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Date : 20121121

Dossier : IMM-942-12

Référence : 2012 CF 1347

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

FRANCITA PETER, SHANAM PETER, EDISON GEORGE PETER

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi), de la décision datée du 20 décembre 2011 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

CONTEXTE

[2]               Les demandeurs sont citoyens de Sainte-Lucie. Ils demandent l’asile au Canada parce qu’ils craignent d’être persécutés par le gang Mal Tete à Sainte-Lucie. Les demandeurs principaux sont Francita Peter (Francita) et son époux, Edison George Peter (Edison). Shanam Peter (Shanam) est leur fils adulte.

[3]               Les demandeurs habitaient la ville de Vieux-Fort sur l’île de Sainte-Lucie. En mars 2005, Francita a vu les membres du gang Mal Tete agresser un homme dénommé Marcus. Francita a dénoncé « Ya Ya », un des membres du gang, à la police. Le lendemain, les membres du gang sont venus chez les demandeurs. Ils ont bombardé leur maison de pierres et tué un de leurs chiens. Pendant que les membres du gang proféraient des menaces à l’extérieur, Francita a appelé la police. La police a répondu qu’elle irait, mais elle n’est jamais venue.

[4]               Le jour suivant, Francita a entendu le bruit de pierres lancées sur sa maison et ce qui semblait être des coups de feu. Elle a vu un des membres du gang s’avancer dans la cour et prendre la bicyclette de Shanam. Les demandeurs ont appelé la police, qui leur a recommandé de faire rédiger un rapport, conseil que les demandeurs ont suivi.

[5]               Plus tard, Francita visitait une connaissance à l’hôpital quand Edison y a arrêté son autobus, dans lequel se trouvait Shanam, qui avait été poignardé à la poitrine et saignait abondamment. Edison s’est précipité à la salle des urgences avec son fils. Des membres du gang avaient aussi endommagé l’autobus d’Edison en le bombardant de pierres. Des policiers sont venus à l’hôpital et ont dit aux demandeurs qu’ils feraient une enquête. Quand les demandeurs ont appelé la police quelques jours plus tard pour effectuer un suivi, on leur a dit que l’incident n’avait fait l’objet d’aucun rapport.

[6]               Le gang Mal Tete a continué de menacer les demandeurs, qui se sont alors cachés. Ils se rendaient parfois au nord ou à l’ouest de l’île et demeuraient quelques jours chez des parents, puis retournaient dans leur maison de Vieux-Fort. Les membres du gang Mal Tete cherchaient à savoir où se trouvaient les demandeurs en s’informant auprès de leurs proches, et ils menaçaient les demandeurs chaque fois qu’ils les voyaient. À un moment donné, un membre du gang a empoigné Francita par le bras. Il lui a dit que les membres de sa famille parlaient trop, et qu’ils paieraient de leur vie pour avoir dénoncé Ya Ya à la police. Il a affirmé qu’il s’agissait d’un simple avertissement, mais que le gang pourrait venir n’importe quand et s’en prendre à toute la famille. Cette nuit-là, Francita a décidé que sa famille devait quitter Sainte-Lucie.

[7]               Francita est arrivée au Canada le 30 juillet 2007. Shanam a suivi le 22 décembre 2007. Edison a tenté d’entrer au Canada deux fois en 2008, mais il a été refoulé. Il a finalement réussi à entrer au Canada le 27 juin 2010. Francita a demandé l’asile en octobre 2008, Shanam, en décembre 2008 et Edison, en juin 2010.

[8]               Les demandeurs ont déposé chacun un Formulaire de renseignements personnels (FRP) auprès de la SPR dans le cadre de leurs demandes d’asile (exposés circonstanciés originaux). Les FRP tournent autour du récit de Francita, mais raconté selon les points de vue respectifs. Les demandeurs ont présenté une série de documents à la SPR le 17 juin 2011, dont des exposés circonstanciés modifiés. Le récit raconté dans les exposés circonstanciés originaux et modifiés est le même, mais de nombreuses incohérences ont été relevées. Par exemple, dans son exposé circonstancié original, Francita parle de coups de feu tirés et de pierres lancées sur sa maison, tandis que dans son exposé circonstancié modifié, elle mentionne seulement les pierres lancées sur sa maison. Dans l’exposé circonstancié original, il était question d’appels téléphoniques faits par un membre du gang Mal Tete, qui affirmait connaître des gens dans la police, mais ces appels ne sont pas mentionnés dans l’exposé circonstancié modifié. Les détails sur l’agression au couteau subie par Shanam sont également différents; dans son exposé circonstancié original, Francita affirme qu’elle se trouvait à la Martinique au moment de l’agression, tandis que dans l’exposé circonstancié modifié, elle dit qu’elle visitait des connaissances à l’hôpital. Les deux exposés circonstanciés contiennent également des divergences quant au vol de la bicyclette de Shanam et aux dommages causés à l’autobus d’Edison, entre autres choses.

[9]               Dans son exposé circonstancié modifié, Francita déclare qu’elle était au départ représentée par un homme s’appelant Desmond Cherrington. M. Cherrington avait dit aux demandeurs de ne pas s’inquiéter car leur dossier était solide, et leur avait fait signer des FRP vierges. L’audience avait d’abord été fixée au 17 février 2011, mais M. Cherrington avait informé les demandeurs qu’il n’était pas prêt. Francita a alors commencé à douter de sa compétence et retenu les services de celui qui les représente actuellement. Les demandeurs ont obtenu des copies de leurs exposés circonstanciés originaux et réalisé qu’ils contenaient de nombreuses faussetés et exagérations. Ils ont présenté des exposés circonstanciés modifiés afin de corriger ces erreurs. Aucun document ayant rapport avec M. Cherrington n’a été soumis avec les demandes d’asile des demandeurs.

