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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20121109

Dossier : IMM-1200-12

Référence : 2012 CF 1312

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

GJOVALIN MELAJ

JOZEFINA MELAJ

JOZEF MELAJ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision rendue le 3 janvier 2012, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-après, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

I.          Les faits

 

[3]               Les demandeurs sont M. Gjovalin Melaj et ses deux enfants mineurs, Jozefina et Jozef Melaj. M. Melaj et sa fille sont citoyens de l’Albanie, alors que son fils est citoyen des États‑Unis. Ils sont arrivés au Canada le 15 juillet 2008 et ont présenté leur demande d’asile deux jours plus tard, laquelle était fondée sur leur crainte de subir un préjudice en raison du fait qu’une vendetta avait été déclarée contre leur famille en Albanie.

 

[4]               M. Melaj était policier en Albanie jusqu’en 1996, année où une guerre civile avait éclaté dans le pays. Il avait été placé en détention et torturé par ses collègues, après avoir refusé de suivre les ordres de ses supérieurs et de tirer sur des civils qui s’opposaient au gouvernement. Il avait fui avec sa famille aux États‑Unis, où sa demande d’asile avait ultimement été rejetée parce que la guerre civile avait pris fin.

 

[5]               Pendant qu’il était aux États‑Unis, M. Melaj a découvert qu’une vendetta avait été déclarée contre sa famille en Albanie. Les sources du conflit remonteraient à l’époque où M. Melaj était policier. Alors qu’il agissait comme inspecteur des douanes en 1996, M. Melaj avait confisqué des biens de contrebande appartenant à trois individus. Il s’en suivit une échauffourée, au cours de laquelle M. Melaj avait été blessé par un coup de couteau. Un de ces trois individus avait pris la fuite, mais le demandeur avait mis les deux autres en état d’arrestation. Ces derniers avaient ensuite été mis en liberté, peu après leur arrestation. M. Melaj attribuait cette mise en liberté au fait que ces individus appartenaient à un groupe criminel dont faisait aussi partie le chef de la police de la région où l’arrestation avait eu lieu.

 

[6]               Deux ans après cette confrontation, les trois hommes ont abordé le frère de M. Melaj dans le but d’être dédommagés pour les biens confisqués qui ne leur avaient pas été retournés. Les trois individus avaient commencé à battre le frère du demandeur lorsque ce dernier avait refusé d’acquiescer à leur demande. Les cousins de M. Melaj, qui revenaient du travail à ce moment-là, étaient venus à la rescousse de son frère. Ils avaient apporté des armes et fait feu en direction de l’un des trois individus. M. Melaj affirme que la vendetta a été déclarée le lendemain.

 

[7]               M. Melaj raconte que, au cours des années suivantes, un de ses cousins s’est fait tirer dessus et a été blessé, quoiqu’il n’ait pas été tué, et que son père a été assassiné. Bien que la preuve ne soit pas entièrement claire quant à ce point précis, M. Melaj a relaté dans son témoignage que la famille Dokaj avait décidé que la dette de sang avait été payée par le fait qu’ils avaient tué le chef de la famille, mais que la famille Melaj n’était pas disposée à se réconcilier.

 

II.        La décision contestée

 

[8]               La Commission a d’abord rejeté la demande d’asile du demandeur ayant la citoyenneté américaine, parce qu’aucune observation ou aucun élément de preuve n’avaient été présentés pour établir que la protection de l’État serait inadéquate aux États-Unis.

 

[9]               La Commission a ensuite rejeté la demande d’asile des deux autres demandeurs, au motif que le témoignage du demandeur principal n’était pas crédible. Bien qu’elle ait reconnu qu’il y avait des documents qui, à première vue, appuyaient la demande d’asile des demandeurs, la Commission a conclu que ces documents dépendaient de la crédibilité du demandeur principal.

 

[10]           La Commission a tiré un ensemble d’inférences défavorables quant à la crédibilité de M. Melaj, du fait de son témoignage. Premièrement, M. Melaj a omis de relater dans son témoignage que sa mère lui avait dit qu’une vendetta avait effectivement été déclarée le lendemain de la première altercation, au cours de laquelle son frère avait été agressé.

