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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20121120

Dossier : IMM-3350-12

Référence : 2012 CF 1338

[traduction FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

ENTRE :

 

 

AZRA IQBAL

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La demanderesse sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle elle n’était ni une réfugiée au sens de l’article 96 de la LIPR, ni une personne à protéger au titre de l’article 97 de la LIPR.

 

I.          Les faits

[2]               La demanderesse est Pakistanaise. Elle a épousé son cousin germain, Irfan, en 2006. Elle vivait avec son mari en même temps qu’avec son beau-frère, Kazim, ainsi que l’épouse et les enfants de celui-ci.

 

[3]               Irfan a avoué à la demanderesse qu’il était homosexuel, et, depuis leur mariage, ils n’ont eu de relations sexuelles qu’à deux reprises.

 

[4]               L’épouse de Kazim a obligé la demanderesse à subir un examen physique, parce qu’elle ne pouvait concevoir, et la sage-femme du village a confirmé que la demanderesse était stérile. Au cours du mois de mars 2009, Kazim a offert à la demanderesse d’avoir des relations sexuelles avec elle, parce qu’elle était apparemment incapable de concevoir avec son mari. Il prétend que l’objet de sa démarche était de préserver la réputation de son frère et l’honneur de la famille. La demanderesse a refusé, puis a révélé les avances déplacées de Kazim à l’épouse de celui-ci et à son propre oncle, frère de son père. Kazim a ensuite convaincu son épouse et l’oncle de la demanderesse que celle-ci avait tenté de le séduire.

 

[5]               La demanderesse prétend que, quelques semaines plus tard, alors qu’elle se trouvait seule dans la maison, Kazim a tenté de la violer. Elle s’en est plainte à son mari et à son oncle, qui n’ont pas réagi. Le même soir, la domestique aurait prévenu la demanderesse que Kazim songeait à l’accuser d’adultère, avec le soutien de l’imam de la mosquée.

 

[6]               Le lendemain, l’imam aurait dit à la demanderesse qu’un homme appelé Bashir Ahmad reconnaissait avoir eu un rapport sexuel avec elle et qu’elle serait punie de cent coups de fouet sur le dos. La demanderesse a voulu en savoir davantage sur M. Ahmad, mais l’imam lui a répondu qu’il se cachait, dans la crainte d’être puni.

 

[7]               La demanderesse aurait tenté d’expliquer à l’imam et à Kazim que celui-ci avait inventé cette histoire pour tirer vengeance de son refus d’avoir des rapports sexuels avec lui, mais ils l’ont tabassée.

 

[8]               La demanderesse dit que, le lendemain, la domestique l’a informée que Kazim et son oncle s’étaient rendus à la mosquée pour obtenir une fatwa à son encontre. La demanderesse est tout de suite partie pour Islamabad, où elle a séjourné chez une amie.

 

[9]               Elle est arrivée au Canada le 5 juin 2009, grâce à un visa de visiteur délivré le 8 avril 2009. Son mari lui avait envoyé son passeport pour lui permettre de visiter ses parents au Canada. Avant de partir, elle avait appris qu’une fatwa avait été prononcée contre elle. Après être arrivée au Canada, elle a appris que Kazim et l’imam avaient déposé une plainte verbale à la police, qui cherche maintenant à l’arrêter. Elle a déposé une demande d’asile le 9 octobre 2009.

 

II.        La décision contestée

[10]           La SPR n’a pas douté de l’identité de la demanderesse. La demanderesse prétend qu’il lui faut obtenir l’asile, parce qu’elle risque un châtiment coranique pour avoir prétendument commis l’adultère, un acte contraire au droit islamique.

 

[11]           La SPR a globalement rejeté la demande d’asile, au motif qu’un certain nombre d’aspects déterminants de la demande n’étaient pas crédibles ni vraisemblables.

 

[12]           Sur la question de savoir si la demanderesse est une « personne à protéger », la SPR a conclu qu’elle ne serait pas exposée à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités si elle retournait au Pakistan.

 

[13]           La SPR a trouvé incongru que le mari de la demanderesse partage encore une maison avec son frère qui avait prétendument tenté de violer son épouse, inventé une histoire d’adultère, fait prononcer une fatwa contre son épouse et déposé contre elle une plainte à la police.

 

[14]           La demanderesse a expliqué que son mari s’était mis en colère lorsqu’elle lui avait dit que Kazim avait tenté de la violer, qu’il ne croyait pas qu’elle avait commis l’adultère, qu’il lui avait remis le passeport pour lui permettre de se rendre au Canada afin de visiter sa famille et qu’il souhaitait se réconcilier avec elle.