Preuve documentaire

[10]           Les demandeurs ont soumis divers documents à l’appui de leurs demandes d’asile, dont deux lettres de l’hôpital St. Jude. La première, datée du 2 décembre 2008, fait état des soins donnés à Shanam pour les coups de couteau qu’il avait reçus à la poitrine le 26 avril 2005. La deuxième, datée du 29 avril 2011, mentionne les antécédents d’hypertension artérielle d’Edison et l’accident ischémique transitoire qu’il a fait le 16 avril 2009.

[11]           Les demandeurs ont également soumis les affidavits de deux personnes, Edd Jules et George Kisna, qui affirmaient être au courant des événements décrits dans l’exposé circonstancié modifié de Francita. Il y avait également une lettre de recommandation rédigée par l’employeur de Francita, John Fox, et des certificats d’études et d’emploi de Shanam.

[12]           Une lettre rédigée par un psychologue, Gerald M. Devins, datée du 3 août 2011, a aussi été déposée. Dans cette lettre, M. Devins affirme que Francita souffre du trouble de stress post‑traumatique et a peur de retourner à Sainte-Lucie. M. Devins s’exprime ainsi :

[traduction] […] D’autres symptômes liés au stress comprennent un niveau d’énergie variable et des problèmes de concentration et de mémoire. L’idéation intrusive (c.-à-d. l’éruption spontanée d’inquiétudes et de souvenirs d’événements traumatiques) survient fréquemment et nuit à la lecture et à la conversation. Parfois, elle a tout simplement la tête vide. Mme Peter est devenue distraite et étourdie (p. ex. elle mêle les dates et les détails d’événements passés; elle oublie les noms, les numéros de téléphone, les adresses et les rendez-vous; elle égare ses clés et les cherche un bon moment avant de découvrir qu’elle les avait sous les yeux [« juste là où je les cherchais »]). Les problèmes de concentration et de mémoire sont fréquents chez les personnes exposées à un stress traumatique. Ces difficultés sont exacerbées sous la pression, comme celle qui se fait sentir dans le contexte de l’audition d’une demande d’asile, où l’enjeu est important. Les symptômes peuvent survenir lors de l’audience sous la forme d’une difficulté à saisir les questions posées, de demandes de répétition ou de reformulation de questions, d’une incapacité à se souvenir de détails précis du passé ou d’une incapacité apparente à formuler une réponse cohérente. La personne souffrant de ce genre de problèmes cognitifs liés au stress peut avoir de la difficulté à livrer un témoignage clair et cohérent. Si de tels problèmes deviennent évidents, il est important de comprendre qu’ils reflètent probablement les effets désorganisants du stress traumatique plutôt qu’un effort d’évitement ou de dissimulation.

 

 

[13]           En outre, une lettre provenant du Centre des femmes immigrantes de Riverdale datée du 29 septembre 2011 indiquait que Francita recevait des services de conseils dans ce centre. Selon la lettre, Francita souffrait de dépression et d’anxiété, et montrait des signes de traumatisme et de peur.

[14]           Les documents présentés comprenaient aussi des télécopies envoyées à la Commission de police de Sainte-Lucie par tous les demandeurs, qui voulaient obtenir des copies de documents et de rapports. Les noms des demandeurs et les coordonnées de leur avocat étaient indiqués sur les télécopies. Il semble que la Commission de police de Sainte-Lucie n’ait jamais répondu à ces demandes.

[15]           La SPR a tenu une audience afin de trancher les demandes d’asile des demandeurs le 11 août 2011 et le 20 octobre 2011. La SPR a déterminé que la preuve présentée par les demandeurs n’était pas fiable et a rejeté leurs demandes d’asile le 20 décembre 2011.

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[16]           La SPR a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger parce qu’ils n’étaient pas crédibles et n’avaient pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils seraient exposés à une menace à leur vie s’ils devaient retourner à Sainte-Lucie, comme l’exige l’article 97 de la Loi. La SPR a aussi estimé que les demandeurs avaient subi de la discrimination, mais qui n’équivalait toutefois pas à de la persécution au sens de l’article 96 de la Loi.

Crédibilité

            Divergences entre les exposés circonstanciés des FRP

 

[17]           La SPR a estimé que les demandeurs n’étaient pas crédibles en raison des divergences relevées entre leurs exposés circonstanciés originaux et leurs exposés circonstanciés modifiés. Elle a noté des différences qui concernaient notamment l’année où Francita avait vu le gang battre un homme, le fait que la maison et le véhicule des demandeurs avaient été criblés de balles ou non, le nombre de chiens de la famille qui avaient été tués, le nombre de fois où la police avait été contactée, le nombre de fois où la famille avait déménagé et le fait que le gang Mal Tete avait communiqué ou non avec leur famille.

[18]           Selon la SPR, les demandeurs n’avaient pas expliqué de manière raisonnable les différences entre leurs exposés circonstanciés. La SPR a indiqué que le premier conseiller en immigration des demandeurs était membre d’un organisme de réglementation, la Société canadienne de consultants en immigration, et que les demandeurs « ne p[ouvaient] se contenter de noircir sa réputation ». Les demandeurs auraient dû lui faire part de leurs allégations et lui donner l’occasion de répondre. Les demandeurs d’asile ont expliqué qu’ils n’avaient pas déposé de plainte contre M. Cherrington parce que la relation ne s’était pas bien terminée et que la situation était stressante pour eux, explication que la SPR a jugée déraisonnable. Les demandeurs avaient admis qu’ils auraient probablement dû poursuivre leurs démarches, a ensuite fait remarquer la SPR, mais ils ont continué de ne rien faire dans les deux mois qui se sont écoulés entre la première audience et sa reprise.

