée du ministre affirme que :

“[A]ll facts included in the fax received were already considered in our decision dated November 24, 2010 further to the second request for taxpayer relief.”

 

[48]           Or, la demanderesse considère qu’il est impossible que la déléguée ait pris connaissance de la décision de l’ORCRVM lors de sa seconde révision (le 24 novembre 2010), puisque le rapport des faits n’a été complété que le 10 novembre 2010 et qu’elle écrit le contraire (mémoire des faits et du droit de la demanderesse, page 136).

 

[49]           La deuxième erreur, selon la demanderesse, découle du défaut de la déléguée d’analyser la situation à la date statutaire de production (le 30 juin 2008), pour déterminer si la demanderesse a omis ou pas de produire sa déclaration T2-2007 pour des motifs « hors de son contrôle ». Elle prétend que la déléguée accorde trop d’importance à des faits survenus après la date butoir. Elle reproche à la demanderesse d’avoir fait défaut d’agir plus diligemment à compter de 22 septembre, lorsque la demanderesse est mise au courant des difficultés rencontrées par la firme Andrews pour obtenir les informations de M. O’Neill.

 

[50]           La demanderesse allègue finalement que la déléguée conclut à partir de faits erronés et qu’il lui est impossible de vérifier si tous les éléments de preuve présentés par les deux représentants de la demanderesse ont bel et bien été considérés. Citant Elwell c Canada (Ministre du Revenu national), 2004 CF 943 au para 13, elle rappelle que l’honorable juge Rouleau a déterminé qu’un tel manque de transparence constitue un manquement à l’équité procédurale :   

« […] Il m'est impossible de vérifier, à partir de la décision de Mme Shields, qui a examiné à nouveau la demande et confirmé la décision antérieure en matière d'équité, qu'elle a tenu compte des explications de la demanderesse. Sa décision du 14 novembre 2003 réitère simplement les antécédents de la demanderesse pour se conformer et s'appuie sur ceux-ci pour motiver son refus de lui accorder un redressement. »

 

B.        Position de l’ARC

 

[51]           L’ARC prétend que sa décision respecte les principes de justice naturelle. Elle s’appuie sur l’arrêt Kindler c Canada (Ministre de la Justice), [1987] 2 CF 145 au para 24, où l’honorable juge Rouleau écrit :

[24]      En l'espèce, le requérant se plaint des motifs donnés par l'intimé parce qu'ils n'examinaient pas suffisamment en détail les éléments de preuve. Je suis cependant convaincu que les motifs du ministre indiquent qu'il a bien compris les points en litige ainsi que les éléments de preuve pertinents. Il n'est pas nécessaire que les motifs énumèrent tous les éléments imaginables qui peuvent avoir influencé la décision et je ne souscris pas à l'argument du requérant suivant lequel l'absence de mention des rapports psychiatriques ou des lettres des parents du requérant signifie que le ministre ne les a pas pris en considération. À mon avis, la décision du ministre constituait une évaluation juste et adéquate de la situation; elle indiquait qu'il avait tenu compte des faits pertinents, notamment l'âge du requérant, ses antécédents familiaux, son comportement, son éducation et ses emplois antérieurs, ainsi que les arguments que le requérant a lui-même fait valoir dans la lettre qu'il a adressée à l'intimé, alors qu'il proclamait son innocence quant aux crimes pour lesquels il a été reconnu coupable. […]

 

[52]           L’ARC affirme que sa décision du 12 mai 2011 tient compte de tous les faits soulevés par la demanderesse. D’autre part, l’ARC souligne que la lettre de la déléguée s’appuie sur un rapport interne complété par elle-même. Ce rapport démontre clairement que la déléguée tient compte de tous les faits pertinents et que sa décision satisfait les critères applicables dans de tels cas.

