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Date : 20121130

Dossier: T-780-12

Référence : 2012 CF 1399

Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Scott 

 

ENTRE :

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

MAXIME GALIPEAU

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               Le Procureur général du Canada (Procureur général) dépose cette demande de révision judiciaire aux termes du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch F-7, à l’encontre d’une décision prise le 7 mars 2012 par la Commission canadienne des droits de la personne [CCDP] de statuer sur la plainte déposée par le défendeur, Maxime Galipeau (M. Galipeau), contre les Forces canadiennes [FC].

 

[2]               La décision de la CCDP rejette les représentations du Procureur général voulant que la plainte de M. Galipeau soit irrecevable aux termes des alinéas 41(1)d) et 41(1)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, ch H-6 [Loi].

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la Cour rejette cette demande de révision judiciaire.

 

II.        Les faits

 

[4]               M. Galipeau s’enrôle dans les FC le 12 septembre 2001.

 

[5]               Quelques années plus tard, M. Galipeau est diagnostiqué séropositif.

 

[6]               M. Galipeau soutient que le médecin en chef des FC lui apprend alors qu’il devra être libéré des FC pour des raisons médicales puisqu’il est atteint d’une maladie incurable et qu’il présente un risque de contamination pour ses collègues.

 

[7]               M. Galipeau reçoit des traitements antiviraux. Compte tenu de son état de santé, les FC considèrent qu’il présente des limitations d’emploi permanentes et qu’il contrevient au principe de l’universalité de service des FC. Conséquemment, son dossier est envoyé au Directeur administration des carrières militaires [DACM] en juin 2007.

 

[8]               Le DACM réunit un comité de révision de carrières (le Comité), lequel recommande la libération de M. Galipeau pour le motif 3b) du chapitre 15 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes [ORFC]. La directive DOAD 5019-2 des FC prévoit la possibilité de contester la recommandation du comité avant qu’elle ne devienne finale, en déposant des observations.

 

[9]               M. Galipeau reconnaît avoir reçu une trousse d’information détaillant son droit de contester la recommandation du Comité. D’ailleurs, il signe un accusé de réception de cette trousse le 11 octobre 2007.

 

[10]           Le même jour, M. Galipeau signe un autre document confirmant son accord avec la recommandation finale du Comité de le libérer des FC et qui précise de plus qu’il n’a aucun autre commentaire à formuler. 

 

[11]           Le 25 mai 2008, M. Galipeau est libéré des FC pour le motif 3b) du chapitre 15 des ORFC, soit pour des « raisons de santé ».

 

[12]           M. Galipeau ne dépose pas de grief pour contester sa libération des FC, comme le prévoit le paragraphe 29(1) de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N-5 [LDN].

 

[13]           M. Galipeau prétend avoir exprimé son désir de demeurer dans les FC, lors de discussions avec le médecin des FC et avec ses supérieurs. Il soutient également avoir fait des démarches dans le but de s’enquérir sur la possibilité de demeurer à l’emploi des FC, mais celui-ci reçoit toujours la même réponse, soit qu’il lui est impossible d’œuvrer au sein des FC car il est séropositif.

 

[14]           Une fois libéré des FC, M. Galipeau reçoit des prestations du régime d’assurance-invalidité prolongée [AIP], jusqu’en mai 2010. L’AIP fait partie du régime d’assurance-revenu militaire [RARM].

 

[15]           M. Galipeau bénéficie également du Programme de réadaptation professionnelle des FC ce qui lui permet de compléter un diplôme d’études collégiales [DEC] en menuiserie charpenterie en janvier 2010.

 

[16]           En février 2010, M. Galipeau consulte des infectiologues au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke [CHUS]. Ces derniers lui apprennent qu’il ne présente pas un danger de contamination pour ses collègues des FC et qu’il aurait pu continuer à y faire carrière. M. Galipeau soutient que cette opinion médicale qu’il recevait pour la première fois contredisait l’information qu’il avait reçue des FC.

 

[17]           M. Galipeau est mis en contact avec un organisme de défense des droits des personnes séropositives. Il prétend que c’est alors qu’il constate, pour la première fois, avoir vraisemblablement été victime de discrimination.

 

[18]           Le 10 septembre 2010, M. Galipeau téléphone à la CCDP.

 

[19]           Le 9 décembre 2010, M. Galipeau dépose une plainte. Il soutient avoir fait l’objet de discrimination par les FC. 