 

[11]           Deuxièmement, la Commission a tiré une inférence défavorable de l’explication de M. Melaj portant sur la raison pour laquelle le nom de frère figurait sur le paquet confié à DHL qui, selon ses dires, avait été envoyé par sa mère. Vu que le frère du demandeur se cachait apparemment en Italie, et qu’il ne se rendait qu’occasionnellement en Albanie, la Commission a conclu qu’il était raisonnable que, dans l’éventualité où sa mère avait eu besoin d’assistance, l’une des sœurs du demandeur l’aurait aidé à envoyer les documents par la poste. Par conséquent, la Commission a conclu que les documents avaient effectivement été envoyés par le frère de M. Melaj et que, par extension, ce dernier n’était plus en réclusion en Italie ou n’y vivait plus caché.

 

[12]           Troisièmement, la Commission a tiré une inférence défavorable concernant la crédibilité du demandeur, en raison de son incapacité à expliquer pourquoi le certificat de décès de son père était rédigé sur du papier ligné. La Commission a conclu que le certificat de décès avait été modifié pour étayer la demande d’asile. La Commission a aussi mentionné qu’un seul des rapports produits en lien avec le décès du père de M. Melaj faisait état de la vendetta.

 

[13]           La Commission n’était pas convaincue non plus que la vendetta avait été provoquée par la tentative de la famille Dokaj d’obtenir un dédommagement pour la saisie des biens de contrebande qui avait eu lieu deux ans avant que la vendetta ne soit déclarée. Dans un premier temps, la Commission jugeait invraisemblable que de telles demandes aient été présentées deux ans après les gestes posés par le demandeur. Dans un deuxième temps, M. Melaj n’était que l’un des trois agents ayant procédé à la confiscation, et aucun élément de preuve ne démontrait que des demandes similaires avaient été formulées aux deux autres agents ou à leur famille.

 

[14]           En dernier lieu, la Commission a fait remarquer qu’il aurait incombé au demandeur de solliciter l’aide de son ancien employeur avant de présenter une demande d’asile au Canada. La Commission n’était pas convaincue qu’il avait sollicité une telle aide et a conclu que le demandeur n’avait pas démontré que l’État n’aurait pu offrir une protection adéquate en ce qui concerne les demandes illégales de dédommagement.

 

III.       La question en litige

 

[15]           La question déterminante dans la présente affaire est de savoir si les inférences tirées par la Commission quant à la crédibilité étaient raisonnables.

 

IV.       La norme de contrôle applicable

 

[16]           Les conclusions relatives à la crédibilité sont des questions mixtes de fait et de droit. Par conséquent, elles commandent donc une grande retenue et sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (voir Baykus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 851, [2010] ACF no 1058, au paragraphe 14; Mejia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 354, [2009] ACF no 438, au paragraphe 29).

 

[17]           Le caractère raisonnable tient « principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

V.        Analyse

 

[18]           Les demandeurs contestent les conclusions tirées par la Commission quant aux principaux points suivants : a) le témoignage du demandeur à propos de la déclaration de vendetta; b) la question de savoir si le frère du demandeur vivait dans la clandestinité; c) le « faux » certificat de décès; d) le lien entre le décès du père du demandeur et la vendetta; e) le caractère vraisemblable des demandes des frères Dokaj deux ans après la confiscation des biens de contrebande ayant eu lieu en 1996; f) l’omission du demandeur de solliciter la protection de l’État.

 

[19]           Selon le dossier, il est évident que le témoignage du demandeur n’était pas clair en ce qui concerne la question de savoir à quel moment et par qui la vendetta avait été déclarée. Par conséquent, il était loisible à la Commission de tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité sur ce point. La conclusion de la Commission à cet égard était raisonnable.

