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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20121128

Dossier : IMM‑9745‑11

Référence : 2012 CF 1389

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Lemieux

 

 

ENTRE :

 

HINA PATEL

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

        MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Introduction

[1]               Mme Hina Patel, âgée de 33 ans, est née en Inde le 31 octobre 1980 et est devenue résidente permanente au Canada en décembre 2000 à titre d'enfant à charge. La présente demande de contrôle judiciaire dont elle a saisi la Cour tend à faire annuler la décision en date du 13 décembre 2011 par laquelle une commissaire de la Section d'appel de l'immigration à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (le tribunal ou la SAI) a rejeté son appel contre la décision d'une agente des visas portant refus de délivrer un visa de résident permanent à son mari, M. Mitulkumar Mohambai Patel, âgé de 32 ans (le demandeur devant la SAI), au motif qu'il était une personne visée au paragraphe 4(1) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002‑227), et que leur mariage n'était pas authentique et visait principalement l'acquisition d'un statut ou d'un privilège sous le régime de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Hina Patel était l'appelante devant la SAI.

 

[2]               Le paragraphe 4(1) du Règlement est libellé comme suit :

4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

 

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

 

b) n’est pas authentique.

 

[Non souligné dans l'original.]

4. (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

 

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

 

(b) is not genuine.

 

 

[Emphasis added]

 

II.  Les faits pertinents

[3]               Comme on l'a vu plus haut, Hina Patel, née en Inde, a obtenu le droit d'établissement au Canada en 2000 à titre d'enfant à charge. Elle avait alors 19 ou 20 ans et en a maintenant 31.

 

[4]               Elle a contracté en février 2004 un premier mariage avec un ressortissant indien, dont elle a parrainé la demande de résidence permanente au Canada.

 

[5]               Le premier mari de Mme Patel a obtenu le droit d'établissement au Canada en septembre 2005, mais le couple s'est séparé trois mois après son arrivée. Hina Patel déclare dans son affidavit qu'elle l'a mis dehors lorsqu'elle a découvert qu'il avait une maîtresse. Ils se sont donc séparés, et leur divorce a été prononcé le 23 février 2007. Mme Patel a fréquenté un autre homme de février 2006 à mai 2007, mais leur liaison a pris fin lorsqu'elle a découvert qu'il était marié. Sommé de s'expliquer, déclare‑t‑elle, son compagnon, dénommé Manish Patel, a promis de divorcer et de l'épouser; cependant, comme il n'en faisait rien, ajoute‑t‑elle dans son affidavit, elle a [TRADUCTION] « rompu avec lui ».

 

[6]               Toujours selon l'affidavit de Mme Patel, son ex‑compagnon a continué à l'[TRADUCTION] « embêter » et à lui téléphoner durant tout l'été 2007; [TRADUCTION] « je me demande bien pourquoi, poursuit-elle, mais j'ai accepté de le rencontrer en août 2007 ». Il l'a alors séduite, et elle est tombée enceinte.

 

[7]               Elle s'est ensuite rendue en Inde, afin, selon ses dires, d'attendre que son compagnon l'y épouse, étant donné qu'il lui avait promis de divorcer. Mais il a manqué à sa promesse, déclare‑t‑elle, et elle s'est fait avorter en octobre 2007.

 

[8]               La demanderesse a rencontré son second mari (aussi dénommé Patel) en Inde en novembre 2007, par l'intermédiaire de la tante de ce dernier, et elle l'y a épousé le 26 janvier 2008. C'était le premier mariage du mari. Il a eu lieu après que les familles, réunies en décembre 2007, l'aient décidé. La demanderesse est ensuite rentrée au Canada. Elle déclare dans son affidavit qu'elle est restée en contact téléphonique constant avec son mari. Elle ajoute qu'elle est retournée en Inde en juillet 2010 et qu'elle y a passé dix jours avec lui. Toujours selon ses dires, elle a ensuite passé trois semaines avec M. Patel en mars 2011, et trois autres en novembre de la même année.

 

[9]               La demanderesse a parrainé la demande de résidence permanente de son mari au Canada en janvier 2009. Une agente des visas a rejeté cette demande le 29 mai 2009 après avoir interrogé M. Patel.