 

[53]           Dans l’alternative, l’ARC soutient que si la Cour conclut que la décision du 12mai 2011 de la déléguée n’est pas suffisamment motivée et qu’elle constitue un manquement à un principe de justice naturelle, la Cour ne devrait pas renvoyer la décision au ministre. L’ARC s’appuie sur l’arrêt Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299 [Stemijon], dans lequel la Cour d’appel fédérale, sous la plume du juge Stratas, invoque la nature discrétionnaire de la décision d’accorder une réparation dans une demande de révision judiciaire. Au paragraphe 46, il énonce:

[46]      En l’espèce, il ne servirait à rien d’annuler la décision du ministre et d’ordonner le renvoi de l’affaire pour nouvelle décision. Les excuses et les justifications offertes par les appelantes pour justifier les dépôts tardifs et les raisons invoquées à l’appui de la demande d’allègement ne sont pas valables. Le ministre ne pouvait pas raisonnablement les accepter et accorder un allègement en vertu du paragraphe 230(3.1) de la Loi. Renvoyer l’affaire au ministre constituerait un exercice futile.

 

[54]           Vu que la déléguée du ministre fonde sa décision sur les faits et les critères appropriés, l’ARC prétend qu’un renvoi au ministre devient alors un exercice futile.

 

[55]           L’ARC se penche ensuite sur le caractère raisonnable de sa décision et rappelle tout d’abord le principe voulant que la cour de révision qui applique la norme de la raisonnabilité doit faire preuve de déférence à l’égard des décisions des décideurs administratifs. Elle cite l’arrêt Dunsmuir au paragraphe 47. La Cour suprême y indique :  

[47]      La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.  Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables.  La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[56]           L’ARC soutient de plus qu’à la lumière des faits présentés par la demanderesse, sa décision de refuser l’annulation des pénalités imposées en 2007 est raisonnable. Elle rappelle que la demanderesse recevait périodiquement des documents de son conseiller financier, M. O’Neill, sur sa situation financière. Elle conclut ensuite que le 30 juin 2008, la demanderesse aurait pu préparer sa T2-2007 sur la foi de ces informations.

 

[57]           Selon l’ARC, la demanderesse pouvait déposer une déclaration en utilisant les documents en sa possession pour ensuite produire des déclarations amendées. En soutien à cet énoncé, elle cite Tedford c Canada (Procureur général), 2006 CF 1334 au para 27 :

[27]      De plus, bien qu’il soit sans doute techniquement inexact d’affirmer que les arguments en faveur de mesures d’équité ne précisaient pas « la raison pour laquelle les déclarations des années 1997, 1998 et 1999 n’ont pas été produites à temps », les événements allégués pour justifier le dépôt tardif des déclarations des années en question étaient relativement éloignés. Le demandeur a reconnu à l’audience qu’il aurait pu produire à temps les déclarations portant sur ces années-là, compte tenu des documents et renseignements qu’il avait alors à sa disposition et, une fois en possession de documents et renseignements complets et détaillés, il aurait pu, le cas échéant, produire des déclarations modifiées. Le demandeur a choisi délibérément de ne pas s’y prendre ainsi. Ce choix s’est révélé un choix coûteux, mais c’est peutêtre celui qui lui a semblé le plus raisonnable à l’époque et dans les circonstances qui avaient cours alors. C’était, en définitive, son choix à lui, un choix qui s’est révélé fort onéreux. 

 

[58]           En outre, selon l’ARC, les faits suivants démontrent que la demanderesse n’a pas fait preuve de diligence raisonnable pour remédier au retard dès que possible, étant donné que :

(a)                La demanderesse a appris le 22 septembre 2008 que sa T2-2007 n’avait pas été produite à temps;

(b)               Non inquiète par la situation, la demanderesse n’a rien fait pour remédier à son défaut;

(c)                Le 18 décembre 2008, la demanderesse mandate la firme Dundee pour transmettre à la firme Andrews ses informations financières;

(d)               Le 27 décembre 2008, la demanderesse ordonne à la firme Andrews de cesser les travaux relatifs à la production de sa déclaration de revenus jusqu’à la réception de renseignements venant le la firme Dundee;

(e)                Le 4 février 2009, l’ARC fait parvenir à la demanderesse une demande formelle de production de déclaration T2-2007 et ce, au plus tard le 6 mars 2009;

(f)                Le 31 mars 2009, la demanderesse mandate finalement la firme Andrews de reprendre le travail commencé et de produire sa déclaration T2-2007;

(g)               Le 4 avril 2009, l’ARC accorde à la demanderesse un délai supplémentaire de production de sa déclaration de revenus, jusqu’au 30 avril 2009.

