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Date : 20121107

Dossier : IMM-7785-11

Référence : 2012 CF 1302

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Toronto (Ontario), le 7 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

GURPREET SINGH

AVTAR SINGH

KARAMJIT KAUR

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

        MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Avtar Singh (M. Singh) et Karamjit Kaur sont mari et femme. Ils ont une fille biologique, Harwinder Kaur, et allèguent que Gurpreet Singh est leur fils adoptif. M. Singh et les deux enfants ont présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des aides familiaux, puisque son épouse est une aide familiale au Canada. Les membres de la famille sont tous citoyens de l’Inde.

 

[2]               La décision faisant l’objet du contrôle est celle par laquelle un agent des visas du haut‑commissariat du Canada à New Delhi a supprimé le nom de Gurpreet Singh de la demande de résidence permanente au Canada parce que ce dernier n’était pas un « enfant à charge » au sens de l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). Le Règlement prévoit que l’enfant adoptif est un enfant à charge, mais l’agent n’était pas convaincu que Gurpreet était l’enfant adoptif des demandeurs adultes; il a donc supprimé le nom de Gurpreet de la demande.

 

[3]               À mon avis, la présente demande n’est pas fondée. La décision était raisonnable et elle a été prise conformément au droit et aux principes de justice naturelle. Selon le dossier dont dispose la Cour, j’aurais estimé abusive une décision contraire à celle rendue par l’agent.

 

[4]               Le 30 juillet 2011, un agent qui examinait le dossier des demandeurs a soulevé des préoccupations quant à l’inclusion de Gurpreet dans la demande de résidence permanente. Bien que M. Singh avait présenté une copie du prétendu acte d’adoption ainsi qu’un certificat de naissance de Gurpreet, l’agent a noté que le certificat de naissance n’avait été enregistré que tout récemment. En outre, l’agent a souligné l’absence de photos de famille incluant Gurpreet et de photos montrant la cérémonie d’adoption, notamment [traduction] « le don et la prise en adoption » de celui-ci. L’agent a conclu être [traduction] « incapable de confirmer qu’une cérémonie d’adoption a[vait] eu lieu », et a demandé que les parents demandeurs fassent l’objet d’une entrevue.

 

[5]               Le 23 août 2011, l’agent, qui maîtrise le pendjabi, a mené une entrevue dans cette langue avec les parents demandeurs. Le seul dossier écrit concernant l’entrevue figure dans les notes versées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) par l’agent lors de l’entrevue et immédiatement après. L’agent a produit un affidavit dans lequel il déclare que les notes sous [traduction] « forme de questions et réponses ont été dactylographiées à mesure que les questions étaient posées et les réponses fournies » et que les notes sous [traduction] « forme de paragraphes ont été dactylographiées tout de suite après la portion de l’entrevue indiquée dans le paragraphe. »

 

[6]               M. Singh, décrit par son épouse comme n’étant [traduction] « pas scolarisé et d’un naturel simple », a été interviewé le premier, sans son épouse. Voici des extraits pertinents des notes prises par l’agent lors de cette entrevue :

[traduction]

Q         Est-ce que les parents de Gurpreet avaient un lien de parenté avec vous?

R         Non avec mon épouse – je suis illettré, mais c’est une brillante idée de mon épouse.

Q         Quelle brillante idée?

R         Mon épouse m’a dit que nous devrions préparer des papiers pour le garçon, car elle obtiendrait probablement la résidence permanente (RP) au Canada et que nous pourrions aider des proches et emmener le garçon.

            […]

Q         Quels rituels ont été réalisés lors de la cérémonie d’adoption?

R         Nous avons appelé le photographe afin de faire prendre quelques photos dans le Gurudwara [un temple].

Q         Donc il n’y a eu aucune formalité ni aucun rituel?

R         Non – seulement afin de faire prendre les photos – nous avons pris la pose pendant la distribution du pouding sucré (prasad) à l’intérieur du Gurudwara et ensuite à l’extérieur, dans la cuisine communautaire, où des bouchées étaient servies.

            […]

J’ai examiné les photos et été surpris de ne voir nulle part le père biologique (le nom du père biologique du garçon figure sur les papiers d’adoption).

Q         Bon d’accord, veuillez m’indiquer où se trouve le père biologique sur la photo?

R         Il n’était pas là.

Q         Pourquoi?

