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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20121109

Dossier : IMM-8427-11

Référence : 2012 CF 1311

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

SINA YOHANNES RUSSOM

MILEN TEWELDAI

ZOSKALES TECLEMARIAM

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs demandent le contrôle judiciaire de la décision d’un agent des visas (l’agent) de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) du 16 novembre 2011, dans laquelle l’agent a refusé la demande de permis de travail au titre de la catégorie des aides familiaux de Mme Russom.

[1]

[2]               La demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs suivants.

 

I.          Contexte

 

[3]               Les demandeurs sont deux citoyens canadiens, Mme Milen Teweldai et son époux, M. Zoskales Teclemariam, qui veulent employer l’autre demanderesse, Mme Sina Yohannes Russom, comme aide familiale pour leurs trois jeunes enfants. Mme Russom est une ressortissante de l’Érythrée dont la première demande de permis de travail au titre de la catégorie des aides familiaux a été rejetée le 13 février 2011. Les demandeurs ont demandé le contrôle judiciaire de la décision de rejeter la demande, et la Cour a rendu un jugement sur consentement ayant pour effet de renvoyer la demande de Mme Russom à un autre agent des visas pour nouvel examen.

 

[4]               Dans le cadre du réexamen, Mme Russom a été convoquée en entrevue le 14 novembre 2011 avec un agent de l’ambassade du Canada à Khartoum, au Soudan. Pendant l’entrevue, Mme Russom a été invitée à décrire des symptômes courants de réactions allergiques d’enfants à des piqûres d’insectes ainsi que les mesures qu’elle prendrait devant une telle réaction. L’agent lui a aussi demandé de nommer une méthode appropriée pour prendre la température d’un bébé.

 

[5]               En Érythrée, Mme Russom a enseigné l’anglais à l’école primaire pendant six mois et a été assistante dans une classe de maternelle (chargée du soin des enfants) dans une école pendant plus d’un an. Elle est actuellement gouvernante pour une famille à Khartoum, au Soudan.

 

II.        Décision faisant l’objet du contrôle

 

[6]               L’agent a fondé sa décision essentiellement sur les réponses données par Mme Russom aux questions précises mentionnées plus haut qu’il lui a posées pendant l’entrevue. En réponse à la première série de questions sur les piqûres d’insectes et les réactions allergiques, Mme Russom a nommé [traduction] « de la fièvre et des pleurs incessants » en tant que signes d’une réaction allergique, mais a déclaré qu’elle n’avait jamais vu une telle réaction dans son travail auprès d’enfants. À la question portant sur la façon de prendre la température d’un bébé, Mme Russom a répondu qu’elle se servirait d’un thermomètre, sans toutefois préciser la méthode qu’elle utiliserait.

 

[7]               L’agent n’était pas satisfait de toutes les réponses données par Mme Russom. Il a jugé que les questions qu’il avait posées sur les piqûres d’insectes, les réactions allergiques et la prise de la température concernaient des connaissances très fondamentales que tout aide familial chargé de prendre soin d’enfants au Canada devait pouvoir expliquer facilement et sans détour. Son incapacité à offrir de telles explications à l’agent de façon satisfaisante a amené celui‑ci à conclure que Mme Russom n’avait ni les capacités ni les connaissances voulues pour exercer les fonctions prévues. L’agent n’a donné aucune explication quant à la source des connaissances qu’il s’attendait à ce que Mme Russom possède.

 

[8]               Même si l’agent semble estimer que Mme Russom, à d’autres égards, respecte les conditions d’admissibilité énoncées à l’article 112 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), il s’est fondé sur l’alinéa 200(3)a) du Règlement pour rejeter la demande de permis de travail.

 

III.       Questions en litige

 

[9]               Les questions déterminantes en l’espèce sont les suivantes :

a)         L’agent a‑t‑il commis une erreur en appliquant l’alinéa 200(3)a) du Règlement à la demande au titre de la catégorie des aides familiaux?

b)         Dans la négative, la décision de l’agent était‑elle raisonnable?

 

[10]           Les demandeurs demandent aussi l’adjudication de dépens avocat‑client.