 

[59]           L’ARC conclut que la décision 12 mai 2011 fait manifestement partie d’un éventail d’issues possibles et raisonnables que pouvait prendre l’ARC suite à l’étude des éléments de preuve et des faits dans ce dossier.

 

VI.       Analyse

 

La décision de la déléguée de refuser la demande d’allègement est-elle raisonnable?

 

[60]           Pour les raisons qui suivent la Cour conclut que la décision de la déléguée de refuser la demande d’allègement n’est pas raisonnable.

 

[61]           La demanderesse soutient que la déléguée du Ministre a commis une erreur de droit dans sa décision du 12 mai 2011 en utilisant l’expression suivante : « Your account has been thoroughly reviewed and your submission carefully considered in relation to the applicable legislation ».

 

[62]           En fait, en exerçant son pouvoir discrétionnaire prévu aux termes du paragraphe 220(3.1) de la LIR, la déléguée du ministre pouvait tenir compte des lignes directrices qui se trouvent à la circulaire d’information IC07-1. Celles-ci ne lient pas la déléguée puisqu’elles ne sont aucunement obligatoires. La demanderesse soutient que le passage ci-dessus laisse entendre que la déléguée croyait que ces lignes directrices avaient une portée obligatoire.

 

[63]           La demanderesse s’appuie sur le paragraphe 21 de la décision du juge O’Keefe dans Spence précitée, où la déléguée du ministre avait utilisé la même expression. Cependant, dans Spence, l’utilisation de l’expression « applicable legislation » diffère grandement du dossier devant nous puisqu’elle visait l’affirmation de la déléguée voulant que « [l]es dispositions d’allègement pour les contribuables ne permettent pas d’annuler les pénalités et intérêts dans ce genre de situation. »

 

[64]           Ce passage démontre clairement que la déléguée, dans Spence précitée, croyait que les dispositions de la circulaire d’information IC07-1 étaient obligatoires. Un tel passage ne se trouve aucunement dans la décision de la déléguée dans le dossier devant la Cour.

 

[65]           En lisant l’expression « applicable legislation » dans son contexte, on conclut aisément que la déléguée comprend bien la nature et l’étendue de son pouvoir discrétionnaire. Elle ne commet donc pas d’erreur de droit.

 

[66]           À la lecture du dossier et des éléments de preuve qui s’y trouvent, la Cour constate cependant que la déléguée du ministre n’a pas compris certains faits présentés par la demanderesse. La Cour doit se poser la question si cette erreur est suffisamment déterminante pour entacher la validité de la décision de refuser la demande d’allègement aux termes du paragraphe 220(3.1) de la LIR.

 

[67]           La déléguée erre lorsqu’elle conclut que la demanderesse savait que sa T2-2007 était en retard avant la date statutaire du 30 juin 2008. La déléguée se fonde sur la réponse reçue à la question suivante :

“1) Why did you not advise the 3 shareholders before the deadline on 2008-06-30 that you had a lack of co-operation with the broker to get [sic] the information to prepare the T2-2007 return?” (dossier de la défenderesse, pièce D)

 

“1) The active shareholder Mr. Peter Ouimet was aware that the 2006 financial statements and tax returns were still outstanding so that it followed that he also new [sic] the 2007 ones were not prepared.” (dossier de la défenderesse, pièce E)

 

[68]           La conclusion voulant que M. Ouimet savait que sa T2-2007 était en retard puisque celle de 2006 l’était est une présomption qui n’est pas nécessairement supportée par les faits.