[19]           La SPR a tiré une conclusion défavorable de l’inaction des demandeurs relativement à l’incompétence alléguée de M. Cherrington. La SPR a déclaré qu’il s’agissait de graves allégations, qui devaient faire l’objet de mesures sévères. Après la première audience, les demandeurs avaient retenu les services d’un nouveau conseil et étaient mieux placés pour  prendre les mesures appropriées. Selon la SPR, il ne suffisait pas de simplement blâmer l’ancien conseil et, à ce stade-là, les plaintes des demandeurs d’asile demeuraient hypothétiques.

[20]           Francita avait affirmé avoir vu son exposé circonstancié original pour la première fois après février 2011, a aussi noté la SPR. Toutefois, dans son entrevue initiale d’octobre 2008, elle avait formulé de vive voix au moins une des exagérations, à savoir que deux de ses chiens avaient été tués par les membres du gang. Francita a expliqué que son ancien conseil lui avait recommandé de dire certaines choses; or, si tel est le cas, Francita était donc au courant des embellissements et les a répétés en sachant qu’ils étaient faux. Selon la SPR, cette conduite révélait que Francita avait participé de plein gré à la tromperie et qu’elle en était au fait avant février 2011, contrairement à ce qu’elle avait déclaré dans son témoignage initial. La SPR a souligné que les demandeurs avaient signé leurs exposés circonstanciés originaux et confirmé ainsi que l’information qui s’y trouvait était véridique, déclaration ayant la même valeur que si elle avait été faite sous serment. Ils avaient admis que les renseignements donnés n’étaient pas véridiques, ce qui remettait également en question la fiabilité de leur témoignage présenté de vive voix. Néanmoins, la SPR a décidé de procéder à l’analyse en utilisant les exposés circonstanciés modifiés des demandeurs.

 

Preuve documentaire

[21]           La SPR a fait remarquer que les demandeurs n’avaient présenté aucun des rapports de police qui auraient été rédigés. Les formulaires de demande, dont au moins un n’était pas signé, ne contenaient aucun renseignement, outre le nom des demandeurs d’asile, qui aurait pu aider les autorités à trouver l’information demandée. Les demandeurs ont affirmé n’avoir jamais reçu de réponse des autorités de Sainte-Lucie. Aucun élément de preuve, comme des accusés de réception de télécopie ou de courrier, ne permettait toutefois d’établir que les demandes avaient été réellement envoyées. Les demandeurs ont également été vagues sur la teneur des renseignements qui avaient été télécopiés aux autorités. La SPR a estimé que les demandeurs n’avaient pas fait de tentatives raisonnables pour obtenir les rapports de police, et ne croyait pas que les autorités auraient été en mesure de fournir une réponse éclairée.

[22]           Après que la question eut été soulevée à la première audience, a également noté la SPR, les demandeurs ont envoyé essentiellement la même demande – à savoir une demande contenant très peu de renseignements – aux autorités de Sainte-Lucie. Selon la SPR, compte tenu des renseignements envoyés par les demandeurs, les autorités n’auraient même pas été en mesure de déterminer s’ils étaient citoyens de Sainte-Lucie; essentiellement, le manque de renseignements a fait en sorte que les demandeurs ne pouvaient pas obtenir de réponse éclairée. Les demandeurs savaient que les allégations de falsification faites à l’encontre de leur premier conseil soulèveraient des doutes quant à leur crédibilité; il aurait donc été raisonnable de s’attendre à ce qu’ils fassent des efforts particulièrement diligents pour obtenir ces documents raisonnablement accessibles. La SPR a tiré une conclusion défavorable de l’absence d’efforts significatifs faits en ce sens.

Témoignages présentés de vive voix

[23]           La SPR a trouvé des contradictions dans les témoignages des demandeurs. Par exemple, les demandeurs ont dit n’avoir jamais relancé la police, mais dans son exposé circonstancié modifié, Francita affirme avoir appelé la police quelques jours après que Shanam eut été poignardé. Elle a d’abord expliqué la contradiction en disant que [traduction] « [l]e crime est un problème grave, et les policiers ne vous aident pas à moins que vous ayez de l’argent pour les payer », et précisé ensuite que c’était parce qu’elle n’avait pas personnellement relancé la police. La SPR a rejeté l’explication, estimant que si Francita n’avait pas personnellement relancé les autorités, elle aurait pu dire que les autres demandeurs d’asile l’avaient fait au lieu d’expliquer pourquoi il était inutile de s’adresser aux policiers. La SPR a donc estimé que le récit des efforts déployés par les demandeurs pour obtenir la protection de l’État n’était pas crédible.

[24]           La SPR a relevé de multiples incohérences dans les déclarations des demandeurs sur les déménagements qu’ils auraient faits pour éviter les menaces du gang Mal Tete, notant qu’aucun de ces déménagements n’était mentionné dans les FRP des demandeurs, qui avaient tous habité à Vieux‑Fort jusqu’à leur départ respectif de Sainte-Lucie. Francita avait fourni des renseignements cohérents sur sa résidence à Vieux‑Fort, tandis que les FRP, les exposés circonstanciés et les témoignages des deux autres demandeurs ne concordaient pas sur la question de la résidence.