 

[15]           Le commissaire a examiné la lettre reçue de l’avocat pakistanais de la demanderesse. L’oncle de la demanderesse, frère de sa mère, aurait consulté un avocat à Kabarwala, au Pakistan, pour connaître le statut juridique de la demanderesse au Pakistan en avril 2011 et savoir ce qu’il adviendrait si elle retournait au Pakistan. L’avocat écrivait qu’aucun premier rapport d’information n’était encore enregistré contre elle, mais qu’une plainte verbale d’adultère avait en effet été déposée par Kazim Hussain et Qari Maqbool Ahmed, l’autre oncle de la demanderesse, et que la police recherchait la demanderesse pour l’arrêter et démarrer une enquête.

 

[16]           Il écrivait aussi que, si une femme est arrêtée pour adultère, elle risque un emprisonnement de cinq ans ou une amende, ou les deux à la fois. Par ailleurs, une femme accusée d’adultère est aussi, en général, rejetée par sa famille. Un décret religieux peut aussi être pris contre elle et, selon l’oncle de la demanderesse, un tel décret a déjà été pris dans son cas.

 

[17]           La SPR a conclu que la lettre reçue de l’avocat n’avait aucune valeur probante, parce que, comme on peut le lire dans la preuve documentaire, la correspondance des avocats du Pakistan contient souvent de faux renseignements. La demanderesse n’avait pas non plus produit de déclarations de membres de sa famille, dont certains vivent à Montréal, qui auraient pu confirmer la véracité de son récit et le bien‑fondé de sa crainte de persécution. La SPR a considéré qu’il aurait été utile, pour étayer son dossier, qu’elle produise des déclarations de son mari ainsi que de son oncle, celui qui avait consulté l’avocat au Pakistan. La SPR n’a pas été persuadée par l’explication de la demanderesse exposant les raisons pour lesquelles elle n’avait pas produit d’affidavits additionnels.

 

[18]           Le dépôt d’une plainte d’adultère n’est pas plausible, car la demanderesse n’a jamais entendu parler de Bashir Ahmad. D’ailleurs, puisqu’une plainte d’adultère requiert l’interrogatoire sous serment de la plaignante, de même que les dépositions de quatre témoins oculaires de sexe masculin qui doivent attester l’acte sexuel, la SPR a trouvé difficile de croire que la demanderesse serait traduite en justice. Pour toutes ces raisons, elle a conclu que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention selon l’article 96, ni une personne à protéger au titre du paragraphe 97(1) de la LIPR.

 

III.       Les observations de la demanderesse

[19]           La demanderesse affirme d’abord que les commissaires de la SPR n’ont pas compétence pour statuer sur des demandes d’asile, car les modifications législatives qui ont pris effet en décembre 2011 et qui concernent la nomination des commissaires de la SPR ne sauraient, d’aucune façon, garantir qu’ils ont les qualités requises pour exercer cette fonction.

 

[20]           Deuxièmement, la demanderesse affirme que la SPR aurait dû accéder à sa demande d’être entendue par un décideur de sexe féminin, une demande qui était étayée par un rapport psychologique.

 

[21]           Troisièmement, la demanderesse affirme que la manière dont la SPR a apprécié sa crédibilité est déraisonnable, parce qu’elle aurait dû savoir que son témoignage était entaché de ses valeurs culturelles.

 

[22]           Quatrièmement, la demanderesse affirme que la SPR a commis une erreur en rendant sa décision sans tenir aucunement compte des Directives n° 4 : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (les Directives).

 

[23]           Finalement, la demanderesse affirme que la SPR aurait dû conclure qu’elle risquait d’être victime d’un crime d’honneur.

 

IV.       Les observations du défendeur

[24]           Le défendeur soutient d’abord que la demanderesse est empêchée, au stade du contrôle judiciaire, d’alléguer la partialité et l’incompétence de la SPR, car elle était à même de les alléguer devant la SPR même. De tels arguments sont d’ailleurs infondés, puisqu’ils ont déjà été rejetés par la Cour dans la décision Gillani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 533, 2012 CarswellNat 1387, aux paragraphes 36 à 40.