 

[69]           De cette conclusion erronée la déléguée impute à la demanderesse l’obligation suivante “ you should have filed the 2007 Tax Return with the available information” (dossier de la défenderesse, pièce L). La déléguée ne tient pas compte du fait que M. Ouimet ne savait pas que sa T2-2007 n’avait pas été produite puisque son ami, M. O’Neill, devait en assurer la production.

 

[70]           Même si la Cour reconnaît certaines erreurs, encore faut-il qu’elles soient déterminantes. Une décision ne doit pas être parfaite pour survivre à une demande de révision judiciaire. Comme le souligne le juge Zinn dans Nedza précitée, au para 27 :

[27]      La déclaration du ministre selon laquelle la demanderesse avait omis de produire une déclaration de revenus estimative et non certifiée soulève un doute, car il ne semble y avoir aucune disposition légale concernant une telle procédure. Néanmoins, même si cette déclaration était erronée, je ne serais pas convaincu qu'elle rend l'ensemble de la décision déraisonnable. Ce facteur faisait partie de plusieurs facteurs sur lesquels s'est appuyé le décideur. L'absence, dans les circonstances exceptionnelles invoquées par la contribuable, d'une justification expliquant pourquoi les autres administrateurs ne devaient pas être tenus de s'acquitter de leurs fonctions et de leurs responsabilités envers Nedza en qualité d'administrateurs, était au cœur du raisonnement du décideur. À mon avis, cette conclusion était raisonnable et déterminante en ce qui a trait à la demande d'allègement.

 

[71]           Une décision raisonnable doit être motivée. La décision prise par la déléguée du ministre, en réponse aux trois demandes d’allègement de la demanderesse, est contenue dans la lettre suivante :

May 12, 2011

 

Account Number

87855 1027 RC0001

 

ANNE CHAUSSEGROS DE LERY

2020-500 PLACE D’ARMES

MONTRÉAL  QC     H2Y 2W2

 

 

Madam :

 

Re :      Second request for taxpayer relief for the taxation

            Year ending December 31, 2007        ref :  3563537

 

I am replying to a correspondence dated January 7, 2011 received by fax from your representative Mrs Anne Chaussegros de Léry, asking under the taxpayer relief provisions of the « Income Tax Act » for a second review of your account for the above-mentioned taxation year.

 

We wish to inform you that all facts included in the fax received, were already considered in our decision dated November 24, 2010 further to the second request for taxpayer relief.

 

Your account has been thoroughly reviewed and your submission carefully considered in relation to the applicable legislation.

However, I have noted any information that would change the original decision.

 

Therefore, I have decided that the late-filing penalty were properly charged. If you do not agree with this decision, you can ask for judicial review, within 30 days of the date you receive this letter. You may obtain more details by consulting our web site at the following address :

 

            http://www.fct-cf.gc.ca/index_f.html

 

If you have questions about this matter, you can contact Micheline Gilbert, Taxpayer Relief Officer, she is familiar with this account and can be reached at 1-866-779-2165 ext 3359 or by fax at 1-819-536-4486

 

Yours sincerely,

 

 

 

« France Dessureault »

France Dessureault

Manager

Corporation Returns Processing

 

c.c. :  3563537 CANADA INC.

(dossier de la défenderesse, pièce L, pages 92 et 93) 

 

[72]           À la lecture, la Cour constate que cette décision n’est pas adéquatement motivée. Elle ne fait aucunement référence aux éléments de preuve présentés par la demanderesse sur la fraude d’O’Neill si ce n’est la mention que le ministre « empathize[s] with you about the problems incurred ») (dossier de la demanderesse, onglet O).

 

[73]           On justifie le refus d’accorder la demande d’allègement dans cette décision en précisant à la demanderesse que :  « [you] should have filed the 2007 Tax return with the available information and then should have requested an adjustment once the information from “Dundee Securities” had been received ». Cette justification fait totalement abstraction du contexte et des éléments de preuve présentés par la demanderesse pour justifier son incapacité d’agir. On semble ignorer la fraude majeure dont est victime la demanderesse au cours des années en question. La demanderesse invoque une circonstance exceptionnelle, la fraude de M. O’Neill, conformément à l’alinéa 23(a) de la circulaire d’information IC07-1. La lettre du 12 mai 2011 ne nous permet pas de déterminer si la déléguée tient compte ou pas des éléments de preuve présentés par la demanderesse pour établir l’existence de circonstances exceptionnelles.