[25]           Dans leurs exposés circonstanciés, a fait remarquer la SPR, les demandeurs ont déclaré qu’ils étaient allés vivre avec de la parenté à différents endroits de Sainte-Lucie pour éviter les membres du gang, et que les membres du gang se rendaient chez leurs proches pour s’informer de leurs allées et venues. Cependant, à l’audience, ils ont affirmé que s’ils avaient quitté les maisons de leurs proches, c’était seulement parce qu’ils y étaient trop à l’étroit ou qu’ils ne se sentaient en sécurité nulle part à Sainte‑Lucie, une île trop petite. Ils n’ont jamais mentionné le fait que les membres du gang les recherchaient activement dans les endroits où ils se réfugiaient. Les demandeurs ont déclaré qu’ils déménageaient d’un endroit à l’autre, puis retournaient chez eux à Vieux‑Fort, récit que la SPR a estimé peu plausible. Si les demandeurs d’asile devaient se cacher parce que leur vie était menacée et que les membres du gang posaient des questions sur leurs allées et venues, il n’aurait pas été logique qu’ils retournent simplement chez eux. La SPR a conclu que si les demandeurs avaient déménagé, ce dont elle doutait, leurs proches n’avaient pas été questionnés sur leurs allées et venues là où ils avaient déménagé.

Présentation tardive des demandes d’asile

[26]           La SPR a également estimé que les demandeurs avaient beaucoup tardé à présenter leurs demandes d’asile, ce qui minait davantage leur crédibilité. Francita a demandé l’asile 15 mois après son arrivée au Canada. Elle a expliqué qu’elle ne s’était pas informée plus tôt auprès des autorités parce qu’elle craignait de retourner à Sainte-Lucie. Toutefois, elle était en situation régulière au Canada pendant au moins six mois, et comme son titre régulier initial expirait sous peu, il était raisonnable de s’attendre à ce qu’elle prenne à la première occasion, en tant que personne craignant vraiment d’être persécutée, des mesures pour tenter de demeurer au Canada. La SPR a tiré une conclusion défavorable de ce retard et estimé que Francita ne craignait pas de retourner à Sainte-Lucie comme elle l’affirmait. La SPR a ajouté que cette conclusion défavorable valait aussi pour la crédibilité générale de Francita, et que sa description du risque de préjudice auquel étaient exposés les demandeurs n’était pas crédible.

[27]           Shanam est arrivé au Canada en décembre 2007, mais il a attendu en décembre 2008 pour faire sa demande d’asile, soit deux mois après que sa mère eut présenté sa propre demande. Au départ, ils traitaient tous deux avec le même conseil. Shanam devait donc savoir que sa mère avait fait une demande d’asile en octobre 2008, mais il ne l’a pas affirmé clairement. Il a séjourné au Canada sans titre régulier pendant six mois avant de présenter sa demande d’asile. Pour ces motifs, la SPR a tiré une conclusion défavorable relativement à la crainte subjective de Shanam et au risque auquel il serait exposé s’il retournait à Sainte-Lucie.

[28]           Edison a demandé l’asile à son arrivée à l’aéroport en juin 2010. Cependant, il avait tenté deux fois d’entrer au Canada en 2008. La seconde fois avait eu lieu en novembre 2008; à cette époque-là, Francita avait déjà demandé l’asile. À l’audience, Francita a déclaré qu’elle avait conseillé à Edison de demander l’asile à son arrivée, mais que celui‑ci avait oublié de le faire. La SPR a trouvé cette explication invraisemblable. Si Edison faisait l’objet de menaces à Sainte‑Lucie au point d’avoir dû appeler la police à de multiples reprises et qu’il craignait pour sa vie, il n’aurait probablement pas oublié simplement de demander protection. La SPR a estimé qu’Edison n’éprouvait pas la crainte subjective requise et a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité générale des risques allégués.

Analyse fondée sur l’article 96

[29]           Selon la SPR, les demandeurs n’avaient pas démontré l’existence d’un lien entre le préjudice craint et un des motifs prévus dans la Convention. Francita avait été témoin d’un crime et l’avait signalé à la police, et, pour cette raison, les demandeurs craignaient des représailles de la part des membres du gang Mal Tete. Il s’agit d’une affaire criminelle qui n’a aucun lien avec les motifs prévus dans la Convention, et les demandes d’asile des demandeurs doivent donc être rejetées au titre de l’article 96 de la Loi.

Analyse fondée sur l’article 97

[30]           La SPR a défini que la question déterminante dans cette analyse était celle de savoir si, selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs étaient exposés à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. La SPR a répété que la preuve produite par les demandeurs quant aux déménagements faits pour éviter le gang n’était pas fiable, pas plus que la preuve selon laquelle les membres de la parenté avaient été harcelés pour qu’ils divulguent les allées et venues des demandeurs. La SPR a ajouté ceci : « Les demandeurs d’asile ont peut‑être réellement déménagé, mais aucun élément de preuve digne de foi ne permet de croire que les membres du gang les recherchaient activement. » Compte tenu de la petite taille de Sainte-Lucie, a conclu la SPR, le gang n’avait pas la capacité ni le désir de retrouver les demandeurs.

