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Date : 20121102

Dossier : IMM-422-12

Référence : 2012 CF 1288

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 2 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

 

ARUMAITHURAI KANNUTHURAI

 

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire concerne la décision datée du 21 décembre 2011, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) a conclu que le demandeur, un Tamoul du Nord du Sri Lanka, n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

 

[2]               Sous la rubrique « Lien », la SPR a amorcé son appréciation de la demande d’asile du demandeur en énonçant ce qui suit, au paragraphe 6 de la décision :  

La demande d’asile qui a été présentée est fondée sur l’origine ethnique et la race du demandeur d’asile, qui est Tamoul. Cependant, comme le tribunal n’est pas convaincu du bien‑fondé de la crainte du demandeur d’asile, ce fondement est théorique. Le tribunal a par conséquent examiné la demande d’asile au titre de l’article 97. Quoi qu’il en soit, l’analyse de la crédibilité s’applique à l’un et l’autre des articles 96 et 97.

 

Lu dans son contexte, cet énoncé porte sur la preuve du demandeur relative à sa crainte subjective d’être exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution, dans l’éventualité où il serait contraint de retourner au Sri Lanka.

 

[3]               La conclusion quant à la crédibilité tirée par la SPR, qui est considérée comme étant déterminante pour le rejet de la demande d’asile fondée sur l’article 96 présentée par le demandeur, se trouve au paragraphe 8 de la décision :

Bien qu’une crainte subjective ne justifie pas en soi le rejet d’une demande d’asile, en l’espèce, le tribunal fait remarquer que le demandeur d’asile a voyagé dans plusieurs pays et est resté aux États‑Unis trois mois et cinq jours, soit du 15 janvier au 20 avril 2010, période pendant laquelle il a été détenu par les autorités américaines de l’immigration, jusqu’à ce que le frère de son épouse, qui habite au Canada, paie sa caution. Le demandeur d’asile a obtenu le droit d’établissement aux États‑Unis avant de venir au Canada. Lors du témoignage oral du demandeur d’asile, le conseil du demandeur d’asile lui a posé des questions sur la demande d’asile qu’il a présentée aux États-Unis. Il lui a demandé pourquoi il l’avait abandonnée avant qu’une décision soit prise relativement à son statut. Le demandeur d’asile a tout simplement répondu que c’était parce qu’il [traduction] « n’avait pas de relations aux États‑Unis ». Il a dit qu’il préférait venir au Canada, où il a de la parenté. Le tribunal conclut toutefois que l’abandon de sa demande d’asile aux États‑Unis est déraisonnable et incompatible avec sa prétendue crainte. Le tribunal fait remarquer que les États‑Unis sont un havre bien connu pour les réfugiés. Par conséquent, le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que la crainte du demandeur d’asile n’est pas fondée.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

Dans ce paragraphe, la SPR exprime qu’il y a quelque chose de malencontreux à propos du fait que le demandeur ait tout d’abord présenté une demande d’asile aux États‑Unis, et ensuite au Canada. Selon moi, ce paragraphe témoigne de l’opinion de la SPR selon laquelle le demandeur avait de très bonnes chances d’être accepté en tant que réfugié aux États‑Unis – qu’elle qualifie de « havre bien connu pour les réfugiés » – et que le fait qu’il ait renoncé à cette chance « tout simplement » pour le motif faible ou peu convaincant qu’il avait de la parenté au Canada démontre une absence de crainte subjective. Il s’ensuit qu’il est très important d’examiner minutieusement la preuve produite par le demandeur pour conclure si l’opinion de la SPR est justifiée. Les passages suivants sont tirés du témoignage du demandeur lors de l’audience :

[traduction]

CONSEIL : Il y a donc deux autres points en l’espèce. L’un d’entre eux est la demande d’asile antérieure présentée aux États-Unis, et nous vous avons communiqué les faits pertinents quant à la demande d’asile aux États-Unis; si vous aviez eu la possibilité d’examiner cette demande, je vous dirais que, pour l’ensemble de ses aspects essentiels, elle est cohérente avec la demande présentée au Canada.

 

Donc, le seul point devant être examiné, le cas échéant, est celui de savoir pourquoi n’est-il pas resté afin de faire finaliser sa demande d’asile et a-t-il choisi de venir au Canada.

 

Je peux faire une observation à ce sujet, mais je vais lui poser la question.

 

COMMISSAIRE : Oui, si vous le voulez.

 

CONSEIL : D’accord.

 

Donc, pourquoi avez-vous présenté une demande d’asile aux États‑Unis? Pourquoi êtes-vous venu au Canada plutôt que de rester aux États‑Unis?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Je n’avais pas de proches, je n’avais personne aux États‑Unis. C’est pourquoi je suis venu au Canada.

 

CONSEIL : D’accord. Qui sont vos proches au Canada?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Le frère de mon épouse ainsi que sa tante et ses oncles.

 

CONSEIL : D’accord. Aviez-vous l’intention de venir au Canada lorsque vous avez quitté le Sri Lanka?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Oui.

 

CONSEIL : Vous aviez donc embauché l’agent pour vous amener au Canada?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Oui.

 

CONSEIL : Et saviez-vous qu’il allait vous amener aux États‑Unis?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Non.