 

[74]           La défenderesse prétend que le rapport de recommandation de la déléguée contient les motifs qui justifient la décision prise dans ce dossier, lequel réfère adéquatement aux éléments de preuve déposés par la demanderesse. Dans Société Angelo Colatosti Inc c Canada (Procureur général), 2012 CF 124 au para 31 [Colatosti], madame la juge Bédard rappelle, en faisant référence à la décision Stemijon précitée, au paragraphe 37, « qu’il est parfois utile d’examiner le dossier pour comprendre les motifs d’une décision et pour évaluer le caractère raisonnable de la décision ». Elle écrit, au paragraphe 31 de sa décision, en rappelant l’énoncé de la Cour suprême dans Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 :

[31]      […] que les motifs d’une décision devaient être analysés en corrélation avec le résultat et qu’il était possible d’examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable d’une décision. […]

 

[75]           L’insuffisance des motifs de la déléguée ne suffit donc pas, en soi, à invalider sa décision. Le rapport accompagnant la décision du 12 mai 2011 démontre une meilleure analyse des faits et contient plusieurs motifs de refus qui ne se retrouvent pas dans la lettre de décision. On reproche principalement à la demanderesse : 1) son manque de diligence suite à sa conversation téléphonique du 22 septembre 2008 avec Mme Wu de la firme Andrews; et 2) sa responsabilité pour les agissements de tiers.

 

[76]           Dans le rapport qui sous-tend la décision du 12 mai 2011, la déléguée fait référence au paragraphe 35 de la circulaire d’information IC07-1 qui traite du fait des tiers. Le paragraphe précise que:

35.       Les contribuables sont généralement considérés comme responsables des erreurs faites par des tiers qui agissent en leur nom pour leurs affaires fiscales. Les tiers qui perçoivent des honoraires et qui fournissent des conseils inexacts ou qui font des erreurs de calcul ou de comptabilité sont généralement considérés comme responsables face à leur client si le contribuable s'est vu imposer des pénalités et des intérêts en raison des actions de ce tiers. Cependant, il peut exister des situations exceptionnelles dans lesquelles il pourrait être approprié d'accorder un allègement au contribuable en raison d'erreurs ou de retards dus à un tiers.

 

La déléguée considère que M. Ouimet a volontairement décidé de donner le mandat à M. O’Neill. Il peut donc être tenu responsable aux termes du paragraphe 35 de la circulaire d’information IC07-1. Elle mentionne aussi le fait suivant :

« Dundee Securities has recognized their responsibility (see settlement) between Mr. Peter [sic] Ouimet/34563537 Canada and Dundee »

 

[77]           Dans Colatosti précitée, au paragraphe 35, la juge Bédard, en présence d’un passage analogue, écrivait:

[35]      […] Sa recommandation laisse toutefois sous-entendre qu’elle a estimé que l’action d’un tiers, en l’occurrence le comptable de la demanderesse, ne pouvait tout simplement pas être invoquée comme circonstance exceptionnelle et ce, peu importe les circonstances entourant cette action. Je comprends de son rapport qu’elle opposait une fin de nonrecevoir au motif invoqué par la demanderesse  l’erreur de son comptable  sans qu’il ne soit nécessaire de faire un examen des circonstances ayant entourées cette erreur. Elle ne semble donc pas avoir examiné si les circonstances invoquées par la demanderesse pouvaient constituer des circonstances exceptionnelles justifiant une demande d’allègement.

 

Elle conclut donc, au paragraphe 37, que :

[37]      […]  le rapport de recommandation n’apporte rien de plus au dossier et, tel qu’indiqué précédemment, je considère donc que la décision du directeur adjoint est déraisonnable parce qu’il est impossible de connaître l’étendue de l’examen qu’il a fait des circonstances invoquées par la demanderesse.