 

[10]           Avant cette décision, soit en mars 2009, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a reçu une lettre accusant la demanderesse d'avoir fraudé les autorités canadiennes de l'immigration en monnayant ses engagements de parrainage, pour lesquels elle aurait exigé 20 000 $ comptant de chacun des bénéficiaires, c'est‑à‑dire son ex‑mari et son conjoint actuel.

 

III.  La décision du tribunal

[11]           Le tribunal a défini comme suit la question en litige dans l'appel considéré :

La question à trancher en l’espèce consiste à déterminer si le paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR) s’applique, excluant ainsi le demandeur de la catégorie du regroupement familial. Le critère énoncé dans le RIPR comporte deux volets, soit qu’un étranger ne peut être considéré comme un époux si le mariage n’est pas authentique ou qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR.

 

 Pour qu’il soit fait droit à l’appel, l’appelante [Hina Patel devant la SAI] doit démontrer que les deux volets ne s’appliquent pas à la relation.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

 

[12]           Il a formulé sa décision de la manière suivante :

Le tribunal a entendu le témoignage de l’appelante et du demandeur et a examiné les éléments de preuve versés au dossier. Il est d’avis que l’appelante n’a pas établi que le paragraphe 4(1) ne s’applique pas à la relation. Le tribunal est convaincu que la relation n’est pas de bonne foi et qu’elle visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège au Canada.  

 

 

[13]           Le tribunal, après avoir récapitulé la plupart des faits de l'espèce exposés aux paragraphes 3 à 8 des présents motifs, a noté que l'agent des visas avait relevé les problèmes suivants à l'entretien :

                    i.                   l’incompatibilité à l’égard des antécédents conjugaux, l’appelante étant divorcée;

                  ii.                   le manque d’efforts déployés par le demandeur [M. Patel] et sa famille pour effectuer une vérification approfondie des antécédents de l’appelante quant aux raisons du divorce de cette dernière;

                iii.                   l’absence de membres de la famille lors de la première rencontre entre l’appelante et le demandeur;

                iv.                   le peu de renseignements que l’appelante a communiqués au demandeur au sujet de la vie au Canada;

                  v.                   le manque d’éléments de preuve démontrant que l’appelante et le demandeur ont cohabité chez lui.

 

[14]           Le tribunal propose les observations suivantes sous le titre « Analyse » :

L’authenticité du mariage repose sur divers facteurs, qui peuvent varier d’un appel à l’autre. Parmi ces facteurs, citons entre autres les suivants :

• la compatibilité;

• l’évolution de la relation;

• la communication entre l’appelante et le demandeur;

• la prestation d’un soutien financier;

• la connaissance que chaque partie a de l’autre;

• les visites effectuées par l’appelante pour voir le demandeur;

• la présence de la famille du demandeur au Canada;

• la naissance d’un enfant.

 

Le second volet du critère, à savoir si la relation visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR, est évident et explicite. L’avantage recherché dans les appels concernant le parrainage d’un époux est généralement l’entrée au Canada et l’acquisition par le demandeur du statut de résident permanent à titre de membre de la catégorie du regroupement familial.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

 

[15]           Après avoir précisé que Hina Patel et son mari avaient tous deux témoigné à l'audience, le tribunal écrit ce qui suit :

Au début de la première audience, tenue le 16 mai 2011, le ministre a présenté un nouveau document. Il s’agit d’une lettre de dénonciation, et le nom de l’auteur a été supprimé. Le conseil de l’appelante s’est opposé à cet élément de preuve, vu qu’il n’est pas solennel et que l’auteur n’a pas été identifié. Le tribunal a décidé d’admettre cet élément de preuve, puisqu’il est considéré comme pertinent. En fait, lorsque la lettre lui a été présentée, l’appelante a affirmé qu’elle avait probablement été rédigée par son ex‑petit ami, qui était jaloux et qui la menaçait. Elle a déclaré ne pas avoir exigé d’argent pour le parrainage de son époux, comme il est mentionné dans la lettre, et elle l’a fortement nié.