 

[20]           Les 18 février et 14 avril 2011, les FC soulèvent l’irrecevabilité de la plainte auprès de la CCDP en alléguant les alinéas 41(1)d) et 41(1)e) de la Loi.

 

[21]           Le 3 octobre 2011, M. Jonathan Bujeau de la Division des services de règlement à la CCDP rédige son rapport préliminaire. 

 

[22]           Les deux parties présentent ensuite leurs observations sur le rapport de M. Bujeau. Les FC transmettent leurs commentaires le 4 novembre 2011 et M. Galipeau le 22 novembre 2011.

 

[23]           Le 21 décembre 2011, les FC répondent aux commentaires de M. Galipeau.

 

[24]           Le 7 mars 2012, la CCDP décide de statuer sur la plainte de M. Galipeau aux termes du paragraphe 41(1) de la Loi. La CCDP conclut que M. Galipeau n’est pas de mauvaise foi et que les FC n’ont pas démontré que le dépôt de cette plainte, après plus d’un an, pouvait nuire à leur capacité d’y répondre adéquatement.

 

III.       Législation

 

[25]           Les dispositions applicables de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, ch H-6, de la Loi sur la défense Nationale, LRC 1985, ch N-5 et des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, sont reproduites en annexe à la présente décision.

 

 

IV.       La question en litige et la norme de contrôle

 

A.        La question en litige

 

                     La décision de la CCDP de statuer sur la plainte de M. Galipeau aux termes du paragraphe 41(1) de la Loi est-elle raisonnable?

 

B.        La norme de contrôle

 

[26]           La jurisprudence de cette Cour est claire. La norme de contrôle applicable aux décisions de la CCDP portant sur l’irrecevabilité d’une plainte aux termes des alinéas 41(1)d) et e) de la Loi est la norme de la décision raisonnable (voir Lawrence c Société canadienne des postes, 2012 CF 692 au para 18; Chan c Canada (Procureur général), 2010 CF 1232 au para 15; English-Baker c Canada (procureur général), 2009 CF 1253 au para 13; Morin c Canada (Procureur général), 2007 CF 1355 au para 25; et pour des décisions portant sur l’application de l’alinéa 41(1)e), voir 168886 Canada Inc c Reducka, 2012 CF 537 au para 15; Donoghue c Canada (Défense nationale), 2010 CF 404 au para 25 [Donoghue]; Canada (Agence du Revenu) c McConnell, 2009 CF 851 au para 39).

 

[27]           Conséquemment, la Cour n’interviendra pas en l’espèce, à moins que la décision de la CCDP n’appartienne pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]).

 

V.        La position des parties

 

A.        Position du Procureur général

 

[28]           Le Procureur général soutient que la CCDP erre en concluant que la plainte de M. Galipeau n’est pas entachée de mauvaise foi et dans son interprétation de l’alinéa 41(1)e) de la Loi. Selon le Procureur général, la CCDP aurait dû exiger de M. Galipeau qu’il justifie le dépôt tardif de sa plainte, plus de 31 mois après sa libération des FC. 

 

[29]           Le Procureur général prétend que la plainte de M. Galipeau est irrecevable aux termes de l’alinéa 41(1)d) de la Loi parce qu’il est de mauvaise foi. Il a volontairement signé un document le 11 octobre 2007, indiquant son accord avec la recommandation du Comité de le libérer pour raisons de santé tel que prévu au motif 3b) du chapitre 15 des ORFC, sans présenter de commentaire ni d’objection. De plus, selon le Procureur général, M. Galipeau a pu bénéficier du Programme de réadaptation professionnelle pour obtenir un DEC en menuiserie charpenterie et recevoir des prestations en vertu du Régime d’assurance-invalidité pendant deux ans. Enfin, il reproche également à M. Galipeau son défaut de justifier le délai qui s’est écoulé entre sa libération des FC et le dépôt de sa plainte.

 

[30]           Le Procureur général soutient que ces faits démontrent une mauvaise foi et une volonté d’abuser du recours offert par la Loi. C’est pourquoi il conclut que la CCDP erre en considérant que M. Galipeau n’est pas de mauvaise foi.

 

[31]           Par ailleurs, le Procureur général allègue que M. Galipeau ne s’est pas déchargé du fardeau de justifier le dépôt tardif de sa plainte, à l’extérieur du délai d’un an prévu à l’alinéa 41(1)e) de la Loi. Il s’appuie sur le paragraphe 35 de Donoghue précitée pour établir qu’une « explication insuffisante du retard constitue un motif aussi légitime pour refuser de traiter la demande qu’un préjudice causé au défendeur ».