 

IV.       Norme de contrôle

 

[11]           Lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, une grande déférence est de mise (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 54; Smith c Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7, [2011] 1 RCS 160, au paragraphe 28; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654, au paragraphe 30). L’interprétation qu’a faite l’agent du Règlement est donc susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité.

 

[12]           La décision de l’agent en ce qui concerne la demande elle‑même met en jeu des questions mixtes de fait et de droit et est aussi susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité.

 

.

[13]           La norme de la raisonnabilité tient « principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

V.        Analyse

 

A.        Applicabilité de l’alinéa 200(3)a) du Règlement aux demandes au titre de la catégorie des aides familiaux

 

[14]           Le Règlement énonce en ces termes les conditions que les demandeurs doivent remplir pour être admissibles à la catégorie des aides familiaux :

Permis de travail : exigences

 

112. Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger qui cherche à entrer au Canada au titre de la catégorie des aides familiaux que si l’étranger se conforme aux exigences suivantes :

 

a) il a fait une demande de permis de travail à titre d’aide familial avant d’entrer au Canada;

 

b) il a terminé avec succès des études d’un niveau équivalent à des études secondaires terminées avec succès au Canada;

 

c) il a la formation ou l’expérience ci-après dans un domaine ou une catégorie d’emploi lié au travail pour lequel le permis de travail est demandé :

 

(i) une formation à temps plein de six mois en salle de classe, terminée avec succès,

 

(ii) une année d’emploi rémunéré à temps plein — dont au moins six mois d’emploi continu auprès d’un même employeur — dans ce domaine ou cette catégorie d’emploi au cours des trois années précédant la date de présentation de la demande de permis de travail;

 

d) il peut parler, lire et écouter l’anglais ou le français suffisamment pour communiquer de façon efficace dans une situation non supervisée;

 

e) il a conclu un contrat d’emploi avec son futur employeur.

Work permits — requirements

 

112. A work permit shall not be issued to a foreign national who seeks to enter Canada as a live-in caregiver unless they

 

 

 

(a) applied for a work permit as a live-in caregiver before entering Canada;

 

 

(b) have successfully completed a course of study that is equivalent to the successful completion of secondary school in Canada;

 

(c) have the following training or experience, in a field or occupation related to the employment for which the work permit is sought, namely,

 

(i) successful completion of six months of full-time training in a classroom setting, or

 

(ii) completion of one year of full-time paid employment, including at least six months of continuous employment with one employer, in such a field or occupation within the three years immediately before the day on which they submit an application for a work permit;

 

 

(d) have the ability to speak, read and listen to English or French at a level sufficient to communicate effectively in an unsupervised setting; and

 

(e) have an employment contract with their future employer.

 

 


 

[15]           De plus, le Règlement énonce les circonstances dans lesquelles un agent des visas peut ne pas délivrer un permis de travail. Les parties pertinentes du  paragraphe 200(3) du Règlement prévoient :

Exceptions

 

(3) Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger dans les cas suivants :

 

a) l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé;

 

[…]

 

d) l’étranger cherche à entrer au Canada et à faire partie de la catégorie des aides familiaux, à moins qu’il ne se conforme à l’article 112;

 

[…]

 

Exceptions

 

(3) An officer shall not issue a work permit to a foreign national if

 

(a) there are reasonable grounds to believe that the foreign national is unable to perform the work sought;

 

 

 

[…]

 

(d) the foreign national seeks to enter Canada as a live-in caregiver and the foreign national does not meet the requirements of section 112;

 

[…]

 

[16]           Les demandeurs soutiennent qu’un agent des visas peut refuser un permis de travail à un demandeur au titre de la catégorie des aides familiaux en vertu de l’alinéa 200(3)d) du Règlement seulement, c’est-à-dire seulement s’il ne respecte pas les critères énoncés à l’article 112. Le défendeur soutient que tous les motifs énoncés au paragraphe 200(3) du Règlement, y compris l’alinéa 200(3)a), s’appliquent aussi aux demandes au titre de la catégorie des aides familiaux. Il n’y a guère de jurisprudence sur ce sujet, mais l’interprétation de la Cour du paragraphe 200(3) va davantage dans le sens de la position du défendeur.