 

Le tribunal a examiné les éléments de preuve au dossier, et l’appelante n’y mentionne aucun renseignement sur le petit ami. Le tribunal souligne également que la lettre fait allusion à l’avortement de l’appelante, ce qui constitue également une information qui ne figure pas dans les éléments de preuve. Si ce n’était de la lettre, le tribunal doute fortement que l’appelante et le demandeur aient divulgué cette information. Compte tenu du fait qu’une grossesse et les relations antérieures constituent des éléments très importants dans le cadre de l’analyse de l’authenticité d’une relation, le tribunal a admis le document en preuve. Étant donné que l’appelante et le demandeur ont confirmé certains des renseignements que cette lettre contenait, le tribunal se fiera à leur reconnaissance de ces éléments. En ce qui concerne les renseignements contestés que contient la lettre (argent exigé pour le parrainage et mariage arrangé à des fins d’immigration au Canada), le tribunal leur accorde moins de poids.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

 

[16]           Le tribunal a donné de la liaison de la demanderesse avec son ex‑compagnon, M. Manish Patel, un récit que j'ai récapitulé aux paragraphes 5 à 7 des présents motifs. Il a formulé à ce sujet les observations suivantes :

Le récit décrit par l’appelante porte grandement à confusion, et j’estime qu’il n’est pas crédible. Plus tard, au cours de son témoignage, elle a déclaré que, lorsqu’elle s’est rendue en Inde, elle a d’abord pensé que c’était pour se marier avec son petit ami et que, une fois là‑bas, elle s’est rendu compte qu’elle avait été trompée. Cependant, elle a affirmé que sa relation avec lui avait pris fin vers mai 2007 et qu’elle était allée en Inde en octobre 2007. Le tribunal ne comprend pas la raison pour laquelle l’appelante s’attendait à ce que son petit ami se marie avec elle en Inde plus tard si sa relation avec lui avait pris fin en mai 2007. Il s’agit là d’une contradiction importante sans explications raisonnables fournies par l’appelante. Puis, elle a déclaré savoir que le but du voyage en Inde était de se marier, mais pas à quelqu’un en particulier. Elle a ajouté que ce n’est que lorsqu’elle était en Inde qu’elle a appris l’existence du demandeur. De son côté, ce dernier a déclaré que sa tante connaissait les parents de l’appelante qui ont organisé la rencontre entre celle‑ci et le demandeur chez la tante de celui‑ci.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

 

[17]           Le tribunal ajoute ce qui suit, aux paragraphes 16 et 17 de sa décision :

L’appelante et le demandeur ont tous deux mentionné que cette dernière a rencontré plusieurs époux potentiels avant de rencontrer le demandeur, mais la déclaration précédente de l’appelante donne à penser qu’elle savait qu’elle se rendait en Inde pour se marier avec le demandeur et que son petit ami était mécontent à cet égard.

 

Il y a de nombreuses contradictions dans les déclarations faites sous serment par l’appelante. Le tribunal ne trouve pas que le témoignage de l’appelante est crédible, étant donné que les circonstances de sa situation personnelle précédant sa rencontre avec le demandeur ne sont pas claires et portent grandement à confusion. Selon le tribunal, elle a tenté de dissimuler le fait qu’elle entretenait une relation avec son petit ami et qu’elle était enceinte, puisque ces renseignements auraient eu une incidence négative sur sa demande de parrainage. En fait, les déclarations de l’appelante ont des répercussions négatives sur son affaire parce qu’elle a tenté de dissimuler des renseignements et qu’elle entretenait une relation avec son petit ami peu avant de se marier avec le demandeur. Cela aurait induit le tribunal en erreur au moment d’évaluer l’authenticité du mariage.

 

 

[18]           Le tribunal a examiné les déclarations faites par le demandeur (M. Patel) aussi bien devant lui que devant l'agente des visas. M. Patel a déclaré devant le tribunal qu'il était au courant de l'avortement au moment des fiançailles, soit le 3 janvier 2008, mais il avait répondu par la négative lorsque l'agente des visas lui avait demandé, lors de l'entretien de mai 2009, si la demanderesse (sa femme) avait déjà été enceinte.

 

[19]           Selon le tribunal, ces réponses contradictoires faisaient sérieusement douter de la véracité de son témoignage.

