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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20121113

Dossier : IMM-8504-11

Référence : 2012 CF 1317

[traduction FRANÇAISE certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 13 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

MYO KHINE NAY

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire qui vise une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), rendue le 27 octobre 2011, laquelle a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en application des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Pour les motifs exposés ci‑après, la décision sera accueillie.

 


Les faits

 

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Birmanie (le Myanmar). Il a vécu à Taïwan de 2000 à 2008, années durant lesquelles il étudiait en pharmacie et travaillait. Pendant qu’il était à Taïwan, il a fait des dons en argent aux moines qui fournissaient de l’aide humanitaire en Birmanie.

 

[3]               Le 9 avril 2009, le demandeur est venu au Canada en tant qu’étudiant. Il a déclaré qu’en octobre 2009, il a appris que les militaires de la Birmanie avaient arrêté un moine, Uananda, pendant qu’ils effectuaient un raid dans un monastère, et que lors de ce raid, les militaires ont trouvé une liste de donateurs. Selon le demandeur, son ami Khin Zaw Hlat a été arrêté parce que son nom apparaissait sur la liste, et que les autorités ont aussi trouvé des noms de donateurs à sa résidence. Le demandeur a déclaré que son nom aussi serait sur ces listes. Le demandeur prétend que sa sœur lui a téléphoné de la Birmanie pour lui dire que les autorités étaient allées à leur résidence, et qu’elles avaient ordonné à leur père de le rappeler au pays, en raison de ses activités de collecte de fonds à Taïwan.

 

[4]               Le 14 octobre 2009, le demandeur a demandé l’asile.

 

[5]               Depuis son arrivée au Canada, le demandeur fait partie d’un temple bouddhiste birman. Le demandeur déclare que les autorités continuent de harceler ses parents pour savoir quand il reviendra, et que son père a été détenu par la police. Le demandeur croit que les autorités birmanes pourraient savoir où il est, en raison de photos de lui en compagnie de moines canadiens.

 

La décision soumise au contrôle

 

[6]               La Commission a décidé que le demandeur n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir qu’il existait une possibilité sérieuse qu’il fût soumis à un risque.

 

[7]               La Commission a décidé que la preuve présentée par le demandeur était contradictoire relativement à un élément essentiel de sa demande. On a demandé au demandeur pourquoi les moines garderaient une liste de donateurs. Le demandeur a répondu que selon des pratiques bouddhistes, seul le monastère gardait une liste. La Commission a ensuite demandé pourquoi on avait aussi trouvé une liste chez son ami. Le demandeur a répondu que les donateurs communiquent par l’entremise de courriels et ainsi, les personnes qui se livrent à des activités de collecte de fonds ont une liste.

 

[8]               La Commission a aussi décidé que le témoignage du demandeur manquait d’éléments corroborants :

         Il n’y avait aucun document qui établissait qu’un moine de retour de Taïwan avait été arrêté en 2009.

         Le demandeur n’avait pas été en mesure de fournir ses propres communications par courriel relatives aux dons. Il a déclaré que ses dossiers avaient été détruits par un virus d’ordinateur.

         Le demandeur a déclaré qu’il était un membre de la All Burma Monks Alliance [traduction] l’Alliance de tous les moines birmans. Toutefois, la lettre visant à étayer ses déclarations citait deux associations différentes : l’International Burmese Monks Organization [traduction] l’Organisation internationale des moines birmans, la Burma Buddhist Association of Ontario [traduction] l’Association des bouddhistes birmans de l’Ontario.

 

[9]               La Commission a décidé que le demandeur était associé aux efforts humanitaires, mais qu’il n’était pas un donateur ayant une grande importance.

 

[10]           La Commission a aussi conclu qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve selon lesquels les activités du demandeur au Canada avaient été signalées en Birmanie. Le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve selon lequel des personnes dans une situation semblable avaient été persécutées après leur retour en Birmanie, en provenance du Canada.

 

La question en litige

 

[11]           La question en litige dans le présent contrôle judiciaire est de savoir si la Commission a décidé de façon raisonnable que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190.

 

L’analyse

 

[12]           La décision doit être annulée.

