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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20121113

Dossier : IMM-5929-11

Référence : 2012 CF 1319

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

LUSINE PETROSYAN

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La demanderesse présente une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), d’une décision rendue par une gestionnaire du programme d’immigration (l’agente) à l’ambassade canadienne à Moscou. Pour les motifs exposés ci‑après, la demande est accueillie.

 


Contexte

 

[2]               Dans une décision en date du 12 août 2011, l’agente a conclu que la demanderesse n’a pas satisfait aux exigences permettant d’obtenir le statut de résident permanent au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) (TQF).

 

[3]               La demanderesse est née le 8 juillet 1980; elle est une citoyenne d’Arménie. Le 22 avril 2010, elle a présenté une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie TQF fondée sur le fait qu’elle possédait plus d’un an d’expérience de travail dans les catégories d’emploi CNP 0611 (Télécommunications) et CNP 0213 (Gestionnaires des systèmes informatiques). Seule cette dernière catégorie est en cause dans le présent contrôle judiciaire.

 

[4]               La demanderesse a travaillé à temps plein comme assistante au vice-président de l’Académie nationale des sciences de la République d’Arménie, de 2003 à 2008. Dans le cadre de ses fonctions, qui sont décrites dans la lettre de recommandation, elle s’occupait de nombreux projets de technologie de l’information et de projets informatiques, y compris des projets basés sur l’intelligence linguistique artificielle, assurait la gestion d’équipes, effectuait de la recherche et organisait des conférences universitaires.

 

[5]               Selon les notes versées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI), la demande présentée par la demanderesse a été évaluée par un agent de prestation de services et jugée recevable le 18 janvier 2010 au motif qu’elle respectait les exigences de la CNP 0213. La demande a été évaluée le 9 août 2010 et s’est vu accorder 69 points, soit plus que le minimum de points requis établi à 67 points. L’agent qui a procédé à l’évaluation de la demande a signalé que l’expérience professionnelle de la demanderesse soulevait des doutes quant à la raison pour laquelle une assistante avait exercé des fonctions de gestionnaire de systèmes d’information.

 

[6]               Par la suite, un autre agent a indiqué, le 23 août 2010, que la demanderesse est titulaire d’un baccalauréat en linguistique et en traduction et qu’elle ne possède aucune formation officielle en gestion de systèmes d’information. Cet agent a observé qu’il était indiqué dans son carnet de travail qu’elle était spécialiste de second niveau et gestionnaire de la technologie alors qu’il était indiqué dans sa lettre de recommandation qu’elle était assistante au vice-président – l’agent remettait en doute le dossier et/ou l’exactitude de la traduction de la lettre de recommandation.

 

[7]               L’agente a reçu la demanderesse en entrevue le 1er avril 2011. Le récit de la demanderesse ne correspond pas aux notes que l’agente a ensuite saisies dans le STIDI, le 3 mai 2011. Aux dires de la demanderesse, l’agente lui a dit dès le début de l’entrevue que sa demande serait refusée parce qu’elle ne possédait pas la formation technique qu’exige la CNP 0213. La demanderesse prétend que l’agente a eu une conversation en français avec un collègue pendant l’entrevue et que ses notes dans le STIDI étaient inexactes ou incomplètes à plusieurs égards, notamment en ce qui concerne ses fonctions. La demanderesse croyait que sa formation technique était le seul point qui posait problème et a été surprise de constater qu’il était indiqué qu’elle n’avait pas l’expérience de travail requise dans sa lettre de refus.

 

[8]               Les notes de l’agente comportent les grandes lignes de la conversation et la conclusion selon laquelle la demanderesse n’avait pas un an d’expérience. La lettre de refus de la demanderesse en date du 12 août 2011 concluait qu’elle n’avait pas l’expérience de travail requise.

 

[9]               L’agente a déposé un affidavit à la Cour. Elle répond aux demandes formulées par la demanderesse dans son affidavit, et affirme que ses notes d’entrevue étaient complètes et n’ont pas été modifiées au cours du mois qui a précédé leur saisie dans le STIDI. Elle affirme également ne pas avoir formulé de commentaires sur l’absence de formation de la demanderesse. L’avocate de la demanderesse a contre-interrogé l’agente par téléconférence le 26 mars 2012 et a déposé la transcription à la Cour.

 

Questions à trancher et norme de contrôle

[10]           Les principales questions à trancher dans la présente demande sont de savoir, d’une part, si l’agente a manqué à l’obligation d’équité en omettant de faire part de ses réserves à la demanderesse et, d’autre part, si elle a commis une erreur en concluant que cette dernière ne remplissait pas les conditions requises pour que sa demande soit traitée au titre de la catégorie TQF.

 

[11]           L’évaluation d’une demande TQF appelle l’application de la norme de la raisonnabilité : Porfirio c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 794, 99; Bondoc c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 842.