 

[17]           Bien que les défendeurs invoquent la décision Vendiola c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 655, [2003] ACF no 875, je préfère l’approche adoptée plus récemment par la Cour dans Khela c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 134, [2010] ACF no 161, et Bondoc c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 842, [2008] ACF no 1063. Dans ces deux cas, il a été établi que l’alinéa 200(3)a) s’applique aux permis de travail dans la catégorie des aides familiaux (voir Khela, précitée, aux paragraphes 8 et 17; Bondoc, précitée, aux paragraphes 21 à 24). De plus, une approche téléologique à l’égard de l’article 112 du Règlement mène à la même conclusion, c’est‑à‑dire que les dispositions visent à faire en sorte que « l’aide familial possède les compétences requises pour effectuer adéquatement les tâches qui lui seront assignées » (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 684, [2006] ACF no 859, au paragraphe 11).

 

[18]           Enfin, je constate que la Cour a jugé que l’alinéa 200(3)e), qui prévoit qu’un permis de travail ne peut être délivré aux personnes qui ont poursuivi des études ou exercé un emploi au Canada sans autorisation ou permis, s’applique aux demandeurs de la catégorie des aides familiaux (voir Maxim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1029, [2012] ACF no 1113, au paragraphe 33). Si la logique des demandeurs prévalait, les agents des visas ne pourraient pas refuser un permis de travail aux demandeurs de la catégorie des aides familiaux en raison d’actes antérieurs contrevenant à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et au Règlement, ce qui produirait des résultats inacceptables.

 

[19]           J’estime que le paragraphe 200(3) s’applique dans son entier aux demandes au titre de la catégorie des aides familiaux et que l’agent n’a commis aucune erreur à cet égard.

 

B.        Raisonnabilité de la décision de l’agent

 

[20]           Comme le souligne le défendeur, l’agent a le pouvoir discrétionnaire d’évaluer les réponses fournies par Mme Russom pendant l’entrevue. Il n’a cependant pas un pouvoir illimité lui permettant d’examiner les exigences de l’emploi potentiel de la demanderesse sans s’appuyer sur un fondement objectif et de s’appuyer plutôt uniquement sur ses propres normes contestables. Même si je n’ai pas, au sujet des questions qui ont été posées à Mme Russom, la même opinion que les demandeurs, c’est‑à‑dire qu’elles sont des considérations [traduction] « sans rapport », le fait que l’agent a évalué la capacité de Mme Russom d’exercer les fonctions d’aide familiale sans normes objectives l’a amené à tirer une conclusion déraisonnable (voir Randhawa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1294, [2006] ACF no 1614).

 

[21]           Étant donné que l’agent semble avoir accepté que les conditions relatives à la délivrance d’un permis de travail dans la catégorie des aides familiaux en vertu de l’article 112 du Règlement ont été remplies, sa conclusion déraisonnable en vertu de l’alinéa 200(3)a) du Règlement suffit pour que soit accueillie la demande de contrôle judiciaire.

 

C.        Dépens

 

[22]           L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, prévoit que sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, les instances comme celle en l’espèce ne donnent pas lieu à des dépens. En fait, la Cour n’adjuge habituellement pas de dépens dans les instances en matière d’immigration, et le critère de l’existence de raisons spéciales est rigoureux (voir Stephenson c Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2011 CF 932, [2011] ACF no 1156, au paragraphe 74; Dhaliwal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 201, [2011] ACF no 250, aux paragraphes 29 et 30). J’estime qu’il n’existe pas de raisons spéciales justifiant l’adjudication de dépens en l’espèce.

 

VI.       Conclusion

 

[23]           La demande est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8427-11

 

INTITULÉ :                                      SINA YOHANNES RUSSOM ET AL c MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 30 OCTOBRE 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     LE 9 NOVEMBRE 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Matthew Jeffery

 

POUR LES DEMANDEURS

Asha Gafar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Matthew Jeffery

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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