 

[32]           Selon le Procureur général, M. Galipeau n’a offert aucune explication à la CCDP pour justifier son retard et cette dernière a omis d’en exiger une. C’est pourquoi il conclut que la Cour doit déclarer la plainte irrecevable conformément à l’alinéa 41(1)e) de la Loi puisqu’en l’absence de justification, la décision de statuer sur celle-ci devient déraisonnable.

 

B.        Position de M. Galipeau

 

[33]           M. Galipeau allègue que la décision de la CCDP de statuer sur la plainte est raisonnable puisqu’elle se  fonde sur les éléments de preuve au dossier.

 

[34]           Contrairement à la prétention du Procureur général, M. Galipeau soutient avoir expliqué son retard à présenter sa plainte à la CCDP. Sa rencontre avec les infectiologues du CHUS en février 2010 lui a permis de déterminer qu’il était victime de discrimination. En effet, selon M. Galipeau, il n’avait aucun motif pour remettre en cause la décision des FC avant de recevoir l’opinion des infectiologues du CHUS.

 

[35]           M. Galipeau rappelle également que le rapport de M. Bujeau en fait état et conclut qu’il n’a pas agi avec mauvaise foi ayant déposé sa plainte avec diligence après avoir été bien renseigné.

 

[36]           M. Galipeau s’appuie également sur  l’affaire Société canadienne des postes c Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1997), 130 FTR 241 au para 3 pour soutenir que la CCDP ne devrait refuser de statuer sur une plainte que dans les cas d’irrecevabilité les plus évidents:

3          La décision que la Commission rend en vertu de l’article 41 intervient normalement dès les premières étapes, avant l’ouverture d’une enquête. Comme la décision de déclarer la plainte irrecevable clôt le dossier sommairement avant que la plainte ne fasse l’objet d’une enquête, la Commission ne devrait déclarer une plainte irrecevable à cette étape que dans les cas les plus évidents. Le traitement des plaintes en temps opportun justifie également cette façon de procéder. Une analyse fouillée de la plainte à cette étape fait, dans une certaine mesure du moins, double emploi avec l’enquête qui doit par la suite être menée. Une analyse qui prend beaucoup de temps retardera le traitement de la plainte lorsque la Commission décide de statuer sur la plainte. S’il n’est pas évident à ses yeux que la plainte relève d’un des motifs d’irrecevabilité énumérés à l’article 41, la Commission devrait promptement statuer sur elle.

 

[37]           M. Galipeau fait valoir que la décision de la CCDP est raisonnable puisque sa mauvaise foi n’est pas établie, ni que son retard nuirait à la capacité du Procureur général de répondre à sa plainte.

 

[38]           M. Galipeau invoque également l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, [2012] 1 RCS 364 [Halifax], qui énonce qu’il n’appartient pas aux cours de révision d’apprécier les éléments de preuve à une étape préliminaire de la procédure administrative.

 

[39]           Enfin, M. Galipeau souligne que la CCDP tient compte de l’objet de la Loi et des conséquences d’un rejet de sa plainte. Cette approche étant conforme à l’arrêt Larsh c Canada (Procureur général) (1999), 166 FTR 101, [1999] ACF no 508 au para 36:

« […] Un débouté est, après tout, une décision définitive qui empêche le plaignant d'obtenir toute réparation prévue par la loi et qui, de par sa nature même, ne saurait favoriser l'atteinte de l'objectif général de la Loi, c'est-à-dire protéger les personnes physiques de toute discrimination, mais qui, s'il est erroné, risque de mettre en échec l'objet de la Loi. »

 

VI.       Analyse

 

[40]           La Cour doit déterminer si la décision de la CCDP de statuer sur la plainte de M. Galipeau est raisonnable.

 

[41]           La Cour conclut que la décision de la CCDP de se pencher sur la plainte déposée par M. Galipeau est raisonnable pour les motifs qui suivent. D’abord, il se dégage des éléments de preuve au dossier que M. Galipeau a présenté des explications à la CCDP pour justifier le délai de 31 mois qui s’est écoulé entre sa libération des FC et le dépôt de sa plainte. En effet, il appert du dossier que la rencontre avec les infectiologues du CHUS en février 2010 lui ouvre les yeux car il apprend alors qu’il aurait pu continuer à faire carrière dans les FC puisqu’il ne présentait pas un risque pour ses collègues, et ce, contrairement aux affirmations du médecin des FC.