[31]           La SPR a accepté la déclaration des demandeurs selon laquelle les membres du gang s’étaient présentés à leur maison de Vieux‑Fort et les avaient menacés, mais a noté que, dans les 28 mois qui s’étaient écoulés entre l’incident et le départ de Francita pour le Canada, les membres du gang n’avaient jamais tenté d’entrer dans la maison familiale ni de mettre leurs menaces à exécution. Pendant tout ce temps, deux incidents seulement se sont produits : les membres du gang ont abordé Shanam à son travail, munis d’une arme à feu, et ils se sont également présentés à la maison familiale, où ils ont empoigné Francita par le bras. Si le gang Mal Tete avait vraiment voulu faire du tort aux demandeurs, il aurait pu le faire à l’une ou l’autre de ces occasions.

[32]           De plus, Edison est demeuré à Sainte-Lucie deux ans après le départ de Francita et n’a pas été maltraité par le gang pendant cette période. Il a eu des problèmes de santé, ce qui en aurait fait une cible facile pour les membres du gang s’ils avaient réellement voulu lui faire du mal. Edison n’était généralement pas très clair sur ce qui s’était passé à Sainte-Lucie, à l’exception de ce qu’il a indiqué dans certaines sections particulières de son exposé circonstancié modifié. Il se rappelait très bien que son fils avait été poignardé, mais sa mémoire lui faisait défaut lorsqu’il était question notamment des rapports de police et de leur lieu de résidence. Il était également incapable de préciser pourquoi les membres du gang voulaient le tuer. En l’absence de documents attribuant les problèmes de mémoire d’Edison à ses troubles de santé, il semblait s’agir plutôt, selon la SPR, d’une « mémoire sélective ».

[33]           Exception faite des problèmes de mémoire d’Edison, a déclaré la SPR, les membres du gang semblaient incapables de faire du tort aux demandeurs, ou ne voulaient pas réellement leur en faire, contrairement à ce que les demandeurs affirmaient. La SPR a estimé que les demandeurs n’avaient pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils seraient exposés à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’ils devaient retourner à Sainte‑Lucie. Elle a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger, et a rejeté leurs demandes.

QUESTIONS EN LITIGE

[34]           En l’espèce, les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

1.                  La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité en n’appliquant pas les directives de la SPR concernant la persécution fondée sur le sexe données par la présidente et en faisant abstraction du rapport sur l’état psychologique de Francita qui avait été soumis?

2.                  La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son examen de la présentation tardive des demandes d’asile et de la crainte subjective des demandeurs?

                       

NORME DE CONTRÔLE

[35]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’était pas toujours nécessaire de procéder à une analyse de la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette recherche n’est pas fructueuse que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs qui constituent l’analyse de la norme de contrôle.

[36]           Dans Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF), la Cour d’appel fédérale a statué, au paragraphe 4, qu’une conclusion sur la crédibilité est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. En outre, dans Elmi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 21, le juge Max Teitelbaum a statué que les conclusions sur la crédibilité sont au cœur même du rôle de juge des faits de la SPR et qu’elles doivent par conséquent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable. Enfin, dans Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 929, le juge Michael Kelen a statué, au paragraphe 17, que la norme de contrôle à appliquer aux évaluations de la crédibilité est celle de la raisonnabilité. La norme de contrôle applicable à la première question est celle de la décision raisonnable.

[37]           Dans Cornejo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 261, le juge Michael Kelen a statué, au paragraphe 17, que la norme de contrôle applicable aux évaluations de la crainte subjective de persécution est celle de la décision raisonnable. Le juge John O’Keefe a tiré une conclusion semblable dans Brown c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 585, au paragraphe 20. La norme de contrôle applicable à la deuxième question en litige est également celle de la décision raisonnable.

[38]           Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable au sens où elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[39]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa  nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[…]

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au  sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou  occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

[…]

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries;

 

[…]

 

Person in Need of Protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning ­ of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or  incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

 

[…]

 

 

ARGUMENTS

Demandeurs

            Rapport du psychologue

[40]           Les demandeurs soutiennent que la SPR, dans son appréciation de la crédibilité, n’a pas pris en considération le rapport du psychologue, qui fait état des traumatismes et des problèmes de mémoire de Francita. Les demandeurs affirment qu’il s’agit d’un élément de preuve déterminant quant à la crédibilité de Francita, et que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle en omettant d’en tenir compte.

[41]           D’après les demandeurs, quand un demandeur présente un rapport médical faisant état des problèmes qu’il peut avoir à témoigner, la SPR a l’obligation de tenir compte de cet élément de preuve et de s’en servir comme guide pour l’examen du témoignage offert. Voir Kuta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 687 (Kuta), aux paragraphes 6 et 7; C.L.J. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 387, au paragraphe 7. Toujours selon les demandeurs, la décision Kuta établit que la SPR aurait dû prendre en considération les Directives no 4 : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe – Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration en rendant sa décision.

[42]           Dans une lettre admise en preuve, un psychologue déclare que Francita présente de nombreux symptômes qui peuvent rendre difficile pour elle le fait de témoigner à une audience dans le contexte d’une demande d’asile. Selon les demandeurs, le défaut de la SPR de tenir compte de cet élément de preuve rend sa décision déraisonnable. Les demandeurs ajoutent que la décision Cortes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 329, au paragraphe 6, établit que la SPR ne peut pas tirer une conclusion subsidiaire quand elle a déjà tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité, car il n’y a pas de faits sur lesquels baser une conclusion subsidiaire. Par conséquent, indépendamment de toute autre conclusion tirée par la SPR, le caractère déraisonnable de sa conclusion quant à la crédibilité signifie que la décision doit être annulée.