 

[13]           Le demandeur avance que le fardeau que la Commission a fait peser sur lui était trop élevé. En particulier, le demandeur avance que la Commission n’aurait pas dû s’attendre à ce qu’il soit en mesure de fournir des preuves documentaires telles qu’un reportage dans les médias portant sur l’arrestation d’un moine en particulier. Il souligne qu’en Birmanie, il n’y a pas de liberté de la presse, et que le régime surveille l’Internet, les courriers et les communications téléphoniques. La Cour est d’accord avec cette observation.

 

[14]           Le défendeur se fonde sur la décision Bin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1246, pour le principe selon lequel la Commission peut prendre en compte le manque de preuves corroborantes. Dans cette décision, le juge Pelletier a expliqué ce qui suit : « […] lorsque le récit du revendicateur a été considéré comme invraisemblable, l’absence de documents corroborant ce récit peut être un élément à prendre en compte dans l’évaluation de la crédibilité ». Dans la décision Bin, le récit du demandeur comprenait « un certain nombre de contradictions et d’incohérences internes ». De plus, les documents recherchés en guise de preuves corroborantes auraient été raisonnablement accessibles.

 

[15]           La Cour a mis en garde contre le fait de se fonder sur l’absence de reportage dans les médias relativement à un fait, comme étant une omission de produire une preuve corroborante. En l’absence de preuve ou d’une base raisonnable de croire qu’un fait ferait normalement l’objet d’un reportage dans les médias, l’absence de reportage dans les médias ne prouve rien et une inférence défavorable quant à la crédibilité, dans un tel contexte, est basée sur une pure conjecture : Xu et al c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, le 4 mars 2011, IMM-4394-10; Argueta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1146; Ahortor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 705.

 

[16]           De façon semblable, la Commission a souligné que le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve corroborant son témoignage selon lequel il était un membre de [traduction] l’Alliance de tous les moines birmans. La lettre qu’il a fournie faisait référence à [traduction] l’Organisation internationale des moines birmans, et à [traduction] l’Association des bouddhistes birmans de l’Ontario.

 

[17]           La Cour ne perçoit pas l’importance de cette incohérence. Il y a assez d’éléments de preuve selon lesquels le demandeur est un membre d’organisations‑cadres nationales et internationales bouddhistes au Canada. Il a fourni des reçus de dons et des lettres de [traduction] l’Association des bouddhistes birmans de l’Ontario ainsi que des photos de lui en compagnie de moines. L’importance de la différence, s’il y en a une, entre [traduction] l’Alliance de tous les moines birmans et [traduction] l’Organisation internationale des moines birmans n’est pas importante quant aux questions en litige devant la Commission.

 

[18]           De plus, le demandeur soutient que la Commission a omis deux éléments de preuve importants : la preuve documentaire relative à sa collecte de fonds à Taïwan, la preuve selon laquelle son père avait été arrêté.

 

[19]           La Commission a admis que le demandeur avait participé à des activités de collecte de fonds. Par conséquent, la Commission n’est pas obligée de donner plus de détails sur la preuve relative à cet aspect.

 

[20]           Selon la Cour, la seconde omission est importante. Comme la Cour l’a souligné, la Commission n’a pas conclu que le demandeur manquait en général de crédibilité. La Commission a admis certains éléments de sa demande. Par conséquent, la Commission devait examiner les prétentions du demandeur selon lesquelles les autorités birmanes étaient allées à sa résidence le 2 février 2011, le 11 avril 2011, le 25 mai 2011 et le 5 septembre 2011. Le demandeur a déclaré que son père avait dû aller avec les policiers quelques jours, et qu’il a été détenu plusieurs fois, plus récemment du 18 au 20 juillet 2011.

 

[21]           Le défendeur souligne avec justesse que la Commission a fait référence à cette demande lorsqu’elle a récapitulé les prétentions du demandeur. Toutefois, aucune référence n’y est faite dans l’analyse de la Commission. Si elle l’avait admise, la prétention aurait pu établir que le demandeur était recherché par les autorités birmanes. Ainsi, il était déraisonnable que la Commission omette d’examiner cet aspect.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUT EN CES TERMES : la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour nouvel examen par un commissaire différent de la Section de la protection des réfugiés. Il n’y aucune question à certifier.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LLM., M.A.Trad.jur

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              IMM-8504-11

 

INTITULÉ :                                            MYO KHINE NAY

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                   Le 25 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                  Le juge Rennie

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                           Le 13 novembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald Shacter

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Mme. Meva Motwani

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Silcoff, Shacter
Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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