 

[78]           En l’instance, la Cour ne peut savoir si la déléguée considère ou pas que la fraude de M. O’Neill pouvait constituer une « situation exceptionnelle » puisqu’on ne retrouve aucune analyse à ce sujet et pourtant la demanderesse fonde sa demande sur l’existence même de cette fraude et des manœuvres de M. O’Neill. Dans de telles circonstances, la décision de la déléguée devient déraisonnable car elle manque de transparence puisqu’elle ne traite pas de la question fondamentale. La fraude de M. O’Neill constitue-t-elle ou pas une situation exceptionnelle?

 

[79]           Le paragraphe 33 de la circulaire d’information IC07-1 traite, entre autres, du manque de diligence. On y précise que l’on peut en tenir compte pour décider si un allègement sera accordé notamment « [l]orsque des circonstances indépendantes de la volonté du contribuable […] ont empêché le contribuable de respecter la Loi ». L’ARC reproche à la demanderesse son manque de diligence à deux occasions. La première période s’échelonne entre le 22 septembre 2008 et le 18 décembre 2008 et la seconde entre le 18 décembre 2008 et le 30 avril 2009. Commençons avec la seconde.

 

[80]           Une lecture du rapport de la déléguée du 12 mai 2011 ne fait aucune mention d’un manque de diligence de la demanderesse au cours de cette période.

 

[81]           Quant à la période qui s’écoule entre le 18 septembre et le 18 décembre 2008, il ressort des éléments de preuve que le 22 septembre 2008, M. Ouimet communique avec la firme Andrews et demande un relevé de compte pour le travail effectué à ce jour. Mme Weilu Yu l’informe alors que son dossier est incomplet et que la firme Andrews n’a toujours pas reçu les informations nécessaires de M. O’Neill. M. Ouimet demande à la firme Andrews de communiquer à nouveau avec M. O’Neill. Aucune autre action n’est prise par M. Ouimet jusqu’au 18 décembre 2008, moment où il découvre la fraude de M. O’Neill. La déléguée reproche à M. Ouimet son inaction. Est-ce raisonnable dans les circonstances?

 

[82]           La Cour constate premièrement que la déléguée, en invoquant l’alinéa 33(d) de la circulaire d’information IC07-1, accepte implicitement que le retard à produire la déclaration de la demanderesse est attribuable à des circonstances indépendantes de la volonté du contribuable (i.e. la fraude de M. O’Neill). La Cour tient à souligner de plus que M. Ouimet ignore toujours la fraude de M. O’Neill le 22 septembre, étant toujours sous l’emprise de la tromperie. En dépit de cela, la déléguée considère que M. Ouimet manque de diligence en suggérant que la firme Andrews contacte à nouveau M. O’Neill pour recevoir les informations nécessaires. La Cour ne peut souscrire à une telle conclusion qui, encore une fois, ignore des éléments de preuve essentiels : la fraude de M. O’Neill et l’intérêt de ce dernier à se soustraire à ses obligations pour éviter d’être démasqué.

 

[83]           L’ARC soutient que par ailleurs, si la Cour conclut que la décision du 12 mai 2011 est déraisonnable, elle doit dans ce cas refuser d’annuler la décision parce que ce ne serait d’aucune utilité. L’ARC s’appuie sur le paragraphe 46 de l’arrêt Stemijon précité :

[46]      En l’espèce, il ne servirait à rien d’annuler la décision du ministre et d’ordonner le renvoi de l’affaire pour nouvelle décision. Les excuses et les justifications offertes par les appelantes pour justifier les dépôts tardifs et les raisons invoquées à l’appui de la demande d’allègement ne sont pas valables. Le ministre ne pouvait pas raisonnablement les accepter et accorder un allègement en vertu du paragraphe 230(3.1) de la Loi. Renvoyer l’affaire au ministre constituerait un exercice futile.