 

CONSEIL : D’accord. Lorsque vous étiez détenu aux États-Unis, qui vous a fourni la caution pour vous permettre de sortir du centre de détention de l’immigration?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Le frère de mon épouse.

 

CONSEIL : D’où provenait-il?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Il a payé un cautionnement à la frontière.

 

CONSEIL : À la frontière. D’accord. Donc, il savait que vous étiez détenu, il s’est rendu à la frontière et a payé la caution?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Oui.

 

CONSEIL : D’accord. Et lorsque vous avez été mis en liberté, vous étiez sous la garde du frère de votre épouse?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Il a payé le cautionnement. Ils m’avaient mis en liberté après cela. Et une fois que j’ai été mis en liberté, l’agent m’a amené ici.

 

CONSEIL : Il vous a amené chez votre frère?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Oui. Chez les tantes de mon beau‑frère.

 

CONSEIL : Et, la journée suivante, vous êtes allé présenter une demande d’asile, c’est cela?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Pouvez-vous répéter la question s’il vous plaît?

 

CONSEIL : Avez-vous présenté votre demande d’asile le lendemain?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Après mon arrivée au Canada?

 

CONSEIL : Oui.

 

DEMANDEUR D’ASILE : Oui.

 

CONSEIL : Donc, combien de temps êtes-vous resté aux États-Unis?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Trois mois.

 

CONSEIL : Étiez-vous en détention pendant tout ce temps?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Oui.

 

CONSEIL : Et donc, vous êtes venu au Canada le lendemain de votre mise en liberté? La journée même?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Non.

 

CONSEIL : Combien de temps après?

 

DEMANDEUR D’ASILE : J’ai été mis en liberté le 16 et je suis allé à la frontière le 19.

 

CONSEIL : D’accord. Donc, le délai était simplement attribuable au fait que vous attendiez que les arrangements soient faits pour que vous veniez au Canada?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Oui.

 

     (Dossier certifié du tribunal, pages 228 à 230.)

 

[4]               À mon avis, la façon dont la SPR a qualifié la preuve du demandeur dans la décision ne tenait pas compte de l’étendue et de la portée du témoignage du demandeur lors de l’audience. Le demandeur n’a pas « tout simplement répondu » qu’il [traduction] « n’avait pas de relations aux États-Unis »; il a fourni une explication complète au sujet de ses intentions et de ses actions. Je conclus que la décision est entachée d’une erreur susceptible de contrôle, parce que la SPR a omis de tenir compte de détails contextuels cruciaux fournis par le demandeur lorsqu’elle a rendu sa décision défavorable quant à la crainte subjective.

 

[5]               Au cours de son appréciation de la preuve relative à la crainte subjective du demandeur, la SPR a examiné les précédents relatifs aux effets qu’un retard peut avoir sur l’acceptation d’une demande d’asile. Le paragraphe 9 de la décision mène à cette conclusion :

Selon le professeur Hathaway, il y a lieu d’enquêter sur les circonstances de tout report prolongé ou de toute inaction relativement à la présentation d’une demande d’asile (et en l’espèce, de l’abandon de la demande d’asile) lors de l’évaluation de l’authenticité du besoin de protection prétendu par un demandeur d’asile. Dans l’affaire Juzbasevs, la demandeure d’asile a passé quatre mois aux États‑Unis sans présenter de demande d’asile parce qu’un membre de sa famille lui aurait dit qu’elle ne pourrait pas obtenir l’asile. Le fait qu’elle n’a entrepris aucune démarche pour obtenir des avis judicieux relativement à la présentation d’une demande d’asile a été jugé déraisonnable. Dans l’affaire Gonzalez, la demandeure d’asile et ses fils ont habité aux États‑Unis pendant quatre ans et trois mois sans présenter de demande d’asile. Il a été statué que le fait que la demandeure d’asile a attendu quatre ans pour présenter une demande d’asile indique qu’elle n’avait aucune crainte subjective, et le tribunal était donc libre de rejeter ses explications. Il a été conclu que l’absence d’éléments de preuve quant à l’élément subjectif de la demande d’asile justifiait à elle seule le rejet de la demande d’asile.

 

[6]               Je suis d’avis que les précédents cités n’ont aucune valeur jurisprudentielle à l’égard de la preuve présentée par le demandeur. Dans la présente affaire, il n’y a aucune preuve de « report » ou d’« inaction ». Le demandeur a présenté une demande d’asile après avoir été mis en détention aux fins de l’immigration, et pendant qu’il était détenu par les autorités américaines. Immédiatement après sa mise en liberté aux États-Unis, le demandeur est arrivé au Canada et a présenté sa demande d’asile actuelle, qui est fondée sur la même preuve relative à la crainte subjective que celle qui était contenue dans la demande présentée aux États‑Unis. L’omission de la SPR d’établir une distinction évidente entre les précédents cités et la preuve produite par le demandeur aurait, semble‑t‑il, contribué au caractère erroné de l’analyse de la SPR concernant la preuve du demandeur relative à la crainte subjective.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la décision de la SPR soit annulée et que le dossier soit renvoyé à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

 

Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

                                                                                                            « Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A.Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-422-12

 

INTITULÉ :                                      ARUMAITHURAI KANNUTHURAI

                                                            c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 31 OCTOBRE 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :           LE 2 NOVEMBRE 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

 

POUR LE DEMANDEUR

Neeta Logsetty

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associés

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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