 

[25]           Deuxièmement, le défendeur affirme que la SPR n’a pas eu tort de dire que l’affaire pouvait être instruite par un commissaire de sexe masculin, après examen du rapport psychologique. Les motifs de la SPR pour refuser de confier l’instruction du cas de la demanderesse à un commissaire de sexe féminin sont raisonnables.

 

[26]           Troisièmement, le défendeur soutient que les conclusions tirées par la SPR quant à la crédibilité sont raisonnables et étayées par le fait que la demanderesse n’a produit aucune preuve digne de foi ni aucune preuve par inférence. La preuve documentaire ne suffit d’ailleurs pas à étayer le cas de la demanderesse et elle ne saurait compenser l’absence de crédibilité de la demanderesse.

 

[27]           Quatrièmement, le défendeur affirme que la SPR n’a pas fait fi des Directives, mais que le point déterminant était l’absence de crédibilité de la demanderesse.

 

[28]           Finalement, puisque la SPR a conclu que la demanderesse n’était pas crédible, elle n’avait pas l’obligation d’analyser l’attitude de la société, par exemple la notion de crime d’honneur, à l’égard des femmes adultères.

 

V.        Les questions en litige

[29]           La présente procédure de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

 

1)      Le processus de nomination des commissaires de la SPR fait-il douter de leur compétence, ou suffit-il à faire naître une crainte raisonnable de partialité?

 

2)      La SPR a‑t-elle commis une erreur en n’acceptant pas de confier à un commissaire de sexe féminin l’instruction du cas de la demanderesse?

 

3)      La SPR a-t-elle tiré des conclusions déraisonnables quant à la crédibilité?

 

4)      La SPR a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en ne tenant pas compte des Directives lorsqu’elle a rendu sa décision?

 

5)      La SPR a-t-elle tiré une conclusion déraisonnable en faisant abstraction de la crainte de la demanderesse qui disait être exposée au risque d’être victime d’un crime d’honneur?

 

VI.       La norme de contrôle

[30]            La norme de contrôle applicable au premier point en litige est la décision correcte, car il soulève une question d’équité procédurale (arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 44). La norme applicable aux conclusions touchant la crédibilité est celle de la décision raisonnable, car ces conclusions soulèvent une question de fait (arrêt Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 160 NR 315, 1993 CarswellNat 303 (CAF), au paragraphe 4). La décision de la SPR de passer outre aux Directives et de refuser à la demanderesse que son cas soit instruit par un commissaire de sexe féminin doit être revue d’après la norme de la décision raisonnable (décision Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 106, 2009 CarswellNat 544, au paragraphe 13). Finalement, la norme de contrôle applicable à la conclusion de la SPR concernant le risque pour la demanderesse d’être victime d’un crime d’honneur est la décision raisonnable, car il s’agit d’une question mixte de fait et de droit (arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 164 à 166, [2008] 1 RCS 190).

 

VII.     Analyse

A.    Le processus de nomination des commissaires de la SPR fait-il douter de leur compétence, ou suffit-il à faire naître une crainte raisonnable de partialité?

 

[31]           La Cour souscrit à l’argument du défendeur selon lequel la demanderesse est empêchée, au stade du contrôle judiciaire, d’alléguer l’incompétence du commissaire ou de prétendre qu’il donne prise à une crainte raisonnable de partialité. En effet, lorsque la demanderesse se trouvait devant la SPR, elle était en possession de toute l’information nécessaire pour alléguer une exception d’incompétence et l’existence d’une crainte raisonnable de partialité comme elle le fait aujourd’hui devant la Cour. Par conséquent, c’est là un aspect qu’elle aurait pu faire valoir devant la SPR, mais la demanderesse s’en est abstenue. Il a été établi par la Cour qu’une telle objection doit être soulevée dans les plus brefs délais; autrement cela vaudra renonciation implicite à soulever l’objection (Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 91 ACWS (3d) 811, 1999 CarswellNat 1953, au paragraphe 6).

 

B.     La SPR a‑t-elle commis une erreur en n’acceptant pas de confier à un commissaire de sexe féminin l’instruction du cas de la demanderesse?

 

[32]           La décision de la SPR du 27 février 2012 de refuser à la demanderesse que son cas soit instruit par un commissaire de sexe féminin est raisonnable. Le commissaire coordonnateur de la SPR a rendu sa décision après avoir examiné le rapport psychologique. Le rapport a donc été pris en compte, et il a été décidé que l’équité de l’audience ne serait pas compromise si l’audience de la SPR était présidée par un commissaire de sexe masculin. Par ailleurs, le commissaire qui a présidé l’audience a, lui aussi, pris en compte le rapport psychologique avant de décider de procéder à l’instruction.