            Retard

[43]           Les demandeurs affirment en outre que la SPR n’a pas suffisamment motivé sa conclusion selon laquelle la présentation tardive des demandes d’asile avait miné leur crédibilité. Les demandeurs soutiennent que la SPR est tenue de prendre en considération toute explication raisonnable offerte pour dire pourquoi une demande d’asile n’a pas été présentée plus tôt (Hue c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] ACF no 283 (CAF)).

[44]           Les demandeurs invoquent Gyawali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1122, où la juge Danièle Tremblay-Lamer a statué, au paragraphe 18, que lorsqu’une personne a un statut temporaire valide, il ne faut pas douter de sa crédibilité au motif qu’elle n’a pas présenté de demande d’asile à son arrivée au Canada. Les demandeurs affirment que la SPR n’a pas dûment examiné les raisons de leur retard, ni n’a expliqué adéquatement pourquoi elle n’avait pas accepté ces raisons. Le caractère suffisant des motifs est un facteur qui touche à la raisonnabilité d’une décision (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817).

[45]           Francita a aussi affirmé qu’elle n’avait pas d’instruction et ne connaissait pas le processus d’asile, déclaration qui n’a pas été prise en considération. Les demandeurs citent Pena c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 326, au paragraphe 4, où le juge Donald Rennie s’est exprimé ainsi :

Le défaut de demander l’asile dans un autre pays n’est pas déterminant en soi. Toutefois, la Commission doit examiner attentivement toute explication fournie par la demanderesse et motiver son rejet. Étant donné que la Commission a reconnu que la demanderesse a subi de la violence et que le témoignage de celle‑ci quant à savoir pourquoi elle n’a pas demandé l’asile aux États‑Unis n’a pas été contesté, elle avait l’obligation de motiver le rejet de l’explication de la demanderesse; Owusu‑Ansha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 44 (C.A.); Bobic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1488 (C.F.). En l’espèce, l’explication fournie à la Commission était compatible avec l’existence d’une crainte subjective, et son rejet unilatéral constituait, sans plus, une erreur. Le refus de la Commission d’accepter cette explication éclairait sa démarche relativement à l’examen du témoignage de la demanderesse et ne pouvait pas être considéré sans importance quant à l’issue de la présente instance.

 

[46]           Les demandeurs affirment que la décision est déraisonnable en raison de ces erreurs cumulées et doit être annulée, et que l’affaire doit être renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.

Défendeur     

Caractère raisonnable de la conclusion sur la crédibilité

[47]           D’après le défendeur, la SPR a raisonnablement conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles, parce qu’elle s’est raisonnablement fondée sur les incohérences contenues dans les exposés circonstanciés originaux, les exposés circonstanciés modifiés, les FRP et les témoignages des demandeurs, sur l’absence de rapports de police produits à l’appui de leurs allégations et sur le temps considérable que les demandeurs ont mis à présenter leurs demandes d’asile.

[48]           La SPR a précisé certaines des raisons pour lesquelles elle avait estimé que les demandeurs n’étaient pas crédibles. Par exemple, elle a souligné les incohérences concernant l’année où l’agression avait eu lieu (juin 2007 ou mars 2005), le fait que la maison et le véhicule des demandeurs avaient été criblés de balles ou non, le nombre d’animaux de compagnie qui avaient été tués, le nombre de fois qu’ils avaient appelé la police, le nombre de fois qu’ils avaient déménagé et le fait que les membres du gang les avaient retrouvés ou non à la suite de ces déménagements.

[49]           La SPR n’a pas accepté que les demandeurs se contentent de blâmer leur premier conseil pour les incohérences sans fournir aucun élément de preuve. Elle a aussi estimé que les tentatives faites par les demandeurs pour obtenir les rapports de police de Sainte-Lucie étaient de « timides efforts », même si des préoccupations avaient été exprimées à ce sujet à la première audience. Le défendeur soutient que la SPR a expliqué de façon claire et convaincante pourquoi elle avait jugé que les demandeurs n’étaient pas crédibles.

[50]           Le défendeur affirme qu’une conclusion sur la crédibilité est raisonnable pourvu qu’elle soit formulée en termes clairs et explicites (Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1991) 130 NR 236 (CAF)). Les motifs de la SPR n’étaient pas vagues ni généraux; ils donnaient des exemples précis montrant que les demandeurs n’étaient pas crédibles. Il est de jurisprudence constante que les éléments de preuve incohérents, invraisemblables et contradictoires, l’absence prouvée de persécution persistante et le fait d’attendre avant de quitter un pays et de demander l’asile permettent à bon droit de douter de la crédibilité d’un demandeur (voir Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1990) 11 Imm LR (2d) 81 (CAF); Leung c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1990) 74 DLR (4th) 313 (CAF)).

 

Rapport du psychologue

[51]           Le défendeur soutient également que la SPR n’a pas fait abstraction du rapport du psychologue; elle n’avait tout simplement pas besoin de le mentionner parce que ses conclusions sur la crédibilité n’avaient rien à voir avec la capacité de Francita de témoigner à l’audience. Le rapport expliquait les problèmes que Francita pouvait avoir quand elle témoignait, mais les problèmes éprouvés pendant qu’elle livrait son témoignage n’ont guère eu d’importance pour la conclusion sur la crédibilité tirée par la SPR. La plupart des conclusions sur la crédibilité n’avaient rien à voir avec le témoignage de Francita ni avec sa façon de se comporter pendant qu’elle témoignait de vive voix. Le rapport n’aurait pas expliqué les contradictions dans les exposés circonstanciés, ni les témoignages incohérents présentés de vive voix par les deux autres demandeurs. Le défendeur affirme que le rapport ne devait pas nécessairement être mentionné dans la décision parce qu’il n’était guère pertinent, et que le fait qu’il ne soit pas passé en revue dans la décision ne rend pas la décision déraisonnable pour autant.