R         Peut-être parce qu’il avait bu quelques verres de plus et qu’il n’est pas entré dans le temple.

Q         Donc la formalité de don et prise en adoption n’a pas été réalisée?

R         Je vous ai dit que mon épouse est très intelligente et avait eu l’idée de cette adoption pour emmener le garçon.

Q         Depuis l’adoption, où a habité le garçon?

R         Dhowali-

Q         Chez vous?

R         Non pourquoi chez nous – c’est l’endroit où son père habitait auparavant.

Q         Et il habite toujours à cet endroit?

R         Non, il est venu habiter avec nous après la mort de son père, il y a environ 4 mois.

[…]

 

[7]               L’agent a ensuite téléphoné à Mme Kaur au Canada, et a noté, sous forme de paragraphe, que celle-ci [traduction] « a semblé être extrêmement sur la défensive lorsqu’elle répondait aux questions liées à l’adoption ». Après avoir terminé l’appel téléphonique avec Mme Kaur, l’agent a ensuite [traduction] « fait part de [ses] préoccupations à [M. Singh]. » L’agent a noté les préoccupations suivantes dans les notes versées au STIDI :

[traduction]

Vous et votre épouse étiez jeunes et n’avez pas été en mesure d’expliquer la nécessité d’adopter un enfant alors que vous pouviez avoir vos propres enfants.

 

L’adoption s’est faite dans l’intention d’aider l’enfant et non de créer une véritable relation parent-enfant.

 

Il n’y a pas eu de don et prise en adoption de l’enfant lors de la cérémonie.

 

On ne voit pas le père biologique de l’enfant remettre celui-ci durant la cérémonie d’adoption.

 

L’enfant a continué à habiter avec son père biologique jusqu’à tout récemment. Le lien affectif parent-enfant précédent n’a pas été rompu, et un lien affectif n’a pas non plus été créé.

 

Votre épouse ne s’est pas donné la peine d’assister à la cérémonie d’adoption et n’a jamais rendu visite à l’enfant non plus.

 

[8]               Voici le passage qui apparaît immédiatement à la suite des préoccupations énumérées ci‑dessus :

[traduction]

Comme il est illettré et que son épouse est très intelligente, [M. Singh] a demandé qu’un appel téléphonique soit fait à cette dernière. Un appel a été fait à nouveau à la répondante et les préoccupations lui ont été expliquées. La répondante a indiqué qu’elle veut simplement obtenir des visas pour tous les trois ([M. Singh], la fille biologique et le fils adoptif). L’appel a été mis en mode « mains libres » – [M. Singh] a dit à la répondante qu’elle devrait cesser de s’entêter et abandonner l’idée d’aider Gurpreet (le fils adoptif), car ils pouvaient lui envoyer de l’argent et que cela retarderait leur dossier. La répondante demeure inflexible – appel terminé.

 

[M. Singh] a déclaré que c’est l’intelligence de son épouse qui a mené à l’ajout de l’enfant à la demande, et il a demandé que le nom de l’enfant soit immédiatement supprimé de la demande et qu’un visa soit délivré à lui et à sa fille. Je lui ai dit que la présente demande vise seulement à confirmer leur lien et qu’un visa sera délivré seulement si Karamjit obtient le droit d’établissement en qualité de RP au Canada.

****  Fin de l’entrevue *****

 

[9]               Le 9 septembre 2011, près de deux semaines et demie après l’entrevue, M. Singh a remis la lettre suivante au haut-commissariat à New Delhi, lettre dans laquelle il fait renvoi à la décision faisant l’objet du présent contrôle :

[traduction]

Monsieur,

La présente fait suite à votre lettre du 25 août 2011. Je tiens à vous informer que je n’ai pas d’objection à ce que le nom de mon fils adoptif Gurpreet Singh soit supprimé de ma demande d’immigration au Canada.

Je vous saurais gré de bien vouloir donner de nouvelles directives aux fins de l’octroi de visas d’immigrant pour moi et ma fille. Moi et ma fille avons passé un examen médical le 3 mai 2011 avec le Dr U.S. Sidhu de [illisible].