 

[33]           La SPR a conclu à juste titre que la demanderesse n’était pas en position d’exiger qu’un commissaire de sexe féminin statue sur son cas, puisque, jusqu’en février 2012, elle était représentée par un conseil de sexe masculin. En outre, tous les commissaires de la SPR, qu’ils soient de sexe masculin ou féminin, ont reçu la formation nécessaire pour pouvoir instruire les affaires sensibles, et cette considération ne devrait pas, en soi, conférer le droit à une instruction menée par un commissaire de sexe féminin. Des motifs du même ordre exposés par la SPR dans une autre affaire ont été approuvés par la Cour dans la décision Gyorgyjakab c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1119, 2005 CarswellNat 2446, au paragraphe 11, où fut confirmée la décision du commissaire de sexe masculin de ne pas se récuser :

 

[11]      Nulle part dans les directives il n’est mentionné que le commissaire présidant l’audience ne devrait pas être un homme; il est simplement dit que l’on doit faire preuve d’adaptation. Cela dit, il n’y a rien dans la décision de la Commission tendant à indiquer que tel n’a pas été le cas. Au contraire, le commissaire a expressément dit que :

 

Au début de l’audience, le conseil de la demandeure s’est dit étonné, étant donné la nature de l’affaire, de constater que le commissaire était de sexe masculin.

 

Aux yeux du tribunal, l’étonnement du conseil ne justifie pas un changement de commissaire. Je souligne que le conseil est lui-même de sexe masculin. En outre, le tribunal est assisté par une agente de protection des réfugiés. Par ailleurs, aucune demande précise n’a été présentée avant l’audience afin que le choix se porte sur une commissaire. Enfin, tous les commissaires ont été sensibilisés aux questions liées au sexe et se conforment aux directives du président à cet égard.

 

         […]

 

J’ajouterais que la même demande fut faite à nouveau au début de l’audience de la SPR. Comme aucune preuve additionnelle n’a été présentée, le commissaire a refusé la demande et procédé à l’instruction.

 

C.     La SPR a-t-elle tiré des conclusions déraisonnables quant à la crédibilité?

 

[34]           Le commissaire a examiné la preuve se rapportant au statut des femmes au Pakistan. Cependant, il est un principe de longue date selon lequel l’existence d’une preuve objective ne suffit pas à accueillir une demande d’asile (Kaba c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 647, 2007 CarswellNat 2822, au paragraphe 1). La demanderesse doit en effet apporter une preuve convaincante et probante de sa situation personnelle pour étayer sa crainte subjective. Le commissaire a eu raison de conclure à l’absence d’une preuve probante montrant que la demanderesse avait raison de craindre d’être persécutée.

 

[35]           Une conclusion défavorable quant à la crédibilité sur un élément essentiel de la demande d’asile peut justifier le rejet de la demande (arrêt Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 11 Imm LR (2d) 81, 71 DLR (4th) 604 (CAF), au paragraphe 7). D’abord, la lecture des transcriptions de l’audience montre que la demanderesse ne savait pas très bien qui avait consulté l’avocat. La lettre de l’avocat a été examinée par la SPR, qui a conclu qu’elle n’avait aucune valeur probante, étant donné que, selon la preuve documentaire, la correspondance des avocats du Pakistan est parfois fallacieuse. La SPR a également eu raison de conclure que la demanderesse aurait pu produire une preuve plus convaincante de sa situation, par exemple des affidavits de proches parents qui devraient s’inquiéter pour elle au Pakistan et qui auraient pu confirmer sa version des faits.

 

[36]           Il était raisonnable aussi pour la SPR de trouver incongru que le mari de la demanderesse partage encore une maison avec son frère, qui prétendument avait tenté d’agresser sexuellement la demanderesse et fait prononcer une fatwa contre elle. Les propos suivants tenus par la Cour dans la décision Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 107 ACWS (3d) 293, 2001 CarswellNat 1534, au paragraphe 7, s’appliquent à la conclusion de la SPR sur l’invraisemblance d’une bonne partie des arguments de la demanderesse :

 

[7]        Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22].

 

La décision de la SPR est raisonnable, parce que d’importants aspects factuels de l’affaire, tels que les a relatés la demanderesse, échappent à toute logique. La conclusion d’invraisemblance du récit de la demanderesse est d’ailleurs confirmée par l’absence d’une preuve crédible propre à étayer sa demande d’asile.