 

[20]           Le tribunal constate ensuite que les conjoints ont pris la décision de se marier de manière précipitée compte tenu du contexte. Après avoir vécu de nombreux événements importants en peu de temps, Mme Patel s'était trouvée « soudainement prête à se marier à une personne qu'elle [connaissait] à peine ». Les conjoints ont tous deux déclaré qu'il leur était permis de se rencontrer seuls et de décider eux-mêmes s'ils voulaient se marier, mais que leur décision, si elle était affirmative, devait aussi être approuvée par leurs familles respectives à l'issue d'une réunion. Tous deux ont expliqué qu'il n'y avait rien d'irrégulier à ce qu'ils se soient d'abord rencontrés sans leurs familles. Le tribunal a formulé à ce sujet les observations suivantes :

S’il n’y avait pas de pression exercée ni d’arrangements initiaux officiels pris par les parents pour conclure ce mariage, comme c’est souvent le cas dans les mariages arrangés indiens, le tribunal ne comprend pas la raison pour laquelle le mariage devait être célébré si rapidement. Aucune explication raisonnable n’a été fournie. Le tribunal est porté à croire que, en se mariant avec l’appelante, le demandeur avait d’autres intentions que d’établir une relation authentique et de vivre avec l’appelante.

 

 

[21]           Le tribunal poursuit son raisonnement en ces termes :

En outre, le tribunal estime qu’il est surprenant que le demandeur ait accepté de se marier avec l’appelante si peu de temps après l’avoir rencontrée, compte tenu des antécédents de cette dernière en matière de relation. Il a été mis au courant du petit ami et de l’avortement le 3 janvier 2008 et a pris la décision de se marier avec elle le même jour. Le mariage a eu lieu le 26 janvier 2008, moins d’un mois plus tard.

 

 

[22]           Le tribunal, après avoir exprimé l'opinion que « cette situation est inhabituelle » aussi bien dans la culture occidentale que dans la culture indienne, a procédé à l'analyse suivante :

  • Mme Patel est arrivée en Inde vers le 16 octobre 2007 en pensant qu'elle allait y épouser son compagnon d'alors.
  • Elle s'est ensuite rendu compte qu'elle était enceinte de lui et a rompu leur liaison.
  • Elle s'est fait avorter deux semaines plus tard, vers le 30 octobre 2007.
  • Elle a caché sa liaison et son avortement à M. Patel jusqu'au jour de leurs fiançailles, célébrées le 3 janvier 2008, auquel moment elle lui a tout révélé.
  • M. Patel a immédiatement accepté de se marier avec elle sans prendre le temps d'en parler avec sa famille ni même d'y penser.

 

[23]           Le tribunal a ensuite examiné le premier mariage de Hina Patel : 1) ce mariage avait abouti à une séparation au bout de trois mois, après que le mari eut obtenu la résidence permanente; 2) le tribunal a estimé non crédible l'explication donnée par Mme Patel, selon laquelle elle avait décidé de se séparer de son premier mari parce qu'il avait une maîtresse, alors qu'elle avait plus tard entretenu une liaison d'environ un an avec un homme qu'elle savait marié. Le tribunal a en conséquence formulé les conclusions suivantes :

Le comportement de l’appelante ne correspond pas à ses déclarations, ce qui amène le tribunal à croire que le premier mariage de l’appelante était un mariage de convenance dans le but de faire entrer son ex‑époux au Canada. Cela a une incidence défavorable sur son appel et sur le poids à accorder à ses déclarations à l’audience.

 

Compte tenu de ce contexte, le tribunal a examiné les éléments de preuve au dossier tels qu’une preuve des communications entre les deux parties et une preuve des virements de fonds. Le tribunal accorde très peu de poids à ces documents comme preuve d’une relation authentique en cours. Il reconnaît qu’il y a eu des communications continues et des virements de fonds entre l’appelante et le demandeur, mais leur but concernait autre chose. Le tribunal est d’avis qu’il s’agit d’éléments de preuve intéressés en vue d’amener le tribunal à croire que la relation est authentique. Étant donné la conclusion au sujet des intentions et de la crédibilité de l’appelante et du demandeur, le tribunal accorde très peu de poids à ces documents, puisqu’il croit fortement que le but premier du demandeur est de venir au Canada au moyen de cette relation et que l’appelante a contribué à la tentative du demandeur d’atteindre ce but.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

 

IV.  Les prétentions et moyens des parties

            a)  La demanderesse

[24]           L'avocat de Hina Patel soulève deux questions. Premièrement, il soutient que l'agent des visas a porté atteinte aux droits procéduraux de M. Patel en ne lui communiquant pas la lettre de dénonciation et que la prise en considération de cette lettre a vicié sa décision : il a omis de mettre M. Pattel en présence de déclarations qui l'accusaient d'essayer d'acheter sa résidence permanente au Canada.