 

[42]           Comme l’indique le rapport de M. Bujeau de la CCDP, pour déterminer si une plainte est entachée de mauvaise foi, il faut voir si la plainte constitue « une tentative délibérée de se dérober à une obligation contractuelle ou juridique d’une autre nature » (dossier du demandeur, pièce 10, p 121). Qu’un plaignant ait signé une renonciation en faveur d’un mis en cause n’établit pas automatiquement qu’une plainte déposée par la suite soit entachée de mauvaise foi. Ce fait ne constitue qu’un facteur à être considéré parmi d’autres. Les circonstances et la connaissance d’une partie doivent être considérées dans leur contexte. Dans Pritchard v Ontario (Human Rights Commission), 45 OR (3d) 97, [1999] OJ No 2061 aux paras 16 et 17, la Cour divisionnaire de l’Ontario énonce que:

16        In deciding that the filing of a human rights complaint shows bad faith after the complainant has signed a release, absent evidence of duress that is defined to exclude economic duress, the Commission improperly fettered its discretion. The term "bad faith" normally connotes moral blameworthiness on the part of the person accused, encompassing conduct designed to mislead or pursued for an improper motive. Its use in s. 34(1)(b) suggests that this is the intended meaning in the Code, for a complainant can be denied access to the investigative procedure only if the complaint is vexatious, trivial or brought in bad faith. The terms "bad faith" and "vexatiousness" both indicate that the complainant has acted improperly in pursuing the complaint.

 

17        Undoubtedly, in some cases, an employee who has accepted a sum of money in exchange for a release of claims against a former employer, including human rights claims, would be acting in bad faith in subsequently turning around and filing a human rights complaint. However, in other cases, the facts may show that the employee misunderstood the significance of the release, or received little or no consideration for it beyond statutory entitlements under employment standards legislation, or was in such serious financial need that she or he felt there was no choice but to accept the package offered. To take the approach that there is bad faith whenever a human rights complaint is brought after signing a release risks ignoring the context within which a particular complainant has signed the release and denying access to the investigative procedure under the Human Rights Code without assessing the complainant's individual moral blameworthiness in pursuing the complaint.

 

[43]           La Cour tient de plus à rappeler que le document signé par M. Galipeau ne constitue pas une renonciation à contester sa libération, comme le prétend le Procureur général. La signature de M. Galipeau apposée sur le document indique son accord avec la recommandation de le libérer pour des raisons de santé. Ce consentement se fonde sur l’avis que M. Galipeau reçoit du médecin des FC. Il ne s’agit pas d’une quittance ou décharge de responsabilité en faveur des FC en échange du paiement d’une somme d’argent. M. Galipeau n’a pas reçu les prestations d’AIP en contrepartie de son acquiescement à la recommandation du Comité mais plutôt aux termes des obligations contractuelles des FC découlant de son lien d’emploi.

 

[44]           Le Procureur général prétend que M. Galipeau avait le devoir de s’enquérir auprès d’autres médecins que ceux des FC avant de signer son consentement le libérant des FC en 2008. La Cour ne peut accepter un tel argument, puisque M. Galipeau n’avait alors aucun motif de remettre en cause l’avis reçu.

 

[45]           En l’espèce, la CCDP accepte les explications présentées par M. Galipeau pour justifier son retard à déposer sa plainte. Lorsque M. Galipeau décide de quitter librement les FC, il se fie à l’avis des médecins des FC qui opinent qu’en raison de sa séropositivité il n’était et ne serait plus capable de rencontrer le standard de l’universalité de service et risquait de contaminer ses collègues. Ne pensant  pas être victime de discrimination, il n’a pas contesté la recommandation du comité ni déposé un grief aux termes du paragraphe 29(1) de la LDN après sa libération.

 

[46]           La CCDP conclut que la plainte de M. Galipeau n’est pas motivée par un dessein répréhensible. Elle accepte l’explication plausible qu’il présente pour justifier le délai encouru avant le dépôt de sa plainte par le temps écoulé avant qu’il ne reçoive l’avis  des infectiologues du CHUS. La Cour considère que la décision de la CCDP appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir précitée, au para 47). 