 

Analyse

[12]           La demanderesse a fait valoir que l’agente a tenu compte des exigences en matière de formation énoncées dans la description de la CNP, ce qui n’est pas pertinent d’après la décision Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 441.

 

[13]           Lors de l’examen préliminaire, l’agent a déclaré ce qui suit :

[traduction] 

 

PARTAGE LES RÉSERVES EXPRIMÉES PAR L’ANALYSTE DE CAS. L’INTÉRESSÉE N’A JAMAIS FAIT D’ÉTUDES EN GESTION DE SYSTÈMES D’INFO. SON PARCOURS PROFESSIONNEL EST EN LINGUISTIQUE. ELLE POSSÈDE UN DIPLÔME DE TRADUCTRICE/INTERPRÈTE.

 

 

[14]           Lors de l’entrevue, l’agente a dit à la demanderesse qu’elle refuserait sa demande parce qu’elle n’avait pas de formation officielle en gestion de la TI. Il est aussi indiqué, dans les notes du STIDI, que l’agente a posé des questions au sujet de ses études.

 

[15]           L’avocate de la demanderesse a envoyé une lettre au bureau des visas dans laquelle elle soutient que les exigences en matière d’éducation dans les descriptions de la CNP ne sont pas pertinentes, selon la décision Patel. Aucune réponse n’a été reçue.

 

[16]           La demanderesse est sortie de l’entrevue en croyant que l’agente avait seulement des réserves liées à sa scolarité; des observations ont donc été formulées uniquement sur cette question. Les notes du STIDI ne faisaient pas état des réserves de l’agente selon lesquelles elle ne possédait pas l’expérience requise. L’avocate de la demanderesse a obtenu les notes du STIDI, mais il s’est écoulé plus d’un mois après l’entrevue avant que les notes de l’agente ne soient saisies dans le STIDI. Elle a envoyé une lettre dans laquelle elle demandait les motifs de préoccupation de l’agente justifiant la conclusion, mais aucun motif ne lui a été fourni.

 

[17]           L’argument de la demanderesse voulant que sa demande ait été refusée en raison de sa scolarité est sans fondement. Sa demande a été refusée parce que l’agente n’était pas convaincue qu’elle avait l’expérience requise. Cela ressort clairement des notes du STIDI, de l’affidavit de l’agente et du contre-interrogatoire.

 

[18]           L’agente n’a pas avisé la demanderesse que sa demande était refusée en raison de sa scolarité ainsi que le prétend cette dernière. Elle a fait sa propre évaluation et n’a pas invoqué la réserve exprimée par un agent précédent figurant dans les notes du STIDI. La demanderesse conteste les notes du STIDI concernant ce qui a été dit lors de l’entrevue. Sur ces faits, il faudrait accorder plus de poids aux notes de l’entrevue qu’à l’affidavit de la demanderesse : Sellappha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1379, aux paragraphes 70 et 71. L’affidavit de l’agente atteste que les notes du STIDI concernant l’entrevue ont été rédigées pendant l’entrevue et que leur saisie dans le STIDI n’a été effectuée qu’à une date ultérieure.

 

[19]           La teneur de l’obligation en matière d’équité envers les demandeurs de visa se situe à l’extrémité inférieure du registre de l’équité procédurale : Yao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 114; Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 55. Un agent n’est pas tenu de faire part à un demandeur que, selon lui, il manque d’expérience professionnelle dans une catégorie d’emploi de la CNP, parce que ces réserves découlent directement du Règlement de la LIPR (Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002‑227), et un demandeur n’a pas non plus droit à un résultat intermédiaire de la demande : Kamchibekov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1411; Shah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 697; Gulati c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 451; Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283.

 

[20]           La demanderesse demande à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve à savoir si elle accomplissait les fonctions prévues par la CNP. Cela ne soulève aucune erreur susceptible de contrôle à moins que la décision soit déraisonnable. Il incombe aux demandeurs de convaincre les agents qu’ils répondent aux exigences de la LIPR pour l’admission au Canada.

 

[21]           L’évaluation de l’agente était raisonnable. Les notes du STIDI indiquent que la demanderesse ne pouvait pas expliquer quelles étaient ses fonctions. Il n’est pas contesté que l’agente a donné la chance à la demanderesse d’expliquer ses fonctions.

 

[22]           La demanderesse soutient à juste titre qu’il ressort clairement de la jurisprudence que les demandeurs au titre de la catégorie TQF ne sont pas tenus de démontrer toutes les « fonctions principales » décrites dans la CNP, et que le libellé des fonctions doit être interprété d’une manière libérale : Chen et Hussain.