 

[84]           La Cour rejette cette prétention, n’étant pas prête à conclure que les circonstances et les motifs invoqués par la demanderesse ne sont pas valables et qu’il serait inutile de renvoyer le dossier au ministre pour un nouvel examen, c’est pourquoi elle annule la décision de la déléguée et renvoi le dossier pour un nouvel examen.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de révision judiciaire est accueillie, le tout avec dépens.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge


ANNEXE

 

 

Loi de l'impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl)

 

Income Tax Act

R.S.C., 1985, c. 1 (5th Supp.)

Pénalités

 

Penalties

Défaut de déclaration de revenu

 

162. (1) Toute personne qui ne produit pas de déclaration de revenu pour une année d’imposition selon les modalités et dans le délai prévus au paragraphe 150(1) est passible d’une pénalité égale au total des montants suivants :

 

a) 5 % de l’impôt payable pour l’année en vertu de la présente partie qui était impayé à la date où, au plus tard, la déclaration devait être produite;

 

b) le produit de 1 % de cet impôt impayé par le nombre de mois entiers, jusqu’à concurrence de 12, compris dans la période commençant à la date où, au plus tard, la déclaration devait être produite et se terminant le jour où la déclaration est effectivement produite.

Failure to file return of income

 

162. (1) Every person who fails to file a return of income for a taxation year as and when required by subsection 150(1) is liable to a penalty equal to the total of

 

 

 

(a) an amount equal to 5% of the person’s tax payable under this Part for the year that was unpaid when the return was required to be filed, and

 

(b) the product obtained when 1% of the person’s tax payable under this Part for the year that was unpaid when the return was required to be filed is multiplied by the number of complete months, not exceeding 12, from the date on which the return was required to be filed to the date on which the return was filed.

 

PARTIE XV

 

APPLICATION ET EXÉCUTION

 

APPLICATION

PART XV

 

ADMINISTRATION AND ENFORCEMENT

 

ADMINISTRATION

 

Renonciation aux pénalités et aux intérêts

 

(3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

 

Waiver of penalty or interest

 

 

(3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

 

 

Circulaire d'information en matière d'impôt sur le revenu, IC07-1

 

Income Tax Information Circular, IC07-1

Dispositions d'allègement pour les contribuables

 

Taxpayer Relief Provisions

Situations dans lesquelles un allègement des pénalités et des intérêts peut être justifié

Circumstances Where Relief From Penalty and Interest May Be Warranted

 

23. Le ministre peut accorder un allègement de l'application des pénalités et des intérêts lorsque les situations suivantes sont présentes et qu'elles justifient l'incapacité du contribuable à s'acquitter de l'obligation ou de l'exigence fiscale en cause :

 

a. circonstances exceptionnelles;

b. actions de l'ARC;

c. incapacité de payer ou difficultés financières.

 

24. Le ministre peut également accorder un allègement même si la situation du contribuable ne se trouve pas parmi les situations mentionnées au paragraphe 23.

 

 

23. The Minister may grant relief from the application of penalty and interest where the following types of situations exist and justify a taxpayer's inability to satisfy a tax obligation or requirement at issue:

 

 

a. extraordinary circumstances

b. actions of the CRA

c. inability to pay or financial hardship

 

 

24. The Minister may also grant relief if a taxpayer's circumstances do not fall within the situations stated in 23.

Circonstances exceptionnelles

Extraordinary Circumstances

 

25. Les pénalités et les intérêts peuvent faire l'objet d'une renonciation ou d'une annulation, en tout ou en partie, lorsqu'ils découlent de circonstances indépendantes de la volonté du contribuable. Les circonstances exceptionnelles qui peuvent avoir empêché un contribuable d'effectuer un paiement lorsqu'il était dû, de produire une déclaration à temps ou de s'acquitter de toute autre obligation que lui impose la Loi sont les suivantes, sans être exhaustives :

 

a. une catastrophe naturelle ou causée par l'homme, telle qu'une inondation ou un incendie;

 

b. des troubles publics ou l'interruption de services, tels qu'une grève des postes;

 

c. une maladie grave ou un accident grave;

 

d. des troubles émotifs sévères ou une souffrance morale grave, tels qu'un décès dans la famille immédiate.