 

[47]           Pour en arriver à sa décision le 7 mars 2012, la CCDP prend connaissance des documents suivants:

-           formulaire(s) de plainte daté(s) du 9 décembre 2010

-           rapport sur les articles du 3 octobre 2011

-           observation du plaignant reçue le 22 novembre 2011

-           observations de la mise en cause [les FC] datées du 4 novembre et 21 décembre 2011 (dossier du demandeur, pièce 14)

 

[48]           Le Procureur général s’appuie sur la décision Donoghue précitée. Dans cette affaire, la CCDP avait demandé au plaignant de présenter dans ses observations une justification pour expliquer son retard de près de dix ans avant de déposer une plainte. Ce qu’il n’a pas fait. Le juge O’Keefe précise, au paragraphe 35 de la décision Donoghue précitée, qu’« une explication insuffisante du retard constitue un motif aussi légitime pour refuser de traiter la demande qu’un préjudice causé au défendeur ». Les faits dans l’affaire Donohue se distinguent du cas devant nous puisque M. Galipeau présente des explications plausibles à la CCDP.

 

[49]           Vu sa conclusion sur la bonne foi de M. Galipeau, la CCDP n’avait pas d’autres motifs pour rejeter les explications présentées pour justifier la tardivité du dépôt de la plainte. La bonne foi se présume à moins d’éléments de preuve établissant le contraire.

 

[50]           De plus, la Cour souscrit à l’argument de M. Galipeau qui se fonde sur une décision récente de la Cour suprême du Canada dans Halifax précitée, voulant qu’il n’appartient pas aux cours de révision d’apprécier les éléments de preuve présentés à une étape préliminaire de la procédure administrative, et qu’elles doivent conséquemment faire preuve de retenue dans de telles circonstances.

 

[51]           À titre de Cour de révision, notre rôle, comme nous le rappelle la Cour suprême, n’est pas de substituer notre appréciation des éléments de preuve présentés à celle du tribunal administratif, en l’instance la CCDP, mais bien de se demander si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. La Cour conclut qu’en l’instance, la CCDP a raisonnablement exercé sa discrétion de statuer sur la plainte de M. Galipeau, malgré le délai de 31 mois encouru. Cette décision de la CCDP fait partie des issues possibles dans les circonstances.

 

VII.     Conclusion

 

[52]           La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. La CCDP est arrivée à une conclusion raisonnable en décidant de statuer sur la plainte de M. Galipeau. Il n’y a pas de matière à l’intervention de cette Cour.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de révision judiciaire du Procureur général, le tout avec dépens.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge


ANNEXE

 

 

Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, ch H-6

Canadian Human Rights Act, RSC 1985, c H-6

 

Irrecevabilité

 

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

 

 

[…]

 

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

 

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

 

 

[…]

 

 

Commission to deal with complaint

 

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

 

. . .

 

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

 

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

 

. . .

 

 

Loi sur la défense nationale, LRC 1985, ch N-5

National Defence Act, RSC 1985, c N-5

 

 

 

Droit de déposer des griefs

 

29. (1) Tout officier ou militaire du rang qui s’estime lésé par une décision, un acte ou une omission dans les affaires des Forces canadiennes a le droit de déposer un grief dans le cas où aucun autre recours de réparation ne lui est ouvert sous le régime de la présente loi.

 

Right to grieve

 

29. (1) An officer or non-commissioned member who has been aggrieved by any decision, act or omission in the administration of the affairs of the Canadian Forces for which no other process for redress is provided under this Act is entitled to submit a grievance.

 

 

 

 

Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes [ORFC]

 

Queen's Regulations and Orders (QR&Os)

 

Volume I - Chapitre 15

 

Libération

 

Volume I - Chapter 15

 

Release

15.01 - LIBÉRATION DES OFFICIERS ET MILITAIRES DU RANG

 

 

15.01 - RELEASE OF OFFICERS AND NON-COMMISSIONED MEMBERS

 

TABLEAU AJOUTÉ À L’ARTICLE 15.01

 

TABLE TO ARTICLE 15.01

Motifs de libération

 

Numéro 3 b) Lorsque du point de vue médical le sujet est invalide et inapte à remplir les fonctions de sa présente spécialité ou de son présent emploi, et qu’il ne peut pas être employé à profit de quelque façon que ce soit en vertu des présentes politiques des forces armées.

Reasons for Release

 

Item 3(b) On medical grounds, being disabled and unfit to perform his duties in his present trade or employment, and not otherwise advantageously employable under existing service policy.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-780-12

 

INTITULÉ :                                      PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                            c

                                                            MAXIME GALIPEAU

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             20 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                     30 novembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Guy A. Blouin

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Annie-Claude Hinse

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Proulx, Tétrault, Abran

Sherbrooke (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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