 

[23]           Toutefois, la demanderesse n’a pas démontré que l’agente a commis une erreur à cet égard. Ainsi que le souligne le défendeur, l’agente a plutôt conclu que la demanderesse ne pouvait pas expliquer quelles étaient ses fonctions et ne pouvait donc pas démontrer qu’elle accomplissait les fonctions prévues par la CNP. Il incombe au demandeur de démontrer, à la satisfaction de l’agent, avec preuve à l’appui nécessaire, qu’il répond aux exigences visant la résidence permanente : Baybazarov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 665.

 

[24]           Le défendeur signale aussi le contre-interrogatoire de l’agente pour démontrer que la demanderesse a eu toute la chance voulue de répondre et d’expliquer ses fonctions. Bien que l’agente ait déclaré qu’elle n’a pas demandé à la demanderesse directement et individuellement comment elle satisfaisait à chaque fonction principale prévue par la CNP, son opinion reposait sur le contenu global de l’entrevue. La demanderesse n’a pas non plus démontré que l’agente a commis une erreur à cet égard.

 

[25]           Il est bien établi que l’insuffisance des motifs ne constitue pas un motif autonome de contrôle judiciaire : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708. Il est également bien reconnu que dans la mesure où l’obligation de motiver une décision est guidée par la nature du droit en cause et le contexte, l’obligation se situe à l’extrémité inférieure du registre.

 

[26]           Les motifs ici respectent la norme, mais de justesse. Ils expriment certaines réserves quant à la pertinence de son expérience de travail. Une note du STIDI ou du 23 août 2010 indique ce qui suit :

[traduction] 

 

(…) LES FONCTIONS SONT VAGUES ET POLYVALENTES ET CETTE LETTRE NE PERMET PAS DE ME CONVAINCRE QUE L’INTÉRESSÉE A ACCOMPLI UN NOMBRE SUFFISANT DES FONCTIONS PRINCIPALES PRÉCISÉES DANS LA CNP 0213.

 

UNE ENTREVUE AVEC L’INTÉRESSÉE EST REQUISE AUX FINS DE SÉLECTION/DÉCISION.

 

 

[27]           Après l’entrevue, en Arménie, l’agente a consigné la note suivante dans le STIDI :

 


[traduction]

 

Je lui ai expliqué la description de la CNP 0213. Je lui ai demandé d’expliquer l’expérience qu’elle avait dans cette profession. L’intéressée n’a pas été en mesure de fournir des explications. Cette dernière prétend aussi avoir un an d’expérience dans la CNP 0611 (Télécommunications). Une fois de plus aucune preuve n’a permis de prouver qu’elle a accompli les fonctions de 0611. Elle ne pouvait pas répondre, si ce n’est qu’elle a dit qu’elle était gestionnaire de systèmes d’information.

 

 

[28]           L’agente n’a pas demandé à la demanderesse si elle avait de l’expérience dans les fonctions pertinentes, elle est plutôt parvenue à sa conclusion en se fondant sur le contenu global de l’entrevue.

 

[29]           C’est quelque chose qu’un agent a le droit de faire. Des réponses vagues et inutiles ne transfèrent pas à l’agent le fardeau de la preuve. Si, cependant, il y a, au vu du dossier, des éléments de preuve qui laissent croire que bon nombre des fonctions ont été accomplies, l’agent doit être plus explicite quant aux motifs qui justifient la conclusion. La simple déclaration : [traduction] « L’intéressée n’a pas été en mesure de fournir des explications » est insuffisante, en particulier lorsque la langue ne pose pas problème.

 

[30]           L’affaire relève donc pleinement du principe énoncé par le juge Mosley dans Gulati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 451 :

Il est impossible d’évaluer la conclusion de l’agente selon laquelle le demandeur n’avait pas exécuté une partie appréciable des fonctions principales décrites dans la CNP 6212, sans savoir quelles fonctions l’agente croyait qu’il n’avait pas exercées, et pourquoi.

 

Selon l’arrêt Dunsmuir [c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190], précité, au paragraphe 47, la transparence et l’intelligibilité d’une décision sont des éléments importants quant à sa raisonnabilité. Je conclus que leur absence dans la présente décision rend celle-ci déraisonnable.

 

 

[31]           Un agent confronté à des réponses vagues et imprécises est libre de rejeter une demande. Il serait tout à fait raisonnable d’agir de la sorte. Un agent n’est pas non plus tenu d’établir clairement le lien entre l’expérience et les fonctions de la CNP. Ce fardeau incombe à la demanderesse. Cependant, la déclaration : [traduction] « L’intéressée n’a pas été en mesure de fournir des explications » ne satisfait pas aux exigences minimales quant aux motifs qu’il faut fournir pour satisfaire à l’obligation de donner un minimum de motifs.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour réexamen. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8504-11

 

INTITULÉ :                                      LUSINE PETROSYAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 26 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                            LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 13 novembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Inna Kogan

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Leila Jawando

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Inna Kogan

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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