 

 

25. Penalties and interest may be waived or cancelled in whole or in part where they result from circumstances beyond a taxpayer's control. Extraordinary circumstances that may have prevented a taxpayer from making a payment when due, filing a return on time, or otherwise complying with an obligation under the Act include, but are not limited to, the following examples:

 

 

 

a. natural or man-made disasters such as, flood or fire;

 

 

b. civil disturbances or disruptions in services, such as a postal strike;

 

c. a serious illness or accident; or

 

d. serious emotional or mental distress, such as death in the immediate family.

Facteurs utilisés pour arriver à la décision

Factors Used in Arriving at the Decision

 

33. Lorsque des circonstances indépendantes de la volonté du contribuable, des actions de l'ARC, ou l'incapacité de payer ou les difficultés financières ont empêché le contribuable de respecter la Loi, les facteurs suivants seront considérés pour déterminer si l'ARC annulera ou renoncera aux pénalités et aux intérêts, ou non :

 

a. le contribuable a respecté, par le passé, ses obligations fiscales;

 

b. le contribuable a, en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance qui a engendré des intérêts sur arriérés;

 

c. le contribuable a fait des efforts raisonnables et n'a pas été négligent dans la conduite de ses affaires en vertu du régime d'autocotisation;

 

 

 

d. le contribuable a agi avec diligence pour remédier à tout retard ou à toute omission.

 

 

33. Where circumstances beyond a taxpayer's control, actions of the CRA, or inability to pay or financial hardship has prevented the taxpayer from complying with the Act, the following factors will be considered when determining whether or not the CRA will cancel or waive penalties and interest:

 

 

a. whether or not the taxpayer has a history of compliance with tax obligations;

 

b. whether or not the taxpayer has knowingly allowed a balance to exist on which arrears interest has accrued;

 

 

c. whether or not the taxpayer has exercised a reasonable amount of care and has not been negligent or careless in conducting their affairs under the self-assessment system; and

 

 

 

d. whether or not the taxpayer has acted quickly to remedy any delay or omission.

Actions de tiers

Third-Party Actions

 

35. Les contribuables sont généralement considérés comme responsables des erreurs faites par des tiers qui agissent en leur nom pour leurs affaires fiscales. Les tiers qui perçoivent des honoraires et qui fournissent des conseils inexacts ou qui font des erreurs de calcul ou de comptabilité sont généralement considérés comme responsables face à leur client si le contribuable s'est vu imposer des pénalités et des intérêts en raison des actions de ce tiers. Cependant, il peut exister des situations exceptionnelles dans lesquelles il pourrait être approprié d'accorder un allègement au contribuable en raison d'erreurs ou de retards dus à un tiers.

 

36. Il peut être approprié de considérer d'accorder un allègement des pénalités et des intérêts, en tout ou en partie, lorsqu'une circonstance exceptionnelle indépendante de la volonté du représentant d'un contribuable ou que des actions de l'ARC (telles que décrites aux paragraphes 25 et 26) ont empêché le contribuable de s'acquitter d'une obligation ou de respecter une exigence de la Loi.

 

35. Taxpayers are generally considered to be responsible for errors made by third parties acting on their behalf for income tax matters. A third party who receives a fee and gives incorrect advice, or makes arithmetic or accounting errors, is usually regarded as being responsible to their client for any penalty and interest charges that the client has because of the party's action. However, there may be exceptional situations, where it may be appropriate to provide relief to taxpayers because of third-party errors or delays.

 

 

 

 

 

 

36. It may be appropriate to consider granting relief from penalties and interest, in whole or in part, where an extraordinary circumstance beyond the control of a taxpayer's representative or actions of the CRA (as described in 25 and 26) have prevented the taxpayer from complying with an obligation or requirement under the Act.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-964-11

 

INTITULÉ :                                      3563537 CANADA INC

                                                            c

                                                            AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             5 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                     5 novembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Anne Chaussegros de Léry

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Amin Njoukou-Kouandou

Me Louis Lébastien

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

CHAUSSEGROS DE LÉRY, Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.