Retard

[52]           Le défendeur soutient que la conclusion de la SPR sur la question du retard n’était pas subsidiaire à celle sur la crédibilité, mais qu’elle en faisait plutôt partie. Le départ tardif du pays d’origine et la présentation tardive d’une demande d’asile permettent à bon droit de douter de la crédibilité d’un demandeur (voir Sheikh, précité; Leung, précité). Les demandeurs affirment que la SPR n’a pas adéquatement justifié le rejet des raisons données par les demandeurs pour expliquer leur retard, mais cette allégation n’est pas fondée. La SPR a bel et bien fourni des motifs et expliqué pourquoi le retard avait miné la crédibilité des demandeurs. La SPR a déclaré, à la page 15 de ses motifs, avoir tiré une conclusion défavorable de la présentation tardive des demandes d’asile, ce qui valait aussi pour la crédibilité des demandeurs. L’observation du défendeur selon laquelle la conclusion sur la crédibilité et la décision de la SPR étaient raisonnables est d’autant plus étayée.

 

Conclusion

[53]           Même si les éléments de preuve étaient crédibles, ajoute le défendeur, la SPR a conclu raisonnablement que les demandeurs n’étaient pas des personnes à protéger au sens de l’article 97. Le gang n’avait fait aucun effort pour donner suite à ses menaces, et Edison a pu demeurer à Sainte-Lucie de 2008 à 2010 sans être maltraité par le gang.

ANALYSE

[54]           La SPR a fourni divers motifs convaincants pour dire pourquoi elle avait rejeté les demandes d’asile des demandeurs en se fondant sur leur crédibilité. Comme les demandeurs contestent seulement quelques aspects de l’appréciation de la crédibilité faite par la SPR, la Cour doit conclure qu’ils acceptent le reste des motifs.

Rapport du psychologue et preuve médicale

[55]           Les demandeurs affirment que la décision est déraisonnable parce que la SPR a fait abstraction du rapport psychologique dans lequel M. Devin fait état des divers traumatismes et des problèmes de mémoire de Francita, et n’a pas tenu compte non plus de la preuve médicale concernant l’état de santé d’Edison. La lecture du dossier certifié du tribunal révèle que la SPR a parfaitement saisi les problèmes d’Edison et qu’elle en a tenu compte. Elle a suspendu l’audience et nommé Francita à titre de représentante personnelle d’Edison, de sorte que Francita a répondu à bon nombre des questions qui avaient été posées à Edison. La SPR n’a donc pas manqué à l’équité procédurale à l’égard d’Edison.

[56]           Dans son rapport sur Francita, M. Devin parle des difficultés qui [traduction] « sont exacerbées sous la pression, comme celle qui se fait sentir dans le contexte de l’audition d’une demande d’asile, où l’enjeu est important ». Ce rapport est dénué de pertinence pour ce qui est des incohérences que la SPR a trouvées entre les exposés circonstanciés des FRP. La lecture de la décision dans son ensemble révèle que l’appréciation de la crédibilité ne reposait pas sur les problèmes survenus au cours des témoignages. L’appréciation de la crédibilité était fondée sur i) les incohérences, exagérations ou embellissements relevés dans les exposés circonstanciés originaux et modifiés des FRP, ii) l’absence de rapports de police corroborants, iii) les contradictions entre les exposés circonstanciés modifiés des FRP et les témoignages présentés de vive voix, et iv) le temps considérable que les demandeurs ont mis à présenter leurs demandes d’asile au Canada.

[57]           En détail, et comme le défendeur l’a souligné, l’appréciation de la crédibilité reposait sur les facteurs cumulés suivants :

a.                   Les exposés circonstanciés originaux et modifiés des FRP des demandeurs contenaient des incohérences, des exagérations ou des embellissements concernant entre autres l’année où le jeune homme avait été agressé par le gang (juin 2007 ou mars 2005), le fait que la maison et le véhicule des demandeurs avaient été criblés de balles ou non, le nombre d’animaux de compagnie de la famille qui avaient été tués par le gang, le nombre de fois que la police avait été contactée, le nombre de fois qu’ils avaient déménagé pour éviter la persécution, et le fait que les membres du gang les avaient retrouvés ou non à la suite de ces déménagements.

b.                  La SPR n’a pas cru les raisons données par les demandeurs pour expliquer les incohérences relevées dans leurs exposés circonstanciés. Bien qu’ils aient blâmé leur premier conseil, ils n’ont présenté aucun élément de preuve démontrant qu’ils avaient porté plainte contre lui. Blâmer leur premier conseil sans toutefois produire des éléments de preuve pour montrer que ce dernier avait eu l’occasion de répondre ne suffisait pas.

c.                   Les demandeurs n’ont pas produit de copies des rapports de police qu’ils auraient essayé d’obtenir, et les tentatives qu’ils avaient faites pour obtenir ces rapports étaient de « timides efforts ».

d.                  Dans leurs témoignages présentés de vive voix, les demandeurs ont affirmé n’avoir jamais relancé la police. Toutefois, dans son exposé circonstancié modifié, Francita a indiqué qu’elle avait relancé la police après que Shanam eut été poignardé.

e.                   Les demandeurs ont affirmé avoir déménagé à différents endroits à Sainte-Lucie pour éviter le gang, mais ils n’ont mentionné aucun de ces déménagements dans leurs FRP.