 

[25]           Deuxièmement, l'avocat soutient que le tribunal a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées; celui‑ci, explique‑t‑il, a omis de prendre en considération la totalité de la preuve dont il disposait, de sorte que sa décision est déraisonnable.

 

            b)  Le défendeur

[26]           Selon l'avocat du défendeur, la thèse de Hina Patel repose simplement sur son désaccord avec le tribunal à propos de la conclusion de ce dernier selon laquelle elle ne s'était pas acquittée de la charge de preuve qui pesait sur elle au motif que les éléments produits n'étaient pas dignes de foi. Or, fait valoir l'avocat, le tribunal est parvenu à sa décision après avoir apprécié la totalité de la preuve. Il est évident, toujours selon l'avocat, que l'agent des visas ne s'est pas fondé sur la lettre de dénonciation.

 

[27]           L'avocat du défendeur soutient en outre que la question qu'il m'incombe de trancher est celle de savoir si le tribunal a commis une erreur donnant lieu à révision ou si sa décision est déraisonnable sur le plan des faits.

 

V.  Analyse et conclusions de la Cour

            a)  La norme de contrôle applicable

[28]           Il est de droit constant que la norme de contrôle applicable aux manquements supposés à la justice naturelle est celle de la décision correcte, et que les erreurs supposées dans l'établissement des faits relèvent de la norme du caractère raisonnable, que la Cour suprême du Canada définit dans les termes suivants au paragraphe 47 de Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 :

La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

            b)  Conclusions de la Cour

[29]           Il faut à mon avis accueillir la présente demande de contrôle judiciaire, au motif que les autorités ont violé les droits procéduraux de la demanderesse en omettant de lui communiquer la lettre de dénonciation. Cette lettre nomme explicitement Hina Patel, et l'accuse de contracter des mariages de mauvaise foi, de se faire payer ces services illicites, de travailler illégalement et d'essayer de faire chanter son auteur, révélant en outre la grossesse et l'avortement de la demanderesse. Qui plus est, M. Patel y est nommément désigné comme la personne faisant l'objet du parrainage.

 

[30]           L'avocat du défendeur soutient que l'agente des visas ne s'est pas fondée sur la lettre de dénonciation, mais celui de Hina Patel fait valoir qu'il ressort à l'évidence des notes portées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (STIDI) que l’agente s'est basée sur cette lettre lorsqu'elle a demandé à M. Patel si sa femme avait déjà été enceinte.

 

[31]           En outre, l'agente des visas a bel et bien fait allusion à la lettre de dénonciation lorsqu'elle a dit à M. Patel : [TRADUCTION] « Nous avons reçu des renseignements selon lesquels votre mariage avec Hina ne serait pas authentique », à quoi M. Patel a répondu : [TRADUCTION] « Non, c'est un mariage véritable. »

 

[32]           À mon avis, l'équité exigeait qu'on mette M. Patel en présence du texte intégral de la lettre afin de lui donner la possibilité de répondre à son contenu. Il ressort à l'évidence des motifs du tribunal aussi bien que de ceux de l'agente des visas que le contenu de la lettre de dénonciation a influé sur leurs décisions respectives, dans une mesure qu'on ne pourra jamais déterminer. On aurait dû communiquer le contenu de cette lettre aux intéressés et la remettre à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour enquête.


JUGEMENT

LA COUR STATUE comme suit : La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du tribunal est annulée, et la demande de parrainage de la demanderesse est renvoyée devant la Section d'appel de l'immigration pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué. Il n'a été proposé aucune question à la certification.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑9745‑11

 

INTITULÉ :                                      HINA PATEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :             Le 27 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                            LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 28 novembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Harry Blank

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Evan Liosis

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Harry Blank

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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