 

[20]           La conclusion de la Commission selon laquelle le frère du demandeur ne se cachait pas en Italie dépend de la crédibilité accordée au récit du demandeur quant aux raisons pour lesquelles le nom de son frère figure sur le paquet de documents qui lui avait été envoyé par un service de messagerie, alors qu’il a relaté dans son témoignage que c’était sa mère qui avait procédé à l’envoi. Le dossier contenait des incohérences au sujet du degré de littératie de la mère du demandeur, et, comme le défendeur le souligne, il ne fait aucun doute que cette dernière avait participé activement à la récupération des documents, qu’elle avait signalé les incidents à la police et qu’elle s’était rendue au bureau du procureur de l’État. Je suis convaincu que la conclusion de la Commission à ce sujet était raisonnable, particulièrement en l’absence de preuve portant qu’il était déraisonnable de s’attendre à ce que les sœurs du demandeur puissent être capables d’aider leur mère en ce qui a trait aux documents. Compte tenu des dangers liés à une vendetta, il serait raisonnable de s’attendre à ce que la famille du demandeur puisse envoyer des documents d’une manière différente de celle, selon le demandeur, qu’ils emploient normalement, dans le but de s’assurer que leur frère ne soit pas pris pour cible.

 

[21]           De plus, j’estime que la conclusion de la Commission au sujet du certificat de décès est raisonnable. Sa conclusion était fondée sur l’apparence du document, et non, comme le prétendent les demandeurs, sur quelque [traduction] « connaissance spécialisée ». Je fais remarquer que les certificats de naissance des demandeurs qui ont été versés au dossier n’étaient pas imprimés sur du papier ligné et que la Commission a bel et bien donné au demandeur une occasion de fournir des explications quant à l’apparence du document. Compte tenu de la preuve au dossier, la conclusion de la Commission sur ce point appartenait aux issues possibles acceptables.

 

[22]           La Commission a décidé que, même si elle devait accepter que la mort du père du demandeur eût un lien avec la vendetta, le demandeur avait relaté dans son témoignage que la famille Dokaj avait dit à des gens du village que la vendetta était réglée à ce moment-là. Lorsqu’on examine dans la décision dans son ensemble, il était raisonnable de conclure que le demandeur n’était plus exposé à un risque. Cela est d’autant plus vrai que le demandeur a relaté dans son témoignage que, dans les faits, c’était sa propre famille qui n’était pas disposée à régler la vendetta, puisqu’elle était d’avis que trop de sang avait été versé.

 

[23]           Dans le même ordre d’idées, la Commission a tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité, au motif qu’il n’était pas vraisemblable que la vendetta ait tiré son origine du dédommagement exigé par les frères Dokaj, surtout au vu du fait qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve démontrant que l’un ou l’autre des deux autres agents mêlés à cet incident avait été pris pour cible. La Cour a statué qu’« [u]n tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables » (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, [2001] ACF no 1131, au paragraphe 7). Je suis convaincu, compte tenu de l’ensemble de la preuve, que les inférences tirées étaient raisonnables.

 

[24]           En dernier lieu, la Commission a déclaré que le demandeur n’avait pas établi qu’il n’obtiendrait aucune protection de l’État en ce qui a trait à la demande illégale de dédommagement qui aurait été formulée par les frères Dokaj. Le demandeur a témoigné que sa mère s’était adressée à la police pour signaler les incidents liés à la vendetta, bien qu’il n’y ait aucune preuve selon laquelle la source prétendue de la vendetta avait été relatée à la police. La mère du demandeur avait de plus obtenu de la police, apparemment sans difficultés, un dossier concernant l’incident s’étant produit aux douanes en 1996. Ces faits tendent à démontrer que le demandeur aurait pu obtenir la protection de l’État.

 

[25]           Les demandeurs affirment de plus que la Commission n’a pas vraiment considéré que la protection de l’État était une question déterminante. Bien que je convienne que la Commission n’a généralement pas fait mention de la protection de l’État lors de l’audience et qu’elle n’a pas reconnu avoir consulté la preuve documentaire, sa décision était essentiellement axée sur ses inférences quant à la crédibilité. Autrement dit, la protection de l’État n’était effectivement pas déterminante quant à la demande d’asile. Par conséquent, j’estime que la conclusion générale de la Commission appartient aux issues possibles acceptables.

 

VI.       Conclusion

 

[26]           La décision de la Commission quant à la crédibilité, lorsqu’on l’examine dans son intégralité, peut se justifier au regard des faits et du droit, et est donc raisonnable.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1200-12

 

INTITULÉ :                                      GJOVALIN MELAJ ET AUTRES c

                                                            MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 30 NOVEMBRE 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     LE 9 NOVEMBRE 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffrey L. Goldman

 

POUR LES DEMANDEURS

Aleksandra Lipska

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jeffrey L. Goldman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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