f.                   Dans les trois exposés circonstanciés modifiés, les demandeurs ont indiqué que les membres du gang se rendaient chez leurs proches pour s’informer de leurs allées et venues. Toutefois, aucun des demandeurs n’a mentionné dans son témoignage que les membres du gang les cherchaient activement dans les autres endroits où ils se réfugiaient.

g.                  Il n’est pas vraisemblable que les demandeurs soient retournés chez eux, là où ils étaient le plus en danger, si leur vie était vraiment menacée.

h.                  Une conclusion défavorable a été tirée du fait que Francita et Shanam avaient respectivement attendu 15 mois et un an avant de demander l’asile au Canada, malgré le risque de renvoi. Une conclusion défavorable a aussi été tirée du fait qu’Edison avait omis de demander l’asile lorsqu’il a tenté d’entrer au Canada pour la deuxième fois, étant donné que sa femme et son fils avaient déjà présenté leurs demandes. L’explication donnée par Edison, à savoir qu’il avait oublié de demander l’asile, a été jugée déraisonnable et a donc été rejetée.

 

[58]           Francita a attribué à son premier conseil, et non à ses propres problèmes psychologiques, les incohérences relevées dans les exposés circonstanciés des FRP. Il n’était pas nécessaire de se reporter au rapport de M. Devin ni aux Directives pour traiter de cette question.

[59]           Néanmoins, les demandeurs affirment aussi que la SPR a évalué les différents exposés circonstanciés des FRP, et ensuite apprécié les éléments de preuve comme ils avaient été présentés dans les exposés circonstanciés modifiés, d’où la pertinence du rapport de M. Devin et des Directives.

[60]           L’examen de cet aspect de la décision fait nettement ressortir ce qui suit :

1.                  Le défaut de fournir des copies des rapports de police et des renseignements des autorités de Sainte-Lucie n’a aucun rapport avec les problèmes que Francita a pu avoir à témoigner à l’audience.

2.                  Les problèmes concernant les déménagements des demandeurs à Sainte‑Lucie n’ont rien à voir avec les difficultés qu’ils avaient à témoigner à l’audience. Les demandeurs ont tout simplement omis d’indiquer leurs différentes adresses sur leurs formulaires. La SPR a souligné que les renseignements sur sa résidence à Vieux‑Fort fournis par Francita dans son formulaire initial et son FRP concordaient. Les incohérences ont été relevées en raison des récits divergents faits par les demandeurs.

3.                  Le retard est le troisième facteur principal qui a fait douter de la crainte subjective des demandeurs. Là encore, la preuve ne montre guère que les difficultés à témoigner à l’audience de Francita aient eu le moindre effet sur ce facteur.

 

[61]           En fait, si j’examine le dossier certifié du tribunal dans son ensemble, l’évaluation des problèmes de Francita faite par M. Devin ne m’apparaît pas convaincante. De manière générale, Francita n’a pas eu de problème à témoigner et elle est même devenue la représentante personnelle d’Edison, qu’elle a protégé en donnant des réponses claires et sans équivoque. À la page 308 du dossier certifié du tribunal, elle dit deux fois que le processus de demande d’asile est stressant et qu’elle oublie parfois des choses. Cependant, elle semble donner cette raison pour expliquer pourquoi elle n’a pas déposé de plainte officielle contre son premier conseil, et non pour expliquer pourquoi elle est incapable de répondre aux questions que la SPR lui pose. Elle n’a pas eu de difficulté à répondre à d’autres questions et n’a pas laissé entendre qu’elle ne se souvenait pas des réponses. Selon le dossier certifié du tribunal (p. 405), il est également clair que la SPR a dûment tenu compte du rapport du psychologue et du fait que Francita recevait des services de conseils.

[62]           Je ne relève aucune erreur susceptible de révision dans cet aspect de la décision.

Retard

[63]           Les demandeurs soutiennent que la SPR a tiré une conclusion subsidiaire fondée sur le retard pour rejeter leurs demandes. Ce n’est manifestement pas le cas. La SPR affirme, au paragraphe 23 de sa décision, que le retard est l’un des nombreux facteurs pris en considération dans l’appréciation de la crédibilité : « Les demandeurs d’asile ont beaucoup tardé à présenter leur demande d’asile, ce qui mine davantage leur crédibilité. »

[64]           La SPR a fourni des motifs clairs et complets, elle a examiné en détail les explications des demandeurs et a statué.

Conclusions de la Cour

[65]           Les demandeurs n’ont soulevé aucun point qui montrerait que la décision n’est pas justifiée, transparente et intelligible, ou qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La plupart – voire l’ensemble – des problèmes de crédibilité n’ont aucun rapport avec les difficultés que pourrait éprouver Francita en tant que femme ou en tant que personne en proie au stress, et la SPR a pris bien soin de reconnaître les problèmes d’Edison et d’en tenir dûment compte. Je ne relève aucun manquement à l’équité procédurale ni erreur susceptible de contrôle dans la décision.

[66]           Les avocats conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier et la Cour est d’accord.

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

 

   « James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-942-12

 

INTITULÉ :                                      FRANCITA PETER, SHANAM PETER,

EDISON GEORGE PETER

 

                                                            -   et   -

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 25 octobre 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 21 novembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard A. Odeleye                                                                POUR LES DEMANDEURS

 

Bridget A. O’Leary                                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BABALOLA, ODELEYE                                                     POUR LES DEMANDEURS

Avocats

Toronto (Ontario)                                                                               

 

William F. Pentney                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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