 

[37]           En outre, l’examen des transcriptions du dossier certifié du tribunal montre que la demanderesse est demeurée vague sur plusieurs aspects et que son témoignage renfermait des contradictions : le moment auquel elle avait appris qu’une fatwa avait été prononcée contre elle et son incapacité d’obtenir d’autres éléments de preuve de son oncle, de son mari, de sa sœur, etc.

 

[38]           En outre, comme la SPR n’a pas conclu que le témoignage de la demanderesse et la correspondance de l’avocat pouvaient établir qu’une fatwa avait été prononcée contre la demanderesse, il était raisonnable de conclure que les conditions requises pour que la demanderesse puisse être convaincue d’adultère n’étaient pas réunies.

 

[39]           En conclusion, la décision de la Commission est raisonnable, et étayée par les faits et le droit. La Cour n’est pas justifiée d’intervenir. Les conclusions de la Commission concernant la crédibilité de la demanderesse sont exposées en détail dans la décision contestée, où se trouve un certain nombre de justifications valables pour expliquer les conclusions défavorables quant à la crédibilité.

 

D.    La SPR a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en ne tenant pas compte des Directives lorsqu’elle a rendu sa décision?

 

[40]           Il a été établi par la Cour que les Directives ne sauraient racheter le manque de crédibilité de la preuve de la demanderesse. Dans la décision Munoz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1273, 302 FTR 67, aux paragraphes 31 et 33, la Cour s’exprimait ainsi :

31     Deuxièmement, la situation présentée devant la SPR était celle d’un récit non crédible, duquel ne subsistait aucune allégation crédible reliée au sexe de la revendicatrice. D’ailleurs, comme susmentionné, la SPR a énoncé en termes clairs, explicites et intelligibles les raisons valables pour lesquelles celui-ci doutait de la véracité des allégations de madame Munoz, vu son manque de crédibilité.

 

[…]

 

33     Les Directives servent à s’assurer que les revendications fondées sur le sexe soient entendues avec sensibilité. Or, dans le présent cas, la SPR a suivi« l’esprit » des Directives, par l’entremise de l’art de l’écoute active, malgré le fait que ce cas en particulier ne donne même pas ouverture à l’application des Directives dû principalement au fait que la SPR a jugé madame Munoz et le fondement de sa preuve non crédible.

 

[41]           Un examen général de la transcription montre que la SPR a suivi l’« esprit » des Directives (voir les pages 169, 170, 179, 180 et 181 du dossier du tribunal). En outre, le témoignage de la demanderesse laissait voir plusieurs contradictions, la correspondance de l’avocat n’a pas été jugée vraisemblable, et la demanderesse n’a pas présenté de preuve étayant sa crainte alléguée de persécution. Par conséquent, les Directives ont été suivies et les conclusions quant à la crédibilité, combinées à l’absence d’une preuve convaincante, autorisaient bel et bien la SPR à conclure à une absence de crainte subjective.

 

E.     La SPR a-t-elle tiré une conclusion déraisonnable en faisant abstraction de la crainte de la demanderesse, qui disait être exposée au risque d’être victime d’un crime d’honneur?

 

[42]           La SPR n’a pas omis d’aborder la question du crime d’honneur. En réalité, puisque la SPR a conclu que la demanderesse n’était pas crédible, elle n’était pas tenue d’analyser la question précise soulevée par la demanderesse, à savoir la notion de crime d’honneur. La SPR n’a, en fait, accordé aucune valeur probante à la plus grande partie de la preuve et du témoignage de la demanderesse. Selon elle, la demanderesse n’avait pas établi qu’elle était persécutée en raison d’actes adultères. La SPR n’a donc commis aucune erreur en ne s’interrogeant pas si la demanderesse était ou non exposée au risque spécifique d’être victime d’un crime d’honneur, puisqu’elle n’avait pas apporté une preuve crédible établissant une crainte de persécution.

 

[43]           Les parties ont été invitées à proposer une question susceptible d’être certifiée, mais aucune question n’a été proposée.

 


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est rejetée, et aucune question n’est certifiée.

                                                                                                    « Simon Noël »

                                                                                    ___________________________

                                                                                                            Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3350-12

 

 

INTITULÉ :                                      AZRA IQBAL c LE MINISTRE DE

                                                            LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 13 novembre 2012

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE NOËL

 

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 20 novembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dan M. Bohbot

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Michèle Joubert

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dan M. Bohbot

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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