 

[10]           Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur en mettant en doute une [traduction] « décision judiciaire valide rendue à l’étranger », plus précisément [traduction] « l’acte d’adoption délivré par la cour » aux demandeurs. Ils invoquent le paragraphe 31 de la décision Boachie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 672, pour appuyer l’argument selon lequel l’agent [traduction] « n’avait pas le droit d’évaluer, en l’absence de fraude, la validité juridique d’une ordonnance d’adoption rendue à l’étranger. »

 

[11]           Je souscris à l’avis du défendeur selon lequel il existe une distinction entre l’affaire Boachie et les faits dont la Cour est saisie en l’espèce, car, dans cette affaire-là, il s’agissait très clairement d’une « ordonnance de la cour » et qu’il n’avait pas été allégué que l’ordonnance avait été obtenue frauduleusement. Je conviens en outre avec le défendeur que les faits en l’espèce correspondent davantage, et sont en fait pratiquement identiques, à ceux qui étaient en cause dans la décision Singh Dhadda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 206, dans laquelle la juge Mactavish a déclaré qu’il était raisonnable de la part de l’agente de conclure qu’il n’y avait pas eu de cérémonie de « don et prise en adoption » même si l’acte d’adoption indiquait le contraire et que, par ailleurs, l’acte d’adoption ne constituait pas une ordonnance d’un tribunal et qu’il était contredit par le témoignage du père adoptif. 

 

[12]           L’acte d’adoption est un contrat rédigé par des avocats à l’intention des parties et signé ces dernières. Rien ne démontre qu’une cour de justice se soit penchée sur la question de savoir si les exigences légales afin que l’adoption soit jugée valide avaient été satisfaites. L’acte d’adoption a ensuite été présenté à une cour à des fins d’enregistrement, mais rien n’indique que le processus d’enregistrement ait impliqué une prise de décision indépendante. Il semble s’agir simplement d’un processus administratif pour lequel la cour exige des frais nominaux. 

 

[13]           L’agent en l’espèce, contrairement au tribunal dans Boachie mais à l’instar de l’agente dans Dhadda, était confronté à une [traduction] « preuve convaincante » et indépendante qui faisait planer un doute quant à l’acte d’adoption. Je renvoie, en particulier, au témoignage de M. Singh qui a dit à l’agent [traduction] « mon épouse est très intelligente et avait eu l’idée de cette adoption pour emmener le garçon. » En outre, bien qu’il ait trois occasions de déclarer qu’il y avait eu une cérémonie de don et prise en adoption, il n’a jamais dit qu’il y en avait eu une et il ne conteste pas l’affirmation de l’agent selon laquelle la cérémonie n’a pas eu lieu.

 

[14]           Enfin, les demandeurs prétendent que l’agent a [traduction] « intimidé » et [traduction] « effrayé » M. Singh lors de l’entrevue et qu’il [traduction] « lui fait dire ce qu’il n’a pas dit ». L’agent nie avoir agi de la sorte. Pour appuyer ces allégations graves, les demandeurs se fondent seulement sur la preuve par affidavit présentée par Mme Kaur, qui constitue du ouï-dire. La meilleure preuve à l’égard de ces allégations aurait été celle présentée par son époux, puisqu’il était la seule personne présente, mis à part l’agent, lorsqu’il a fait ces aveux compromettants. Je n’accorde aucun poids à la preuve présentée par Mme Kaur. Son affidavit n’explique pas pourquoi son époux a envoyé sa lettre indiquant qu’il n’avait pas d’objection à ce que le nom du fils adoptif soit supprimé de sa demande, après avoir reçu la décision. L’avocat des demandeurs prétend qu’il s’agit là d’une preuve corroborant le fait que M. Singh a été intimidé par l’agent. Je ne suis pas d’accord. À mon avis, cela correspond au comportement d’une personne qui sait que la manœuvre a échoué et qui désire voir sa famille réunie au Canada. Qui plus est, cela cadre avec la demande qu’il avait faite à son épouse durant cette partie de l’entrevue, alors qu’elle y participait par téléconférence, à savoir de [traduction] « cesser de s’entêter et abandonner l’idée d’aider Gurpreet. »

 

[15]           Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que la décision faisant l’objet du contrôle est inattaquable et que la demande doit être rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7785-11

 

INTITULÉ :                                      GURPREET SINGH ET AL. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 6 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 7 novembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mathew Jeffery

 

                           POUR LES DEMANDEURS

Daniel Engel  

 

                           POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MATHEW JEFFERY   

Avocat

Toronto (Ontario)

 

                           POUR LES DEMANDEURS

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

                           POUR LE DÉFENDEUR

 

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